« Mes spectateurs éventuels, que je vous prévienne de suite: vous n’aurez pas l’occasion de pleurer en voyant ce film – et pourtant il est rempli d’assassinats, de crimes et de vols. Pourquoi n’en serez-vous pas émus ? Pourquoi ne partagerez vous pas les tourments des personnages principaux ? Parce que jamais vous ne m’avez fait de peine, parce que jamais vous ne m’avez fait d’ennuis-et ce n’est pas moi qui commencerai. »
Ces propos de Guitry à propos d’Assassins et voleurs (trouvés dans l’excellent recueil Le cinéma et moi paru chez Ramsay) révèlent, derrière le bon mot, un véritable credo moral et esthétique de leur auteur. Par pudeur, par élégance aristocratique mais aussi par conviction profonde sur son métier d’amuseur (conviction explicitée dans de nombreux textes publiés dans les années 30), Guitry s’est toujours montré extrêmement méfiant par rapport aux situations mélodramatiques. Pourtant, sa filmographie contient quelques titres à tendance franchement pathétique. La Malibran est le premier d’entre eux.
Comment l’élégant Sacha Guitry a t-il raconté la vie de cette cantatrice au destin tragique ? Eh bien la tonalité mélodramatique de l’histoire racontée est atténuée par une mise en scène d’une épure toute théâtrale (alors que le film n’est pas l’adaptation d’une pièce) et par les délicieux dialogues en vers, pleins d’aphorismes et de généralités. Guitry ose cependant, à une ou deux reprises, jouer franchement avec l’émotion: ainsi de la longue agonie de l’héroïne montée en parallèle avec un solo de violon. La Malibran est donc une oeuvre est un peu bâtarde.
Le film se présente comme une succession de vignettes sans grand rapport les unes avec les autres. Ce manque de continuité dramatique nuit à l’intérêt du spectateur d’autant que la biographie se révèle être une hagiographie, Guitry n’étant jamais timoré lorsqu’il s’agit d’admirer. Il y a d’ailleurs beaucoup de scènes de concert, de chant qui n’ont aucune fonction dramatique. Ajoutons que La Malibran marque une nouvelle étape dans le pessimisme de l’auteur, pessimisme mélancolique apparu dans son premier film tourné sous l’Occupation, Le destin fabuleux de Désirée Clary qui se focalise sur une amoureuse décue et oubliée de l’Histoire. Dans La Malibran, Sacha Guitry joue pour la première fois le rôle d’un homme antipathique.
Mois: septembre 2008
La mascotte du régiment (Wee Willie Winkie, John Ford, 1937)
Un film pour le moins atypique que cette adaptation de Rudyard Kipling par John Ford alors militant de l’IRA et donc, on l’imagine, peu enclin à chanter les louanges de l’Armée de Sa Très Gracieuse Majesté. De plus, il s’agit d’un film avec Shirley Temple, donc le film est d’abord destiné au jeune public. La mascotte du régiment n’aurait pu être qu’une curiosité infantile et vieillotte si Ford n’avait trouvé matière à injecter ses préoccupations dans ce projet très calibré.
C’est que finalement une garnison anglaise aux Indes ressemble beaucoup à un régiment de la cavalerie de l’Union à la Frontière. On retrouve dans La mascotte du régiment une veuve dont la dignité impose le respect, un vieux colonel intransigeant, un sergent tapageur (Mac Laglen est là !), un redoutable chef de guerre indigène, des scènes de bal avec de jeunes couples…De plus, Ford se focalise sur un régiment écossais. L’occasion pour lui de jouer sur le pittoresque et de présenter l’Armée comme lieu de reconnaissance nationale. Une bonne part du matériau fictionnel est donc éminemment fordienne.
