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Dans le Paris de l’après-guerre, la quotidien d’un jeune couple aux revenus modestes est perturbé par un billet de loterie…
Cette chronique chaleureuse et vivante est un nouveau témoignage du génie de Jacques Becker. Ce qui distingue ce petit film qui ne paye pas de mine, c’est d’abord une multitude de trouvailles réalistes qui dynamisent les scènes et ancrent l’action dans un milieu précis. Exemples: Antoine qui sort sur le toit de l’immeuble pour raccorder son poste de radio à l’antenne, Antoine qui retire ses semelles découpées dans du papier journal pour lire les numéros gagnants de la loterie…Grâce à ces détails, résultats d’une minutieuse mise en scène et non d’une vague improvisation d’amateurs trouvés dans la rue, Antoine et Antoinette apparaît aujourd’hui comme le film le plus juste sur les quartiers populaires parisiens de l’après-guerre. Que l’on compare notre ouvrier typographe (Antoine) et notre employée du Prisunic (Antoinette) aux personnages stéréotypés de Sous le ciel de Paris pour juger de l’incommensurable quoique discrète avance qu’avait Becker sur ses contemporains…
Ce souci réaliste se retrouve également dans le scénario. Ainsi, rarement la situation matérielle -essentielle dans un ménage- de deux amoureux aura été aussi importante dans une comédie dramatique que chez le communiste Becker. Ici, elle rend l’avenir incertain et est un ressort narratif primordial. Il y a une vérité à la fois neuve et mature dans la présentation de ce jeune couple parisien qui anticipe la Nouvelle Vague, ce dont on ne s’étonnera guère sachant combien Becker était prisé par les jeunes Turcs des Cahiers du cinéma.
« Comédie dramatique » disais-je. On peut voir ça comme un non-genre inventé par Télé 7 jours pour catégoriser l’impossible à catégoriser. On peut aussi voir ça comme le genre français par excellence, celui dans lequel la légèreté de ton n’escamote pas la dureté du drame lorsque drame il y a. Et à ce moment-là, Antoine et Antoinette est une parfaite comédie dramatique et Becker est le plus français des cinéastes (avec son maître Jean Renoir). Cette légèreté de ton, signe de la profonde élégance du cinéaste, évite au film de sombrer dans le vouloir-dire plombant qui mine tellement de films labellisés « Qualité française » (tributaires des fadaises de leur époque tel que l’existentialisme donc si peu français dans l’esprit).
Enfin, la réussite d’un film de Jacques Becker vient aussi bien de son sens aigü de l’observation qui lui permet de trouver le détail vrai d’une situation que de sa maîtrise technique digne des meilleurs réalisateurs américains de son temps. Ici, le rythme est parfait. Chaque scène, même la plus « documentaire », fait avancer l’histoire. Il n’y a pas un plan en trop, pas un plan qui n’ait été pensé en fonction de l’ensemble. Sa gestion de l’espace claire et rigoureuse fait qu’on se croirait presque dans l’appartement d’Antoine et Antoinette. On notera aussi l’importance inhabituelle de la musique qui parfois précise une situation avant les images.
Pour finir, l’entrain des jeunes comédiens contribue beaucoup au sentiment de vitalité quasi-euphorique procuré par cette merveille. De la belle Claire Mafféi au figurant chevelu Louis de Funès en passant par le gouailleur Pierre Trabaud en sympathique voisin boxeur, la distribution est aux petits oignons.
On pourra toujours pinailler sur les ficelles un peu faciles qui servent à conclure l’intrigue, on pourra regretter l’évolution du personnage de Noël Roquevert en méchant de base. En l’état, Antoine et Antoinette reste, aux côtés du Crime de M. Lange, le meilleur film de gauche français parce que le plus beau des films consacrés à la classe prolétaire. Une réussite absolument pas miraculeuse, fruit de la méticulosité et de l’attention de son auteur, après laquelle peut toujours courir Robert Guédiguian…