Mois: avril 2013
Les moineaux (William Beaudine, 1926)
Au milieu de marécages, un homme méchant exploite des enfants.
Un conte d’horreur qui a vraisemblablement beaucoup inspiré La nuit du chasseur. La nature de studio représentée par les animaux, les fleuves et les arbres y est aussi présente que dans le chef d’oeuvre de Charles Laughton. La différence est qu’elle ne protège pas les enfants; elle est au contraire maléfique. Sparrows est un récit primitif à la beauté archaïque où l’aînée des enfants (jouée par la trentenaire Mary Pickford) trouve dans la Bible la force de surmonter le mal. Quoique parsemée de belles fulgurances (l’apparition de Jésus pour suggérer la mort d’un bébé), la première partie relève du banal mélodrame mais le long épisode de la fuite dans la forêt est un morceau d’anthologie qui, pour peu que l’on ait peur des crocodiles, reste aujourd’hui tout à fait impressionnant. Le suspense naïf y est magistralement orchestré. A voir.
Divine (Dominique Delouche, 1975)
Un jeune homme fan d’une star la rencontre et joue dans une pièce avec elle.
Quelques chansons sympas mais le reste -récit et mise en scène en premier lieu- est nul. Divine est un film qui permet de se rendre compte par l’absurde du talent de Jacques Demy (c’est un projet dans lequel il se serait éclaté je pense).
La taverne de l’enfer (Paradise Alley, Sylvester Stallone, 1978)
En 1946 dans le Bronx, trois frères essayent de s’en sortir.
Comme Rocky, La taverne de l’enfer est une fable à la Capra avec de beaux personnages de prolos immigrés à New-York croyant trouver dans un sport de combat (ici, le catch) la possibilité de vivre le rêve américain. Contrairement à Rocky, la mise en scène est hyper-stylisée. Tel les réalisateurs du Kammerspiel, Sylvester Stallone condense son pessimisme social dans des images d’une grande force. Ainsi, un colosse en sueur montant un énorme pain de glace au dernier étage d’un immeuble lâche t-il subitement son fardeau dans les escaliers. La chute du glaçon est filmée en contre-plongée tandis que les éclats bleutés de sa désagrégation illuminent les quatre coins de l’écran. C’est beau et poignant. Le formidable travail sur les décors en studio annonce le Coup de coeur de Coppola et on note d’ailleurs l’apparition de Tom Waits.
Quoique se terminant de façon plus joyeuse que Rocky, La taverne de l’enfer est un film beaucoup plus noir que son illustre prédécesseur. En effet, Sylvester Stallone ne se contente plus de montrer la pauvreté des immigrés. Il s’en prend au rêve américain dans sa définition même lorsqu’il montre la réussite matérielle des frangins allant de pair avec la déchéance physique de l’un d’entre eux (en même temps que leurs relations, évidemment, se délitent). Son film est parsemé de moments poétiques où le grotesque se conjugue avec le sublime pour mieux faire ressortir le sinistre de la condition des personnages. Exemple: le suicide d’un catcheur retraité qui, ivre, se jette du pont le soir de Noël, « pendant qu’il est heureux ».
Mélange d’artifice revendiqué et de noirceur sociale gorgé de l’humanisme épais et sentimental de son auteur, La taverne de l’enfer est un film bizarre, attachant et franchement magnifique.
Flammes (Adolfo Arrieta, 1978)
Une jeune fille rêve de s’enfuir de chez elle avec un pompier.
Il y a quelque chose d’agaçant chez les thuriféraires d’Adolfo Arrieta (comme chez ceux de Biette, ce sont d’ailleurs souvent les mêmes), c’est l’invocation systématique des réalisateurs dits de série B hollywoodienne pour expliquer leur engouement. Cette invocation est abusive. La trinité « Touneur/Dwan/Ulmer » est récitée comme un mantra au motif qu’eux aussi n’auraient pas eu beaucoup de sous pour faire leurs films. C’est très discutable (à part pour Ulmer) et c’est omettre que s’il y a un point commun entre ces cinéastes très différents dans leur style comme dans leur inspiration, c’est bien le classicisme de leur art.
