Maigret et l’affaire Saint-Fiacre (Jean Delannoy, 1959)

Maigret enquête sur le meurtre de l’ancienne patronne de son père.

Le style terne mais rigoureux et appliqué de Jean Delannoy allié à une histoire de Simenon aurait pu donner un bon petit polar solidement ancré dans le terroir bourbonnais. Las! Le ridicule caricatural des personnages autres que celui de Gabin, les dialogues d’Audiard truffés de bons mots artificiels, le propos vaguement anti-jeune et le rythme anémique de l’ensemble font de Maigret et l’affaire Saint-Fiacre un téléfilm pour papy vaguement somnolent.

Mauvaise graine (Billy Wilder et Alexandre Esway, 1934)

Un jeune homme de bonne famille a qui son père a confisqué son auto rejoint une bande de voleurs.

Ce premier film de Billy Wilder, produit en France, n’est pas son plus réussi. Le manque de maîtrise technique aussi bien que narrative porte préjudice au film. Les trois quarts du film sont muets et une médiocre musique signée Franz Waxman est censée insuffler un rythme aux images. A la longue, c’est assez agaçant. Le récit est très mince. Le tournage en décors naturels fait que ce film a été considéré par certains, son réalisateur et son actrice en premier lieu, comme précurseur de la Nouvelle Vague. Ils n’ont pas tout à fait tort même si Wilder a vécu cela plus comme une contrainte, due à un budget famélique, que comme une libération.

The 13th letter (Otto Preminger, 1951)

Remake hollywoodien du Corbeau de Clouzot se passant au Québec.

Ce film méconnu d’Otto Preminger n’est rien de plus que cette phrase qui le résume habituellement dans sa filmographie. C’est même un peu moins que ça puisque le nouvel ancrage québécois n’est quasiment pas exploité même si un carton d’introduction affirme fièrement que le tournage a eu lieu en décors naturels. The 13th letter reprend scolairement chacune des scènes emblématiques de l’original mais, dépourvu de son terreau social, dépourvu de la charge contre une certaine hypocrisie provinciale, dépourvu du cynisme bienveillant de ses auteurs, bref dépourvu de tout ce qui faisait son sel, le chef d’oeuvre de Chavance et Clouzot se trouve ici réduit à une mécanique de scénario parfaitement vaine. Il ne faut pas compter sur les acteurs pour rehausser la platitude du film: Michael Rennie n’a (évidemment) pas le charisme sardonique de Fresnay, Linda Darnell réduit l’inoubliable personnage de Suzy Delair à une conventionnelle amoureuse du héros et Charles Boyer a l’air de s’en foutre. Il n’y a guère que la grande Françoise Rosay qui, dans un rôle secondaire quoique décisif, tire son épingle du jeu.

L’emprise du crime (The strange love of Martha Ivers, Lewis Milestone, 1946)

Le couple qui règne sur une petite ville de Pennsylvanie voit resurgir un ami d’enfance.

Cet archétype du film noir est une tragédie socio-criminelle aussi virulente dans sa critique de la bourgeoisie américaine que le seront ultérieurement les mélodrames de Douglas Sirk. Le déroulement du film est assez théâtral mais implacable. Aussi paroxystiques soient les rebondissements du script, ce dernier révèle précisément la nature et le destin des personnages. Au demeurant, ces personnages sont joués par un excellent quatuor d’acteurs: Barbara Stanwyck, Lizabeth Scott, Van Heflin et Kirk Douglas, dans son premier rôle au cinéma. Il y a cependant une faille dans cette rigoureuse progression dramatique: une fois que sa copine est libérée, pourquoi le héros reste t-il en rapport avec le couple de vilains puisqu’il n’a ni motivation pécuniaire ni désir pour la femme? Ce flottement du scénario altère l’inexorabilité de la tragédie. Heureusement, la fin grandiose rattrape le tout.

Une aussi longue absence (Henri Colpi, 1961)

Une femme retrouve un homme qui avait été envoyé dans les camps.

