La jeune fille au carton à chapeau (Boris Barnet, 1927)

Une jeune vendeuse de chapeaux contracte un mariage blanc avec un vagabond pour partager son logis avec lui…

Plus léger que les autres classiques du muet soviétique, La jeune fille au carton à chapeau n’en est pas moins un film de propagande (pour la loterie nationale!). Comparé à un Cuirassé Potemkine, la fraîcheur du film est indéniable mais l’histoire racontée est par trop inconséquente, le basique « boy meets girl » étant simplement agrémenté de touches burlesques qui, il faut bien le dire, sont à des années-lumières de la drôlerie des grands burlesques américains. Reste la beauté de la lumineuse Anna Sten qui, après ces débuts prometteurs, n’a pas eu la carrière qu’elle méritait.

L’opération diabolique (Seconds, John Frankenheimer, 1966)

Un quinquagénaire américain accepte l’offre d’une mystérieuse entreprise qui lui propose de changer complètement d’identité.

L’idée de base est originale et intéressante mais mal développée. Le manque de précision coule le film. Où est l’intérêt de l’entreprise là-dedans? Comment finance t-elle ces programmes très coûteux? Questions essentielles qui auraient nécessité une réponse pour rendre la fable crédible. En plus de ça, les auteurs ont intégré des séquences de paganisme longues et sans autre intérêt que de montrer des jeunes filles à poil.

John Frankenheimer a cru pouvoir compenser ces lacunes de la narration avec des affèteries de réalisation tel des séquences filmées depuis le menton des personnages. Evidemment, ce genre de bizarrerie tourne vite court. Quoique doté de qualités certaines (la musique stridente et mélodique de Jerry Goldsmith ou encore l’interprétation de Rock Hudson qui ceci-dit n’a pas grand-chose à jouer), Seconds, film roublard mais paresseux, est un exemple de plus de la fumisterie du cinéma libéral américain des années 60.

Une Anglaise romantique (Joseph Losey, 1975)

L’épouse d’un riche écrivain anglais rencontre un jeune homme louche lors d’un séjour thermal à Baden-Baden. Ce qui alimente l’imagination de son mari possessif et un brin pervers qui, dans un élan de politesse masochiste toute britannique, va accueillir le godelureau dans sa demeure.

Ce sera le début d’un huis-clos mêlant rapports de classe et désir sexuel comme aimait à les concocter Joseph Losey (La bête s’éveilleThe servant). Le style abrupt, elliptique et élégant du réalisateur cristallise le drame avec une belle subtilité. La scène des cris du bébés est à cet égard magistrale. L’auteur s’intéresse ici particulièrement à la libération de la femme et aux illusions qu’elle charrie.  Les discussions parfois intellectuelles ne sont pas gênantes car elles correspondant à la nature des personnage qui sont ou qui se font passer pour des intellectuels. Michael Caine excelle dans le rôle de l’écrivain pétri de bon sens bourgeois que l’amour rend irrationnel et Helmut Berger est une parfaite tête à claques.

La dernière partie se déroulant sur la côte d’Azur est plus convenue et moins convaincante que le reste se passant au château mais l’oubli dans lequel est tombé ce bon film de Joseph Losey, tourné avec une pléthore de comédiens célèbres à l’époque où le cinéaste était au sommet de sa gloire internationale, est tout bonnement incompréhensible.

Micki+Maude (Blake Edwards, 1984)

Incapable d’en plaquer une, un homme épouse deux femmes.

L’inénarrable Dudley Moore en lutin bigame, des gags formidables (la visite chez le gynéco), une tendresse immense quoique dénuée de complaisance pour les personnages, des moments absolument merveilleux tel la scène du restaurant où le héros s’apprête à larguer sa fiancée, une musique de Michel Legrand qui n’a rien à envier aux habituelles bandes originales de Mancini ainsi que les touches saugrenues de l’auteur (le beau-père catcheur!) pimentant une sauce qui aurait pu virer au sirupeux font de Micki+Maude, s’il n’est ni le plus ambitieux ni le plus achevé (il y a des petites longueurs),  un des films les plus attachants de Blake Edwards.

