Les amoureux sont seuls au monde (Henri Decoin, 1947)

Un grand musicien heureux en mariage s’éprend d’une jeune pianiste…

Les amoureux sont seuls au monde sonne joliment faux comme pouvait sonner joliment faux, par exemple, Les enfants du Paradis. Les dialogues signés Henri Jeanson sont artificiels mais magnifiques, surtout lorsqu’ils sont dits par Louis Jouvet. Le regard sur la jeunesse est conventionnel et caricatural, bien loin de la justesse de ton des films contemporains d’un Jacques Becker, mais, grâce à la précision des comédiens, il émane une certaine vérité du couple principal. Le symbolisme de la narration est lourdaud mais une poésie mélancolique naît des beaux décors de studio éclairés par la fine lumière d’Armand Thirard.

En définitive, Les amoureux sont seuls au monde est un joli film à voir pour le grand Louis Jouvet dans un de ses meilleurs rôles au cinéma et pour quelques scènes qui, au-delà du charme suranné de l’ensemble, expriment quelque chose de vrai. Ainsi de l’ouverture dans laquelle l’artifice de la forme répond à l’artifice de la recréation du souvenir.

Le fleuve de la dernière chance (Smoke Signal, Jerry Hopper, 1955)

Des soldats de la cavalerie encerclés par les Indiens sont forcés d’accepter l’aide d’un déserteur qui avait rejoint ces derniers.

Les westerns Universal sont rarement mauvais et celui-ci n’échappe pas à la règle. Mis en scène par un homme à tout faire compétent mais sans personnalité, Smoke signal est correctement réalisé. Concis, bien rythmé, il contient ce qu’il faut d’action. Il y a de beaux paysages de canyons tandis que les fréquentes et grossières transparences rompent l’immersion. Les personnages sont ultra-conventionnels (ainsi, le gentil est vraiment très gentil). Smoke signal est un western routinier.

Tempête (Bernard-Deschamps, 1940)

Un escroc international tente de renouer avec une femme…

Le scénario improbable aurait pu donner lieu à un film extraordinaire mais malheureusement le récit se met à patiner après une excellente introduction. Les enjeux dramatiques se diluent et on passe beaucoup de temps avec une myriade de personnages secondaires dont les évolutions sont mal unifiées. Cela n’interdit pas de les apprécier individuellement car chacun a une existence propre. Tous sont interprétés par des cadors. Carette arrive à donner de l’épaisseur à un rôle de quasi-figurant. On retiendra la gouaille d’Arletty qui incarne, une fois n’est pas coutume, une sympathique idiote.  A noter aussi une poignée de beaux moments qui donnent une consistance profonde et inattendue à certains personnages. Ces fulgurances de la mise en scène restent trop éparses, trop discrètes pour faire oublier les carences de la narration.

Okay America (Tay Garnett, 1932)

Un journaliste cynique sert d’intermédiaire dans les négociations entre les ravisseurs de la fille d’un haut-fonctionnaire et sa famille.

Assez bavard et plus linéaire que l’extraordinaire Afraid to talk, produit par le même studio la même année, le film est aussi virulent que son homologue dans sa dénonciation de la corruption de la société. Il se focalise sur le parcours moral d’un homme désabusé qui, d’abord indifférent et égoïste, va finir tellement dégoûté de ses rapports avec les truands qu’il se lancera dans une croisade suicidaire. Le ton est amer, le film est d’un pessimisme rare. D’une durée n’excédant pas 75 minutes, contenant son lot de seconds rôles hauts en couleur (Edward Arnold!), Okay America a la concision et la vivacité des bons films de l’époque. Clairement recommandable.

Le farceur (Philippe de Broca, 1961)

Un jeune séducteur issu d’une famille bohème tombe amoureux d’une bourgeoise mariée.

Avec ce deuxième film, Philippe de Broca et son scénariste Daniel Boulanger peaufinent leur héros-type, affirment leur prédilection pour les gentils marginaux. Le personnage joué par Palau est comme une première mouture de celui de Guiomar dans L’incorrigible. Le farceur est donc un film PERSONNEL.