Arrietta lui n’est pas du tout classique. Que les choses soient claires: Flammes n’a absolument rien à voir avec Wichita ou La reine de la prairie. Si l’on tient vraiment à rattacher le cinéma d’Arietta à des maîtres du passé alors mieux vaut citer Bunuel et Cocteau. Il y a des points communs même si qualitativement, Flammes est loin, très loin, du Charme discret de la bourgeoisie comme de L’aigle à deux têtes.
En effet, un argument dramatique abstrait jusqu’à l’absurdité, un rythme narratif atone, un récit anémique, une mise en scène excessivement statique, des comédiens à côté de la plaque et des dialogues littéraux font de Flammes une rêverie laborieuse et nombriliste plutôt qu’un fascinant poème onirique (fût-il parcouru de je ne sais quelle « vibration nocturne »).
Enfin, une statistique pour dégonfler un peu la hype autour de ce film morne et fumeux: dans la salle de cinéma, on était six. Deux personnes sont parties avant la fin, une a ricané un peu bêtement tout du long, une autre s’est endormie (à 19 heures) et une autre s’est tellement ennuyée devant ce qui se passait à l’écran qu’elle a pris soin de noter les réactions des autres spectateurs afin de les reporter sur son blog.
La ferme du pendu (Jean Dréville, 1945)
L’entraîneuse (Albert Valentin, 1938)
Lors de vacances sur la côte d’Azur, une entraîneuse se lie avec les enfants d’un homme d’affaires.
Albert Valentin et Charles Spaak ont désamorcé les éventuels paroxysmes mélodramatiques d’une intrigue somme toute conventionnelle pour mettre en relief ses aspects psychologiques et sociaux. Voir par exemple comment l’impact dramatique de la révélation centrale est différé, dilué, comment se greffent sur cette révélation des rebondissements logiques jusqu’à ce qu’elle se fonde complètement dans un récit plus important qu’elle. Le spectateur a alors oublié le caractère ahurissant de la coïncidence. La sobriété toute classique (et non pas académique comme en témoigne la souplesse du découpage) de la mise en scène et l’interprétation génialement sympathique de Tramel dans le rôle du salaud de service empêchent également le règne du pathos. Au final, L’entraîneuse apparaît comme un beau drame de la résignation peu à peu envahi par un climat de mélancolie dans lequel le visage de Michèle Morgan fait office de soleil d’hiver. Bon film.
Avec le sourire (Maurice Tourneur, 1936)
Un sympathique arriviste ne recule devant rien pour gravir l’échelle sociale.
Avec le sourire est un joyau de la comédie française. En racontant en parallèle l’ascension d’un arriviste prêt à tous les coups bas et la déchéance d’un directeur de théâtre honnête mais bougon, les auteurs reflètent la crise de confiance dont souffraient les élites de la IIIème république finissante. Leur génie est d’avoir fait part de leur pessimisme moral via une fantaisie joyeuse et entraînante, à l’image en fait de leur personnage principal, crapule professant que toutes les escroqueries sont possibles tant que celles-ci sont menées « avec le sourire ». Il est ainsi évident que le choix de Maurice Chevalier pour jouer cette crapule a été crucial quant à la réussite du film. Avec un Louis Jouvet ou un Jules Berry en lieu et place du sémillant chanteur de charme, l’ambiguïté aurait été moindre or c’est bien parce qu’il est éminemment sympathique que Victor parvient à entuber tout le monde.
L’abattage de Momo est irrésistible. Rien que pour la scène où il interprète une chanson de quatre façons différentes pour quatre publics différents, Avec le sourire se doit d’être vu. Mais ce n’est pas la seule. Les auteurs en état de grâce déploient une verve digne des meilleures comédies américaines de l’époque. Les dialogues piquants de Louis Verneuil dont le cynisme n’a rien à envier à un Ben Hecht («Puisque malgré ton âge, tu as encore ta mère, retourne chez elle ! »), les gags nombreux, les péripéties variées, les seconds rôles hauts en couleur (retrouver Milly Mathis est toujours un plaisir) et les mélodies entêtantes de Marcel Lattès font de Avec le sourire un des divertissements les plus réjouissants d’avant-guerre. En plus de dire le contexte social de son époque comme pouvait le dire un musical de Brecht, il n’a donc pas vieilli.
Bataan (Tay Garnett, 1943)
Aux Philippines, un petite patrouille empêche les Japonais de reconstruire un pont pour couvrir la retraite des Alliés.