L’intruse (Rafaello Matarazzo, 1956)

Après une tentative de suicide, une femme est recueillie par le médecin d’un petit village côtier…

Un très beau mélodrame. L’intrigue, basée sur l’honneur, la virginité et la maternité, pourra apparaître désuète à un spectateur contemporain mais elle est fondée sur une réalité, celle de l’oppression de la femme par une société patriarcale, réalité qui fut très bien décrite notamment par Luigi Pirandello dans son premier roman (L’immortelle) et qui perdure aujourd’hui dans certaines familles du sud de l’Italie.

Derrière une forme simple et théâtrale, les auteurs restituent toute la complexité d’une situation et évitent les facilités narratives qui auraient consisté à désigner un méchant, un gentil et une victime. Au cours de l’histoire, chacun des trois personnages principaux (l’ancien amant, le mari, la femme) fera du mal aux autres en se montrant obtus, cruel ou injuste. Il ne s’agit pas de dire simplement « dans ce monde, tout le monde à ses raisons », il s’agit de retracer le cheminement qui permettra au couple principal de se débarasser de ses démons intérieurs pour mieux aimer l’autre. La femme est hantée par un souvenir douloureux, le docteur devra sortir de la mélancolie dans laquelle l’a plongé la mort de son épouse.

Cette quête de l’harmonie générale, intime et sociale, effectuée avec l’aide d’un prêtre bienveillant rappelle les films de Leo McCarey d’autant qu’elle culmine lors de moments sublimes au cours desquels Rafaello Matarazzo fait preuve d’une inspiration qui n’a rien à envier à celle de l’auteur de Ce bon vieux Sam. Ainsi de l’enchaînement de la séquence à la gare avec le mariage, enchaînement d’une pureté qui n’appartient qu’aux plus grands.

Sept secondes en enfer (Hour of the gun, John Sturges, 1967)

Après l’assassinat de ses frères par les hommes de Clanton, le marshall Wyatt Earp se venge…

Nettement moins célèbre que Règlements de compte à O.K Corral, cette suite est pourtant largement supérieure à l’original sorti en 1957 qui était conventionnel, psychologisant et encombré par les numéros de stars. John Sturges se montre ici beaucoup plus sec. L’influence du western italien (prégnante aussi dans la musique de Jerry Goldmith) rallonge la durée des duels -et la tension s’en trouve augmentée- mais dans l’ensemble, Sept secondes en enfer est un film dégraissé: dense et elliptique.

Aucune intrigue sentimentale ne vient parasiter le scénario qui, c’est pour le moins original, oppose deux lois: la loi fédérale représentée par le U.S marshall Wyatt Earp et la loi locale puisque Clanton est soutenu par le shérif de Tombstone. Chacun des deux clans est attaché au respect du droit et fait attention à ne pas être accusé de meurtre même s’il est évident que le voleur de bétail Clanton ne recherche qu’une couverture facile tandis que Earp a, au départ du moins, de réelles convictions légalistes. Ce qui est intéressant, c’est que ces convictions s’effritent au fur et à mesure que le film avance, au fur et à mesure des assassinats ou mutilations de ses frères. Sept secondes en enfer prend alors des allures très sombres de film de vengeance.

L’intense sobriété du jeu de James Garner et de Jason Robards, merveilleux Doc Holliday, permet à John Sturges, lors des scènes d’affrontement entre les deux amis, d’atteindre une force tragique à laquelle ses westerns ont souvent prétendu mais qu’ils n’avaient que rarement atteinte (une exception cependant: Le trésor du pendu).

Quelques moments plus platement conventionnels (le vol de bétail) que le reste n’altèrent pas la violente âpreté de ce qui demeure un des bons westerns américains des années 60. Ceux-ci sont assez rares pour être signalés.

