Les complices de la dernière chance (The last run, Richard Fleischer, 1971)

Un gangster à la retraite refait un dernier coup: conduire un jeune truand qui vient de s’évader.

Un polar banal et superficiel sauvé par la présence de George C. Scott qui donne une épaisseur humaine à son personnage stéréotypé. La fin,  touchante dans sa cruauté, donne la mesure de ce que le film aurait pu être s’il avait mieux exploité la différence de génération entre ses protagonistes.  La musique de Jerry Goldsmith et le charme de la rare  Trish van Devere empêchent aussi l’ennui de s’installer trop durablement. Il n’empêche: l’année suivante, l’association entre Richard Fleischer et George C. Scott allait donner lieu à un polar d’une toute autre envergure:  Les flics ne dorment pas la nuit.

Né pour vaincre (Ivan Passer, 1971)

Un héroïnomane au plus bas de sa déchéance rencontre une fille paumée qui tombe amoureuse de lui.

Sorti la même année que le célèbre Panique à Needle Park, ce premier film américain d’Ivan Passer déjoue les attentes habituellement liées à ce type de sujet. Point de naturalisme glauque ici mais une discrète abstraction de l’environnement composé essentiellement de personnages dont la caractérisation est réduite à une fonction dramatique. Les évènements déchoyant le héros s’enchaînent avec la précision dérisoire et implacable d’une horlogerie. Le ton a lui aussi quelque d’unique: amoral, détaché, dédramatisé (il n’y a qu’une scène de manque et elle n’est pas surchargée d’effets) mais secrètement chargé de compassion.

Enfin, ce qui contribue à faire de Born to win un film à part, c’est que le précieux esprit de Frank Borzage s’y manifeste dix ans après la mort du maître. La simplicité nimbée d’humour avec laquelle est présentée cette rencontre entre deux marginaux, la femme plus forte et pourtant plus inquiète que son homme et sa foi quasi-absurde dans son amoureux qui ne cesse de replonger rattachent directement Born to win à Man’s castle. Karen Black est ici une actrice digne de Loretta Young. Son visage chargé de larmes s’éloignant dans la voiture de police n’est pas montré plus de trois secondes mais il n’est pas près de s’effacer de nos mémoires.

Le mont Fuji et la lance ensanglantée (Tomu Uchida, 1955)

Des samouraï accompagnent leur maître alcoolique à travers le Japon.

Cela aurait pu donner lieu à un aimable récit picaresque si les péripéties n’avaient été prétextes à discours humaniste gluant mollement mis en scène. Le mont Fuji et la lance ensanglantée vaut cependant d’être vu pour un excellent morceau de bravoure final où le film révèle à travers l’action, enfin, une profondeur dialectique insoupçonnée.

Stolen holiday (Michael Curtiz, 1937)

Une mannequin est utilisée par un escroc mondain pour gravir l’échelle sociale.

Le carton d’introduction « Toute ressemblance avec des faits réels ne serait que pure coïncidence » ne trompe personne. C’est bien l’affaire Stavisky qui a inspiré la réalisation de ce drame mondain. L’escroc est présenté avec une distance juste et inhabituelle dans un film hollywoodien. Les auteurs ne cherchent pas plus à le rendre sympathique qu’à le rendre antipathique. C’est ce qui rend le dilemme de sa femme (rester ou ne pas rester avec cet homme) crédible et intéressant. Il est simplement dommage que les scénaristes aient cru bons d’adjoindre à ce drame une romance de pacotille entre la femme et un gentil diplomate anglais d’autant que les dialogues sont brillants et la mise en scène vive et dynamisée par les rapides mouvements d’appareil de Michael Curtiz. Stolen holiday a ainsi le mérite de ne pas durer plus de 80 minutes.

Le dernier face-à-face (Sergio Sollima, 1967)

Un professeur rejoint une bande de hors-la-loi.

Sollima se sert du cadre westernien pour raconter une fable politique dont l’artifice de la construction est mis en évidence par des ressorts très grossiers. Impossible de prendre au sérieux un revirement aussi brutal que celui de ce professeur humaniste jusqu’à la caricature se mettant à tirer à bout portant dans la gorge des prisonniers. La désinvolture de la mise en scène (que de zooms!) n’aide pas non plus à l’implication dans le drame.

Evariste Galois (Alexandre Astruc, 1965)

Les dernières heures du génial mathématicien mort en duel à l’âge de 21 ans.

