The pursuit of happiness (Robert Mulligan, 1971)

L’évolution morale et sociale d’un étudiant gauchiste issu de la bourgeoisie après qu’il a renversé et tué une vieille dame.

D’abord ancré dans son époque, The pursuit of happiness se détache des luttes post-68 lorsque, d’une façon fondamentalement pessimiste, il retrace l’exil tranquille et volontaire d’un personnage. Il y a un hiatus entre la radicalité de l’opposition du héros à la société bourgeoise et la relative fadeur de l’acteur Michael Sarrazin. Du coup, c’est comme si son personnage subissait les péripéties du scénario plus qu’il n’était l’acteur de son destin. Il y aussi l’abondance de ces péripéties qui fait que les dilemmes qui sont les siens ne sont guère mis en valeur dramatiquement parlant. Nonobstant que quelques facilités d’écriture sont criantes (le coup de la panne), ce manque de clarté et d’esprit de synthèse quant aux enjeux dramatiques peut aussi être vu comme un signe d’élégance de la part de l’auteur qui refuse in fine de trancher sur la nature du malaise qu’il met en scène: est-il celui de la société américaine ou celui du jeune homme? On appréciera aussi la justesse coutumière avec laquelle Mulligan met en scène des situations et des personnages parfois très stéréotypés. Le mélange de détachement et de sentimentalisme qui est le sien fait finalement le prix de ce film qui gagnerait à être plus connu. La musique de Randy Newman et Dave Grusin contribue aussi à rendre certaines séquences franchement touchantes tel les quelques jours de vacances en amoureux qui précèdent le séjour en prison.

Le règne du jour (Pierre Perrault, 1967)

Documentaire sur un Québécois qui va en France découvrir le village de ses ancêtres.

Imposture du cinéma-vérité dans la mesure où le montage intempestif de Perrault fait que les plans n’ont pas le temps de s’installer dans la durée. C’est une série d’anecdotes sans intérêt pour qui ne partage pas les vues réactionnaires et nationalistes de l’auteur. L’absence de sous-titrage est également contre-productive. Si on défend son dialecte comme le fait Perrault alors on affirme sa singularité et donc cela va de soi qu’il n’est pas compréhensible par des Français métropolitains.

The star witness (William Wellman, 1931)

Une famille chez qui s’est réfugié un tueur est écartelée entre les pressions du procureur qui exige qu’elle témoigne contre le tueur et celles des gangsters qui ont pris leur enfant en otage.

Petite fable très typique de l’époque sur la corruption et les gangsters en Amérique. Le drame est schématique mais la concision de la narration et la sécheresse percutante du style le rendent convaincant. Le bref plan du cadavre éclaboussé dans le caniveau est emblématique du génie de la fulgurance propre à William Wellman. On voit également dans The star witness un magnifique personnage de vétéran de la guerre de Sécession joué par le formidable Charles ‘Chic’ Sale. Sorte de mauvaise conscience de l’Amérique bourgeoise et tranquille, sa fantaisie et sa mélancolie alcoolisée éloignent le film de la convention. Le dernier plan qui le voit revenir dans son asile d’anciens combattants après avoir résolu le drame est digne de John Ford.

L’amour à cheval (La matriarca, Pasquale Festa Campanile, 1968)

Une jeune veuve découvrant que son mari la trompait allègrement s’initie au libertinage.

Festa Campanile réalisateur, c’est le versant grivois de la comédie italienne. La matriarca est une sorte de catalogue des perversions sexuelles où l’on prend soin cependant de ne pas montrer le moindre téton. Le machisme latin est (très) grossièrement satirisé dans un récit superficiel et assez redondant. L’agréable soupe psychédélique qui sert de bande-son aussi bien que la direction artistique tendance abstrait sont typiques des 60’s. Le réalisateur abuse des effets kitsch (zooms, ralentis) mais il sait garder une distance ironique par rapport aux découvertes de sa candide héroïne. Ainsi lorsqu’elle quitte un jeu de rôles SM au grand désarroi de ses partenaires: « c’est trop ridicule, vous me faites rire ». Cette distance préserve Festa Campanile de la vulgarité qui aurait pu être la sienne avec un tel matériau.

