Histoire vue et revue du tueur en série qui tombe amoureux d’une de ses victimes. John Carradine dans le rôle-titre est convaincant, la mise en scène clairement expressioniste d’Ulmer réserve quelques belles séquences mais l’ensemble manque d’efficacité narrative, ainsi la longue explication pyschologique finale alourdit considérablement un film qui ne dure guère plus d’une heure. Ajoutons aux reproches une musique omniprésente et franchement agaçante. Film très moyen donc.
Mois: mai 2008
Le bureau des épaves (Stranded, Frank Borzage, 1935)
Histoire d’amour entre un patron confronté à un syndicat mafieux et une travailleuse sociale. Comme dans d’autres films de l’auteur, la rencontre de la femme aimée sera l’occasion d’une évolution morale pour l’homme. Dans Le bureau des épaves, cette rédemption ne prend pas de tournure métaphysique (Liliom), l’importance du contexte social évite les envolées lyrico-poétiques. Le déroulement du film reste prosaïque. Si l’histoire d’amour peine au début à être crédible, la description du milieu ouvrier et des immigrants par Borzage est intéressante.
Miracle au village (Miracle of Morgan’s Creek, Preston Sturges, 1944)
Pendant la Seconde guerre mondiale, un homme que l’armée a recalé tente de limiter les dégâts suite au mariage, lors d’une fête trop arrosée, de la femme qu’il aime avec un soldat parti au front.
Toute la première partie avant le mariage est très bien vue, l’enchaînement des situations particulièrement brillant montrant l’homme se mettre petit à petit dans un pétrin hallucinant pour les beaux yeux de la femme. Par la suite, Preston Sturges s’éloigne du couple pour aller vers une dérision plus générale, dans laquelle il exerce avec virtuosité son comique de l’absurde et de la destruction. Les nombreuses séquences qui se concluent par la chute d’un personnage renvoient aux grandes heures du burlesque. Néanmoins, aussi brillantes que puissent être son écriture et sa mise en scène, il manque peut-être à Sturges une vision du monde qui le hisserait au niveau des plus grands. La mécanique profondément humaniste de Lubitsch, la foi inébranlable de McCarey, ou même la délicieuse régression adolescente de Hawks, étaient la marque de grands artistes qui chacun à leur façon révélaient une vérité essentielle sur le couple ou sur le monde. En revanche, la verve essentiellement destructrice de Sturges -qui n’a rien d’anarchisante au contraire de celle des Marx par exemple- a une portée plus limitée. Les personnages ne sortent guère de leur caractérisation grotesque. Ainsi, alors que McCarey et Lubitsch savaient faire rire sans sacrifier l’émotion, on ne croit pas une seule seconde aux pleurs de Betty Hutton qui est d’ailleurs une actrice assez insupportable.
Mais que ces quelques réserves n’induisent pas l’amateur en erreur: Miracle au village est un film certes superficiel mais jubilatoire et très drôle. Ce qui est le principal pour une comédie.
Diable au soleil (Kings go forth, Delmer Daves, 1958)
De la romance tourmentée sur fond de guerre, le tout saupoudré d’un message bien-pensant. Diable au soleil est un parfait archétype du film « de prestige » hollywoodien, genre d’entreprise impersonnelle taillée sur mesure pour les Oscars dont l’insupportable Tant qu’il y aura des hommes pourrait être considéré comme le parangon. Passer outre les clichés débités à la pelle (ça se passe en France donc je vous laisse imaginer…), les bons sentiments qui tiennent lieu de psychologie, la timide audace (l’héroïne métisse jouée par…Natalie Wood !), les rebondissements prévisibles (la réconciliation des rivaux sous le feu de l’ennemi) alors que le film ne cesse de se prendre au sérieux à coups de tirades lénifiantes comme quoi le racisme c’est pas bien demande une énorme dose de foi au spectateur. Alors bon, le filmage d’un Delmer Daves est moins sec que celui d’un Zinnemann, ses quelques gros plans, son noir et blanc soyeux font que ses séquences de baisers seront toujours plus érotiques que celles de son collègue autrichien -et sans les vagues s’il vous plaît- mais il n’empêche: le film reste médiocre. Pour un beau film sur l’armée américaine en garnison dans une ville européenne, on se tournera vers le moins connu mais nettement moins idiot A bell for Adano.