C’est un court-métrage de 25 minutes. Rarement les maths ont été intégrées à un film avec un tel respect de la discipline. Une poignée de dialogues ne seront intelligibles qu’aux anciens élèves de maths-spé ayant bonne mémoire. Mais cela n’empêchera pas le vulgum pecus de comprendre dans quelle mesure les théories de Galois ont été méprisées par l’académie de son temps. Astruc oppose le génie fulgurant de Galois à l’esprit étriqué des polytechniciens. Cette opposition est présentée sans manichéisme outrancier, l’opposant à Galois ne faisant jamais qu’exiger une démonstration compréhensible de ses théories, soit le minimum syndical en mathématiques. Galois est présenté comme la figure romantique qu’il était: fier, intransigeant et révolutionnaire. Il passa la nuit à expliquer sur papier ses idées et son duel au petit matin lui fut fatal. Agrémentée par une superbe musique d’Antoine Duhamel, la mise en scène est d’une majestueuse austérité. Esthétiquement, cela annonce Chronique d’Anna Magdalena Bach de Straub et Huillet. Un très beau film en définitive.

Le destin de madame Yuki (Kenji Mizoguchi, 1950)

Les tourments de la noble épouse d’un débauché qui, pour subsister, a ouvert une auberge.

A le voir enfin, on comprend mieux le peu de notoriété dont jouit ce film de Mizoguchi alors sur le point de livrer une exceptionnelle série de chefs d’oeuvre. Dans cette adaptation d’un roman de Seiichi Funabashi, la rigueur propre au cinéaste fait cruellement défaut. Entre autres qualités, la force des grands films de Mizoguchi venait du fait que les drames ne se laissaient pas réduire à un banal conflit entre méchants et gentils. La rigueur de la mise en scène mettait en exergue le poids d’un environnement donné et transcendait l’intrigue mélo par une sorte de tragique social. Rien de tout cela ici. La différence de milieu entre les époux n’est guère exploitée. De même, le fait que le film soit raconté par la servante est purement anecdotique et ne produit rien au niveau du récit. Une certaine pusillanimité a aussi empêché les auteurs d’aller plus avant dans l’ambiguïté du comportement de madame Yuki, qui, en dépit du mal qu’il lui fait, reste très attirée par son époux.

L’aspect sexuel, qui aurait introduit un peu de dialectique dans la narration, est vite éludé au profit d’une opposition manichéenne et terne  entre la pauvre victime et son méchant mari, mari sous l’emprise d’une maîtresse encore plus méchante et atrocement caricaturale. Le récit est donc une accumulation de clichés mélodramatiques d’une désolante platitude. Il n’y a guère qu’à la fin que certains caractères prennent un peu de relief, notamment lorsque l’inquiétude du mari montre un peu d’amour de sa part. La fin est d’ailleurs ce qu’on retiendra du Destin de madame Yuki. Devant cette poésie brumeuse, devant cette noble résignation regardée avec pudeur, devant cette scène qui préfigure L’intendant Sansho, on retrouve enfin un peu du Mizoguchi qu’on aime.

Vacances à Paris (The perfect furlough, Blake Edwards, 1958)

Pour calmer des soldats envoyés dans une base du grand Nord pendant un an, l’état-major offre trois semaines de vacances à Paris avec une vedette argentine à l’un d’entre eux.

Peu nous importe les invraisemblances de l’intrigue tant celle-ci est dynamisée par l’entrain de Tony Curtis et la verve d’un Blake Edwards au sommet de son inspiration comique. Du champagne.

Okraina (Boris Barnet, 1933)

Pendant la première guerre mondiale, la vie d’un village russe qui accueille des prisonniers allemands.

Okraina est peut-être le meilleur film de Boris Barnet. C’est en tout cas celui qui justifie le mieux sa réputation, pour le moins exagérée, de très grand cinéaste soviétique. Traiter un sujet avec un arrière-fond politique et historique aussi riche que celui d’Okraina permet à Barnet d’éviter l’écueil d’Au bord de la mer bleue ou La jeune fille au carton à chapeau: à savoir une mise en scène sombrant dans l’insignifiance à cause de la parfaite inconsistance du scénario. D’un autre côté, c’est son tempérament naturellement léger qui lui permet ici de ne pas tomber dans le piège numéro 1 d’une production telle que celle-ci: à savoir l’académisme plombant. Son art de la rupture de ton et son souverain détachement lui ont permis de tisser un récit unanimiste qui a merveilleusement su tirer parti d’une contrainte majeure de la propagande soviétique: pas de personnage principal.

Okraina est une charmante chronique où l’on passe sans heurt de la proverbiale horreur des tranchées au doux lyrisme d’une idylle entre une jeune fille et un prisonnier. Il y a aussi une scène de fraternisation dans le no man’s land qui dans sa simplicité directe s’avère plus juste donc plus émouvante que tous les effets de manche pyrotechniques déployés par Spielberg dans son dernier film, Cheval de guerre. Sa focalisation sur les sentiments individuels permet à Barnet de tourner des séquences parmi les plus touchantes jamais tournées sur son vaste sujet. Voir par exemple le comportement du patron lorsque son employé allemand se fait lyncher. C’est un comportement dont l’évolution complexe est rendue sensible par l’attention du metteur en scène à des détails signifiants. Il fallait aussi beaucoup d’audace à Barnet pour tempérer comme il l’a fait l’euphorie collective de la fin par le drame intime d’une jeune fille séparée de son amoureux qui, toute à son chagrin, n’a visiblement rien à secouer de la glorieuse révolution bolchevik.