A côté de ça, il y a le cahier des charges « Shirley Temple ». Certaines péripéties, dont le dénouement, consterneront tout spectateur âgé de plus de dix ans. Cependant la jeune star est une remarquable comédienne qui, loin de gâcher le potentiel dramatique du film, réhausse la valeur de certaines séquences par son jeu étonnant de naturel. Je pense ici notamment au passage le plus émouvant du film, une des plus belles morts qu’ait mises en scène John Ford. Shirley Temple s’est d’ailleurs, contre toute attente, très bien entendu avec lui et elle est revenue dix ans plus tard, dans Fort-Apache. Un chef d’oeuvre pas si différent de La mascotte du régiment.
La citadelle (King Vidor, 1938)
L’histoire d’une jeune médecin idéaliste qui succombe à l’appât du gain lorsqu’il s’installe à Londres.
Le film a été tourné en Angleterre avec des acteurs du cru (Donat, Harrison…). Est-ce pour cela qu’il est visuellement sans grand intérêt, est-ce pour ça que sa narration, par ailleurs schématique et prévisible, avance bien plus par le blabla que par l’action ?
Restent quelques belles séquences comme celle du sauvetage au début suivie d’un magistral plan-séquence. Le film ne fait donc pas partie des oeuvres majeures de son auteur mais il est éminemment personnel: La citadelle finit par raconter la lutte d’un individu face à l’establishment (médical ici), lutte concrétisée dans un discours final beau et édifiant comme on en voyait souvent dans le cinéma américain d’alors (fin des années 30).
Victime du destin (The lawless breed, Raoul Walsh, 1952)
Je vous ai déja parlé de Bruce Springsteen ? Non, je ne crois pas. C’est un blog cinéma ici. Et pourtant, il y a toute une famille de films américains, tout un genre dont les contours n’ont pas encore été tracés, qui se définit par une inspiration springsteenienne. Prenez ce film avec un jeune con apathique aspirant à la tranquillité près de sa pompe à essence mais qui finira rattappé par les blanches ténèbres de son passé. C’est Darkness on the edge of town en film. « Everybody’s got a secret Sonny, something that they just can face ». C’est aussi, vous l’avez reconnu, La griffe du passé, chef d’oeuvre de Jacques Tourneur, film préféré de Bruce Springsteen. Quel rapport avec Raoul Walsh, poète de la volonté de puissance, chantre d’un individu qui se livre complètement à ses désirs les plus impérieux ? Un certain romantisme peut-être. Romantisme hérité d’un goût secret pour les romans européens du XIXème siècle pour l’un, romantisme hérité d’une enfance passée sur le toit de la maison familiale à s’évader avec les comptines d’Elvis et de Phil Spector pour l’autre. Et des deux côtés un génie de la narration fondamentalement américain.
The lawless breed donc, évocation ultra-romancée de la vie du mythique hors-la-loi John Wesley Hardin. John Wesley Hardin rêve de s’établir dans une ferme avec son amour de jeunesse (Rosie, prénom springsteenien s’il en est) mais le déterminisme social, le manque d’argent, l’impatience et une envie de jouer avec le destin liée à un conflit ouvert avec son père le conduisent à une fuite en avant jonchée de cadavres. Adam raised a cain pour l’Oedipe mal réglé, Johnny 99 pour les tueries, Thunder road pour l’envie de partir loin avec la chérie se rappellent tout naturellement à notre souvenir pendant la projection. Raoul Walsh auréole le fait divers d’un fatum. Finissons en mentionnant Rondo. Rondo, c’est un des chevaux les plus rapides du Texas. Dans cette hommage prescient de Raoul Walsh à Bruce Springsteen, Rondo se substitue à la fameuse « sixty-nine Chevy with a 396 » dans la course que doit gagner le héros pour remporter son argent.