Le tombeur de ces dames (The ladies man, Jerry Lewis, 1961)

Un jeune homme fuyant les femmes depuis que sa dulcinée est partie avec un autre est embauché dans une pension pour jeunes filles.

Deuxième long-métrage réalisé par Jerry Lewis, Le tombeur de ces dames permet au comique d’assouvir sa soif de contrôle total sur la mise en scène. Rarement les possibilités du studio auront été exploitées avec une telle inventivité. A l’exception de l’introduction, le décor est unique: c’est celui de la pension. La dramaturgie est réduite à peau de chagrin et chaque séquence de ce film quasi-expérimental est prétexte d’une idée visuelle. Jerry Lewis est l’héritier direct de Chaplin et Keaton mais aussi et surtout des Marx Brothers en ceci que sa folie contamine jusqu’aux décors et accessoires qui, libérés des lois de la physique, sont le support de l’expression d’une poésie surréaliste que n’aurait pas reniée Jean Cocteau. Ainsi des papillons collectionnés qui s’envolent après que Jerry ait ouvert le cadre où ils étaient fixés. Jerry siffle alors; il reviennent se fixer. On pourrait aussi citer les plans hallucinants où l’ensemble de la maison est vue transversalement, telle une maison de poupées, et la mise en abyme télévisuelle. Certes ces idées sont d’une intérêt inégal, plusieurs gags sont lourds notamment ceux à base de grimaces, mais sa fantaisie et sa vitalité -fut-elle outrée- font du Tombeur de ces dames un film nettement moins ennuyeux que ceux de Jacques Tati, l’autre démiurge burlesque de l’époque.

Le jour des Apaches (Day of the evil gun, Jerry Thorpe, 1968)

Un pistolero dont l’épouse et la fille ont été enlevées par les Apaches part à leur recherche, aidé par son voisin qui avait une liaison avec sa femme.

L’habituelle recherche des femmes enlevées par les Indiens est donc mêlée à une idée originale et riche de potentiel dramatique. Les deux personnages principaux sont particulièrement intéressants. Caractérisés avec finesse et simplicité, ils réagissent avec une justesse humaine éloignée des poncifs hollywoodiens. Le regard est droit, le style est sec et sans fioriture (on note la brutalité des transition entre les séquences). Glenn Ford et Arthur Kennedy sont excellents. Physiquement parlant, Kennedy quinquagénaire évoque ce monstre d’humanité qu’était Rellys. Le pessimisme de Jerry Thorpe  n’est pas fanfaron comme celui d’un Peckinpah. Il est dur, lucide et donc inévitablement tempéré par des gestes qui vont à l’encontre de ce pessimisme, des gestes que la caméra saisit dans toute leur soudaineté. Day of the evil gun est donc un beau western qui, sans payer de mine, est injustement méconnu.

Le détroit de la faim (Tomu Uchida, 1965)

Pendant un tsunami, un détenu évadé vole un magot dans des circonstances troubles…

L’intrigue policière est le prétexte d’une fresque sur le Japon de l’après-guerre, étalée dans l’espace (deux villes) et dans le temps (dix ans). Autant l’affirmer d’emblée: la réputation de ce film, parfois cité parmi les dix meilleurs de tout le cinéma japonais, est usurpée. Non que ce soit franchement nul. Les personnages ont le mérite de ne pas être unidimensionnels et la complexité de leur caractère peut se traduire de façon forte et vraie par la mise en scène. Ainsi du meurtre pour ainsi dire accidentel de la geisha qui précipite la fin du « héros ». Il apparaît à la fois inattendu, naturel et inéluctable, comme un évènement de la vie, et oriente cependant le cours de l’histoire de façon décisive. D’une façon générale, le vétéran Uchida est un virtuose de la caméra et l’habileté de ses mouvements d’appareil lui permet d’instaurer un climat d’urgence dans la narration. Cette urgence est surtout sensible dans la première partie, la plus convaincante.