Notre pain quotidien (King Vidor, 1934)
Des couples touchés par la Grande Dépression s’associent pour fonder une coopérative agricole.
Autrement dit, Notre pain quotidien est la mise en scène d’une utopie. En tant que tel, le film apparaît inévitablement schématique par moments mais sa narration est parfaite, implacable. Le film dure 75 minutes et il est d’une belle richesse. C’est qu’il ne saurait se résumer à son sujet, à ce côté « film New Deal » généralement retenu par les historiens les plus paresseux. Le propos politique du film est bien plus complexe que ça. Vidor, le chantre génial de l’individualisme subvertit la morale rooseveltienne en célébrant avant tout la force, l’élan vital qui permet à ces hommes de s’en sortir. De plus, ces travailleurs sont mus pour un désir: celui de leur chef, véritable héros révélé par les circonstances. Il suffit qu’une femme séduise cet homme et c’est l’existence de toute la communauté qui est remise en question. On voit que le film est plus ambigu qu’il n’y parait. Loin de se réduire à un vulgaire film à thèse, Notre pain quotidien est aussi et surtout l’oeuvre d’un poète lyrique dont le génie plastique allié à la musique inspirée de son comparse Alfred Newman chante les forces contradictoires qui régissent l’homme, forces pouvant tout aussi bien le conduire à sa perte que le mener à se transcender; ainsi de la spectaculaire séquence finale qui reste très émouvante.
Un classique dont la beauté et la pertinence semblent inaltérables.
Mademoiselle général (Flirtation Walk, Frank Borzage, 1934)
Film musical à la gloire de West Point avec défilés militaires qui n’en finissent pas. Niais, longuet et franchement chiant je défie quiconque d’y retrouver le style de Borzage. Reste les numéros de Dick Powell qui n’intéressent d’ailleurs plus grand-monde. La différence entre ce film et le précédent -deux films de Borzage avec Powell destinés à célébrer une partie de l’armée américaine- c’est la différence entre la ringardise et la désuétude.
Amis pour toujours (Shipmates Forever, Frank Borzage, 1935)
Regarder un film comme ça, c’est goûter un plaisir précieux, celui d’effleurer un univers oublié, un univers naïf et pétri de valeurs aussi désuètes que le courage sacrificiel ou la foi en ses camarades. Frank Borzage a excellé dans ce cinéma édifiant et révolu, il filme ici avec autant de pudeur que de sensibilité les trémolos dans la voix d’une orpheline, les chants de marins en soirée, les discussions houleuses d’un père amiral avec son fils chanteur ou les funérailles d’un jeune héros. C’est pourquoi en dépit de quelques ficelles scénaristiques grossières, Amis pour toujours est un très bon film, un produit pour jeune premier (le crooner Dick Powell, impeccable dans un rôle un peu plus complexe qu’à l’accoutumée) transcendé par la sensibilité unique de son réalisateur qui est peut-être avant tout un grand directeur d’acteurs.
Les aventures de Tom Sawyer (Norman Taurog, 1937)
Tom Sawyer, le livre préféré de mon enfance…Cette production Selznick fait partie de ces illustrations romanesques dont la fidélité à la lettre fait la beauté (par exemple, La gloire de mon père mise en scène par Yves Robert). Le film est donc un ensemble charmant de vignettes en Technicolor qui a entraîné chez moi une série de réminiscences enfantines: mon premier amour imaginaire, Becky Thatcher, cette tête à claques de Sid, les frayeurs avec Joe l’Indien (d’ailleurs le film contient un ou deux plans qui ont marqué les créateurs de Twin Peaks), une vie rêvée à base de parties de pêche et de chasses au trésor, le tout pieds nus évidemment. La vision de ce film, véritable expérience proustienne en cela qu’elle a révélé un sens profond à des souvenirs enfouis, m’a fait comprendre combien le chef d’oeuvre de Mark Twain a compté dans mon penchant pour l’imaginaire. D’ailleurs, je m’arrête ici parce que je ne pourrais continuer cette critique sans raconter un peu de ma vie.