Considérant 1945, année où est sorti Aventures en Birmanie qui posa les jalons du genre, comme l’an 0 du film de guerre, je ne peux m’empêcher d’examiner tout film avec des fantassins sorti avant lui à l’aune du classique de Raoul Walsh. En l’espèce, la comparaison a une pertinence limitée car les soldats de Bataan ne doivent pas avancer pour atteindre un objectif précis mais tenir une position. Les enjeux sont sont donc sensiblement différents et le relatif statisme du film est assez logique.
En revanche, l’artifice visible des décors de studio, le simplisme caricatural des personnages, les conventions éculées de la narration ainsi que l’épaisseur du trait sont, eux, les signes d’un ennuyeux archaïsme. Des discours propagandistes arrivant parfois comme des cheveux sur la soupe nous replacent aussi dans l’époque de la fabrication du film, une époque où la guerre est encore loin d’être terminée. Bataan a également tendance à s’éterniser en rebondissements superflus (il y a trop de soldats qui n’en finissent pas de mourir!). Ce manque de concision tranche d’avec les meilleurs films de Tay Garnett.
On retrouve cependant dans Bataan une innovation dont on a un peu vite crédité Walsh: l’invisibilité de l’ennemi pendant les trois premiers quarts du métrage. Le Japonais est caché, les balles fusent sans qu’on ne sache d’où elles viennent, la violence est soudaine. Il y aussi quelques images spectaculaires tel l’explosion d’un pont filmée en plan large. Pas indigne mais pas inoubliable non plus.
L’homme pressé (Edouard Molinaro, 1977)
Un marchand d’art toujours pressé se marie à une rivale en affaires.
Le vertige métaphysique du brillant roman de Paul Morand en prend un coup dans ce film produit par l’égocentrique Alain Delon (la fin où la jeune fille se précipite sur lui, Duchaussoy plus faire-valoir que jamais) et réalisé par le système de pilotage automatique Edouard Molinaro. L’adaptation cinématographique était certes difficile à envisager mais l’intrigue du livre a été respectée. A l’arrivée, on se retrouve avec une sorte de comédie dramatique souvent plaisante qui ne semble guère à la hauteur de son sujet mais qui a le mérite de filer vite, presque aussi vite que son héros.
Au nom du peuple italien (Dino Risi, 1971)
Un juge d’instruction idéaliste essaye d’inculper un patron véreux pour la mort d’une prostituée.
Trois qualités essentielles ont permis à Dino Risi, Age et Scarpelli d’approfondir leur tableau au vitriol d’un pays corrompu:
- Des personnages secondaires qui chacun à leur manière élargissent la portée satirique de ce qui est d’abord un grandiose face-à-face. Savoureusement caricaturés, ils sont les principaux vecteurs de comique de cette comédie par ailleurs plus glaçante que drôle. Ceci n’est pas un défaut : une trop grande dérision aurait altéré la force du discours.
- Le jeu extraordinaire de Vittorio Gassman en ceci qu’il parvient à rendre sympathique une véritable crapule. Jeu tout à fait réaliste puisque dans la vie, les crapules sont généralement sympathiques. Lui donnant la réplique, Ugo Tognazzi excelle également mais sa partition est moins propice aux éclats.
- La fin géniale qui répartit subitement et subtilement les torts entre les deux personnages. Le constat social n’en est alors que plus désespéré. De surcroît, c’est une idée de mise en scène particulièrement percutante (possiblement la plus subversive du film) que d’avoir inscrit la touche finale de cet implacable réquisitoire envers la société italienne dans une ambiance de coupe du monde de football.
Les criminels (Joseph Losey, 1960)
Un caïd sort de prison, commet un vol puis retourne en prison…
Le scénario est un peu alambiqué et manque d’unité dramatique mais la mise en scène de Losey, ultra-rigoureuse, est d’une grande force. Sa gestion de l’espace est magistrale. Moins réaliste que dans ses films américains, le style intègre des éléments d’expressionnisme pour insuffler encore plus de folie et de violence. Soutenue par le jazz de Johnny Dandkworth (qui va bientôt signer la B.O de Chapeau melon et bottes de cuir), la séquence d’émeute est ainsi particulièrement impressionnante. L’importance donnée aux décors dans la caractérisation des personnages (voir les posters sur les murs) colore un film qui aurait pu pécher par aridité. L’auteur porte un regard distancié sur ses personnages qui fait ressortir l’ironie tragique de leur destin. Le début, avec le chanteur qui commente l’action, a même quelque chose de discrètement brechtien. Brillant.