Mais quelle lourdeur dans l’écriture! Si le début laissait présager une ampleur romanesque digne des Misérables, le récit s’étrique petit à petit jusqu’à consacrer toute sa dernière heure à une enquête policière sans intérêt. Cette enquête dont le spectateur connaît à l’avance la conclusion puisque, comme dans Columbo, il a assisté au crime, avance essentiellement par des dialogues surabondants dits par des personnages hyper-sérieux qui transpirent beaucoup (rien à voir avec la malice du célèbre inspecteur angelino). Les monologues explicitant ce qui est déjà évident pour le spectateur et les inserts figurant ce que pense un protagoniste à un instant t (procédé éculé s’il en est) contribuent également à rendre laborieux le déroulement de l’intrigue. C’est ainsi, et non grâce à la richesse de ce qu’il raconterait, que Le détroit de la faim en arrive à durer 3 heures; une durée aussi faramineuse qu’injustifiée.

Du fait de cette importance démesurée accordée au prétexte policier, le « Japon en ruine de l’après-guerre » n’est rien de plus qu’un décorum. Nonobstant une poignée de séquences intéressantes mettant aux prises la geisha avec différents employeurs, les personnages secondaires n’existent pour ainsi dire pas et les personnages principaux n’ont guère de vie affective, sentimentale, sociale. Et ce ne sont pas les tirades gluantes sur la misère et l’argent arrivant comme autant de cheveux sur la soupe qui peuvent assurer au Détroit de la faim une vision consistante de la société de son temps. Tout au plus font-elles office de saupoudrage. Un saupoudrage aussi fumeux qu’intempestif.

La gratuité totale des séquences pseudo-fantastiques aussi bien que celle des passages de l’image filmique du positif au négatif tend à accréditer l’idée selon laquelle ce mélange pas toujours habile de drame social et de film policier a été conçu comme une entreprise de séduction visant à ratisser le plus large possible. Pas étonnant donc qu’il se retrouve en tête de listes institutionnelles du type « Les 100 meilleurs films japonais de tous les temps », listes comportant moins d’authentiques chefs d’oeuvre que de fausses valeurs qui ont été entérinées par le temps.

Larry le dingue, Mary la garce (Dirty Mary Crazy Larry, John Hough, 1973)

Deux hommes qui viennent de dévaliser une épicerie sont pris en chasse par la police de l’état et une fille s’est incrustée dans leur voiture…

Personnages et intrigue sont réduits à portion congrue au profit de dantesques courses-poursuites. C’est un peu ennuyeux à la longue mais ça rappellera de chouettes parties à ceux qui ont joué à Driver sur Playstation.

Le défroqué (Léo Joannon, 1954)

Dans un camp de prisonniers en Allemagne, l’ami d’un prêtre défroqué se voit naître une vocation au moment du décès de l’aumônier.

Cabotinage halluciné de Pierre Fresnay, dramatisation pas toujours judicieuse, épaisseur du trait…Le défroqué est un film excessif dans ses effets qu’il serait facile de condamner au nom du bon goût classique. Mais cet excès est aussi la marque de la liberté et de la sincérité jusqu’au-boutiste d’un auteur, Léo Joannon, dont le film atteint une certaine grandeur si ce n’est une grandeur certaine. Voir la fin grand-guignol qui pousse la logique dialectique jusqu’à un sublime paroxysme.

Into the abyss (Werner Herzog, 2011)

A commencer par un criminel condamné à mort, Werner Herzog interroge différentes personnes impliquées de près ou de loin dans un fait divers macabre au Texas.

Werner Herzog affiche son opposition à la peine de mort sans manichéisme, donnant largement la parole aux familles des victimes et leur dédiant finalement son film. S’intéressant à des cas sociaux qui concentrent énormément de drames humains, son film est naturellement éprouvant et, parfois, émouvant. C’est un des mérites du cinéaste que d’aller poser sa caméra dans des endroits inaccessibles au commun des mortels: l’Antarctique, la grotte Chauvet ou, ici, le couloir de la mort. Analyser un sujet de société (la peine de mort aux Etats-Unis) en se focalisant sur tous les protagonistes d’un fait divers donné est une démarche a priori recevable. La plongée afférente dans le Lumpenprolétariat texan a cependant quelque chose de dérangeant car, trop souvent, elle n’a d’autre objet que l’affichage des fêlures intimes de chacun.

