Lola Montès (Max Ophuls, 1955)

De la cour de Louis Ier de Bavière aux numéros de trapéziste, grandeur et décadence d’une courtisane dans l’Europe du XIXème siècle.

Après avoir réalisé ses trois chefs d’oeuvre, trois des plus beaux films de l’histoire du cinéma, Max Ophuls entreprend la biographie de Lola Montès. Cette superproduction européenne sera son dernier film. Le cinéaste n’a jamais eu autant de moyens à sa disposition. Pour la première fois de sa carrière, il tourne en couleurs et en format large (un Cinémascope spécial dont le ratio varie au cours de la projection). Le film s’annonce monumental. Et de fait, il l’est. L’artiste démiurge laisse libre cours à sa fantaisie plastique. Lola Montès est d’abord l’oeuvre d’un esthète et force est de constater la splendeur des images.

Pourtant, ce qui aurait dû être un immense chef d’oeuvre ne convainc pas aussi pleinement que les trois films précédents de son auteur. Pourquoi? Outre les limites du jeu de Martine Carol qui tient le rôle-titre, outre quelques problèmes de rythme, c’est comme si le travail titanesque sur le cadre et sur les décors annihilait les personnages. Un exemple: dans Le plaisir, le fabuleux plan-séquence qui ouvre le sketch La maison Tellier est d’abord là pour présenter le garni et ses pensionnaires, le mouvement de la caméra répondant à celui de la vie. Dans Lola Montès, il y a également un plan-séquence éblouissant, celui de la fuite de Lola dans les escaliers avec son futur amant. Seulement, le riche ornement du décor ainsi que l’importance de sa place dans le plan par rapport à celle des personnages font que l’on admire plus la virtuosité du cinéaste que l’on ne ressent l’étouffement de Lola.

Pour le dire clairement, je vais employer un concept vieillot que je refuse habituellement: la séparation entre la forme et le fond est trop nette. Ou encore: la forme manque d’expressivité. Pourtant, il y a un « fond ». Il y a un sujet. L’intérêt de Lola Montès ne se limite pas à un somptueux travail de direction artistique. L’histoire de cette courtisane broyée par l’opinion publique est une éclatante prémonition de notre cynique société du skyblog et de la télé-réalité. Ce discours visionnaire rend d’autant plus frustrant le relatif échec d’une mise en scène baroque jusqu’à la décadence. Pour cette raison, on peut préférer La dame de tout le monde, l’excellent mélodrame de 1934 réalisé par Ophuls en Italie dont la construction et les thèmes anticipent ceux de Lola Montès. Reste, et il n’est pas négligeable ici, le plaisir de la contemplation.

Model shop (Jacques Demy, 1969)

En Californie, un jeune homme traverse une crise dans son couple, doit trouver 100 dollars pour garder sa voiture de sport et rencontre une superbe Française qu’il décide de suivre…

Le début du film, collection de signes hippies agencés sans la moindre réflexion, laisse présager un navet complètement ringard, genre film d’auteur européen bouffé par sa fascination béate pour la contre-culture américaine. Model shop, c’est un peu ça. Mais ce n’est pas que ça. C’est aussi la présence d’Anouk Aimée dont la beauté sophistiquée illumine ce film de hippies. Après un certain surplace narratif, le sujet de l’oeuvre est révélé lorsque l’ordre d’incorporation pour le Viet-Nam est reçu par le héros. Il y a ensuite quelques notations intéressantes et typiques de Jacques Demy à propos de l’engagement, des contingences et de l’amour mais le développement des états d’âme des personnages est trop verbeux pour emporter l’adhésion. Stylistiquement, on est à l’opposé de la grâce lyrique des Parapluies de Cherbourg (difficile de ne pas faire l’analogie départ au Viet-Nam/départ en Algérie). Model shop, s’il ne fait pas partie des pires ratages de Jacques Demy, ne figure donc pas non plus parmi ses franches réussites.

Vacances (George Cukor, 1938)

Introduit dans la famille richissime de sa fiancée, un jeune homme de la classe moyenne se rend compte en faisant connaissance de la soeur fantasque de sa promise qu’il n’a peut-être pas fait le bon choix…

Vacances s’annonce comme une comédie sur les rapports de classe, le truc convenu avec un gars du peuple qui veut épouser une fille de la haute. Et puis c’est réalisé par Cukor donc le rythme est assez plat et c’est pour le moins pauvre en gags. Bref, au début, ça a l’air franchement moyen. Quand soudain, le personnage de la soeur arrive…C’est alors que le drame se noue subtilement. La caractérisation des personnages s’affine, une certaine vérité psychologique affleure. Et le film, via des scènes inattendues, commence alors à dispenser un troublant sentiment de nostalgie. Et puis, sans crier gare, Cukor nous gratifie d’une des évocations parmi les plus percutantes qui soient de la naissance du sentiment amoureux.