La maison du Maltais (Pierre Chenal, 1938)

En Tunisie, un poète trempe dans des trafics louches pour les beaux yeux d’une prostituée…

Quoique pleinement ancré dans les conventions du mélodrame, La maison du Maltais est un très bon film. Sa facture, toute entière soumise à la logique du récit, est excellente. Les contrastes de Curt Courant dramatisent l’image. Alerte, la caméra de Pierre Chenal zèbre l’espace de la casbah reconstituée en studio et vivifie considérablement un scénario déjà riche en péripéties. Foisonnant sans être touffu, le film est d’une rapidité et d’une concision qui ridiculisent nombre de réalisateurs contemporains incapables de raconter une histoire consistante en moins de deux heures.

Ce rythme quasi-trépidant n’empêche pas les personnages d’exister à l’écran. Chenal est ici aidé par une galerie de seconds rôles comme on n’en voit que dans le cinéma français des années 30. Citons Louis Jouvet en détective dont la fourberie n’a d’égale que la faconde, Jany Holt pathétique conscience de l’héroïne et Aimos, comparse sévère mais profondément compatissant du héros.  Mais la plus mémorable de tous, c’est incontestablement Fréhel, la magnifique Fréhel. Il faut la voir, cette vieille logeuse aigrie et truculente, payer pour l’hospitalisation d’une pensionnaire qu’elle venait de mettre à la porte.

C’est ainsi une des qualités de cette Maison du Maltais que d’aller au-delà des archétypes initiaux pour caractériser ses protagonistes. Dans une logique toute dialectique, le héros rêveur et feignant se met à travailler lorsqu’il tombe amoureux. Il fallait un comédien de la trempe de Dalio -dont c’est le  premier « premier rôle »- pour incarner aussi bien un personnage aux facettes aussi multiples. Tantôt froid chef de bande, tantôt docker consciencieux, tantôt alcoolique mondain, toujours amoureux. Viviane Romance, elle, est superbe en prostituée prête à toutes les crédulités pour changer de vie.

Hercule à la conquête de l’Atlantide (Vittorio Cottafavi, 1961)

Par amitié, Hercule repart à la guerre dans une contrée loin de son foyer…

Ne vous fiez pas aux apparences! Élevé au dessus de sa condition de péplum débile grâce au génie de ses auteurs, Hercule à la conquête de l’Atlantide n’est ni plus ni moins qu’un chef d’œuvre du cinéma italien.

Dès le plan-séquence d’ouverture où la caméra suit une accorte serveuse entre les tables d’une taverne, le spectateur avisé sait qu’il a affaire à une oeuvre d’exception.
Ce film jouit d’abord de qualités techniques et stylistiques rarissimes dans la production de Cinecitta: les images en Cinémascope sont superbement colorées, le rythme est parfait, les péripéties sont nombreuses et variées sans être assommantes. Les intelligentes bifurcations du scénario d’Alessandro Continenza et Duccio Tessari aussi bien que l’inventivité de la mise en scène de Vittorio Cottafavi (dont l’appréhension de l’action est ici digne de John McTiernan) empêchent la routine de s’installer.
L’interprétation est impeccable: pas plus inexpressif qu’Arnold Schwarzenegger, Reg Park est un parfait Hercule grâce à des biceps qui en imposent. Fay Spain qui joue la reine Antinea est affriolante et ses yeux sont pleins de perversité.
Les plages méditerranéennes sont aussi fascinantes que les rochers de Capri dans Le mépris et sont un décor plus « réaliste » que la fausse Egypte des Légions de Cléopâtre.

D’une facture parfaite, Hercule à la conquête de l’Atlantide est un grand film parce qu’il est irrigué de la substance tragique de la mythologie gréco-romaine. Il est donc ce que devrait être tout bon péplum. A l’exception du rôle très secondaire du nain, il est dénué des facilités prisées par les habituels faiseurs du genre. Comme d’habitude chez Cottafavi, netteté de regard et respect de chaque personnage guident la mise en scène. Antinea n’est pas une méchante de pacotille mais une femme obsédée par la vieillesse et donc jalouse de la jeunesse. Toute femme séduisante a connu ou connaîtra ces tourments. Le génie des antiques n’a jamais été que de sublimer ceux-ci avec une histoire de sacrifice filial. Le talent de Cottafavi et de ses scénaristes est de ne pas simplifier ce puissant ressort dramatique en y plaquant des considérations morales qui seraient hors de propos. Ils misent sur l’intelligence du spectateur pour juger et n’éludent pas ce qui pourrait racheter le personnage d’Antinea à ses yeux: ils montrent son amour sincère pour Hercule, un amour qui la perdra.
Paradoxes, dialectique et complexité sont le sel des bonnes histoires, n’est-ce pas?