Girls in chain (Edgar G. Ulmer, 1943)
Un film fauché, certainement encore moins que B, produit par un studio inconnu au bataillon (Atlantis Pictures), les comédiens sont médiocres. Devant certaines séquences qui ne durent qu’une seconde et demi, on se demande même si une partie du métrage ne s’est pas perdue depuis toutes ces années malgré la restauration effective de la copie… Et pourtant…Pourtant quelque chose dans ce film fonctionne, grâce au génie réel d’Edgar G.Ulmer, à ses mouvements de caméra toujours pertinents, à la stylisation de certains éclairages (pas tous non plus, il ne faut pas exagérer), à l’originalité du lieu de l’action (des maisons de correction pour filles) et à un scénario qui n’y va pas avec le dos de la cuillère lorsqu’il s’agit de s’en prendre à la corruption municipale incarnée dans un seul méchant qui tient toute la ville entre ses mains (un peu comme dans cette autre film noir très féminin qu’est Deux rouquines dans la bagarre). Le film n’a pas peur de l’outrance mélodramatique, il n’a pas le temps de faire des fioritures ou de s’embarrasser du bon goût. Bref, Girls in chain est plusieurs crans en dessous des petits chefs d’oeuvre que constituent les réussites majeures du cinéaste (Le bandit, Détour, Le démon de la chair…) mais c’est un film qui arrive à tirer parti de son contexte de production qu’on imagine aisément lamentable.
La fête à Henriette (Julien Duvivier, 1952)
Deux scénaristes imaginent la rencontre d’une jeune Parisienne avec un charmant cambrioleur le jour de la fête nationale.
La mise en abyme commence dès un excellent générique façon Guitry. Cette histoire de l’écriture d’un film est d’abord l’occasion d’une savoureuse auto-critique de la part des auteurs du film. Le personnage du scénariste qui se complait dans la noirceur, la misanthropie, la bassesse et l’anti-cléricalisme primaire préfigure le pamphlet de Truffaut contre le cinéma français deux ans avant sa publication. Il y a lieu de croire que, de la part de Duvivier dont le pessimisme forcené était parfois agaçant, cela relève d’un réjouissant sens de l’auto-dérision. Le film raconte donc deux histoires, celles du processus d’écriture, et celle du film imaginé. Or le film imaginé, l’amourette d’Henriette, est clairement l’intrigue la plus importante du film mais il est difficile de s’y intéresser dans la mesure où les processus d’immersion et d’identification sont régulièrement stoppés par des retours à la « réalité » des scénaristes qui renvoient la nature fictive de l’histoire racontée à la face du spectateur. Ajoutons que les jeunes premiers choisis pour jouer les amoureux, Michel Roux surtout, n’aident pas…La fête à Henriette, film intéressant, charmant mais profondément bancal donnera lieu à un remake américain réalisé par Richard Quine –Deux têtes folles– où l’accent sera mis sur la relation entre le scénariste et sa secrétaire, joués par William Holden et Audrey Hepburn. Là, c’est le traitement systématiquement parodique des situations imaginées qui empêchera le film d’être pleinement convaincant.
Uniformes et jupons courts (The major and the minor, Billy Wilder, 1942)
Une comédie réjouissante que ce premier film, certainement pas mineur, réalisé par Billy Wilder à Hollywood. Les dialogues sont piquants, les personnages secondaires bien croqués, le rythme parfait et le comique de situation permanent. Wilder était déja un virtuose de l’écriture, après avoir scénarisé avec son compère Charles Brackett plusieurs comédies de Lubitsch ou Leisen à la Paramount. Sans parler de ses réalisations en Europe. Bref le film est très drôle et on ne s’ennuie jamais car les personnages sont attachants et l’histoire ne se résume pas à une succession de gags. Qui plus est, Wilder introduit sa dose de subversion habituelle en racontant une histoire d’amour entre une jeune femme qui se fait passer pour plus jeune qu’elle n’est et un officier qui ne sait pas qu’elle a plus de douze ans quand il tombe amoureux d’elle.