Grâce à ses qualités de metteur en scène de théâtre (maîtrise du timing dramatique, sens de la condensation narrative), grâce à son élégance innée mais aussi grâce à quelques gros plans savamment distillés sur une superbe Katharine Hepburn qui est une des stars les moins aimables qui soient mais dont force est de constater qu’elle nous éblouit à chacune de ses interprétations, le cinéaste arrive à créer une profonde émotion sans se départir d’une apparente légèreté de bon aloi. Cette qualité est caractéristique d’une certaine catégorie de films de l’âge d’or hollywoodien qui comptent parmi les plus beaux.

Le visiteur (Agantuk, Satyajit Ray, 1991)

L’épouse d’un notable indien reçoit une lettre de quelqu’un qui se prétend son oncle qu’elle n’a pas vu depuis 35 ans. Après avoir parcouru le monde, il annonce sa visite et compte sur le respect des traditions d’hospitalité de la part de sa nièce.

Les trois derniers films de Satyajit Ray sont des fables mettant en scène la perte des valeurs dans l’Inde capitaliste et occidentalisée. Cet ultime opus s’intéresse particulièrement à la méfiance du bourgeois envers ce qui ne cadre pas avec son schéma de pensée. Le style y est d’une simplicité toute théâtrale, entièrement focalisé sur les acteurs. On retrouve notamment l’attention particulière du cinéaste pour les visages des hommes et des femmes qu’il filme. Cette épure de la mise en scène ainsi que la lenteur du rythme font malheureusement ressortir la lourdeur didactique de la dramaturgie d’un moralisateur réactionnaire (ou d’un vieux sage humaniste, c’est au choix).

Deux filles au tapis (…All the marbles, Robert Aldrich, 1981)

Deux catcheuses et leur manager sillonnent l’Amérique profonde, espérant décrocher un titre national.

Le dernier opus de Robert Aldrich est peut-être son plus attachant. Il faut dire que c’est un de ses films les plus tendres. L’auteur des Douze salopards n’a pas perdu sa lucidité corrosive, l’Amérique profonde filmée ici n’est pas franchement reluisante mais le cinéaste a transformé son pessimisme nihiliste en pessimisme romantique. Concrètement, cela veut dire qu’il est désormais du côté de ceux qui veulent vivre leur rêve (américain) envers et contre une réalité carrément sordide.

Les rapports humains entre le coach et les deux filles sont au coeur de l’oeuvre. La façon dont sont traités ces rapports est une bonne métonymie du film. Ce sont des rapports plein d’amour et de tendresse qui n’excluent pas la brutalité. Des échanges de coups précèdent parfois les effusions. Autant  Deux filles au tapis est sentimental, autant il est éloignée de toute niaiserie. Peter Falk est pour beaucoup dans la réussite de l’oeuvre. Son strabisme, ses dictons piqués à Will Rogers et Clifford Oddets, son âpreté au gain mêlée d’amour pour ses filles en font un personnage parmi les plus profondément sympathiques du cinéma américain. Les actrices jouant les deux catcheuses, Laurene Landon et Vicki Frederick, ont été oubliées depuis mais je me dois de citer leur nom ici. C’est fait. Le film n’est pas irréprochable (voir les personnages secondaires grotesques typiques d’Aldrich mais trop caricaturaux pour être intéressants) mais le dantesque combat final dont l’étirement de la durée crée une forte implication du public (à ce titre Deux filles au tapis gagne vraiment à être vu dans une salle remplie) permet au cinéaste d’emporter définitivement le morceau.

Monsieur Vincent (Maurice Cloche, 1947)

Hagiographie (c’est le cas de le dire) de Saint-Vincent de Paul.