Tourments (Mikio Naruse, 1964)
Une veuve qui s’occupe du petit commerce de ses beaux-parents voit son avenir menacé par l’ouverture prochaine d’un supermarché dans le quartier. Son beau-frère, un jeune homme brillant mais indolent, lui avoue qu’il l’aime…Tourments est un superbe film qui synthétise admirablement certaines des préoccupations de Mikio Naruse. Préoccupations liées à la situation des femmes dans un monde qui change. La dramaturgie, centrée autour de la magnifique héroïne jouée par Hideko Takamine, est un modèle de subtilité et de nuance. Au final, Naruse condamne bel et bien le mélange de tabou et de mélancolie qui l’empêche de vivre son éventuel bonheur; mais ce n’est qu’après avoir salué sa dignité, son abnégation et sa fidélité à un mari décédé trop tôt. Plus intimiste et plus sentimental que d’autres chroniques narusiennes car centré sur un couple de personnages en apparence sans histoire mais profondément décalés par rapport à leurs réelles aspirations, Tourments est un des films les plus émouvants de son auteur.
Courant du soir (Mikio Naruse et Yuzo Kawashima, 1960)
Encore une chronique d’un restaurant, entre travail et affaires de coeur des tenancières. Un peu en déça des meilleurs Naruse car ce qui menaçait d’autres films du genre est ici patent: les différentes intrigues n’ayant pour point commun que le lieu où elles se déroulent, un manque d’unité thématique les fait friser l’anecdotique. Heureusement, tout cela reste merveilleusement joué et superbement filmé (en Scope-couleurs). D’où un film qui apparaît plein de justesse sans avoir une portée aussi large que d’autres films du maître.
La main du Diable (Maurice Tourneur, 1943)
Un des rares fleurons du cinéma fantastique à la française. On peut regretter une fin un peu boîteuse. On peut discuter le fond moralisateur de l’oeuvre (en gros: atteindre le succès et l’argent éloigne des vraies valeurs). En dépit de ces menues réserves, le film reste excellent. Dans la mouvance du cinéma de l’Occupation mais avec plus de talent qu’un L’Herbier (La nuit fantastique) ou un Carné (Les visiteurs du soir), Tourneur père tisse une atmosphère onirique à l’aide d’images très stylisées. La poésie des décors en toile éclairés avec de forts contrastes donne à La main du diable une tonalité caligariste. Ce versant irrationnel de l’oeuvre est tempéré par une galerie de seconds rôles bien croqués (de Pierre Larquey à Noël Roquevert) qui fait exister de façon très concrète les pensionnaires de l’auberge dans laquelle s’est réfugié le héros incarné par Pierre Fresnay. Pierre Fresnay ici égal à lui-même, c’est-à-dire immense.
Horn blows at midnight (Raoul Walsh, 1945)
Un trompettiste rêve qu’il est Athanael, l’ange envoyé par Saint Pierre pour souffler la trompette de l’Apocalypse. Deux anges déchus gagnés aux plaisirs terrestres vont tenter de l’en empêcher…
Comme son synopsis l’indique, Horn blows at midnight est un film assez idiot. Cependant la rigueur classique du style évite l’ennuyeuse auto-complaisance dans le délire. Dans l’ensemble, le film, aussi ahurissante que puisse être sa trame, est bien mené. Le rythme est soutenu tandis que l’inventivité de la mise en scène est stimulée par les gags burlesques. La réputation calamiteuse du film dont l’échec a signé l’arrêt de la carrière cinématographique de Jack Benny qui est un comique célèbre outre-atlantique, est donc largement exagérée. Alors que l’on aurait pu s’attendre à une curiosité dont l’intérêt se serait limité à l’argument de base, Horn blows at midnight est un film sympathique grâce à la facture Warner et au métier de Raoul Walsh en particulier.
La classe ouvrière va au Paradis (Elio Petri, 1971)
Un ouvrier stakhanoviste s’engage dans les luttes sociales le jour où son doigt est coupé au travail. Un film bien ancré dans son époque donc. A moins que le spectateur ne soit passionné par la lutte des classes, La classe ouvrière va au Paradis est un film étouffant. En dépit de l’implication de Gian Maria Volonte, acteur truculent s’il en est, l’oeuvre est très théorique. Son principal intérêt non politique réside dans les séquences de travail à l’usine, séquences qui apparaissent surtout au début. La mise en scène abstraite alliée à la musique bruitiste de Morricone les auréole d’un tragique absurde semblable à celui que l’on retrouvait dans Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon, le précédent -et bien meilleur- film d’Elio Petri.