Le démon de la chair (The strange woman, Edgar G.Ulmer, 1946)
Un authentique et -superbe- mélodrame en costume.
Cette adaptation d’un roman de Ben Ames Williams, auteur de Leave her to Heaven, est mise en scène par Edgar G.Ulmer, un des rares cinéastes à qui l’on peut attribuer le qualificatif de « maudit ». Sa carrière l’a mené des théâtres de Max Reinhardt aux studios de Cinecitta en passant par les plateaux de films d’exploitation en tout genre -des films « ethniques » notamment. Dans la mise en scène du Démon de la chair, un des très rares films de série A qu’il a eu l’occasion de réaliser, c’est la facette expressionniste de l’artiste qui est évidente. Le travail sur la photo (superbe noir&blanc charbonneux), les cadrages et les éléments reflète les tourments intérieurs des personnages; soit la définition même de l’expressionnisme cinématographique, si souvent galvaudée. Ulmer a été élève du grand Murnau et cela se voit ! Cela se voit entre autres dans la séquence centrale sublime qui retrouve une beauté naïve et premier degré propre au cinéma muet.
Comme l’auteur de Nosferatu, Ulmer filme ici les aléas des âmes passionnées. L’héroïne, jouée de façon génialement outrée par la belle Hedy Lamarr, est un personnage magnifique, au-delà du bien et du mal. Ses actes imprévisibles guident une narration romanesque, fertile en rebondissements. Le film, tout en montrant les drames (morts…) qui en découlent, exalte les passions et montre l’hypocrisie de la société puritaine à travers le personnage de George Sanders qui voudrait condamner sa maîtresse mais qui ne peut lutter contre ses pulsions amoureuses. Enfin, si Ulmer est sans doute le plus digne des héritiers de Murnau, son style ne se limite pas à une pâle resucée de celui de son maître. Concluons donc en mentionnant qu’un travail digne d’Albert Lewin sur les décors et les accessoires singularise sa mise en scène dans Le démon de la chair et ajoute le raffinement de l’esthète au lyrisme violent du sombre romantique.
La baronne de minuit (Midnight, Mitchell Leisen, 1939)
Une excellente screwball-comedy, réalisée par l’équipe A de la Paramount: Wilder/Brackett au scénario, Claudette Colbert et Don Ameche devant la caméra, Mitchell Leisen derrière. La baronne de minuit est, comme beaucoup de pépites du genre, un film tranquillement mais sûrement subversif, un de ces films qui, en nous présentant des personnages d’aventurière éminemment sympathique, en mettant en scène de façon très gaie et jamais vulgaire des personnages immoraux, véhiculent un idéal de femme libre, sûre d’elle et surtout n’hésitant pas à jouer de ses atouts naturels pour arriver à ses fins, bref une vision à l’opposé des normes sociales ayant toujours court. Ce évidemment sans verser une seule seconde dans le pamphlet féministe grâce à la divine légèreté de l’écriture comme de la mise en scène. Claudette Colbert a su incarner mieux que personne ces femmes déterminées (aussi bien dans les comédies que dans Imitation of life de Stahl, un mélo), sans le coté androgyne d’une Katharine Hepburn.
