Lune de miel mouvementée (Once upon a honeymoon, Leo McCarey, 1942)

La folle équipée à travers l’Europe occupée par les nazis d’un journaliste américain et de l’épouse d’un espion allemand.

Lune de miel mouvementée est donc la contribution de Leo McCarey à l’effort de guerre hollywoodien. Loin d’être nul, le film n’est cependant pas à la hauteur des meilleures comédies du maître. Un scénario paresseux rend les intentions des auteurs trop visibles par rapport au reste (personnages, intrigue…). En revanche, lors des moments où les sentiments individuels s’immiscent dans la mécanique de propagande, McCarey tape dans le mille comme il a toujours tapé dans le mille lorsqu’il s’agissait d’insuffler de l’émotion à une comédie. Ainsi quand le journaliste cite des vers d’Irving Berlin à la jeune mariée qui se met à pleurer, c’est beau, ça touche juste.

Bellissima (Luchino Visconti, 1951)

Une infirmière fait passer le casting du prochain film de Blasetti à sa fille.

Bellissima est un film de commande qui, sans rivaliser avec les magnifiques chefs d’oeuvre que réalisera plus tard Luchino Visconti, s’avère particulièrement attachant. Il appartient à la veine néo-réaliste de l’auteur mais la peinture sociale n’est pas misérabiliste comme elle l’était dans son précédent film, le très mauvais La terre tremble. L’héroïne habite les quartiers populaires mais ne meurt pas de faim. Elle a un métier (infirmière) qui la font vivre dignement elle et sa fille. Le ton oscille donc, avec cette facilité qui n’appartient qu’aux Italiens, entre le mélodrame et la comédie. Anna Magnani, torrent de vitalité, cabotine jusqu’à l’excès, incarnation parfaite de la mamma italienne, contribue largement à cette facilité. Elle fait aussi oublier les quelques facilités du scénario.

Ce sont des rêves plus que des ambitions qui guident son personnage et c’est en cela que le film est beau. Bellissima est le portrait d’une femme dévorée par le cinéma. La façon dont elle se déshabille le soir devant sa glace, sous-entendant clairement qu’elle aussi a tenté d’être actrice dans sa jeunesse, distille une triste nostalgie. L’amertume contenue tout au long du film explosera dans la séquence où elle se rend compte à ses dépends que le cinéma n’est pas la réalité mais son reflet perverti. Cette séquence est un déchirant sommet de cruauté. Cependant, les auteurs ne sauraient condamner sans appel leur propre art et leur critique est notamment nuancée par un hommage à la beauté des séquences de convoyage dans La rivière rouge. Ce qui achève de rendre leur film hautement recommandable.

Pour toi j’ai tué (Criss Cross, Robert Siodmak, 1949)

De retour dans sa ville natale, un homme tente de renouer avec son ex-femme. Celle-ci est désormais la compagne d’un caïd…

Ce film noir archétypal est parfaitement réussi à ceci près que sa construction narrative a quelque chose de frustrant: l’exposition (la présentation des protagonistes et de leur environnement) vient après un démarrage en trombe et fait donc retomber la tension. Le procédé du flashback a pu donner de brillants résultats, surtout dans ce genre, mais ici son emploi s’avère malhabile. Il s’agit moins pour les auteurs de pénétrer la subjectivité du personnage (comme dans Laura) que de dispenser au spectateur les informations nécessaires à la compréhension de la suite du récit. Quitte à briser le crescendo entamé précédemment. Le mouvement dramatique est descendant alors que si le film avait été raconté à l’endroit, il aurait été ascendant (cf La femme à l’écharpe pailletée réalisé l’année suivante par le même Siodmak). Pour toi j’ai tué n’en reste pas moins un bon film, montrant un personnage de femme fatale particulièrement ambivalent -donc intéressant- ainsi qu’une séquence finale absolument superbe.

Les nouveaux monstres (Mario Monicelli, Dino Risi et Ettore Scola, 1977)

14 sketches se moquant de divers aspects de la société italienne.