A quoi ça rime de demander au frère d’une victime s’il était proche de son frère, de provoquer alors son effondrement puis de le filmer entrain de pleurer pendant plusieurs dizaines de secondes tenant à bout de bras la photo du jeune disparu? Cela a pour but de provoquer l’empathie du spectateur? Certainement. Comme dans les émissions de télé-réalité. Mais ça n’a guère marché sur moi. Même si ce jeune homme meurtri par la vie a toute ma sympathie, je n’ai guère été ému mais plutôt gêné par l’exhibition « brute de décoffrage » de sa douleur. Exhibition dont le cinéaste, évidemment, et non la victime est responsable.

Pour que ça fonctionne, peut-être aurait-il fallu retracer une évolution qui aurait provoqué une identification. Il aurait fallu en tout cas un minimum de « mise en fiction » de la réalité. Faire du cinéma et non du Strip-tease. Comme son étymologie l’indique, l’émotion est d’abord un mouvement. D’ailleurs, les moments émouvants de Into the abyss retracent une évolution, un changement. Et plus qu’émouvants, ils sont franchement bouleversants. C’est la douloureuse prise de conscience du père se retrouvant menotté aux côtés de ses deux enfants; c’est l’histoire de ce bourreau qui démissionne après sa rencontre avec Karla Faye Tucker. Ce n’est pas un état qui est alors suggéré au spectateur, c’est un processus. Un processus humain.

De plus, plusieurs interventions gardées au montage ne semblent avoir d’autre intérêt que d’en rajouter dans la monstruosité et le bizarre. Ainsi de l’entretien avec le carrossier anciennement analphabète n’ayant aucun rapport direct avec l’affaire. Pareil pour l’extraordinaire accumulation de malheurs qui s’est abattue en quelques années sur la soeur d’une victime. Passé la stupéfaction (la « sidération » pour parler en novlangue), cette triste accumulation n’évoque rien d’autre au spectateur qu’un banal « ces pauvres gens n’ont pas été gâtés par la vie ». La « critique de l’Amérique bigote blablabla » trouvée par certains critiques parisiens n’existe que dans leur tête car jamais l’auteur ne met en correspondance les cas auxquels il s’intéresse avec les autres composants de la société. Il ne va pas du particulier vers le général à part lorsqu’il interroge ses interlocuteurs sur « la peine de mort ».

Certains procédés tels la musique « inquiétante » pendant les images de reconstitution du crime ou le fait que l’on entende parler le condamné à mort sans qu’il tienne le téléphone du parloir sont limites quant au contrat moral entre le documentariste et le spectateur mais ils restent rares.

Comme il le dit lui-même dans son entretien avec Les cahiers du cinéma de novembre, Herzog a décidé de faire un long-métrage lorsqu’il a découvert tout ce que cette affaire criminelles concentrait de désolation humaine. Mais les protagonistes de cette affaire sont souvent montrés d’une façon trop extraordinaire pour renvoyer à un ordre plus universel. Into the abyss est un film à voir car, à moins que l’on n’en soit dénué, il interpelle immanquablement notre curiosité mais ce n’est pas non plus un des chefs d’oeuvre de l’année.

Les aventures d’Arsène Lupin (Jacques Becker, 1957)

Les aventures d’Arsène Lupin, gentleman cambrioleur.

Oeuvre mineure de Jacques Becker, Les aventures d’Arsène Lupin souffre d’un scénario médiocre qui n’approfondit ni les personnages ni les situations dramatiques. Plus grave peut-être: la superficialité de l’histoire, accrue par de brusques revirements narratifs, n’est pas compensée par une quelconque allégresse du style ou inventivité de la mise en scène (à la façon par exemple des feuilletons des années 10, référence explicite de Becker). Reste tout de même la façon unique qu’a le cinéaste de mettre en exergue certains détails concrets d’une scène, insufflant ainsi de la vraisemblance, voire un certain pittoresque, à l’action (ainsi du gramophone).

