Le suspect (Robert Siodmak, 1944)

Dans le Londres du début du XXème siècle, un homme marié à une mégère s’entiche d’une jeune femme adorable. Bientôt, la mégère est assassinée…

Le suspect est un exercice de style dont les coutures sont parfois apparentes (l’inspecteur dont l’acharnement est inexpliqué, les modifications de l’opinion publique suivant les nécessités de l’intrigue au détriment de la vraisemblance) dans la lignée de certains films de Hitchcock. Pour vous donner une idée du genre de film dont il est question, sachez que l’un de ses moments forts est un apéritif avec un cadavre planqué sous le canapé. La mécanique, au fond très théâtrale, est brillamment agencée mais le tout est véritablement transcendé par un dénouement magnifique qui voit se révéler le méchant le plus gentil de l’histoire du cinéma. Ce flou moral donne une passionnante profondeur à l’exercice de style d’autant que les acteurs ont la présence nécessaire pour incarner leurs rôles stéréotypés. Ella Raines est très belle tandis que les manières de Charles Laughton font merveille. Au final, Le suspect peut être considéré comme un des meilleurs films de Robert Siodmak.

Le lutteur et le clown (Konstantin Youdine et Boris Barnet, 1957)

Les tribulations d’un lutteur et d’un clown qui veulent faire carrière au cirque…

Le récit décousu enchaîne mal des situations parfois grossièrement mélodramatiques. Les personnages sont schématiques. Il y a de belles couleurs et de superbes images de la campagne mais beaucoup de plans de la piste de cirque sont redondants et il est finalement dommage que le talent plastique de Boris Barnet, toujours éclatant, n’ait pas une matière plus variée pour s’exprimer.

Une seconde jeunesse (High time, Blake Edwards, 1960)

Un Américain quinquagénaire décide d’aller à l’université pour obtenir un diplôme.

L’argument promettait une comédie sympathique mais le traitement est trop pusillanime pour susciter le moindre enthousiasme. Faute d’une caractérisation des personnages digne de ce nom, le sujet de la nostalgie de la jeunesse n’est pas traité et, d’un puritanisme typiquement américain, le scénario élude ce qui aurait pu être piquant dans la situation de ce quinqua plongé au milieu des étudiants et surtout des étudiantes. Les gags sont nombreux mais faibles. Les fondus entre les séquences sont originaux et c’est à noter. High time n’est rien de plus qu’un inconséquent véhicule pour Bing Crosby alors vieillissant mais toujours aimable.

La mariage de Chiffon (Claude Autant-Lara, 1942)

Au début du XXème siècle, une jeune fille de bonne famille est courtisée par un vieux colonel des dragons tandis que des sentiments nouveaux s’éveillent en elle à l’égard de son oncle inventeur.

Adapté d’un roman de Gyp, Le mariage de Chiffon est un film moderne réalisé à partir d’éléments désuets. Les personnages sont peints par petites touches et la narration est quasi-impressionniste dans sa première partie.  Claude Autant-Lara et Jean Aurenche, dont c’est la deuxième collaboration, ont une légère et saine distance par rapport à leur sujet. D’où une tonalité tendrement ironique qui n’a rien à voir avec l’aigreur dont ils feront preuve dans leurs films d’après-guerre. Pas encore académique, le style du réalisateur est ici superbement classique. La perfection des décors, des costumes et de la photo n’empêche le rythme d’être enlevé ni n’étouffe le dynamisme et l’inventivité de la mise en  scène qui abonde en détails concrets et réalistes (l’ouverture de la portière d’une voiture de la Belle-Epoque!).

Odette Joyeux quoique douze ans trop vieille pour le rôle ne manque pas de fraîcheur. Les seconds rôles hauts en couleur sont délectables. Citons  Robert Le Vigan en huissier pris de remords et Larquey en majordome bienveillant. La consistance de leur caractérisation prolonge parfois l’intrigue de ramifications nouvelles. L’histoire traite, mine de rien, des débuts de l’aviation tout autant que de la transformation d’une jeune fille en femme. Le tout aboutit à une gentille célébration des élans anticonformistes. Ce qui, outre le dynamisme de la mise en scène, distingue Le mariage de Chiffon des films d’Autant-Lara des années 50 fustigés par Truffaut est l’amabilité de l’ensemble des personnages (à l’exception certes de la mère crispée sur sa position sociale). Même le désir du colonel pour une femme qui pourrait être sa fille n’est pas montré comme sordide. Tout est léger, élégant, guilleret (et sauvé de l’inconséquence par la parfaite rigueur de l’écriture).

Le talent classique qui éclate dans cette brillante fantaisie annonce le chef d’oeuvre dramatique Douce que le cinéaste réalisera un an plus tard avec la même actrice: Odette Joyeux.

