Un spahi surnommé « Gueule d’amour » en raison de son succès auprès de ces dames s’éprend follement d’une riche femme…
A partir d’un canevas typique du cinéma français d’avant-guerre mêlant spahi, meilleur ami et riche garce, Charles Spaak et Jean Grémillon ont conçu et réalisé un des plus beaux films d’amour de l’histoire du septième art. Rigueur de l’écriture, sens de la mesure du metteur en scène et respect profond envers chacun des personnages sont peut-être les secrets de cette magnifique réussite.
Le film ne dévie quasiment jamais du point de vue du personnage de Jean Gabin. Cela permet à la conduite de la femme interprétée par Mireille Balin de garder une mystérieuse ambivalence qui fait d’elle un des personnages féminins les plus complexes, les plus vrais et les plus beaux jamais écrits. Sa vénalité n’empêche pas son amour et c’est beau, c’est profond, c’est juste. Les auteurs ont l’intelligence de ne pas résoudre artificiellement son dilemme et ils la laissent à ses contradictions sublimement féminines. De ce point de vue, Gueule d’amour est un film éminemment « moderne ».
J’en veux pour preuve le découpage de la séquence pivot au cours de laquelle Gabin se fait mettre à la porte par sa maîtresse. Cette séquence est à la base subtilement scénarisée mais, de surcroît, l’insertion de gros plans sur le visage de Mireille Balin enrichit son sens d’une infinie nuance. Tout le film est réalisé avec cette exceptionnelle finesse et aucune scène n’est réductible à une lecture unilatérale.
Les deux stars de Pépé le moko, pour qui Gueule d’amour n’aurait pu être qu’un véhicule, se révèlent d’immenses comédiens dont l’interprétation étonnamment sobre contribue grandement à la vérité humaine du film. La neutralité et la beauté du visage de Mireille Balin (ces sourcils!) incarnent véritablement le mystère de son personnage. Le jeu de Gabin, plus expressif puisque son personnage est dévoré par la passion, épate lui aussi par son absence d’artifice de connivence. L’abattement profond du héros lorsqu’il se fait rejeter par sa maîtresse et le profond malaise alors suscité ne connaissent aucun équivalent dans le cinéma français de l’époque ni, réflexion faite, dans le cinéma tout court. Et que dire du bouleversant dénouement où notre homme laisse exploser sa tristesse! En libérant enfin l’émotion contenue tout au long de l’oeuvre, Jean Grémillon concrétise la substance mélodramatique du récit et achève par là même ce qui est peut-être le film le plus romantique jamais tourné.