Artificiel, lourd, prétentieux, mortellement ennuyeux à force de lenteur affectée, encore plus ridicule qu’un sketch des Inconnus sur le cinéma d’auteur. L’occasion de vérifier:
1. que l’engouement d’un temps (ce navet reçut la palme d’or et le prix Louis-Delluc) n’est pas toujours destiné à passer à la postérité. Les snobs qui se croient fins en portant aux nues des impostures telles que Weerasethakul ou Sokourov feraient bien d’en prendre de la graine.
2. que Marguerite Duras, qui a écrit le film et qui a marqué chaque dialogue de son navrant sceau, est peut-être ce qui est arrivé de pire au cinéma.
Reste la chanson composée par Delerue et chantée par Cora Vaucaire. Elle est jolie mais elle se passe très bien du film.

Duel dans la boue (These thousand hills, Richard Fleischer, 1959)

Dans une ville du Far-West, l’ascension d’un jeune homme ambitieux.

Duel dans la boue est une fable romanesque sur l’arrivisme corrupteur qui utilise pas mal de conventions narratives mal digérées. Ainsi de la caractérisation du méchant, trop systématiquement opposé au héros pour être crédible. Il n’y a pas non plus beaucoup d’action et le récit avance plus à travers des dialogues en intérieurs qu’à travers des chevauchées.

Néanmoins, Duel dans la boue est un bon western car la mise en scène de Richard Fleischer étoffe considérablement un scénario trop souvent simpliste. Prenons pour exemple la séquence du lynchage. D’abord, la sécheresse du découpage et la brutalité des cadrages lui insufflent une force dramatique comme seuls savaient le faire les maîtres hollywoodiens de l’époque. Mais ce n’est pas tout. Fleischer nuance la grossièreté de la situation en faisant tirer un des lyncheurs sur la corde. Ce geste furtif n’influencera guère la suite de l’histoire (le lynché était en fait déjà mort) mais charge d’un poids d’humanité ce qui était écrit sur le papier. Les personnages ne sont alors plus des pantins asservis à la mécanique (pas très brillante) du scénario mais des êtres de chair et de sang dont les réactions peuvent contredire le sens général d’une scène.

A ce titre, si le héros est le réceptacle quelque peu forcé du discours des auteurs sur les méfaits de l’ambition, la prostituée interprétée par Lee Remick est un magnifique personnage. Elle est le reflet à la fois biaisé et exacerbé du drame. Le jeu détaché de l’actrice, son charme évanescent et, évidemment, le bleu insondable de ses yeux sont pour beaucoup dans la beauté de Duel dans la boue.

La lune était bleue (The moon is blue, Otto Preminger, 1953)

Un riche architecte tente de séduire une vierge.

Cette adaptation d’une pièce de F. Hugh Herbert que Preminger avait déjà montée à Broadway a fait date parce que le cinéaste avait décidé de ne pas édulcorer des dialogues très crus et donc de ne pas respecter le code Hays. L’intrigue n’en reste pas moins conventionnelle et finalement très morale: personne n’a de relations sexuelles avec personne et cela se finit par un mariage. Il y a quelques répliques drôles mais le film se traîne. Preminger n’a rien fait pour atténuer la théâtralité originelle et les deux comédiens principaux ne peuvent faire tenir le film sur leurs épaules. William Holden n’est pas Sacha Guitry et Maggie McNamara n’a pas la grâce d’une Audrey Hepburn qui aurait été parfaite dans ce rôle. Il y a tout de même David Niven qui campe un beau personnage à la profondeur inattendue.

L’avocat de la terreur (Barbet Schroeder, 2007)

Un documentaire sur maître Vergès qui a été l’avocat du FLN, de Carlos, de Klaus Barbie, des Khmers rouges et de clients divers et variés.

Un itinéraire tel que celui de Jacques Vergès est évidemment passionnant dans la mesure où il recoupe une bonne partie de ce qui a fait la deuxième moitié du XXème siècle. Le fait que le cinéaste ait donné la parole, non seulement à Vergès, mais aussi à des témoins directs du FLN, de la fraction armée rouge ou encore de Septembre noir permet d’en apprendre beaucoup sur les mouvements terroristes des années 60-70. Les liens entre militantisme palestinien et nazisme sont ainsi clairement établis.