Le jour des rois (Marie-Claude Treilhou, 1990)

La journée de trois soeurs retraitées qui se retrouvent pour partager une galette des rois avant d’aller voir un spectacle dans lequel joue leur quatrième soeur.

Le jour des rois est d’abord une merveille d’écriture en ce sens que des situations quotidiennes révèlent la nature profonde des personnages avec humour et tendresse. Je pense à ce  déjeuner au restaurant chinois qui prend pour ces mamies des allures d’expédition au Tonkin, je pense à l’air d’opérette entonné en choeur dans le salon, je pense encore à cette  discussion sur l’Immaculée conception, une discussion dont l’origine est aussi dérisoire que les conséquences terribles. Le scénario est exempt de toute progression autre que le déroulement de la journée. Cette narration en apparence libre mais en réalité magistralement concoctée fait songer à Pagnol, au Ford de Dr Bull, au cinéma de Paul Newman. Les personnages sont le coeur d’une mise en scène simple et précise.

Cette mise en scène est foncièrement réaliste parce qu’elle investit des lieux inédits au cinéma quoique très présents dans notre société, tel une maison de retraite. Ce réalisme de l’environnement suffit à empêcher tout excès de théâtralité.
Evidemment, les acteurs et actrices sont formidables. Robert Lamoureux est étonnant de naturel et n’importe quel homme, quel que soit son âge, s’étant déjà retrouvé seul avec trois femmes durant toute une journée s’identifiera profondément à ce pauvre monsieur. Danielle Darrieux est toujours l’élégance incarnée même lorsqu’elle porte jupe droite et talons compensés, le cabotinage de Paulette Dubost est délicieux et Micheline Presle joue un étonnant double-rôle. Chacune de ces grandes dames du cinéma français est émouvante de vérité humaine.
Leurs personnages sont caractérisés avec une exceptionnelle finesse. La citadine un peu cultivée s’avère terriblement bornée, la bigote est une femme meurtrie, la gentille idiote a plus de bon sens que ses deux soeurs réunies. Et cette ambivalence n’a rien d’artificiel, tout cela est fluide, naturel et justifié par un scénario parfait. C’est la complexité de la vie admirablement synthétisée et révélée par Marie-Claude Treilhou.

Le jour des rois est une des meilleures comédies françaises contemporaines car le regard amusé (mais jamais méprisant) sur les petites vieilles fait que c’est un film d’une grande drôlerie. Le rapide et parfait oubli dans lequel il est tombé est donc d’autant plus scandaleux.
Cependant, derrière la légèreté de ton, la cinéaste aborde des thèmes très graves liés à la nature même de ses personnages: solitude, vieillesse, regrets d’une vie, présence des morts. Elle se montre alors d’un pessimisme discret mais implacable. Elle montre les mesquineries de chacune des deux soeurs, mesquineries qui sont d’ailleurs souvent source de comique. Imaginez vous un sujet de Bergman mis en scène par Pagnol…Il n’y a pas de facile réconciliation finale et la cohabitation entre un homme et une femme mariés depuis cinquante ans est souvent rude.
Marie-Claude Treilhou ne dit donc rien de révolutionnaire. Elle ne grossit pas le trait comme pouvaient le faire les Italiens des années 70. Tout est logique et naturel mais en mettant en scène une importante catégories de personnes absente des écrans de cinéma, elle rappelle de saines évidences à un public qui faisait alors la fête à Luc Besson et aux frères Coen.

Opération clandestine (The Carey treatment, Blake Edwards, 1972)

Un chirurgien récemment embauché dans un hôpital de Boston enquête sur le meurtre d’une jeune fille dont on accuse son collègue et ami.

Un film conventionnel et invraisemblable agréable à regarder si on est amateur du genre policier avec un héros qui enquête et qui met à jour des gros scandales dans une ville pourrie. L’air du temps, libertaire et progressiste, est bien saisi. L’écrasant charisme de James Coburn rehausse véritablement l’intérêt du film mais on ne voit pas assez la sublime et trop rare Jennifer O’Neill. Leur scènes ensemble sont les meilleures, elles donnent une épaisseur sentimentale aux clichés du film d’action. Il y a aussi quelques bonnes idées de mise en scène (l’affrontement elliptique entre le tueur et l’infirmière droguée). Bref, The Carey treatment est mineur mais vraiment plaisant.

Amok (Fedor Ozep, 1934)

En Malaisie, une bourgeoise va chercher un médecin qui officie dans la jungle pour se faire avorter.