Malheureusement ce n’est pas pour autant un bon film car le trait est trop épais. Par exemple, le dépit amoureux du personnage de Jean-Pierre Cassel donne lieu à une tentative de suicide à laquelle on ne croit pas puisqu’elle est, comme quasiment tout le reste du film, traité sur un mode comique. Cette séquence à l’exagération hystérique est typique de quelques mauvais films de de Broca. C’est que l’opposition entre la famille de gentils artistes et le mari qui s’offusque quand sa femme danse sur du jazz est trop schématique pour être intéressante; les auteurs n’en tirent pas grand-chose en termes narratifs et le tout reste trop superficiel. Du coup, les séquences ouvertement fantaisistes tel que les numéros de claquettes de Cassel sentent à plein nez le volontarisme très Nouvelle Vague du jeune metteur en scène qui se veut décalé. Elles apparaissent comme un cheveu sur la soupe. Dans le même ordre d’idées, ajoutons que les dialogues de Boulanger sont surchargés d’intentions poético-anarchistes et rarement crédibles.

Enfin, il faut bien dire que le noir&blanc ne sied guère à l’univers de Philippe de Broca et qu’il a fallu la couleur pour que sa fantaisie s’épanouisse pleinement à l’écran. Reste la fascinante beauté d’Anouk Aimée (Le farceur restera malheureusement sa seule collaboration avec le réalisateur) et quelques fulgurances stylistiques tel que la fin. Le plan bref, érotique, pudique et discrètement cruel sur Anouk Aimée qui remet son porte-jarretelle est typique des qualités d’un cinéaste qui décidément s’avère attachant même dans ses mauvais films.

Crime et châtiment (Josef Von Sternberg, 1935)

Un étudiant en criminologie tue une vieille usurière avant d’être accablé par le remords.

Il ne faut pas s’attendre à retrouver les longs dialogues, les multiples personnages secondaires, les dissertations hallucinées sur Dieu et l’environnement particulièrement sordide du fort peu cinégénique chef d’oeuvre de Dostoïevski dans un film américain des années 30. Passé ce deuil, on peut se rendre compte que cette adaptation hollywoodienne n’est pas franchement mauvaise. Les dilemmes moraux d’une portée inouïe dans le roman sont évidemment largement simplifiés mais vous aurez beau édulcorer un bon café italien, il restera toujours une trace de la saveur originelle…Ben c’est pareil avec Dostoïevski.

Bien que théâtral et trop verbeux, le film de Josef Von Sterberg a plusieurs qualités au premier rang desquels figure la belle photographie signée Lucien Ballard. Les contrastes sont marqués, il y a un remarquable travail sur les ombres qui pourra paraître vain à certains mais qui sauve le film de la platitude plastique. Edward Arnold est un excellent Porphyre, peu sympathique mais discrètement tenace. Peter Lorre est trop vieux pour incarner l’étudiant Raskolnikov mais il exprime bien les tourments du personnage.

Reste que l’esthète Von Sternberg n’était sans doute pas le cinéaste le plus apte à retranscrire la folie du romancier russe à l’écran et que son film manque d’émotion, que les quelques scènes pathétiques sont sans intérêt. Adapter Dostoïevski implique de ne pas avoir peur de plonger la tête la première dans le mélo (c’est ainsi que Rocco et ses frères est le plus grand chef d’oeuvre de cinéma dostoïevskien). D’où un film raté malgré ses indéniables qualités.

De Jeanne d’Arc à Philippe Pétain (Sacha Guitry, 1944)

Film de 58 minutes destiné à promouvoir le livre d’art éponyme que Sacha Guitry, fervent maréchaliste, consacra aux grandes figures de l’histoire de France depuis Jeanne d’Arc. On le voit en tourner les pages. Lui-même ainsi que, entre autres personnalités, Madeleine Renaud, Roger Bourdin et Jean Cocteau en lisent des extraits. Il s’agit de textes de personnages célèbres mais aussi de panégyriques écrits par des auteurs contemporains: Cocteau, Giraudoux, Colette, Morand… Il y a des bons mots savoureux, la voix du Maître est toujours délectable, la propagande finalement discrète mais le tout apparaît décousu et superficiel, ce qui est assez logique compte tenu de la nature essentiellement publicitaire d’un film qui ne fut jamais destiné à l’exploitation en salles.

Les rois du patin (Blades of Glory, Josh Gordon et Will Speck, 2007)

Suite à une bagarre sur le podium, deux rivaux en patinage artistique sont interdits de compétition individuelle. Un entraîneur a l’idée de les faire patiner en couple.