Un homme dans la foule (Elia Kazan, 1957)
L’ascension sans limite d’un homme de la rue devenu speaker à la télévision. Avec ce sujet, on se doute d’où Kazan veut en venir. Et effectivement, on n’est pas surpris. Jamais. Un homme dans la foule est une fable schématique qui critique la société américaine. Pendant deux heures. Successivement jouet des puissances de l’argent et de la politique, le héros n’a aucune individualité. Le déterminisme scénaristique répond au déterminisme social, vision du monde un peu limitée intellectuellement et esthétiquement mais à laquelle Kazan le marxiste devait être sensible. L’histrionisme d’Andy Griffith et la perpétuelle outrance de la mise en scène, loin de compenser la pesanteur de la dramaturgie alourdissent le film. Le cinéphile à la recherche d’un bon film sur un quidam moyen propulsé tribun se tournera vers L’homme de la rue, chef d’oeuvre de Capra qui n’a rien perdu de son acuité et de sa beauté. L’amateur à la recherche du film définitif sur le cynisme des gens de la télévision se tournera vers l’excellent Network de Sidney Lumet.
Si bémol et fa dièse (A song is born, Howard Hawks, 1948)
Ce remake de Boule de feu ravive l’éternel schéma hawksien de l’homme niais face à la femme dégourdie.
Sauf que là, Danny Kaye apparaît vraiment trop niais pour être supportable. Certains gags sont à ce sujet vraiment lourds. On ne croit pas une seule seconde à l’intrigue avec les gangsters tant ceux-ci semblent sortis d’une opérette. Les séquences musicales sont souvent médiocres même si elles font intervenir pas mal de vedette de l’époque (Louis Armstrong…). Ainsi Virginia Mayo est sexy, ce qui est appréciable compte tenu de son rôle, mais ce n’est pas une grande chanteuse. Le Technicolor pastel ravira le mauvais goût qui sommeille en chacun de nous.
Quelques belles scènes, notamment la fin où la musique sauve littéralement les héros, donnent un semblant d’intérêt à Si bémol et fa dièse qui reste une variation faiblarde d’un schéma hawksien si brillamment utilisé dans d’autres oeuvres du maître.
Au gré du courant (Mikio Naruse, 1956)
Chronique douce-amère d’une maison de geishas. C’est du Naruse pur jus. Récit à différents points de vue, rapports entre des personnages féminins montrés dans toute leur complexité, poids de l’environnement moral et social. C’est moins la condition de prostituée que l’évolution d’un commerce dans un environnement économique de plus en plus hostile qui intéresse ici l’auteur. Les difficultés des employées tout autant que des patronnes montrent la dureté du capitalisme sans que le film ne passe pour un pamphlet politique. L’émotion est ténue mais bel et bien présente, notamment dans le dilemme final, dilemme qui est l’aboutissement d’un magistral enchevêtrement narratif. Dilemme qui se résout en fait de la plus terrible des façons mais l’élégance de Naruse, qui joue sur les ellipses et le hors-champ, empêche Au gré du courant de tomber dans le pathos.
Werther (Max Ophuls, 1938)
L’adaptation du classique de Goethe, une suite de lettres qui relatent les états d’âme de leur auteur, n’était pas évidente à une époque, les années 30, où seul un génial franc-tireur comme Guitry osait la voix-off pour nous faire partager l’intimité mentale de son personnage (Le roman d’un tricheur). Pour adapter Les souffrances du jeune Werther, les scénaristes ont plié le roman à leurs conventions, ils ont retranché, inventé, changé l’essence même de l’oeuvre littéraire pour y substituer une narration plus factuelle et plus visuelle, plus conforme aux canons du cinéma français d’alors. La question devant une trahison aussi manifeste est la même que celle que se posait Truffaut en 58 dans La revue des lettres modernes: est-ce que cette autre chose que constitue le film par rapport au roman est mieux ? La réponse ici pourrait être « c’est autre chose et c’est déja pas mal ».