La lente mobilité de la caméra nous faisant profondément pénétrer chaque espace (jungle, bouge ou jardin) ainsi que la lumière de Curt Courant rendent bien la moiteur tropicale et l’atmosphère de bout du monde dans lesquelles se déroulent cette histoire. Amok, qui est un film-culte pour certains cinéphiles aujourd’hui octogénaires, n’est donc pas exempt d’une certaine beauté désespérée. Malheureusement son scénario est trop théâtral et il est difficile de croire les comédiens qui déclament leurs tirades plus qu’ils ne vivent à l’écran. De plus, le grand Inkijinoff, inoubliable assassin fou d’amour dans La tête d’un homme, est ici réduit aux exotiques utilités. Bref, Amok est un beau film qui a mal vieilli car très inféodé aux poncifs de son époque.

The circle (Frank Borzage, 1925)

Peu de temps après son mariage une femme s’enfuit avec le témoin. Lors du mariage de son fils, plusieurs décennies après, elle revient…

Le canevas est vieillot et rigide, la morale est parfaitement machiste mais la sensibilité de Frank Borzage insuffle malgré tout un peu de délicatesse et d’imprévu. Tout à fait dispensable mais pas complètement inintéressant.

La grotte des rêves perdus (Werner Herzog, 2011)

Une visite guidée à l’intérieur de la grotte Chauvet en Ardèche, une des plus anciennes grottes préhistoriques du monde (30 000 av. J.C).

L’intérêt majeur de ce film est qu’il fait pénétrer le spectateur à l’intérieur d’un haut-lieu de l’histoire de l’humanité, un lieu dont l’accès est restreint aux scientifiques par souci de conservation des inestimables témoignages que sont les peintures rupestres, les fossiles ou encore les restes d’animaux préhistoriques. La meilleure idée du cinéaste, exceptionnellement autorisé à filmer pendant quelques jours, est d’avoir fait le choix de la 3D.

Ce qui est à la base un gadget destiné à engraisser la mafia des exploitants trouve ici une pertinence inédite puisque la 3D est évidemment le procédé idéal pour restituer les profondeurs d’une caverne. L’immersion est totale. C’est quasiment un voyage dans le temps. De plus, les explications des scientifiques en charge de la grotte sont claires. Elles montrent précisément en quoi le lieu a remis en question plusieurs hypothèses fondamentales sur les progrès de l’humanité. Bref, le film remplit sa noble mission pédagogique. Les quelques pistes lancées par l’auteur pour faire oeuvre de poète ne sont pas toujours convaincantes (le rapport entre le postscript sur les crocodiles albinos du Tricastin et le reste du film m’échappe toujours).

Top secret (The tamarind seed, Blake Edwards, 1974)

Pendant leurs vacances aux Caraïbes, un espion russe et une espionne anglaises tombent amoureux…

Avec The tamarind seed, Blake Edwards a réalisé un exercice de style hitchcockien qui, sans être une comédie, ne se dépare que le temps d’une scène d’action d’une vulgarité aux frontières du nanar de l’élégance légère caractéristique du réalisateur. La manipulation d’un espion converge avec celle d’un cinéaste et les divers double-jeux, simulations,  et camouflages d’intentions sont une profonde source de plaisir pour le spectateur. Ce petit jeu est bien mené par les auteurs. Si Omar Sharif est bon sans être éblouissant, l’interprétation de la très classe Julie Andrews donne une profonde densité à la mélancolie de son personnage. L’inattendue beauté de cette singulière héroïne est aussi celle du film.

Céline (Jean-Claude Brisseau, 1992)

Une infirmière recueille une jeune fille qui a tenté de se suicider. Des miracles s’ensuivront.

Céline n’est pas tant un film sur le mysticisme qu’un film sur la dépression et la consolation. En effet, le personnage principal est bel et bien l’infirmière, magnifique personnage de femme dévouée et meurtrie joué avec une désarmante simplicité par Lisa Hérédia. La mystérieuse Céline n’est finalement présente que pour l’aider à se reconstruire lors d’un moment décisif de sa vie. C’est le plus beau personnage de dépressive du cinéma français après Marie Rivière dans Le rayon vert. Comme Eric Rohmer, qui lança sa carrière cinématographique, Jean-Claude Brisseau est à l’opposé de tout modernisme psychanalytique. Le trouble du personnage est traité sur un mode que l’on pourrait qualifier de « murnalcien » (rappelant Murnau). Elle est en proie à des forces primitives symbolisées par l’ombre et la lumière.