Vie facile (Mitchell Leisen, 1937)
Lors d’une scène de ménage, un riche banquier jette le nouveau manteau en fourrure de sa femme par dessus le balcon; manteau qui atterrit sur la tête d’une sympathique working-girl. S’ensuit une série de quiproquos jouant sur une supposée relation entre le banquier et la jeune fille déroulés suivant un excellent scénario de Preston Sturges. Un des miracles de la « screwball comedy », c’est d’arriver, via des personnages très typés voire caricaturaux et des péripéties de théâtre de boulevard, à une vérité sur les rapports entre hommes et femmes que peu des films sérieux ont atteint depuis. Ici, cela concerne particulièrement leur « représenté » social, c’est-à-dire le fossé entre ce que les gens imaginent de vous et la réalité. Pour expliquer ce paradoxe qui n’en n’est pas un pour qui se rappelle que « grand art » ne rime pas avec « pensum », on pourrait avancer que les conventions narratives n’empêchaient pas une réjouissante liberté de ton de la part des auteurs. D’ailleurs, Vie facile est également une satire percutante des dérives irrationnelles du capitalisme financier. Des acteurs habitués au genre, des répliques spirituelles, un réalisateur qui ne perd jamais le sens du rythme -bref le lustre de la facture Paramount- achèvent de faire du film un petit classique de la comédie américaine.
La cité sans voile (Naked city, Jules Dassin, 1948)
Le premier des polars tournés à la sauvette par Jules Dassin dans les rues des grandes villes. Ici, il s’agit de New-York qui tient véritablement le rôle principal du film. L’intrigue est somme toute banale mais l’originalité du film tient à sa volonté documentaire et à sa peinture de la déliquescence urbaine à travers une galerie de petits malfrats dont la faiblesse est profondément humaine. La mise en scène est sèche et la violence surgit brutalement, quand le spectateur ne s’y attend pas. C’est aussi un plaisir de retrouver Barry Fitzgerald, acteur fordien par excellence, dans un rôle plus grave qu’à l’accoutumée. Bref, La cité sans voile n’a pas la grandeur tragique des Forbans de la nuit, le chef d’oeuvre de Dassin dans le même genre, son ambition est plus prosaïque (comme le dit la voix-off qui apporte un contrepoint ironique bienvenu a un ensemble très sérieux, c’est la retranscription d’un fait divers « comme il s’en passe 8 millions chaque jour dans la ville ») mais c’est un bon film noir.
Du plomb pour l’inspecteur (Pushover, Richard Quine, 1954)
D’abord, ne pas se fier au titre français. Ceci n’est pas une suite de La panthère rose mais un vrai film noir.
Un flic en planque s’amourache de la maîtresse du gangster qu’il recherche…S’ensuit une descente aux enfers façon Assurance sur la mort. D’ailleurs, ce n’est certainement pas un hasard si c’est Fred MacMurray, l’anti-héros du classique de Billy Wilder, qui tient le rôle principal. Il faut dire qu’il est l’acteur idéal pour ces rôles d’homme médiocre embarqué dans des histoires sordides à cause d’une femme. Le film utilise donc consciemment des clichés préexistants et en cela, il tend vers le maniérisme. La mise en scène ultra-stylisée, avec ses rues de studio vides, sa photo noir&blanc léchée, tend vers une abstraction toute melvillienne, elle fascine le spectateur plutôt qu’elle ne donne une consistance (pyschologique, sociale…) à ses personnages. Mais ici, c’est peu dire que la forme est à l’image du fond, la forme est même l’image du fond, le personnage de MacMurray n’agissant que par fascination pour la femme du gangster. Femme incarnée par Kim Novak, Kim Novak la star parfaite…c’est à dire la fascination incarnée en femme. La façon dont son visage est sublimé dans Pushover me fait dire que rarement actrice aura été aussi bien filmée. D’ailleurs, il faut rappeler que c’est Richard Quine qui a « créé » Kim Novak, de la même façon que Von Sternberg a créé Marlene (sans aller cependant jusqu’à lui arracher des dents pour améliorer son profil).