Indéniablement, le film n’est pas aussi profond que le livre lorsqu’il s’agit d’exprimer les sentiments d’absolu du jeune héros. Par exemple, alors que Goethe prend soin de rendre Albert, le mari de sa dulcinée, admirable aux yeux de Werther -ce qui rend son amour encore plus pur- la simplification de l’adaptation fait d’Albert un bourgeois stéréotypé, qu’il est alors aisé d’opposer au romantique. Simplification et superficialité du lyrisme.
Maintenant, que gagne-t-on à cette adaptation ? Eh bien, d’abord, les idées cinématographiques des auteurs pour traduire le texte à l’écran sont parfois très belles. C’est le cas du changement de carillon, péripétie absente du roman qui est un beau symbole romantique. C’est le cas de la photographie en clairs-obscurs à tendance expressionniste. Ensuite, une narration moins centrée sur Werther tempère le romantisme de Goethe et donne une importance nouvelle à Charlotte. Et c’est là qu’on retrouve la patte d’Ophuls, c’est dans ce portrait de passionnée vertueuse qui a à voir avec toute une tradition romanesque française (les Mme de Rênal, Mme de Mortsauf, Mme d’Orgel…) mais pas avec Goethe. Le plus beau plan de Werther contient déja en germe le clou de l’oeuvre d’Ophuls, à savoir la séquence de la communion dans Le plaisir. Il s’agit d’une confession de Charlotte. Sur l’air de Plus près de toi mon Dieu (le même cantique que dans Le plaisir), la caméra filme les aveux d’une Charlotte amoureuse mais chaste avant de recadrer vers le crucifix qui la surplombe. Le visage éploré et le symbole divin dans le même plan. Simplicité de l’expression du tiraillement entre un désir évident et une morale qui apparaît comme étouffante en même temps que subtilité de ce propos grâce à la liturgie de la mise en scène qui s’accorde à l’esthétique religieuse.
Werther est donc un film intéressant à plus d’un titre, loin d’égaler la puissance d’expression du chef d’oeuvre de Goethe, mais contenant suffisamment de beautés qui lui sont propres, de beautés ophulsiennes notamment, pour que l’amateur prenne le temps d’y jeter un oeil attentif.
Feuilles d’automne (Robert Aldrich, 1956)
Le rencontre de deux névrosés, une vieille fille et un jeune impuissant. Feuilles d’automne est un excellent mélodrame. L’outrance de la mise en scène de Robert Aldrich (le jeu excessif des acteurs, la Crawford surmaquillée comme à son habitude, Cliff Robertson dont la prestation anticipe celle d’Anthony Perkins dans Psychose, la violence intérieure exprimée par des scènes d’une grande violence physique) est, une fois n’est pas coutume, parfaitement adaptée à son sujet. Cependant, ce voyage à l’intérieur des zones les plus sombres de la pyché est cadré par une impeccable narration à tendance feuilletonesque et la célébrissime chanson de Nat King Cole confère une certaine mélancolie à l’héroïne, elle empêche de faire de sa névrose quelque chose de monstrueux aux yeux du spectateur. Feuilles d’automnes est la preuve qu’il y a eu des bons films psychanalytiques à Hollywood. Simplement, ils n’étaient pas signés Hitchcock.
Car sauvage est le vent (Wild id the wind, George Cukor, 1957)
Ce mélodrame est un ramassis de clichés qui se prend trop au sérieux pour être intéressant. Une séquence suffit à comprendre le pittoresque faisandé de ce film: celle où la Magnani chante une chanson italienne le soir sur la terrasse tandis qu’Anthony Quin essaie de nous faire croire qu’il joue de la guitare. Ajoutons à cela un symbolisme lourdingue, celui des chevaux sauvages, et une absence de rythme typique de Cukor et on comprendra que les ingrédients sont trop lourds pour que la sauce ne prenne.