C’est naïf mais c’est beau car Jean-Claude Brisseau a une foi dans ce qu’il raconte qui exempte son film de tout second degré malvenu en même temps que de toute lecture politique, sentimentale ou sociologisante. Il ose l’introduction du fantastique. Sa mise en scène est d’une pureté archaïque qui sait s’autoriser de belles envolées lyriques. Je pense notamment aux plans où l’infirmière soigne ses divers malades. Quelle idée remarquable que d’avoir associé la sublime musique composée par Georges Delerue pour la (passionnante) série Tours du monde, tours du ciel aux corps endoloris des vieillards de la campagne! Quel amour de l’auteur pour sa matière humaine! Un amour vrai, entier, exprimé sans fioriture démagogique ni sentimentale. Jamais le travail d’un médecin n’avait été aussi magnifié dans le cinéma français.

En définitive, Céline est un vrai beau film qui, après plusieurs films tirés de son expérience d’enseignant pouvant satisfaire (et leurrer) les sociologues à la petite semaine, affirmait plus que jamais la singularité de l’anachronique Jean-Claude Brisseau.

Iwo Jima (Allan Dwan, 1949)

De jeunes Marines sont formés puis envoyés au front.

Cette reconstitution d’Iwo Jima tournée seulement quatre ans après la victoire américaine avec John Wayne en vedette aurait pu n’être qu’un film de propagande martiale de plus. C’est en fait un des films les plus fins jamais tournés sur la guerre. Certes il y a des images d’archive mal intégrées à l’ensemble (procédé courant à l’époque). Certes les séquences de combat ne sont pas parmi les plus grandioses du genre. Certes il y a quelques conventions hollywoodiennes de mauvais goût tel le « I’ll get a good night sleep » proféré par un soldat touché entrain de s’écrouler. Il n’empêche: Iwo Jima est bouleversant d’intelligence et d’humanité. Il se focalise sur un groupe de jeunes recrues chapeauté par un sergent-instructeur à la limite de la méchanceté.

Les auteurs ont d’abord l’intelligence de déjouer les schémas dramatiques attendus. Ainsi, l’opposition entre la bleusaille humaniste et le sergent se solde par un match nul. Le sergent ne va pas subitement devenir gentil, la bleusaille ne va pas subitement devenir belliciste. Le film n’est l’étendard d’aucune idéologie, c’est simplement un terrible constat sur la désolation des hommes de guerre. Il y a une critique des valeurs martiales mais elle est d’une indicible subtilité car Allan Dwan aime profondément les soldats qu’il met en scène; Iwo Jima est d’ailleurs un film chéri par nombre de Marines (j’en connais). Bien que le film s’achève sur le planté de drapeau immortalisé par la célébrissime photo, la fin est très amère. D’une complexité hors de portée d’un Ken Loach, d’un Yves Boisset ou d’un Stanley Kubrick, elle montre en une minute que c’est la désolation qui fait les bons soldats.

John Wayne en alcoolique dont la dureté peine à cacher les fêlures intimes n’est rien moins que bouleversant. La séquence où il rencontre la prostituée qui s’avère maman suffit à rendre Iwo Jima mémorable. C’est un des moments les plus adultes, les plus touchants et les plus beaux de tout le cinéma américain classique. On le doit à la fragilité exprimée par le Duke mais aussi à la sublime délicatesse de la mise en scène d’Allan Dwan.

Ni va t-en guerre ni pacifiste, Iwo Jima est une merveille de cinéma simple, vrai et humaniste.

Fantomas (Jean Sacha, 1947)

La lutte entre Fantomas et la police à Paris.

Il faut de la fantaisie, de l’imagination, du style et/ou de l’humour pour rendre ces histoires ineptes de « génie du crime » un tant soit peu intéressantes. Tout cela fait cruellement défaut dans ce film terne réalisé par Jean Sacha. Cette version n’a d’autre intérêt que la prestation d’Alexandre Rignault en commissaire Juve. Quoique le film ne soit pas comique, son jeu est étonamment similaire à celui de Louis de Funès qui accèdera à la célébrité une quinzaine d’années plus tard en reprenant ce rôle. C’est à se demander si ce n’est pas conscient de la part des auteurs du remake.

L’extravagant Mr Cory (Blake Edwards, 1957)

Un homme issu d’un quartier pauvre de Chicago utilise sa chance au jeu et son baratin pour grimper l’échelle sociale.

A la fois romanesque et concis, Mr Cory est un récit d’ascension et de chute classique mais très bien mené. Le Cinémascope-couleurs de Russel Metty est joli (le début au bord d’un lac rappelle Le secret magnifique), les seconds rôles tel le maître d’hôtel ou le vieux mentor sont excellents parce que leur caractérisation est nuancée et Tony Curtis incarne superbement ce personnage de beau gosse qui se veut cynique mais qui est au fond trop naïf. Le film commence comme une comédie mais perd de sa drôlerie et gagne en amertume au fur et à mesure qu’il avance sans que la rupture de ton ne soit perceptible. Ce savant mélange des registres annonce les grandes oeuvres à venir de Blake Edwards.