Néanmoins, pour captivant qu’il soit, on a l’impression que L’avocat de la terreur ne traite que superficiellement son sujet. Evidemment, le secret d’une personnalité comme celle de Vergès ne peut pas être révélé en deux heures mais plutôt que des interventions de  »journalistes spécialisés » réductrices du type « c’est un ancien colonisé donc il n’aime pas l’Occident », on aurait aimé un contradicteur qui pousse l’avocat dans ses retranchements quand il justifie ses défenses de Klaus Barbie ou des Khmers rouges avec des raisonnements très grossiers voire ouvertement fallacieux. Qu’on le mette en face de ses éventuels mensonges (mensonges qui sont d’ailleurs mis en évidence par le montage) pour qu’il en ressorte quelque chose d’intellectuellement plus stimulant que des analogies primaires entre méthodes de la Gestapo à Lyon et méthodes de l’armée française en Algérie. Mais son parcours est si riche et il y a tellement d’affaires à creuser que c’est dix heures qu’il aurait fallu lui consacrer. Pour ma part, j’aurais été prêt à tout regarder sans sourciller.

Dis-moi que tu m’aimes, Junie Moon (Otto Preminger, 1970)

Une jeune fille défigurée par son amant, un paraplégique homosexuel et un épileptique qui se sont rencontrés à l’hôpital s’installent ensemble dans une maison.

Si on note que ces personnages a priori bizarres sont mis en scène sans apitoiement ni condescendance de façon à ce que le spectateur oublie rapidement leur handicap, il n’en reste pas moins que ce film « dans l’air du temps » d’Otto Preminger pèche par pauvreté narrative.

Sous la robe rouge (Victor Sjöström, 1937)

Le cardinal de Richelieu envoie un repris de justice infiltrer la maison d’un conspirateur huguenot.

Le dernier film de Victor Sjöström n’est certes pas un chef d’oeuvre de l’acabit de La lettre écarlate ou du Vent mais il n’est pas indigne de son talent non plus. Le maître n’a pas perdu son sens de la composition visuelle comme en témoigne la beauté harmonieuse d’images par ailleurs éclairées par un tandem de choc: James Wong Howe et George Perinal. Son découpage est plus illustratif que dramatisant; ce qui est une limite. A l’opposé du dynamisme facétieux de Douglas Fairbanks ou Errol Flynn, Sous la robe rouge s’attache à restituer la violence et la dureté de la France de Richelieu. Il n’y a pas vraiment de méchant ou de gentil. On peine d’ailleurs à cerner le héros interprété par Conrad Veidt. Le jeu glacial de l’acteur allemand ne cadre pas avec la nature censément fougueuse du bretteur. C’est un héros dont Raoul Walsh aurait fait son miel mais auquel Sjöström peine à donner vie.

 

Don Quichotte (G. W. Pabst, 1933)

Un vieil hidalgo qui a lu beaucoup de romans de chevalerie s’en va défendre la veuve et l’orphelin.

Condenser un bon millier de pages en un film d’à peine une heure demandait évidemment à l’adaptateur de supprimer beaucoup d’épisodes du fabuleux roman de Cervantès. Paul Morand, scénariste de luxe, ne s’est visiblement pas montré assez drastique dans cette tâche. Il y a trop de péripéties compte tenu du métrage final. Le film ne prend pas le temps d’exposer les différentes situations, de les dramatiser, bref de mettre en scène ce qu’il raconte. D’où l’impression pour le spectateur d’être en face d’une succession d’images sans enjeu qu’il regarde avec un détachement complet. Dans ces conditions, difficile également de faire exister les personnages. Sancho Pança, si beau et si plein d’humanité dans le roman, est interprété par un Dorville pour le moins peu crédible. Don Quichotte a tout de même inspiré à Pabst une poignée de plans beaux et expressifs.

Des amis comme les miens (Such good friends, Otto Preminger, 1971)

La jeune épouse d’un directeur artistique dans le coma se rend compte des infidélités de ce dernier.

