Wait ’til the sun shines, Nellie (Henry King, 1952)

Entre 1895 et 1945, la vie d’un barbier installé dans une petite ville de l’Illinois le jour de son mariage.

Wait ’til the sun shines, Nellie s’inscrit dans le genre americana, le courant nostalgique et idéaliste du cinéma hollywoodien qui se plaisait à recréer l’Amérique provinciale du tournant du XXème siècle. Henry King y a excellé. Ça tombe bien, Wait ’til the sun shines, Nellie est un film de Henry King!

Contrairement à d’autres pépites du genre  (tel Adieu jeunesse! ou The vanishing Virginian), ce film n’a rien de doux ou de réconfortant et il ne stimule la nostalgie qu’en de rares instants. En fait, il ne cesse de montrer comment les bonnes intentions d’un héros bienveillant mais borné le mènent à des drames. Ce brave barbier aime ses proches mais refuse de les écouter, il veut éloigner le mal de ses enfants sans se demander pourquoi ces derniers sont attirés par ce mal. Cette attitude rigoriste le conduira à plusieurs catastrophes. Il est donc clair que, sans verser une seule seconde dans le pamphlet, en laissant le récit se charger du discours, les auteurs se montrent ici très distants à l’égard des valeurs puritaines qui fondent l’éthique pionnière américaine.

Cet angle d’attaque pour le moins critique de son sujet n’empêche pas Wait ’til the sun shines, Nellie de regorger de la tendresse et de la sensibilité propres au cinéma d’Henry King. En dépit de ses erreurs, le cinéaste aime de toute évidence son personnage et son acteur principal David Wayne est d’ailleurs aussi bon lorsqu’il joue le jeune marié que lorsqu’il interprète l’homme mûr dépassé par sa progéniture.
Le metteur en scène montre d’une façon délicate et concrète les sentiments qui animent ses personnages. Bien souvent, cela tourne autour d’objets. Ce qui permet au cinéaste de rester terre-à-terre lorsqu’il évoque des états d’âme. L’invisible passe par le visible. Un éventail, un rouge à lèvres ou encore un châle de fourrure sont ici autant d’accessoires qui permettent de mettre en scène l’évolution des sentiments. Plus que jamais, Henry King se distingue dans le registre qui était le sien à Hollywood: le lyrisme quotidien.
Il est en cela bien aidé par la lumière de son comparse Leon Shamroy qui signe encore une fois un superbe Technicolor, tantôt chaleureux tantôt étonnamment réaliste.

Enfin, et c’est peut-être ce qui en fait le chef d’oeuvre de King, Wait ’til the sun shines, Nellie est émaillé d’instants de grâce qui transcendent la chronique et en font un songe intemporel, détaché de son contexte réaliste. Je pense à ces chants en canon qui reviennent régulièrement et qui remplissent un rôle analogue à celui du choeur dans la tragédie grecque ou encore à ce sublime panoramique sur la rue principale qui achève le flash-back, condensant la puissance du souvenir en une poignée de secondes.

Stars in my crown (Jacques Tourneur, 1950)

Un homme se souvient de son enfance dans une petite ville du Sud des Etats-Unis après la guerre de Sécession. Un nouveau pasteur y faisait face à la typhoïde et au Ku Klux Klan…

Stars in my crown s’inscrit dans le genre americana, le courant nostalgique et idéaliste du cinéma hollywoodien qui se plaisait à recréer l’Amérique provinciale du tournant du XXème siècle. Henry King y a excellé. Jacques Tourneur, a priori, en semblait fort éloigné. Pourtant, le réalisateur français de La féline signe ici un de ses chefs d’œuvre et ce qui restera comme son film préféré. D’abord, il se conforme brillamment aux contraintes du genre en livrant une série de jolies vignettes pastorales et sentimentales. Je pense par exemple à cette séquence digne de Mark Twain où deux enfants vagabondent sous les frondaisons dans une charrette de foin…On notera cependant que la mise en scène de Stars in my crown n’échappe pas complètement à l’académisme aseptisant du studio qui le produit: la MGM. Ainsi, en dehors de quelques moments forts sur lesquels nous reviendrons, la photographie déçoit par sa platitude.

Au fil de la chronique villageoise, le véritable sujet du film apparaît. Il s’agit ni plus ni moins que de montrer la présence de Dieu parmi les hommes. C’est pour le moins ambitieux. A l’opposé d’une bondieuserie lénifiante, Stars in my crown montre son héros pasteur vaciller, douter de sa foi face à des turpitudes d’une dureté inouïe (morts d’enfants, lynchages racistes). Le dieu chrétien se manifeste d’abord dans le coeur des hommes et il s’agira donc pour le pasteur de révéler ce qui reste de bonté chez les plus haineux d’entre eux: les membres du Ku Klux Klan. On notera d’ailleurs que, tout en célébrant la vie dans un patelin sudiste du XIXème siècle, Tourneur n’élude pas le contexte politique inhérent, les forces obscures tapies au sein de la communauté apparemment chaleureuse et bienveillante. Ce combat entre le mal et la foi en Dieu (donc en l’homme) culmine dans une séquence bouleversante de simplicité humaniste. On songe alors à un John Ford qui aurait retrouvé une sorte de pureté archaïque.

Dans le même ordre d’idée (Dieu existe…finalement), Stars in my crown est également un des très rares films non-fantastiques à oser représenter une résurrection. Faire admettre un tel miracle est toujours un défi pour le metteur en scène mais alors quelle émotion si le pari est remporté, si le spectateur voit son incrédulité vaincue! Ici, c’est le cas. Un découpage dont la simplicité n’a d’égal que la précision, une musique graduée, une parfaite exploitation dramatique des accessoires à sa disposition (rideaux…) et surtout le lumineux visage de son interprète féminine font de ce moment un des clous de l’œuvre de Jacques Tourneur, une magnifique synthèse de son génie de l’évocation des puissances surnaturelles.

A l’instar du Garçon aux cheveux verts ou de Qu’elle était verte ma vallée, Stars in my crown est un de ces joyaux qui ne pouvaient être produits qu’au sein de l’industrie hollywoodienne mais qui, en seulement une heure et demi, font montre d’une originalité profonde et d’une ambition folle. Un film sublime.