Cette absence de vouloir-dire, cette rigueur de la mise en scène n’empêchent pas les projections contemporaines. A vrai dire, la pureté du style les facilite puisque le cinéaste n’interfère pas entre le spectateur et son sujet. Il se contente de présenter celui-ci sous une forme claire et plaisante, but ultime de tout réalisateur digne de ce nom. Ainsi, on peut songer au nazisme devant ces Atlantes païens obsédés par la jeunesse éternelle et la domination de l’Univers quitte à éliminer les plus faibles d’entre eux. Face à eux, Hercule qui en appelle à la compassion et à la pitié fait figure de héros foncièrement humaniste voire catholique. De fait, ce ne serait pas extrapoler que de voir en Hercule à la conquête de l’Atlantide un grand film chrétien.

La mission du capitaine Benson (7th Cavalry, Joseph H.Lewis, 1956)

Après le fiasco de Little Big Horn, un capitaine qui s’était absenté lors de la bataille se charge d’aller récupérer les corps de ses camarades, quitte à braver les Sioux…

Série B ne payant pas de mine, 7th cavalery s’avère un très bon western. Son argument dramatique est complexe et original puisque l’enjeu de l’action concerne les morts et leur mémoire. Cette expédition en territoire ennemi pour ramener des cadavres peut légitimement paraître absurde et c’est ce qui fait toute la richesse du film. Les opposants du capitaine Benson ne sont pas ridicules ou caricaturaux puisque leurs motivations sont très solides. Benson peut même apparaître névrotique car son zèle d’origine douteuse (ne s’eusse t-il pas comporté en lâche au moment de la bataille?) met en péril la vie de ses troupes. Dans la scène de l’audition, il est même présenté comme antipathique, interrompant sans cesse ses camarades officiers.

Il n’y a qu’un affrontement mais sa violence est remarquable. Il y a peu d’action mais le scénario est suffisamment bien écrit, les acteurs suffisamment bons et la mise en scène suffisamment solide pour maintenir l’attention. On appréciera encore une fois la concision du style de Joseph H. Lewis qui est peut-être (avec Boetticher?) le réalisateur hollywoodien qui avait besoin du plus petit nombre de plans pour découper une séquence. Seul défaut notable de ce 7th cavalry: le deus ex machina final qu’on voit arriver à trois kilomètres et qui ramène le film vers des conventions desquelles il était jusqu’ici assez éloigné.

Gueule d’amour (Jean Grémillon, 1937)

Un spahi surnommé « Gueule d’amour » en raison de son succès auprès de ces dames s’éprend follement d’une riche femme…

A partir d’un canevas typique du cinéma français d’avant-guerre mêlant spahi, meilleur ami et riche garce, Charles Spaak et Jean Grémillon ont conçu et réalisé un des plus beaux films d’amour de l’histoire du septième art. Rigueur de l’écriture, sens de la mesure du metteur en scène et respect profond envers chacun des personnages sont peut-être les secrets de cette magnifique réussite.

Le film ne dévie quasiment jamais du point de vue du personnage de Jean Gabin. Cela permet à la conduite de la femme interprétée par Mireille Balin de garder une mystérieuse ambivalence qui fait d’elle un des personnages féminins les plus complexes, les plus vrais et les plus beaux jamais écrits. Sa vénalité n’empêche pas son amour et c’est beau, c’est profond, c’est juste. Les auteurs ont l’intelligence de ne pas résoudre artificiellement son dilemme et ils la laissent à ses contradictions sublimement féminines. De ce point de vue, Gueule d’amour est un film éminemment « moderne ».