Divorcé malgré lui (Eternally yours, Tay Garnett, 1939)
Parce que celui-ci refuse de s’installer, l’épouse d’un prestidigitateur quitte son mari pour un bourgeois.
Comédie de remariage assez agréable mais conventionnelle et un peu fade. Parti avec l’intention d’adapter une pièce de Sacha Guitry, L’illusioniste, le producteur Walter Wanger a, pour se conformer aux exigences du code Hays, considérablement affadi sa sauce. Comparé à d’autres screwball comedies, Divorcé malgré lui manque de détails piquants et d’allusions grivoises. Le film semble constamment sur des rails. Heureusement, il file rapidement (la narration comporte de surprenantes ellipses).
Les guichets du Louvre (Michel Mitrani, 1974)
Le jour de la rafle du Vel d’Hiv, un étudiant bordelais idéaliste monté à Paris tente de sauver des Juifs et rencontre une jeune ouvrière du Sentier.
Les guichets du Louvre est un très bon film qui, deux ans avant Monsieur Klein, mettait en scène la rafle du Vel d’Hiv avec une justesse inégalée. Pas anachronique pour un sou (alors que tant de reconstitutions sont minées par l’esprit de repentance et la bonne conscience mémorielle), l’auteur a pris le parti de ne jamais quitter son jeune héros. Filmant en plans-séquences, Michel Mitrani reste factuel et maintient unité de temps et unité de lieu. Il se borne à décrire les évènements du 16 juillet 1942 qui suffisent à glacer le spectateur sans que nul ne soit besoin d’en surligner l’horreur. Il montre en même temps la diversité des réactions qu’ils suscitent. Suivant l’étudiant dans les quartiers du Nord-Est de Paris, il montre toutes sortes de policiers, toutes sortes de Juifs, toutes sortes de goys. Les petitesses, mais aussi les grandeurs, humaines se succèdent.
L’auteur montre combien la bienveillance qui anime son héros est aussi forte qu’imprécise. Voire même ambiguë dans la mesure où, parmi la communauté juive, il aborde surtout des femmes. Il montre aussi ce que pouvait avoir d’absolument inimaginable la déportation dans les camps de la mort pour la majorité des Juifs. L’étudiant aura énormément de mal à convaincre qui que ce soit d’accepter son aide pour fuir. « Pensez donc, c’est la police française qui vient nous chercher, elle ne peut pas nous faire de mal! et puis nous sommes Français! » . C’est peut-être le génie de Michel Mitrani que de nous avoir fait ressentir à nous, spectateurs parfaitement au fait des conséquences de la rafle, une part de l’incrédulité amusée de cette dame à l’étoile jaune devant ce jeune freluquet venu lui demander de le suivre: « et donc, vous n’abordez que des femmes? ». En adaptant les souvenirs de Roger Boussinot, Michel Mitrani a réussi à mettre en scène la rafle du Vel d’Hiv au présent. Ce n’est pas rien.
Les guichets du Louvre raconte aussi la rencontre entre deux jeunes gens dans des circonstances particulièrement exceptionnelles. Le côté simili-documentaire est nuancé par une pointe de romanesque sans que, à l’exception d’une séquence au Louvre avec des travellings circulaires discutables, le film ne perde en tact ni en sobriété. Christine Pascal dans son premier rôle au cinéma est magnifique. On a envie de la serrer dans ses bras. L’identification à l’étudiant qui veut la sauver est alors totale et la fin n’en est que plus déchirante.
La garce (Christine Pascal, 1984)
Un flic rencontre une jeune orpheline de 17 ans, passe six ans en prison pour l’avoir violée puis, devenu détective privé, la retrouve lors d’une enquête dans le Sentier.