Contes des chrysanthèmes tardifs (Kenji Mizoguchi, 1939)
Il s’agit d’un des films les plus authentiquement mélodramatiques de Mizoguchi. Dans cette histoire d’un couple de comédiens qui brasse plusieurs époques, une seule constante: l’amour pur, inconditionnel, sacrificiel de la femme. Le scénario évolue avec des coups de théâtre (décès impromptu par exemple) qui arrivent parfois sans explication du fait d’ellipses audacieuses. Ce déterminisme (systématiquement négatif) peut agacer mais ce qui compte, ce qui intéresse les auteurs, ce sont les réactions des personnages face à ces coups du sort, l’évolution de leur couple face aux aléas. D’ailleurs, l’actrice principale est -évidemment- très émouvante. Dans Contes des chrysanthèmes tardifs, elle s’appelle Kakuko Mori. On pourrait caractériser la mise en scène de Mizoguchi sur ce film par une apparente oxymore: « épure sophistiquée ». En effet, les nombreux travellings et panoramiques ne sont pas là pour donner le vertige au spectateur mais pour aller à l’essentiel en un minimum de plans. Le film, s’il n’atteint certes pas les cimes plastiques de L’intendant Sansho ou Les amants crucifiés, contient plusieurs plans sublimes.
En revanche, Mizoguchi et ses scénaristes (Yoshikata Yoda, le scénariste des chefs d’oeuvre des années 50, a travaillé sur ce film) n’ont pas encore atteint leur plénitude narrative. Contes des chrysanthèmes tardifs semble parfois trop long, notamment a cause de certains dialogues qui n’ont d’autre fonction que d’appuyer le pathos. Les derniers films de Mizoguchi durent presque une heure de moins et sont nettement plus denses.
Bref, Contes des chrysanthèmes tardifs est un beau mélo bien qu’imparfait dans sa construction dramatique. Ce qui vaut mieux que le contraire. Non ?
Nick Carter, détective (Jacques Tourneur, 1939)
Série B tournée à la MGM par Jacques Tourneur. Avant sa période vénérée par les cinéphiles de la RKO donc. Ici, pas de « poésie de l’invisible », pas de « sous-texte », pas de psychologie, pas de recherche esthétique. Simplement le premier volet d’une trilogie consacré à un héros de bande dessinée. En une heure, l’affaire est pliée. Un film à l’ambition -très- limitée mais à la naïveté que d’aucuns trouveront charmante.
Age of consent (Michael Powell, 1969)
Un peintre en exil sur une île australienne rencontre une très jeune fille qui y habite avec sa grand-mère, jeune fille dont il va faire sa modèle…
L’avant-dernier film de Michael Powell n’est pas inoubliable. De fait: dans l’oubli il est plus ou moins tombé. La faute d’abord à un scénario médiocre dont l’indigence éclipse les quelques attraits de l’œuvre. Le film reste en surface de ce qu’il aborde. La piste narrative principale, la plus intéressante, la relation entre le peintre et sa modèle, est parasitée par l’amourette de l’ami du peintre qui n’a strictement aucun intérêt. Heureusement, Age of consent est interprété par de bons comédiens qui parviennent malgré tout à faire exister leurs personnages. James Mason en Robinson volontaire qui porte beau la barbe en impose et la semi-sauvageonne jouée par Helen Mirren, sorte de cousine éloignée de la renarde, a droit à quelques unes des plus belles séquences du film, notamment celle où elle prend conscience dans sa chambre du potentiel de séduction de son corps. Oui, Age of consent est aussi le film d’un vieux monsieur libidineux et c’est ce qui le sauve de l’inintérêt total. Helen Mirren est magnifiquement filmée. De plus, s’il a perdu Pressburger, le cinéaste n’a pas perdu son talent de coloriste qui se manifeste toujours dans la composition des plans, le choix des accessoires; il use et abuse de ces décors naturels édéniques: les plages australiennes.
Bref, comme il n’a pas grand-chose à raconter, Powell se fait plaisir en filmant ce qui lui plait: les animaux, les panoramas de carte postale, le corps bronzé et charnu d’Helen Mirren, les fonds-sous marins, voire les deux à la fois (Helen Mirren qui plonge toute nue)…d’où malgré la pauvreté narrative de l’ensemble, un charme ténu mais certain.