J’en veux pour preuve le découpage de la séquence pivot au cours de laquelle Gabin se fait mettre à la porte par sa maîtresse. Cette séquence est à la base subtilement scénarisée mais, de surcroît, l’insertion de gros plans sur le visage de Mireille Balin enrichit son sens d’une infinie nuance. Tout le film est réalisé avec cette exceptionnelle finesse et aucune scène n’est réductible à une lecture unilatérale.

Les deux stars de Pépé le moko, pour qui Gueule d’amour n’aurait pu être qu’un véhicule, se révèlent d’immenses comédiens dont l’interprétation étonnamment sobre contribue grandement à la vérité humaine du film. La neutralité et la beauté du visage de Mireille Balin (ces sourcils!) incarnent véritablement le  mystère de son personnage. Le jeu de Gabin, plus expressif puisque son personnage est dévoré par la passion, épate lui aussi par son absence d’artifice de connivence. L’abattement profond du héros lorsqu’il se fait rejeter par sa maîtresse et le profond malaise alors suscité ne connaissent aucun équivalent dans le cinéma français de l’époque ni, réflexion faite, dans le cinéma tout court. Et que dire du bouleversant dénouement où notre homme laisse exploser sa tristesse! En libérant enfin l’émotion contenue tout au long de l’oeuvre, Jean Grémillon concrétise la substance mélodramatique du récit et achève par là même ce qui est peut-être le film le plus romantique jamais tourné.

Moon over Harlem (Edgar G. Ulmer, 1939)

Une jeune fille est amoureuse d’un jeune homme honni par sa mère qui est sous la coupe d’un mauvais garçon.

Aux Etats-Unis dans les années 30, certains studios de troisième zone produisaient des films destinés à des marchés « ethniques ». On faisait des films avec des Noirs pour les Noirs, des films en yiddish pour les Juifs…Au cours de son long purgatoire, Edgar G.Ulmer a tourné plusieurs de ces oeuvrettes qui étaient réalisées dans des conditions misérables. Le film qui nous intéresse aujourd’hui est un film de blaxploitation mis en boîte 30 ans avant la blaxploitation.

Bouclé en quatre jours avec des bouts de super 8 en guise de pellicule qui font qu’aucun plan ne dure jamais plus de cinq secondes, il est d’une effarante pauvreté technique mais il a un intérêt historique évident en cela qu’il est un témoin cinématographique de la culture afro-américaine des années 30. On y voit d’ailleurs Sidney Bechet. Dépeignant des passions dont l’intensité est plus exacerbée que chez les Blancs, le film est plus cru et plus réaliste que ses homologues hollywoodiens (dans les scènes de bagarre notamment). Moon over Harlem est une sorte d’équivalent cinématographique (très) low-fi aux chansons de R&B des années 50.

En cas de malheur (Claude Autant-Lara, 1957)

Un riche et mûr avocat marié s’amourache d’une jeune voleuse qu’il a défendu.

En cas de malheur est un drame tiré de Simenon assez nuancé et rigoureux dans son écriture pour susciter l’intérêt tout au long de sa projection mais il souffre d’un problème majeur:  la mise systématiquement impeccable de Jean Gabin (raie, cravate) y compris après une nuit d’amour fait qu’on ne croit guère à la passion censée animer son personnage.  On croit à Gabin paternaliste mais on ne croit pas à Gabin amoureux. Quelque chose cloche dans le film de ce côté-là. Est-ce dû à l’autorité de la star, notoirement pudique, refusant d’être décoiffée? Je ne pense pas. Après tout, Jacques Becker avait réussi à le montrer en pyjama quatre ans auparavant dans Touchez pas au grisbi, lui offrant par là même un de ses plus beaux rôles, un rôle chargé d’humanité.