Change pas de main!!! (Paul Vecchiali, 1974)

Une ministre sur laquelle un chantage est exercée parce que son fils a tourné dans un film porno engage une détective.

Comme dans Le grand sommeil, l’intrigue est incompréhensible. Paul Vecchiali a vraisemblablement entrepris Change pas de main!!! comme un exercice de style baroque à la façon d’Allan Dwan entreprenant Deux rouquines dans la bagarre. Les couleurs flamboyantes, le découpage à vocation plastique plutôt que dramatique, le jeu décalé des comédiens et la musique de Roland Vincent font du porno de Vecchiali une sorte de poème surréaliste fort peu bandant mais assez fascinant. Pour information, le cinéaste a refusé que son film ne soit pas classé X par solidarité envers ses collègues frappés du sceau infâme. On ne m’enlèvera pas de l’idée que c’est une attitude autrement plus noble que celle de Virginie Despentes à la sortie de Baise-moi.

Lilly Turner (William Wellman, 1933)

Une fille marié à un bigame est engagée dans une sorte de cirque errant…

Contrairement à d’autres petits films contemporains de Wellman, la présence du contexte social est très limitée. Ce qui prédomine ici, ce sont plutôt les rebondissements sentimentaux traités avec une indifférence routinière par le cinéaste qui sortit cinq (!) autres films cette année-là dont certains sont d’un tout autre acabit (Wild boys of the road par exemple).

Hôtel Terminus : Klaus Barbie, sa vie et son temps (Marcel Ophuls, 1988)

De sa jeunesse à son procès, la carrière de Klaus Barbie retracée par des images d’archives et des entretiens avec ceux qui y ont eu affaire.

C’est un documentaire fleuve de plus de quatre heures d’une ampleur extraordinaire. Que ce soit la résistance, la Shoah, la connexion entre anciens nazis et CIA ou entre drogue et dictateurs péruviens, chaque aspect historique soulevé par le parcours de Klaus Barbie est soigneusement détaillé. Le film est d’abord une fascinante plongée dans les arcanes les plus secrètes de la géopolitique de la seconde moitié du XXème siècle. Pourtant, malgré la gravité de son sujet, le film n’est ni solennel ni pontifiant. Il est passionnant. Ce n’est pas pour rien que Marcel Ophuls, le fils du grand Max, se présente avant tout comme un féru de cinéma hollywoodien classique.

C’est comme s’il interrogeait la grande histoire à hauteur d’homme. C’est comme si on conversait nous-même -en quatre langues différentes- avec ces espions de la C.I.A retraités au bord de leur piscine, avec ces grands résistants devant leur bibliothèque, avec ces anciens dictateurs sud-américains devenus assez pitoyables, avec ces prêtres de la « filière des rats », avec le jardinier indien de Barbie ou encore avec cette déportée juive revenue sur les lieux de son arrestation. Ce panel, le plus varié que l’on puisse imaginer, forme d’abord un formidable échantillon d’humanité et ce n’est pas la moindre des qualités d’Ophuls que de nous le restituer en tant que tel, sans qu’il ne paraisse instrumentalisé au service du discours de l’auteur.

Loin de se poser en détenteur de la vérité au-dessus de ses interlocuteurs (qui sont parfois des pourritures avérées), le cinéaste sait confronter les témoignages contradictoires grâce au montage. C’est aussi un intervieweur pugnace, fin et habile qui pousse ses interlocuteurs dans leurs retranchements sans se départir de sa courtoisie. En interrogeant des « petites gens » sur leurs actions peu glorieuses, il révèle ainsi des motivations quasi-inconscientes que le spectateur ne se permettra pas de juger car il a bien l’impression que le cinéaste a mis à jour une sorte de fond commun à l’humanité. A contrario, cette tendance à l’universalité redoublera le réconfort distillé par les témoignages d’héroïsme quotidien, qui sont à peu près aussi nombreux.