Enfin, si, comme en témoigne une lenteur théâtrale occasionnelle, le cinéma parlant n’est pas encore complètement maîtrisé par Barnet, la bande-sonore est truffée d’inventions.

En définitive, Okraina est un très beau film que son auteur a chargé d’un humanisme d’autant plus émouvant qu’il est discret.

Le shérif (The proud ones, Robert D. Webb, 1956)

Pour lutter contre un caïd, un shérif vieillissant embauche comme adjoint le fils d’un truand qu’il a tué…

Rarement western aura fusionné l’intimisme et le politique avec autant d’évidence. La chronique des derniers jours du mandat d’un shérif dans une ville en pleine expansion économique permet aux auteurs d’aborder plusieurs thèmes, certains typiques du western (la relation entre l’homme de loi expérimenté et le jeune chien fou, l’établissement du law and order…), d’autres plus inhabituels (le vieillissement qui rend inapte au métier). Le traitement est simple et précis, le rythme est ample et fluide, le regard est droit et toujours à hauteur d’homme. Clairement, on songe à Hawks d’autant que Walter Brennan campe ici rigoureusement le même personnage que dans Rio Bravo, qui sortira deux ans plus tard.

Le film est plein de détails qui donnent de l’épaisseur aux personnage et enrichissent l’intrigue. Ainsi d’un adjoint démissionnant sans que l’on ne sache vraiment si c’est par lâcheté ou parce que sa femme est sur le point d’accoucher.  La plus belle de ces idées est sans doute d’avoir rendu le shérif sujet à des crises de cécité partielle après qu’il a été agressé. Ces crises obligent parfois le héros à fuir devant l’ennemi et donc l’humanisent considérablement. Plus subtilement, on retrouve ce poids d’humanité du héros dans son acharnement quasi-obsessionnel. En témoigne la scène où il explose de colère face à un conseil municipal qui s’accommode fort bien des nouveaux tripots, très bons pour les affaires. Le jeu extraordinaire du grand Robert Ryan (c’est peut-être son plus beau rôle au cinéma) dit ici toute la rigueur puritaine qui motive son personnage, parfois à l’encontre des gens qui l’ont élu.

D’une façon générale, la compromission morale de la communauté est très bien montrée: précisément et graduellement. Il n’y a pas de simplification abusive et démagogique au service d’un quelconque message politique ou ressortant d’une convention mal digérée mais la présentation claire, rigoureuse et intelligemment dramatisée de chacun des tenants et aboutissements d’une situation donnée. Bref: un précis de mise en scène.

En somme, Le shérif est un des meilleurs westerns urbains qui soient.

Sur le territoire des Comanches (George Sherman, 1950)

Jim Bowie fait en sorte que les colons frontaliers respectent le traité de paix avec les Comanches, dont le territoire contient des mines d’argent.

Il ne faut pas se fier aux apparences: même si les Indiens ont un beau rôle et que les méchants sont blancs, le fait est que ce film prône l’exploitation des ressources en territoire indien par les Blancs. Pourvu que cette exploitation se fasse dans les termes fixés par le gouvernement américain. Cette petite hypocrisie n’est pas très grave en soi mais révélatrice de l’audace des auteurs: très limitée. De Comanche Territory, il ne faut pas attendre plus que ce qu’avaient à offrir des oeuvrettes de série B comme chaque studio en réalisait des dizaines chaque année. Sa petite originalité est qu’il commence comme une screwball comedy avec Maureen O’Hara qui en fait des tonnes en irascible pionnière. Il s’achève cependant de la façon la plus conventionnelle qui soit. Le rythme soutenu de la narration et la vision, toujours plaisante, de Monument Valley en Technicolor empêchent le spectateur de s’endormir devant ce western routinier au possible.

Upstream (John Ford, 1927)

Dans une pension d’artistes, un acteur minable mais descendant d’une illustre lignée de comédiens est appelé pour jouer Hamlet à Londres.