En adaptant ce best-seller de Lois Gould, Otto Preminger s’intéressait aux jeunes gens urbains, riches et hédonistes de la fin des années 60. Aussi versatile qu’ait été le talent de l’auteur de Rivière sans retour et Tempête à Washington, on pouvait difficilement imaginer univers plus éloigné du sien. S’il y a bien une constante chez Preminger, c’est l’absence de sentimentalisme. S’il y a bien un domaine où il n’a jamais excellé, c’est le comique. Or Such good friends est justement une satire dans laquelle l’héroïne traverse une crise sentimentale. Il s’agit de révéler l’envers des apparences sociales à travers le regard d’une épouse candide et trompée.

Le problème est la grossièreté de certains des moyens employés par le cinéaste. Le naturel et la fluidité, si emblématiques des réussites premingeriennes, font ici défaut. Les gags graveleux du début sont simplistes et navrants. Otto Preminger, qui fut un cinéaste parmi les plus élégants, n’est pas à l’aise avec son matériau et ça se sent. L’expression de ses intentions est souvent littérale ou kitsch (la chanson finale: du sous-Bennett). Les ressorts du drame sont également faciles et artificiels, à l’image du coup du calepin où le malade avait comme de fait exprès noté toutes ses conquêtes. Cette désinvolture dans l’écriture est à l’opposée de l’implacable rigueur des précédents échafaudages dramatiques du maître viennois.

Malgré cela, une certaine vérité émane du personnage de l’héroïne. La consistance inattendue de la bimbo est bien gérée. Dyan Cannon est vraiment une des grandes actrices oubliées du cinéma américain des années 70. C’est ici évident. On reconnaîtra aussi que les auteurs ont présenté -avec une certaine finesse du fait peut-être qu’il reste hors-champ une bonne partie du temps- un type jusqu’alors plutôt rare à l’écran:  le connard sympathique à qui tout réussit.

Somme toute, Such good friends est loin d’être un désastre de l’ampleur de Skidoo mais on se prend à rêver de ce que le tact du Blake Edwards des années 80 ou la sensibilité du Richard Brooks de The happy ending auraient insufflé à un tel sujet.

Die grosse Liebe (Otto Preminger, 1931)

En 1927, une femme dont le fils a disparu à la guerre est convaincu de l’avoir retrouvé en la personne d’un ancien prisonnier.

Ce poussif premier film d’Otto Preminger n’a d’autre intérêt qu’une scène assez drôle qui anticipe celle de la maison des fous dans Les 12 travaux d’Astérix et montre donc que l’administration teutonne n’est pas plus efficace que l’administration française.

 

Madame du Barry (Ernst Lubitsch, 1919)

L’ascension sociale d’une courtisane.

Premier grand film en costumes réalisé par Lubitsch, Madame du Barry permet au cinéaste de regarder l’histoire par le petit bout de la lorgnette en faisant le portrait amoral d’une courtisane. Si la première partie est assez drôle et typique du cinéaste, la suite est plus ennuyante car elle se fait plus sérieuse, eu égard peut-être au tragique destin de la dame.

Madame du Barry fut le premier film allemand à sortir aux Etats-Unis et cela occasionna en France un tollé. Plus de détails sur cette page méconnue et passionnante de l’histoire du cinéma ici.

Porgy and Bess (Otto Preminger, 1959)

Dans le quartier noir de Charleston, une prostituée dont le souteneur est parti en cavale après un meurtre se met en ménage avec un estropié.

A l’opposé des tapages publicitaires (festival de Cannes, sortie de Batman, caraxeries…) prétendus tels par les puissances du marketing, c’est un véritable évènement cinématographique qui a eu lieu hier soir à la cinémathèque de Bercy puisqu’était projeté pour la première fois à Paris depuis 20 ans, dans des conditions quasi-clandestines (le programme annonçait un « film-surprise »), l’adaptation par Otto Preminger de l’opéra Porgy and Bess dont l’exploitation est bloquée depuis les années 70 par les héritiers de Gershwin. Grâce au concours d’un providentiel collectionneur, un public averti a pu visionner ce film dans une somptueuse copie Todd-AO, c’est à dire 70 mm et son magnétique stéréophonique sur 6 pistes. Soit les conditions rêvées pour découvrir ce qui resta le chant du cygne du prestigieux producteur Samuel Goldwyn.