Bien qu’écrit (par les célèbres Age et Scarpelli) et réalisé par des maîtres reconnus de la comédie, Les nouveaux monstres est, comme beaucoup de films à sketches, inégal. Tous les types de comique sont représentés, de celui de situation à la farce vulgaire à base de baffes et de destructions d’accessoires. C’est parfois ennuyeux, parfois très drôle et très bien senti. C’est très féroce et la satire n’est jamais timorée. Les auteurs ne connaissent aucun tabou, n’hésitant pas à aborder le terrorisme ou la pédophilie. Dans ce dernier cas, c’est fait sans le moindre racolage, sans la moindre provocation de bas étage mais avec une irrésistible mécanique comique. La virulence de l’ensemble n’empêche pas certains segments d’être véritablement émouvants. Je pense au film sur la maison de retraite. Pour une fois, les personnages ne sont pas, malgré les apparences, complètement pourris et les auteurs montrent combien la situation est complexe et inextricable. Enfin, dernier point à l’actif de ces Nouveaux monstres: la présence dans deux sketches de la jeune et superbissime Ornella Mutti.

Adieu jeunesse (Remember the day, Henry King, 1941)

Une institutrice rencontre un de ses anciens élèves candidat à la présidence des Etats-Unis. Elle se souvient…

Un très joli film. Ce qui n’aurait pu être qu’une insignifiante bluette est un film sensible et délicat. Grâce à la justesse des comédiens et à la pudeur de son style, Henry King évite les écueils (niaiserie, sensiblerie…) dans lesquels un autre que lui aurait pu tomber. Ainsi, ce fameux chantre de l’americana nuance sa célébration de la communauté yankee en confrontant les amours de son héroïne aux ragots et aux préjugés puritains. La chronique recèle aussi ses moments de cruauté. La détresse du garçon amoureux de son institurice, le destin du jeune mari à la première guerre mondiale…Ces moments sont mis en scène sans fard mais avec tact. Ils se fondent dans le tout et n’entravent finalement pas l’optimisme de l’oeuvre. Quintessence de l’art d’Henry King, Remember the day a le charme d’une vignette nostalgique sans en avoir la fausseté car il ne manque jamais de vie.

The Palm Beach story (Preston Sturges, 1942)

La charmante épouse d’un architecte raté décide de plaquer son mari qui va tenter de la reconquérir.

The Palm Beach story est donc une classique comédie de remariage. Un peu trop classique. La convention n’y est que rarement dépassée. L’inhabituelle vérité érotique du début cède rapidement la place au déroulement convenu d’une intrigue analogue à celle de Cette sacrée vérité. Certes, rarement dans la comédie américaine la dimension matérialiste du couple aura été évoquée aussi explicitement mais Sturges passe à côté de ce sujet à cause d’une résolution du drame facile et attendue.

Son film est cependant de très bonne facture. Il est drôle, enlevé, mouvementé, divertissant. Si le couple qu’elle forme avec le terne Joel McCrea n’est pas des plus étincelants, Claudette Colbert, égale à elle-même, ne manque pas d’entrain. Les penchants loufoques de l’auteur sont tantôt réjouissants (la scène de chasse dans le train), tantôt poussifs (le personnage de Toto). Preston Sturges est un virtuose qui sait emballer son affaire mais faute d’une réelle attention aux personnages et au sujet, son film n’a pas la profondeur émotionnelle des chefs d’oeuvre de Hawks, McCarey, Capra ou Lubitsch. Bref, The Palm Beach story est une comédie mineure mais plaisante.

Sodome et Gomorrhe (Michael Kertész, 1922)

Sur le point d’être exécutée, une garce sans foi ni loi rêve qu’elle est l’épouse de Loth, à Sodome.

« Classique » de la période autrichienne de Michael Curtiz, Sodome et Gomorrhe est une impressionnante superproduction qui semble avoir été conçue comme un passeport pour Hollywood par ses auteurs. Le mélange d’histoire contemporaine et biblique pour édifier les foules rappelle évidemment Intolérance tout en anticipant Les dix commandements (qui sortira l’année suivante). Force est de constater (déjà!) la virtuosité du metteur en scène qui gère les milliers de figurants avec l’aisance d’un maître. Les séquences de fureur païenne avec fleuves et flambeaux font penser à la fin d’Apocalypse Now. Sans les faire verser dans l’expressionnisme, le clair-obscur stylise les scènes d’intérieur. Dans ces passages, les cadrages sont inhabituellement larges, ce qui permet au cinéaste de soigner sa composition et d’éloigner son film du théâtre filmé. Dès ce film, on peut déceler la personnalité de Curtiz: celle d’un brillant styliste qui n’a pas de « thématique récurrente » ni de « vision du monde » à donner à manger au critique mais qui se distingue des autres réalisateurs grâce à un brio éclatant et un goût très sûr. Dommage que l’histoire soit ici complètement niaise.