L’idée de départ promettait donc une formidable comédie mais la façon dont elle est développée est faible et convenue. Les personnages se réduisent à des caricatures, les gags, toujours vulgaires, sont tantôt drôles tantôt navrants d’infantilisme et le film est finalement médiocre. Quand on voit ce genre de truc, on ne peut guère blâmer les distributeurs français pour leur frilosité face à la comédie américaine contemporaine.

Le rôdeur (Joseph Losey, 1951)

Au cours de ses rondes de nuit dans une banlieue cossue, un policier s’amourache d’une femme mariée enquiquinée par un mystérieux rôdeur.

Produit par l’indépendant Sam Spiegel, écrit par Dalton Trumbo (avec Hugo Butler) et réalisé par Joseph Losey, deux futures victimes du maccarthysme, Le rôdeur est un des grands chefs d’oeuvre du cinéma de gauche américain. Les auteurs attaquent aussi bien les valeurs de l’Oncle Sam que la société américaine. En montrant des individualistes dévoyés, un foyer sans amour, un policier pourri protégé par le système et en se moquant de l’illusion sécuritaire des bourgeois en banlieue résidentielle, ils signent un des films les plus corrosifs envers l’american way of life qui aient jamais été.

Ce ne sont certes pas les seuls à avoir émis un tel propos mais ils l’ont développé avec une finesse exceptionnelle qui insuffle une impression d’évidente vérité à leur oeuvre. Ce sont les trajectoires des personnages qui priment. Les charges politiques ne plombent jamais le film mais apparaissent naturellement au fur et à mesure du récit implacable de la descente aux enfers progressive d’un homme médiocre qui se fout parfaitement des entraves morales à ses envies.

Ce flic criminel n’est pas univoque. Guidé par un amour sincère autant que par l’appât du gain, il est foncièrement ambigu. Il est humain. A la différence d’un Lang duquel Losey est assez proche, le cinéaste américain ne surplombe pas ses personnages, il n’est pas le juge impartial d’une humanité irrémédiablement coupable. En témoigne le jeu de Van Heflin, acteur sympathique et bonhomme en plus d’être excellent, bien moins sec que celui du minéral Dana Andrews. Même si le héros du Rôdeur se trompe, il se trompe avec une bonne foi, une foi dans sa future famille, qui quelque part le rachète; alors que les personnages de Lang sont essentiellement cyniques.

L’excellente mise en scène va au cœur de chaque situation. Les éclairages savants mais non tarabiscotés d’Arthur Miller -chef opérateur de John Ford- dramatisent intelligemment les nombreuses scènes en huis-clos. Des gestes inattendus donnent vie aux personnages. Lors de la séquence de mariage, quelques plans suffisent à Losey pour évoquer la communauté provinciale. Sa subtilité est alors plus grande que celle de Fritz Lang, son ironie plus discrète que celle de l’auteur du célèbre raccord sur les poules dans Fury. De fabuleuses trouvailles tel que le disque enregistré par le macchabée amplifient le drame intime des personnages. Enfin, la force de l’ouverture rentre-dedans n’a d’égale que le tragique dérisoire de la fin. Bref, Le rôdeur est bel et bien un des meilleurs films noirs jamais tournés, sorte de chaînon manquant entre Désirs humains et L’enfer est à lui.

Pitfall (Andre de Toth, 1948)

Un assureur père de famille s’amourache de la poule d’un voleur…

C’est donc un canevas de film noir a priori archi-rebattu mais c’est transcendé par une multitude de qualités. Il y a d’abord l’humour sardonique insufflé par les dialogues de William Bowers. Il y a ensuite un excellent casting mené par Dick Powell qui incarne parfaitement le père de famille aimant mais désabusé. Il y a, et c’est tout à fait inhabituel pour le genre, des scènes familiales dont la tendresse n’a d’égale que la brutalité des (rares) bagarres.

En fait, Pitfall montre l’intrusion du mal dans le foyer américain. Quel est le devoir d’un homme dans notre société civilisée lorsque, en partie par sa faute, sa famille est menacée?  C’est en abordant cette question que le film atteint des cimes assez exceptionnelles grâce à la complexité des situations et à la justesse des caractères qu’il présente. A ce titre, la fin est magnifique, loin de toute forme de convention.