Porgy and Bess est évidemment à rapprocher de Carmen Jones, précédent musical de Preminger avec des Noirs. Ces deux opéras filmés sont les travaux les plus stylisés de celui qui fut par ailleurs le plus réaliste des grands cinéastes hollywoodiens. Dans Porgy and Bess, l’emploi du 70 mm permet au metteur en scène d’aller plus loin que jamais dans sa quête de la fluidité: l’élargissement inouï du format permet de diminuer drastiquement le nombre de raccords. Ses compositions de plan sont remarquables d’harmonie. Le nombre élevé de personnages présents à l’image donne un sentiment de chaleur humaine qui transcende la précision millimétrée des déplacements des acteurs. A l’exception de deux séquences, le décor, superbe studio représentant une place du sud américain, est toujours le même. La caméra s’y mouvant avec l’aisance d’un alligator dans les Everglades, la familiarité du spectateur avec le lieu de l’action est totale. La mise en scène est aussi avant-gardiste que celle de Coup de coeur ou de Dogville.

Porgy and Bess se distingue aussi du précédent opéra de Preminger par sa photographie. Les teintes chaudes du grand Léon Shamroy sont à l’opposé du gris militaire de Carmen Jones. La lumière jaunâtre exprime la moiteur langoureuse et rêvée du sud profond. D’une façon générale, Porgy and Bess met en scène un fantasme du peuple noir américain comme pouvait le faire le sublime Hallelujah! de Vidor. Il n’a aucune ambition réaliste et sa vision des Noirs en proie à des passions archaïques et éternelles n’est alors pas plus raciste que celle des Juifs poursuivis par la fatalité dans The light ahead. Preminger travaille le mythe. Voir ainsi le personnage de trafiquant de cocaïne composé par Sammy Davis Jr, tout droit sorti d’un dessin animé de Tex Avery. Il volerait presque la vedette à Sidney Poitier et à la belle Dorothy Dandridge.

En fait, le seul défaut de ce magnifique drame lyrique est que le chanteur doublant Sidney Poitier manque un peu de coffre.

Un mauvais garçon (Jean Boyer, 1936)

Une avocate débutante s’entiche de son premier client.

Une comédie légère et assez distrayante qu’une mise en scène déficiente (notamment lorsqu’il s’agit d’évoquer les milieux sociaux) et un rythme mollasson empêchent cependant de rivaliser avec ses homologues américains de l’époque. La fin, pour astucieuse qu’elle soit, désamorce les velléités progressiste exprimées jusqu’ici et fait retrouver au film le train-train conservateur qui est évidemment le sien. Les chansons de Van Parys -dont plusieurs sont devenues des standards- et la frimousse de la jeune Darrieux agrémentent le tout.

Condamné au silence (The court martial of Billy Mitchell, Otto Preminger 1955)

Dans les années 20, l’assignation en court martiale du général Mitchell coupable d’avoir publiquement critiqué le manque d’investissement de l’armée dans l’aviation.

Premier des films « à grand sujet » d’Otto Preminger, The court martial of Billy Mitchell raconte le combat d’un homme qui avait raison avant et contre tout le monde. En 1923, le général Mitchell prédit l’attaque de Pearl Harbour par les Japonais et ses compatriotes lui rirent au nez avant de le virer de l’armée. On retrouve dans la présentation de ce conflit les qualités du metteur en scène viennois: respect du point de vue adverse, absence de simplification du conflit d’idées via un conflit de personnes (pas de méchant), refus des facilités dramatiques (voir comment la fin esquive la tentation mélo), refus de la démagogie, hauteur du point de vue, grandeur conférée notamment par la solennelle rigueur du découpage en Cinémascope (format alors peu usité pour les huis-clos).

Le film est d’autant plus fort et beau que son propos ne se réduit pas à une attaque contre le rigorisme militaire. C’est l’exposition du dilemme cornélien d’un grand soldat se rendant compte que le corps dans lequel il croit depuis toujours se fourvoie dramatiquement. C’est autrement plus subtil et profond que Les sentiers de la gloire. Ce pourrait n’être qu’intelligent, n’était le jeu finement décalé de Gary Cooper qui rend sensible la façon dont sa révolte mine physiquement Mitchell. Le conflit politique se double alors d’un désastre intime et c’est discrètement émouvant.