Thomas Crown (John McTiernan, 1999)

Un milliardaire organise et réussit le vol d’un tableau de maître au Metropolitan Museum. Une chasseuse de primes particulièrement gironde est engagée par la compagnie d’assurance pour retrouver le voleur…

Ce remake du pseudo-classique avec Steve McQueen et Faye Dunaway est largement supérieur à l’original. D’abord, la mise en scène de McTiernan surclasse nettement celle de Norman Jewison. Ni split-screen fumeux ni symbolisme ridicule ici. Le style du film de 1999 est à l’image de son sujet: un jeu de séduction. Le cinéaste n’hésite pas à amplifier des détails aguicheurs (ha, l’introduction du personnage de Rene Russo via un travelling sur son bas, de l’escarpin au porte-jarretelle!). Il garde la juste distance de celui qui est conscient de la vulgarité de son matériau et qui en joue. C’est l’élégance selon John McTiernan, l’homme qui a réalisé d’authentiques chefs d’oeuvre d’intelligence en filmant Bruce Willis ou Arnold Schwarzenegger dézinguer des terroristes. Le désagrément lié aux quelques indéniables fautes de goûts (certains plans tape-à-l’oeil, certains thèmes musicaux tonitruants) est négligeable face au plaisir de se voir absorbé par l’exceptionnelle fluidité de la mise en scène et par une intrigue diaboliquement manipulatrice.

Pourtant, l’intérêt de l’oeuvre ne se limite pas à la virtuosité d’un metteur en scène très joueur. Si c’était le cas, Thomas Crown serait un film de petit malin, amusant mais vain. Or c’est un très grand film, un des plus beaux des années 90. Ce parce que les tours de passe-passe scénaristiques ne sont pas une mécanique détachée du reste mais qu’ils expriment une part de la vérité des personnages; en l’occurrence: leur suprême intelligence.
En filigrane de son histoire de tableau volé, McTiernan retrace les rapports de deux brillants quadragénaires, encore séduisants mais conscients qu’ils viennent peut-être de rencontrer leur dernière chance de ne pas finir leur vie seuls. Et c’est aussi discret qu’émouvant. A l’image de ce plan ne durant pas plus de dix secondes dans lequel Rene Russo dévale les escaliers en pleurs après avoir surpris son amant avec une jeune femme. C’est le film qui déraille, la vérité qui éclate sous le simulacre du jeu de séduction, l’émotion imprévue. Et c’est d’autant plus génial que, plus tard, le récit intégrera cette péripétie sentimentale à son programme ludique. La fusion est parfaite entre l’intrigue parfaitement huilée et les trajectoires émotionnelles des personnages sans que jamais les secondes ne paraissent asservies à la première.

Quelque part, Thomas Crown est un film d’amour dans la lignée de Elle et lui. Comme le couple de demi-mondains du chef d’oeuvre de Leo McCarey, les héros de McTiernan devront apprendre à baisser leur garde, à renoncer à certaines jouissances matérielles pour prouver leur foi dans l’autre. Evidemment, tout ce discours sur la maturité apparaît d’autant plus vrai que les acteurs sont excellents. Exprimant aussi bien l’assurance vulgaire de la croqueuse d’hommes que l’instabilité de celle qui sait l’automne de sa vie imminent, Rene Russo incarne à merveille ce qui reste à ce jour son plus beau rôle. Elle est resplendissante et c’est peu dire que l’affiche photoshopée ne rend pas justice à sa beauté.

Bref, Thomas Crown est un joyau qui me semble relever d’une conception oubliée du cinéma. Celle du cinéma d’auteur hollywoodien tel que défendu par les cinéphiles des années 50. C’est-à-dire un art d’usine dans lequel le réalisateur injecte des préoccupations personnelles tout en se conformant brillamment au cahier des charges du studio. Un cinéma modeste mais extrêmement plaisant et plus profondément singulier que celui des démiurges à effets de signature abonnés aux festivals.