Il n’y a qu’à  comparer ce film aux Cloches de Sainte-Marie, merveille de Leo McCarey sortie deux ans auparavant, pour se rendre compte de l’abîme esthétique qui sépare la bondieuserie française de la bondieuserie américaine. La différence essentielle entre les deux films réside dans la hauteur à laquelle se place l’auteur pour s’adresser au spectateur. Le film de McCarey était une chronique sociale révélant la beauté et l’harmonie du monde à travers l’oeuvre quotidienne d’un prêtre musicien. Le cinéaste n’assénait rien, il montrait. Au contraire, Cloche et ses commanditaires se vautrent allègrement dans le pire des prêchi-prêcha. Certes, il s’agit d’une hagiographie donc de raconter la vie d’un saint mais Rossellini a montré que l’on pouvait s’atteler à cette noble tâche sans pour autant faire la morale au spectateur tout le long du film. Maurice Cloche, lui, ne se pose aucune question sur la sainteté. Vincent de Paul n’est là que pour personnifier le Bien et sermonner. Sermon au seigneur, sermon à Richelieu, sermon aux nonnes…son film est un sermon permanent!

Seul contre tous, Vincent ne doute jamais et le film est toujours de son côté. Il n’y aucune sorte d’échange, aucun embryon de dialectique, on est donc dans la plus pure des nullités dramaturgiques. Quel intérêt de faire durer cela deux heures si ce n’est qu’à l’issue de la projection, le bourgeois se dise « ha! le Bien, c’est bien. »? C’est que « bourgeois », Monsieur Vincent l’est évidemment jusqu’au bout des ongles. Le film est d’abord une reconstitution historique bardée de tout le folklore académique du cinéma de papa: distribution estampillée « Comédie française », décors de studio luxueux, dialogues de Jean Anouilh, joliesse des éclairages, performance (plus qu’interprétation) de Pierre Fresnay dans le rôle-titre. Ces apparats du prestige ne masquent pas longtemps la profonde nullité d’une mise en scène poussiéreuse. Même le gros plan récurrent sur le visage mal rasé d’un Pierre Fresnay au regard perdu qui vient rompre la monotonie du découpage apparaît rapidement comme un procédé mélodramatisant qui, employé d’une façon systématique, est tout à fait caractéristique d’un style complètement verrouillé et dénué d’inspiration.

Association criminelle (The big combo, Joseph H.Lewis, 1955)

La croisade d’un flic pour arrêter le caïd Mr Brown.

A partir de ce canevas basique, les auteurs ont développé un film riche de sens, aux caractères plus complexes qu’il n’y paraît. The big combo est une sorte de quintessence de la série B tel qu’idéalisée par les cinéphiles. C’est un film sec à la mise en scène épurée mais très évocatrice et riche de sens. Voyez les cadres ne contenant que l’essentiel en terme d’accessoires et de décors. Voyez la façon dont Mr. Brown se comporte avec sa maîtresse, tout prisonnier de son désir qu’il est. En deux plans trois mouvements (de l’acteur), Lewis épaissit un personnage archétypal. En effet, bien que le film soit anti-sentimental au possible, ses personnages de durs sont secrètement romantiques. Sans le moindre épanchement, il est clairement signifié que le flic agit essentiellement par amour. Dans ce rôle, Cornel Wilde est comme à son habitude excellent, insufflant chair et sang à un archétype en usant d’un minimum d’effets.

Cul-de-sac (Roman Polanski, 1966)

Un gangster en cavale se réfugie dans un château habité par un couple d’aristocrates dégénérés.

Roman Polanski et son scénariste Gérard Brach ne tirent pas parti de cette situation potentiellement excitante. Faute de talent ou faute de modestie, leur huis-clos est dénué de toute tension dramatique. Plutôt qu’un thriller, ils ont réalisé un film en roue libre où ils se laissent aller à un absurde de supermarché. S’articulant autour de la thématique éculée de la jolie femme frustrée mariée à un aristocrate impuissant, Cul-de-sac est bourré de signes assénant au spectateur complice qu’il est face à un film « étrange et anticonformiste »: les plans récurrents sur des poules, un gamin qui prend la carabine et se met à tirer, le jeu grotesque et insupportable de Donald Pleasence…

Le problème est que cette dissémination est dénuée de la moindre cohérence. Chez Bunuel et Carrière, le surréalisme est d’abord un principe dramatique et en tant que tel, il n’a rien de gratuit, il exprime le nécessaire credo esthétique de l’auteur. Dans Cul-de-sac au contraire, il n’y a pas de mise en scène digne de ce nom, c’est à dire agencement des acteurs, des objets et des situations suivant une vision déterminée. Par exemple, toutes les scènes avec les invités n’ont aucune autre fonction (dramatique, plastique, poétique…) que celle de générer de la bizarrerie à peu de frais.