La parole donnée (Anselmo Duarte, 1964)
Palme d’or en son temps. Une des hontes du Festival de Cannes. Le faux bon film par excellence. Le propos est prétentieux (cette fin !!) mais le film est fait de personnages et de situations qui n’évoluent jamais au delà de leurs stéréotypes. Mise en scène académique.
Un trou dans la tête (Frank Capra, 1959)
Les relations houleuses de deux frères, l’un veuf bon vivant sur le point de se faire expulser et père d’un petit garçon et l’autre sérieux commerçant. A travers l’histoire de ce veuf immature, Frank Capra nous parle de solitude, de fraternité, de paternité…Grâce à la tendresse du cinéaste pour ses personnages, Un trou dans la tête est un joli film; ce malgré un manque de concision dramatique évident. Sinatra, parfait, joue un héros dans la lignée de George Bailey ou John Doe, un indécrottable rêveur quels que soient les coups du sort infligés par la réalité. Il est entouré d’excellents seconds rôles (Eleanor Parker, Thelma Ritter, Edward G.Robinson) qui donnent corps et âme à son environnement familial. Même si cette oeuvre tardive du grand Capra est loin d’être aussi aboutie formellement que les chefs d’oeuvre des années 40, elle reste vraiment attachante.
L’inquiétante dame en noir (The notorious landlady, Richard Quine, 1960)
Comédie policière écrite par Blake Edwards et réalisée par Richard Quine. C’est évidemment ficelé avec brio, Kim Novak est évidemment magnifique, les deux acteurs qui l’entourent sont évidemment épatants, le film se met dans la poche le spectateur dès les premières scènes et n’aura de cesse de jouer avec sa complicité. Le talent comique dont font preuve les deux auteurs est d’une belle variété, L’inquiétante dame en noir alternant les répliques piquantes façon screwball, l’humour non-sensique un peu macabre typiquement british (l’action se passe à Londres) et le burlesque muet. Toute cette verve borcarde gentiment l’aveuglement lié au désir. Le seul point faible du film, c’est ce qui est lié directement et uniquement à l’intrigue policière. En effet, le film repose sur la connivence, le second degré. Au fond, le spectateur se fout de savoir qui a tué qui. On peut considérer cela comme une limite de la narration mais l’ensemble reste un délice.
Strategic Air Command (Anthony Mann, 1955)
Une collaboration méconnue de la paire bénie Anthony Mann/James Stewart. Stewart incarne un joueur de base-ball qui reprend du service dans l’aviation, pour les besoins de son pays. C’est évidemment un film de propagande pour le Strategic Air Command -commandement de l’US Air Force qui regroupe des unités de bombardiers- mais la propagande est subtile, le film se focalisant, plus encore que Romance inachevée, sur le couple James Stewart/June Allyson. Les éternels tourments de l’épouse qui voit son homme la délaisser pour son engagement dans l’Armée, engagement toujours plus chronophage. L’alchimie entre les deux acteurs est évidemment excellente et on croit sans peine à leurs disputes et réconciliations. Intelligence de la propagande donc, qui passe par une histoire plus surprenante qu’il n’y paraît car le message du film pourrait être au final « l’armée est faite de citoyens moyens, avec des problèmes de couple, avec des défauts, et on apprécie leurs services rendus même si on finit par les virer à cause de ces défauts ». On est donc loin des héros sans peur et sans reproche. Ce qui évidemment n’empêche pas un fétichisme de bon aloi vis-à-vis des avions, superbement cadrés en VistaVision. Ajoutons que Strategic Air Command est accompagné par une belle musique élégiaque de Victor Young. Au final, un film de propagande plus intéressant qu’on n’aurait pu l’imaginer, grâce au talent des professionnels impliqués dans sa réalisation, aussi bien les scénaristes, les acteurs, que l’équipe technique dirigée d’une main de maître par Anthony Mann.