Journal d’une femme en blanc (Claude Autant-Lara, 1965)

D’abord à travers les problèmes de ses patientes puis lorsque son aventure d’un soir avec un médecin entraîne de fâcheuses conséquences, une jeune interne du service maternité se voit confrontée à la question de l’avortement.

Le caractère scandaleux de son sujet (on est en 1965) aurait pu faire de Journal d’une femme en blanc une énième gesticulation anti-bourgeoise de Claude Autant-Lara. Il n’en est rien. Certes, le début avec la gentille interne, les malheureuses patientes et les méchants mâles laisse croire à un film à thèse schématique. Cependant, au fur et à mesure, les caractères se nuancent, le récit s’épaissit. L’auteur ne défend pas de position tranchée sur l’avortement, celui-ci est simplement le moteur dramatique qui permet de faire évoluer les personnages, de révéler leur vérité au spectateur. L’interprétation sensible de Marie-José Nat et le lyrisme de la belle musique de Michel Magne contrastent avec la froide blancheur des images d’hôpital, parviennent à transcender des ficelles narratives pas toujours très fines et achèvent de faire de Journal d’une femme en blanc un des films les plus attachants d’Autant-Lara. Très bon.

Le bon Dieu sans confession (Claude Autant-Lara, 1953)

Retour sur la vie d’un notable au moment de son enterrement.

Evidemment, la vie de ce notable n’était pas aussi reluisante que sa façade. Evidemment, ce monsieur avait une maîtresse. Evidemment, cette dame était vénale. C’est qu’on est en plein dans ce naturalisme moralisateur au ras des pâquerettes typique du cinéma de « Qualité française ». La narration inutilement compliquée accentue la pesanteur de l’œuvre. Le bon Dieu sans confession se laisse tout de même regarder grâce à de bons acteurs  qui savent rendre leurs personnages intéressants en faisant ressortir les nuances de leurs caractères. Je songe surtout à Henri Vilbert qui trouve ici ce qui est resté comme un de ses meilleurs rôles. L’ensemble est tout de même laborieux, à l’image de la façon bavarde et redondante dont est expliqué le sursaut moral du héros: un quart d’heure de discussion avec chacun de ses deux enfants. Soit une demi-heure d’ennui pour le spectateur.

Le diable au corps (Claude Autant-Lara, 1947)

Pendant la première guerre mondiale, la liaison entre un lycéen et l’épouse d’un soldat au front.

Le roman de Radiguet était court, direct et brûlant de la sensibilité de son très jeune auteur. L’adaptation d’Autant-Lara est pesante, longuette et superficielle. Des ravages de l’académisme ou quand le sel d’un chef d’oeuvre littéraire est ruiné par des comédiens affectés (Gérard Philippe), un metteur en scène plus focalisé sur sa direction artistique (ha ça, les décors de Max Douy sont toujours aussi réussis) que sur les sentiments de ses héros et des auteurs qui délaient laborieusement leur propos « anti-bourgeois » au lieu d’affiner la psychologie de leurs personnages.

Reste que le rebelle officiel Claude Autant-Lara est un cinéaste un peu moins pudibond que, disons, René Clément ou Marcel Carné. Non que Le diable au corps soit un grand film d’amour mais au moins, l’attirance charnelle entre les deux amoureux y est signifiée. Le plan du baiser volé au restaurant rappellera des souvenirs à quiconque a déja été assis dans un café à côté d’une femme ne sachant pas ce qu’elle voulait. Ce n’est rien à côté de la formidable puissance d’évocation du livre mais c’est toujours ça de pris à un film méchamment suranné.

L’île des morts (Mark Robson, 1945)

Durant la guerre civile grecque, un général et un journaliste américain se retrouvent coincés sur une petite île envahie par la peste.

En 1945, les idées et figures de style du génial producteur Val Lewton ont déja commencé à virer recettes et conventions. Dans L’île des morts, l’intéressant et inédit contexte de la guerre civile s’estompe rapidement pour laisser la place à un ersatz de Vaudou. Cela reste joliment fait. Le rythme languissant, l’hyper-sobriété des acteurs et les jeunes filles en transe qui marchent chemise de nuit au vent tissent une ambiance délétère qui plaira aux amateurs de Lewton. L’île des morts n’en reste pas moins un film moins mystérieux et plus conventionnel que les chefs d’oeuvre de poésie morbide qu’étaient La septième victime, Vaudou ou encore La féline.