Il n’y a pas de mouvement, pas de gestion du temps. Le style du film est un style théâtral sans dramaturgie digne de ce nom et sans caractère intéressant. Les personnages sont des caricatures qui n’évoluent pas au cours du film. Les intentions (attaque de la morale, poésie de l’absurde…) sont lourdes, l’exécution manque de la plus élémentaire des rigueurs. Cul-de-sac est le faux bon film par excellence. Il n’y a qu’à comparer ce film avec un Losey ou un Bunuel réussi de la même période pour se rendre compte de l’indigence de la mise en scène de Polanski.

La grande nuit (Joseph Losey, 1951)

Un adolescent mal dans sa peau qui a vu son père se faire tabasser décide de le venger.

Le dernier film américain de Joseph Losey est médiocre. C’est une série B handicapée par la lourdeur de son scénario à base de traumatisme. L’acteur principal, fils de John Barrymore et père de Drew, montre que le fameux talent héréditaire des Barrymore est un mythe. La séquence d’introduction, percutante comme il faut, permet de retrouver un metteur en scène à la hauteur de sa réputation mac-mahonienne mais c’est bien le seul éclat de ce film croulant de toutes parts sous les intentions morales et signifiantes.

L’enquête de l’inspecteur Morgan (Blind date , Joseph Losey, 1959)

Se rendant à un rendez-vous galant avec une femme de la haute-société, un jeune peintre est accusé du meurtre de sa maîtresse. Pour tenter de se disculper, il raconte leur histoire à l’inspecteur de police…

Blind date est un bon polar dans lequel apparaît la thématiques chère à Losey des désirs sexuels venant s’immicer dans la bonne marche des rapports de classes. Compte tenu de l’acharnement de la police contre le jeune homme, on aurait pu craindre un discours gauchiste un peu lourd mais les personnages s’éloignent de leurs archétypes dans la dernière partie du récit et rendent du coup le film plus subtil qu’il n’en avait l’air. Le jeu de Hardy Kruger dans le rôle principal paraît affecté mais Micheline Presle est superbe.

Soldat bleu (Ralph Nelson, 1970)

Broderie gauchiste autour du massacre de Sand Creek

Pourquoi réaliser un film sur cette tuerie sans proposer aucun point de vue sur les tenants et aboutissements des guerres indiennes ? Présentée tel que par le cinéaste, l’évènement reste à l’état de fait divers et n’est en rien représentatif de la politique indienne du gouvernement américain. Pour pallier à cette absence de réflexion, Ralph Nelson a opté pour une mise en scène choc, ne lésinant pas sur les effets gore lors des fusillades, mais ses effets racoleurs ne masquent pas longtemps la nullité de son propos. Il faut bien le dire, Soldat bleu se réduit à sa séquence finale ultra-violente. Encore aujourd’hui, c’est ce qui est resté dans les mémoires. Tout le reste n’est que prétexte à long-métrage sans grand intérêt. Par exemple, l’intrigue avec le trafiquant d’armes n’a aucune utilité dramatique par rapport au temps qu’elle prend à l’écran.

Le héros, bleusaille complètement innocente, rend le film complètement binaire. Il n’est là que pour conforter le spectateur dans un point de vue d’innocent face au massacre. Le traitement est donc purement illustratif, le spectateur n’est amené à se poser aucune question. Il y a d’un côté le bien représenté par lui et le héros et de l’autre le mal que Nelson circonscrit à une poignée de monstres en uniforme dont il peint les horreurs complaisamment. C’est nul. Reste la belle chanson du générique, interprétée par la tristement oubliée Buffy Sainte-Marie.

Les mystères d’une âme (Georg Wilhelm Pabst, 1926)

Un chimiste marié à une bourgeoise est sujet à différents cauchemars et fantasmes de meurtre conjugal. Il rencontre un psychanalyste qui va le soigner.

Certes, le film est didactique. Il est clairement dit dans le carton introducteur que l’objectif de ces Mystères de l’âme est d’expliquer la théorie psychanalytique au vulgum pecus. Des disciples de Freud ont d’ailleurs collaboré à la préparation de l’oeuvre. Cependant, Pabst n’est pas à proprement parler le premier réalisateur venu et son inspiration visuelle rend le film digne d’intérêt au-delà de son discours. Le style des visions hallucinées du personnage principal reprend tous les trucs du cinéma muet « d’art » : surimpressions et compagnie qui ont fait le bonheur de l’expressionisme allemand et le malheur de l’avant-garde française. Mais au milieu de ce foisonnement, il y a des images qui frappent par leur beauté nue, des images qui notamment annoncent le Bergman de Persona.