Ophuls présente donc les choses avec impartialité, humanisme et, ce n’est pas le moins important, humour et légèreté. Le cinéaste-enquêteur a failli payer de sa vie lors d’une agression de barbouzes en Amérique du sud mais c’est bien l’impression de légèreté et d’espoir qui domine après la vision de son film (qui se termine après tout par une happy-end). A l’image de la dédicace finale, bouleversant hommage à la grandeur d’âme la plus pure et la plus simple qui soit. Hotel Terminus est une oeuvre capitale.

Le cabaret aux étoiles (Stage door canteen, Frank Borzage, 1943)

Pendant la guerre, des soldats en permission fréquentent une cantine où des artistes se produisent pour eux.

Film de propagande dans lequel la prédominance des numéros de music-hall dilue considérablement la dramaturgie. Néanmoins, il n’y avait que Frank Borzage pour donner du poids à une idylle convenue entre un soldat et une jeune comédienne. Grâce à la sensibilité de son découpage et de sa direction d’actrice (entre ses mains, l’inconnue Cheryl Walker s’avère excellente), la fin atteint une certaine justesse.  Les numéros quant à eux rassemblent la crème de la culture américaine de cette époque. De Harpo Marx à Yehudi Menuhin.

November days (Marcel Ophuls, 1991)

Au moment de la chute du mur de Berlin, Marcel Ophuls rencontre plusieurs personnes en R.D.A: dignitaires politiques, officiers de la STASI, petites gens…

Outre la variété de ses témoins et la qualité de ses entretiens, la grandeur de Marcel Ophuls est d’élargir petit à petit le cadre relativement circonscrit d’une commande de la BBC sur la chute du mur à une passionnante plongée au coeur de l’Histoire entrain de s’écrire. Par un art consommé du montage, il restitue aussi bien la chute de la pierre dans la mare que les remous, plus ou moins lointains, que cette chute provoque. Ainsi des interviews de néo-nazis qui rappellent la résurgence nationaliste provoquée par la fin du régime socialiste et la perspective de la réunification allemande. Ce qui donne à son film l’ampleur et la complexité de la grande histoire qu’il raconte. S’il fallait toutefois résumer le propos de November days, on dirait qu’il s’agit in fine d’une méditation sur le danger des idéologies (voir Barbara Brecht -fille de- qui régna sur le Berliner Ensemble justifier maladroitement la construction du mur est assez édifiant).

Memory Lane (Mikhaël Hers, 2010)

Une bande d’amis fait le deuil d’un des leurs.

Memory Lane apparaît comme une succession de saynètes triviales pleines d’un minable entre-soi (l’auteur semble ainsi avoir un sinistre rapport à l’altérité musicale) qui ne sont reliées entre elles que par un récit inconsistant mais qui sont enrobées par un filmage pseudo-cosmico-mélancolique quelque peu systématique dans ses effets (jolie lumière automnale, vent dans les arbres, agaçante diction chuchotée, folk-pop insignifiante). Bof.

Une critique magnifiquement enthousiaste ici.

Ciboulette (Claude Autant-Lara, 1933)

Comme une voyante le lui avait prédit, une jeune employée des Halles devant se marier trouve son promis sous un tas de choux…

Ciboulette est l’adaptation par Jacques Prévert d’une opérette de Reynaldo Hahn se déroulant sous le second Empire. C’est aussi le premier long-métrage réalisé par Claude Autant-Lara. La virtuosité du cinéaste est déjà éblouissante. Il faut voir l’aisance avec laquelle sa caméra bouge dans les superbes décors de Meerson et Trauner pour se rendre compte de l’avance qu’il avait alors par rapport à ses contemporains. La magnifique ouverture avec un plan à la grue sur les Halles reconstituées en studio annonce celle de son chef d’oeuvre, Douce. On est ici nettement plus proche du Mariage de Chiffon voire, comme l’a justement remarqué Vecchiali dans son dictionnaire, de La ronde de Max Ophuls  que de L’auberge rouge ou Le rouge et le noir. Sans la faire oublier, les auteurs du film ont transcendé l’évidente désuétude du livret par une bonne dose d’ironie, un léger soupçon de mélancolie (le personnage de Duparquet) et, surtout, une fantaisie (parfois trop) débridée. Charmant.