C’est plutôt dû à un certain académisme du traitement, à l’absence d’une compréhension profonde du sujet par le metteur en scène qui encore une fois se plait à choquer le bourgeois au mépris de ses personnages (voir le plan dégueulasse sur le visage ensanglanté de Bardot). L’essentiel de ce film d’amour se déroule via des dialogues, certes impeccablement filmés, dans des appartements. Ces dialogues, signés Bost et Aurenche, tombent parfois dans le mot d’auteur, remettant en cause la vraisemblance de la situation. Brigitte Bardot est, elle, parfaite. Sa fausseté est celle de son personnage mais ne dissimule pas sa vulnérabilité.

Strange illusion (Edgar G. Ulmer, 1945)

Un jeune homme rêve que le prétendant de sa mère est l’assassin de son père, un juge.

Une histoire à dormir debout qui aurait peut-être pu donner lieu à un chouette thriller de série B si au bout d’une demi-heure, la narration n’avait pas bêtement dévié du point de vue du jeune héros vers celui du méchant, levant de ce fait tout mystère, toute ambigüité.

Vaudeville (Jean Marboeuf, 1985)

Un quadragénaire marié depuis vingt ans envie son meilleur ami cavaleur…

Noir et blanc esthétisant, personnages qui théorisent leurs sentiments mais qui ne vivent jamais, musique d’ascenseur… Vaudeville s’annonçait vu sa distribution (Guy Marchand, Jean-Marc Thibault, Roland Giraud…) et son sujet comme une agréable comédie de moeurs mais c’est en fait une prétentieuse et fort sinistre dissertation filmée.

Drôle de frimousse (Stanley Donen, 1956)

Un photographe de mode emmène une jeune libraire de Greenwich Village à Paris dans l’espoir de la faire poser.

Drôle de frimousse dispose des vertus propres aux meilleures comédies musicales. C’est à dire que c’est un film dont les nombreuses expérimentations démultiplient le pouvoir enchanteur. Voici deux exemples de l’inventivité sans commune mesure de Stanley Donen:

-d’abord, le numéro formidablement entraînant « Bonjour Paris » dans lequel le cinéaste réinvente tranquillement le split-screen quinze ans avant Richard Fleisher.

-Ensuite, la danse d’Audrey Hepburn dans une cave de Saint-Germain des Prés où la star plus féline que jamais se meut sur de la musique contemporaine. De la musique contemporaine dans un musical hollywoodien! Il fallait le faire, et la suprême élégance des auteurs est que leur originalité ne rompt nullement la continuité du film. Admirable art d’usine où les egos ne comptent pour rien et où une idée n’a d’intérêt que si elle sert le spectacle!

Et quel spectacle que Drôle de frimousse! Drôle, entraînant, infiniment charmant. Une vraie bulle de champagne. La stylisation de la mise en scène ne concerne pas que les numéros musicaux mais permet de retranscrire un lieu, une atmosphère, un état d’esprit en un minimum de temps. Voyez l’ouverture dans le bureau de la directrice où l’organisation des décors, des couleurs et du mouvement des actrices permet à Donen de croquer le cynisme débile de la presse féminine. Plus tard dans le film, la fumisterie des existentialistes sera moquée avec le même génie de la mise en scène.

Il faut louer le travail du directeur de la photographie Ray June qui, en plus de nous concocter des images chatoyantes, s’est lui aussi permis d’expérimenter intelligemment: ainsi du flou des plans près de l’église qui restitue admirablement la lumière de certaines campagnes lorsqu’elles sont écrasées par le soleil. Il faut bien sûr rappeler combien la musique, en grande partie composée par George et Ira Gershwin, est réussie.

Et évidemment, il y a les deux stars. En 1956, Fred Astaire est encore un immense danseur et Audrey Hepburn est déjà la plus gracieuse des femmes. Elle est l’actrice idéale pour faire discrètement affleurer la mélancolie le temps d’un plan sur son ravissant visage et le couple qu’elle forme avec l’ancien partenaire de Ginger Rogers est à la hauteur de ses promesses (au contraire de celui qu’elle formera avec Cary Grant dans le décevant Charade).