David et Bethsabée (Henry King, 1951)

L’amour interdit entre le roi David et Bethsabée, l’épouse délaissée du plus vaillant de ses officiers.

David et Bethsabée est un peplum qui n’a rien de démesuré. Pas de bataille, peu de figurants, une durée raisonnable, le focus sur une histoire d’amour. C’est en fait un film que l’on peut qualifier d’intimiste. La mise en scène de Henry King y est d’une élégance rigoureusement classique. Cette approche n’est peut-être pas idéale pour évoquer les passions charriées par l’histoire de David et Bethsabée, l’expression des tourments des personnages est parfois trop verbeuse pour convaincre mais la beauté simple des cadrages, la chaleur du Technicolor de Leon Shamroy, la qualité du jeu de Gregory Peck et plusieurs idées intéressantes de narration (le flashback final) ou de mise en scène (le retour de David au champ de bataille) en font un beau film qui plaira tout particulièrement aux happy few que sont les amateurs du style feutré et délicat de Henry King.

Mon homme (Bertrand Blier, 1996)

Une prostituée au grand coeur recueille un clochard qui devient son maquereau.

C’est nul. La mécanique Blier donne l’impression de tourner à vide. La truculence qui équilibrait le côté abstrait dans ses meilleurs films n’est plus là. Il y a toujours beaucoup de sexe mais les scènes sont systématiquement auréolées d’un apparat de gravité. D’une manière générale, Mon homme est plombé par une emphase perpétuelle. Celle-ci se manifeste d’abord par des dialogues qui n’ont plus la verdeur d’antan. L’emphase est aussi appuyée par la musique de Gorecki déja utilisée par Pialat dix ans auparavant dans Police.

Rosebud (Otto Preminger, 1975)

Un groupe terroriste palestinien capture les filles de quatre milliardaires occidentaux. En échange de leur libération, il exige la télé-diffusion de leurs clips de propagande aux heures de grande écoute.

A partir des années 60, le cinéma d’Otto Preminger se caractérise par une volonté de contenir l’ensemble des aspects d’une réalité donnée. Cette ambition totalisante donnera lieu aux chefs d’œuvre de complexité que sont Le cardinal ou Tempête à Washington. Le risque d’une telle approche, c’est évidemment l’éparpillement anecdotique. Grâce à une rigueur de tous les instants dans la mise en scène, cet écueil avait été brillamment évité dans les œuvres majeures du début des années 60. Malheureusement, pour cet avant-dernier film le maître n’y échappe pas. L’enquête de l’agent secret chargé de retrouver les filles, les réactions des parents, les rapports des captives avec leurs geôliers…sont autant de petites histoires qui ne dépassent jamais le stade de la convention.

C’est d’ailleurs peut-être là que le bât blesse: Rosebud, au contraire des films précédents, s’inscrit dans un genre précis. Or Preminger n’affirme jamais le sujet de son film en mettant l’accent sur l’un ou l’autre des aspects de son scénario. Ce qui permettait une observation quasi-objective d’une réalité donnée dans Tempête à Washington apparaît ici comme un détachement hautement préjudiciable à l’intérêt du thriller. En dépit de sa prestigieuse distribution, Rosebud ne vaut donc guère mieux qu’un téléfilm comme le Black sunday de Frankenheimer.

La femme de mon pote (Bertrand Blier, 1983)

Pascal, le meilleur ami de Mickey, est encore tombé amoureux. Mickey va tenter de le sortir de ce mauvais pas. Avant de tomber amoureux lui aussi…

C’est du Blier c’est donc c’est assez abstrait. Comme son titre le laisse penser, La femme de mon pote traite de façon très générale de ses thématiques (l’amour et l’amitié). Par exemple, le contexte de la station de sports d’hiver et les métiers des deux hommes n’ont qu’une fonction décorative sans la moindre incidence dramatique.  Pourtant, le film ne souffre jamais d’un manque d’incarnation grâce à un excellent trio de comédiens finement dirigé. C’est sur eux que repose toute la mise en scène. C’est un véritable plaisir que de suivre Coluche, Isabelle Huppert et Thierry Lhermitte dans l’évolution de leur ménage à trois, que de les écouter dire leurs dialogues; des dialogues souvent drôles dont le mordant ne parvient pas tout à fait à cacher une profonde sentimentalité.

L’équilibre entre abstration théorique et verdeur vaudevilleque est globalement bien tenu. Il n’y a que les monologues face caméra de Coluche qui apparaissent déplacés et qui annoncent l’assèchement fumeux des futurs films de Bertrand Blier. Au moment de La femme de mon pote, le cinéaste ne s’est pas encore enfermé dans son système. En témoigne le sublime plan final qui tranche avec l’apparente misogynie du reste de l’oeuvre.