Exhumé en 2009 de la cave d’un collectionneur hollandais, Upstream est un film de John Ford qui a longtemps été considéré comme perdu. C’est une comédie courte, fraîche et vivante qui n’a a priori que peu à voir avec l’univers du cinéaste. Pourtant, lorsqu’on y regarde de plus près, on se rend compte que le héros, triomphant mais finalement rejeté par sa communauté, s’inscrit dans une longue lignée de solitaires fordiens qui va du Cheyenne Harry de Straight shooting au Dr Nancy Cartwright en passant évidemment par  Ethan Edwards. Ce personnage hâbleur et peu sympathique mais sincèrement malheureux en amour est d’ailleurs ce qu’il y a de plus complexe, de plus vrai et donc de plus beau dans Upstream. Raymond Hitchcock, physiquement très ressemblant à Arthur Shields, dans le rôle du grand comédien à la retraite est pas mal aussi. Bon film en définitive.

La Reine des rebelles (Belle Starr, Irving Cummings, 1941)

L’histoire d’une femme qui devint hors-la-loi pour défendre la cause sudiste.

Belle Starr est un western de la Fox auquel Zanuck, qui voulait faire une star de Gene Tierney, alloua des moyens conséquents. Et c’est peu dire que la belle star, alors âgée de 21 ans, resplendit, sublimée qu’elle est par un flamboyant Technicolor. Dans sa première partie qui voit une fière propriétaire dépossédée par les Nordistes, le film s’inspire pas mal d’Autant en emporte le vent, succès alors encore assez récent. On retrouve ainsi une terrible scène d’incendie. D’une façon générale, la première partie est de haute tenue en cela qu’elle est dure, percutante et qu’elle évite le manichéisme dans un sens ou dans l’autre. Des deux prétendants de Belle Starr, on ne sait qui est le gentil et qui est le méchant, chacun ayant ses raisons. Il est dommage que dans la suite, les dilemmes cruciaux concernant l’activité hors-la-loi des guérilleros ne restent que superficiellement évoqués avant de se résoudre de la façon la plus conventionnelle et évasive qui soit. La façon dont sont montrés les Noirs -pire que dans Autant en emporte le vent- est aussi assez déplaisante. Belle Starr n’en reste pas moins un agréable western ne serait-ce que pour le plaisir de contempler Gene Tierney dans la fleur de l’âge.

Daïnah la métisse (Jean Grémillon, 1931)

Au cours d’une croisière, l’épouse métisse et aguicheuse d’un illusionniste noir disparaît…

D’abord, il faut savoir que Dainah la métisse fut charcuté au-delà du raisonnable par son distributeur et que le montage de 50 minutes, le seul visible aujourd’hui, a été renié par l’auteur. Ceci étant dit, le film se tient et l’histoire, superficielle et mystérieuse, reste intelligible. C’est un mélodrame policier à la trame très classique qui aurait été carrément banal s’il n’avait représenté des Noirs. Ce qui frappe aujourd’hui, c’est le regard que pose Grémillon sur ces personnages: un regard digne et droit, ni condescendant ni paternaliste. A ceux qui me rétorqueront qu’il n’y a là pas de quoi faire tout un foin, je leur rappellerai que ce film est sorti la même année que Tintin au Congo.

The love of three queens (Edgar G. Ulmer et Marc Allégret, 1953)

Trois histoires de reines malheureuses en amour vues par une troupe de théâtre.

Le côté théâtral n’est là que pour lier trois sketches et n’est pas du tout exploité. The love of three queens est une production Hedy Lamarr qui vise donc à mettre en valeur Hedy Lamarr à une époque où la carrière de la star, presque quadragénaire, était sur le déclin. Elle n’est plus aussi resplendissante qu’à l’époque du Démon de la chair mais le Technicolor a le mérite de mettre en valeur le bleu de ses yeux. Le premier sketch, sur une reine injustement répudiée, est le meilleur. Si sa fin est convenue, le début est d’une pureté mizoguchienne. Le deuxième sketch sur Joséphine avec Gérard Oury en Napoléon est ridicule (Allégret en est probablement responsable) et le dernier, qui condense la guerre de Troie en une demi-heure, est désolant de platitude.

Club Havana (Edgar G.Ulmer, 1945)

Une soirée au club Havana: des couples se font et se défont tandis qu’un meurtrier a été repéré dans la salle par un témoin du crime.

Imaginez un film choral façon Robert Altman (ou Yves Mirande) sans star, sans misanthropie, sans prétention, sans budget mais avec beaucoup de talent. En 61 minutes chrono, le cinéaste fait vivre une petite dizaine de personnages. Bien sûr, l’artifice du fabricant de spectacle qui prend soin de mêler humour, sentiments et intrigue policière est prégnant mais la mise en scène d’Ulmer lie tout ça avec une aisance et un naturel qui laissent pantois. Voir ses mouvements d’appareil qui n’ont rien à envier à ceux de Scorsese quand il filme le restaurant dans Les affranchis. De fait: Club Havana est un film tour à tour drôle, cruel et musical.