Juliette des esprits (Federico Fellini, 1965)

Les rêveries de l’épouse délaissée d’un bourgeois italien.

Le premier film en couleurs de Fellini inaugure une (longue) série de loukoums kitschs et auto-complaisants. Le cinéaste met en scène fantasmes et souvenirs sans le moindre souci de cohérence, de ligne directrice. Juliette des esprits se réduit à un cirque grotesque qui part dans tous les sens. A cette époque, le style de Fellini est de plus en plus détaché du réel. La « poésie du maestro » a largement pris le pas sur la vérité chaplinesque des pépites réalisées lors de la décennie précédente  (Les nuits de Cabiria en premier lieu). Autorités morales et sectes new-ages étant caricaturées de la même manière carnavalesque, le film ne dit rien de consistant et apparaît en fait très uniforme sous ses dehors baroques et foisonnants. Le traitement du démiurge nombriliste qu’est Fellini étouffe complètement son sujet éventuel. Toute vie, tout naturel mais aussi et surtout tout érotisme sont bannis. Ne reste qu’une ribambelle inexpressive de couleurs saturées et de décors délirants.

La reine des pommes (Valérie Donzelli, 2010)

Avec l’aide d’une amie, une jeune femme tente de surmonter un chagrin d’amour.

Premier film de l’actrice Valérie Donzelli, La reine des pommes se veut une comédie légère dans l’esprit de la Nouvelle Vague. C’est filmé en décors naturels, ça chante, ça danse, le scénario n’est pas très consistant. Seulement voilà, en fait de fraîcheur, le film s’avère assez faisandé. La faute à une mise en scène perpétuellement grossière qui réduit les personnages à des marionnettes.  Cette artificialité délibérée aurait pu être intéressante si Valérie Donzelli avait joué la carte du spectacle, à l’instar de Demy à qui on pense forcément. Malheureusement l’auteur n’a pas les moyens de ses ambitions: la photo est d’une affligeante laideur, les chansons sont médiocres, les gags faiblards et les quelques chorégraphies minables. Bref, un film à la fois faux et chiant.

Les poings dans les poches (Marco Bellochio, 1965)

Un jeune homme de bonne famille un brin dérangé dans sa tête organise l’extermination de sa famille.

Attention, film scandaleux! L’auteur OSE filmer un matricide. Ce qui lui a permis d’offrir à son premier film une petite réputation lors de sa sortie en 1965. C’est que ce n’est clairement pas le style de son metteur en scène qui distingue Les poings dans les poches (son prix obtenu au Festival de Locarno demeure pour moi une énigme). Entre platitude académique et hystérie opératique, la mise en scène est vague et imprécise. La pesanteur des intentions anti-bourgeoises n’a d’égal que l’absence de regard net de la part du réalisateur sur son sujet. Un film d’adolescent en somme. Mais un adolescent sans fièvre, sans passion. Un adolescent franchement chiant.

Deux rivales (Gli indifferenti, Francesco Maselli, 1964)

Un homme séduit la mère et la fille d’une famille bourgeoise désargentée.

Un film sinistre, terne, creux qui se complait dans la représentation de personnages médiocres. La bassesse et l’insignifiance des sentiments exprimés engendre la nullité d’un film par ailleurs mis en scène sans la moindre inspiration. Même Claudia Cardinale, coiffée n’importe comment et dont le corps est rarement filmé en entier, ne s’avère pas beaucoup plus désirable que Paulette Goddard, quinquagénaire décadente apte à stimuler nos instincts les plus pervers. Cette aberration est à l’image d’une œuvre à l’opposé de toute jeunesse, de tout désir, de toute vitalité.

La ménagerie de verre (Paul Newman, 1987)

Un homme qui a fui son foyer raconte comment sa mère, abandonnée par son mari, avait tenté de marier sa fille infirme qui s’évadait de la réalité grâce à sa collection d’animaux de verre.

Le dernier film de Paul Newman en tant que réalisateur, La ménagerie de verre, est réputé être un des films les plus fidèles au texte du célèbre dramaturge dont il est adapté: Tennessee Williams. Cela signifie que le récit avance souvent à travers de longues tirades, que les monologues sont nombreux et rarement concis, que le décor est unique, que le symbolisme n’est pas d’une très grande subtilité. Même la grande Joanne Woodward se laisse aller au cabotinage. Mais l’auteur a l’astuce de prévenir les reproches de théâtralité excessive en racontant son histoire via un flashback du fils annonçant que « tout ceci est une pièce de théâtre et ne saurait être réaliste ». Il ne s’agit pas d’un effet de distanciation gratuit mais d’une façon pas plus bête qu’une autre de rappeler ce vieil adage: « la frontière entre le théâtre et la vie est floue ».

Et de fait, le spectateur finit par oublier les artifices théâtraux. La tristesse, l’espoir, la mélancolie…Impossible de résister à la déferlante d’émotions diverses et variées, au concentré d’humanité brassée par La ménagerie de verre, à la justesse du regard de l’auteur sur ses magnifiques personnages. Des personnages d’Américains bouffés par leurs rêves. Par certains aspects, le film m’a rappelé Gens de Dublin qui sortait la même année. Les regrets de la mère lorsqu’elle évoque sa jeunesse à moitié fantasmée d’aristocrate sudiste sont comme une version acide de la nostalgie d’Anjelica Huston dans l’ultime chef d’œuvre de son père.

Si l’intérêt varie au cours des deux heures et quart du métrage, si l’outrance de certains passages saute aux yeux, la dernière partie balaye toutes les réticences. La longue scène au cours de laquelle Jim « ouvre les yeux » de Laura à la vie est une des plus belles jamais imprimées sur pellicule. A ce degré de vérité humaine, à ce  stade d’empathie pour les personnages, qu’importe que l’émotion tienne du cinéma ou du théâtre. Une seule certitude: le découpage et la lumière magnifient les acteurs, leurs visages. Karen Allen est superbe de fragilité. Rarement personnage de fiction aura suscité autant de tendresse, de compassion que le sien dans La ménagerie de verre. Voir Laura se mettre à danser et mourir…