Carmen Jones (Otto Preminger, 1954)

Transposition du Carmen de Bizet chez des G.I noirs.

Carmen Jones d’Otto Preminger est en fait une adaptation d’une adaptation, l’opéra de Bizet ayant été transposé dans un contexte contemporain par Hammerstein à Broadway. C’est de ce spectacle que le film tire son nom. Ce qui frappe d’abord, c’est la maîtrise de la mise en scène. Pas un élément du cadre qui ne semble avoir été savemment pensé. C’est une force du film mais c’est aussi sa principale limite. Cela manque de respiration. La vie n’apparait que sous forme d’élans lyriques or l’opéra s’accomode difficilement de l' »effet de réel » propre au cinéma. Au contraire de la comédie musicale où la danse est essentielle et où l’art du cinéaste qui est celui d’organiser le mouvement peut s’épanouir, il n’y a généralement que du chant dans les numéros musicaux de Carmen Jones. D’où le fait que plusieurs d’entre eux interrompent assez gravement le mouvement général du film. Powell et Pressburger avaient résolu cette contradiction dans Les contes d’Hoffman en allant jusqu’au bout dans la fantaisie au mépris même de l’idée de continuité spatio-temporelle. Ce n’est pas le choix de Preminger qui reste (tant que faire se peut) réaliste. Il n’y a qu’à voir la photographie, d’une sobriété qui confine à la banalité.

Heureusement, cette rigueur dans l’artifice parvient aussi à produire de l’émotion. Carmen Jones est en quelque sorte un film froidement lyrique. La fougue de plusieurs séquences est tellement bien calculée qu’elles donnent paradoxalement un sentiment de joie débridée. De l’art de la mise en scène…Ainsi Carmen Jones ne manque pas de vitalité. Ni de désir. En effet, le film est exceptionnellement érotique compte tenu du fait qu’il a été réalisé à Hollywood dans les années 50. Le laxisme des différentes ligues de censure a t-il été dû au fait que les acteurs étaient noirs? Quoiqu’il en soit, plusieurs passages sont vraiment audacieux pour l’époque et les acteurs ne manquent pas de sensualité. A commencer par Dorothy Dandridge. Bref, sans être aussi convaincant que les chefs d’oeuvre de Preminger, Carmen Jones est un film intéressant, ne manquant pas de qualités qui lui sont propres.

Allonsanfan (Paolo Taviani et Vittorio Taviani, 1974)

En Italie en 1816, un révolutionnaire sort de prison. Il rejoint la demeure familiale et trahit ses anciens camarades avec qui il ne se sent plus en phase.

C’est donc une réflexion sur l’engagement révolutionnaire typique du cinéma d’auteur des années 70. Je ne parlerai pas du discours qui de toute façon n’intéresse plus personne aujourd’hui, je noterai que le film est un échec dramatique (et non un dramatique échec, attention à la nuance). En effet, la distanciation qui caractérise la mise en scène reste stérile. Commentaire verbal abondant, rêves en carton-pâte lourds de sens, musique baroque (par ailleurs superbe: il s’agit d’une des meilleures partitions d’Ennio Morricone), ellipses surprenantes et autres procédés contribuent à détruire tout rapport direct du spectateur à l’image. Ce qui est dommage pour un film qui confronte la lutte révolutionnaire à la famille et aux souvenirs d’enfance. Nous ne sommes pas chez Brecht où la distanciation dramatique sert à clarifier le jeu politique. Ici, elle apparaît vaine et nous fait regretter que le romanesque du sujet n’ait pas été assumé par les cinéastes.

Rendez-vous de septembre (Come September, Robert Mulligan, 1961)

Un riche Américain qui passe tous les mois de septembre sur la Riviera italienne avec une maîtresse du cru apprend que celle-ci va épouser un autre homme…

Rendez vous de septembre est une comédie sentimentale complètement insipide. Comment croire à la réalité de ce play-boy américain qui se met soudainement à jouer les chaperons avec des jeunes filles en goguette dans son hôtel? Le film n’essaye même pas de nous y faire croire et de toute façon, cette aberration ne provoque que des gags convenus. L’inconsistance dramatique n’a d’égale que celle du style dont l’intérêt se limite à un filmage de l’Italie façon carte postale. Reste la plastique de Gina Lollobrigida…