La garce est peut-être la plus probante des transpositions françaises du film noir américain. C’est un film fidèle aux canons les plus classiques du genre que son ancrage dans un quartier parisien empêche cependant de verser dans le pur exercice de style. Bizarrement, il y a un archétype fondamental qui n’a jamais intéressé les réalisateurs français les plus doués pour le polar (Becker, Boukhrief, Melville): la femme fatale. La première des réussites de Christine Pascal ici est donc d’avoir inventé, avec l’aide de ses scénaristes et d’Isabelle Huppert, une femme fatale française aussi trouble et troublante que Phyllis Dietrichson ou Kathie Moffett. Autour d’elle, les auteurs ont, avec une habileté nettement supérieure à celle de la moyenne de leurs collègues, tissé une intrigue mystérieuse qui regroupe les ingrédients traditionnels que sont la double identité, le secret, le crime refoulé, la manipulation, l’érotisme violent…Leur génie est d’avoir fait reposer leur efficace construction sur des démons bien français, révélant au travers du film de genre un inconscient social pas joli joli.
Par ailleurs, la conduite des personnages, à commencer par le héros joué par Richard Berry, est tout à fait amorale. Les deux hommes qui s’affrontent sont guidés avant tout par leurs pulsions. C’est ce qui permet de rompre avec le manichéisme et de surprendre le spectateur en montrant par exemple un caïd désabusé laisser la vie sauve à son rival puisque de toute façon, sa dulcinée ne l’aime pas. Comme Assurance sur la mort, La garce est essentiellement un film d’amour.
Avec l’aide d’une musique de Philippe Sarde dans la droite lignée des partitions jazzy de David Raksin, la réalisatrice a su créer un climat d’étrangeté fascinante et désespérée. Voir ainsi le grotesque angoissant de la fête du nouvel an: c’est du David Lynch avant l’heure. Travail sur le son et mouvements de caméra sont magistraux. Cette virtuosité formelle est également éclatante dans les scènes érotiques. De mémoire de spectateur masculin, on a rarement vu plan plus affriolant que celui où Richard Berry découvre le petit sein d’Isabelle Huppert pour le peloter. Oui, vous avez bien lu: « Richard Berry », « Isabelle Huppert » et « affriolant » dans la même phrase. C’est dire le talent de Christine Pascal. C’est dire, aussi, l’irrésistible charme d’Isabelle Huppert dans sa jeunesse. Son jeu réfléchi et distancié sert à merveille un personnage dont l’opacité nourrit l’éclat de cette pépite oubliée du polar français.
La maîtresse du lieutenant français (Karel Reisz, 1981)
Dans une ville provinciale anglaise au XIXème siècle, un scientifique fiancé à une fille de bonne famille s’éprend d’une femme mise au ban de la communauté…
Il faut également préciser que parallèlement à cette histoire principale, Karel Reisz filme la romance entre les deux acteurs qui interprètent les personnages dans son film. Cette mise en abyme est sans doute ce qu’il y a de moins intéressant dans La maîtresse du lieutenant français. On se demande où l’auteur a bien venu en venir: montrer la fiction qui déteint sur la réalité? montrer que le cinéma est plus beau que la vie? Il n’y a pas de véritable mise en relation entre les deux niveaux de narration autre qu’une juxtaposition presque mécanique des séquences donc cela ne produit pas grand-chose d’intéressant. Cette réserve posée, La maîtresse du lieutenant français apparaît comme un très beau film. Les retours à la réalité contemporaine (qui constituent environ un quart du métrage) n’empêchent pas le mélodrame victorien de fonctionner. C’est dire la force avec lequel il est mis en scène. D’abord, il surprend en renversant le schéma habituel du genre: c’est la perdition d’un homme et non celle d’une femme qui est contée.
Reisz montre avec subtilité l’oppression d’une société où il y a deux catégories de personnes: les bonnes gens et les réprouvés. Sans que les bonnes gens soient forcément des êtres cruels ou méchants, l’impossibilité de toute « troisième voie » est rendue sensible par l’itinéraire du héros: pour un jeune homme de bonne famille, faire un pas en direction d’une femme au passé douteux, c’est filer droit vers la déchéance. A cette rigidité des structures sociales s’adjoint un certain mystère quant aux passions qui animent la fameuse maîtresse du lieutenant français. D’où l’épaisseur romanesque sans laquelle le film aurait péché par aridité. Il faut en outre dire que Meryl Streep et Jeremy Irons sont excellents et que le travail de Freddie Francis à la photographie est superbe. Dans une tradition expressionniste, sa lumière accentue l’artifice de l’image pour mieux mettre en valeur les climats dramatiques.