Entre apparitions chez des bêtes de festival (Wenders, Gitaï), retour sur ses images tournées au camp de concentration de Falkenau ou encore réalisation d’un polar avec Véronique Jeannot et Victor Lanoux (Les voleurs de la nuit), la fin de carrière de Samuel Fuller fut assez folkorique. L’incertitude quant à l’intérêt du dernier film de l’auteur de Pickup on South Street était donc totale. Il se trouve que c’est une adaptation d’un roman post-apocalyptique de David Goodis coproduite par FR3. Matériau très vulgaire donc. Mais qu’importe puisque c’est dans des séries B que la grandeur de Fuller s’est manifestée. Son style outré peut pousser les conventions les plus éculées, les défauts de scripts les plus flagrants jusqu’à de sublimes paroxysmes. Fuller ne travaille pas contre le matériau, il ne cherche pas à le contourner mais il le prend à bras-le-corps.
Ici, l’histoire est particulièrement abracadabrantesque mais une fois le postulat invraisemblable accepté par le spectateur, ce dernier peut jouir des rebondissements toujours plus ahurissants. Détail essentiel: cette surenchère narrative ne se fait pas au détriment du personnage. On retrouve la même morale individualiste que dans le séminal Pickup on South Street, à savoir que c’est l’amour qui sauve de la pourriture ambiante. Il y a souvent un côté mélo dans les polars de Fuller, une abscence totale de cynisme vis-à-vis des personnages, une foi très pure dans leurs sentiments malgré -ou grâce à, c’est peut-être le secret de Fuller- l’exacerbation caricaturale des codes du genre.
La peinture de l’enfer urbain est encore plus exagérée que dans Les bas-fonds new-yorkais. L’esthétique générale est très ancrée dans l’époque du tournage, les années 80, avec des couleurs criardes et des chansons sympa de Keith Carradine (l’acteur-chanteur joue une vedette de rock). Narration et découpage se moquent des transitions, on retrouve le style heurté et nerveux de Fuller. La violence est plus explicite que dans les années 50 mais elle reste filmée d’une façon percutante. La mise en scène est parfois approximative (la poursuite sur le bateau) et elle ne suffit pas à faire de Sans espoir de retour un film aussi beau que les chefs d’oeuvre hollywoodiens du grand Sam mais le film est assez singulier pour mériter le coup d’oeil.