Blondie Johnson (Ray Enright, 1933)

Pour sortir de sa condition sociale, une jeune femme intègre la pègre.

Il est intéressant ce comparer ce film socialo-policier à ceux que William Wellman réalisait à la même époque, c’est-à-dire juste avant le renforcement du Code Hays. On y retrouve des qualités similaires: concision et liberté de ton. Simplement, l’impact de celles-ci est atténué parce que l’auteur est plus timoré (le happy end est ici particulièrement incongru) et le metteur en scène n’a pas le génie percutant de Wellman.

L’homme de nulle part (Pierre Chenal, 1937)

Un homme que sa famille croit mort en profite pour changer d’identité.

A la complication froide et théorique du récit de Pirandello (Feu Mathias Pascal, roman où l’humour et l’esprit du maître sicilien font défaut), les adaptateurs Chenal et Vitrac ont ajouté le simplisme dramaturgique et l’interprète Blanchar a adjoint la caricature. D’où un film médiocre.

Fort Massacre (Joseph M. Newman, 1958)

Le difficile retour au fort d’un groupe de tuniques bleues en territoire apache.

Ce western a plus à voir avec un film de guerre façon Aventures en Birmanie qu’avec les autres titres du genre. On y suit un régiment de cavaliers décimé par l’ennemi, perdu en territoire hostile et soumis à un sergent qui s’est retrouvé à la tête de la troupe parce que tous ses supérieurs se sont fait tuer mais qui n’a peut-être pas les qualités requises pour commander. Fort Massacre est un des westerns les plus désenchantés qui soient (son appréhension des guerres indiennes préfigure Fureur Apache) mais son cynisme, quoique pimenté par les dialogues souvent cinglants des soldats, n’est jamais claironnant ou tapageur. Le sens de l’action, rarement unique, n’est jamais surligné par le réalisateur. Exemple: lorsque le sergent assassine un Indien qui vient de se rendre, c’est mis en scène simplement, sans détour ni afféterie.

Cette sécheresse d’expression donne une impression de vérité directe et franche. Cette sécheresse renvoie à l’aridité des paysages rocailleux et se traduit aussi bien par la simplicité du découpage que par la sobriété des comédiens. Joel McCrea, souvent fade lorsqu’il interprétait des héros classiques, trouve ici un de ses meilleurs rôles. L’humanité fêlée de son personnage annonce le sergent Croft des Nus et les morts. Les protagonistes ne sont pas figés dans des stéréotypes de même que leurs actes sont mis en perspectives par le développement du récit: tel geste qui pouvait apparaître suicidaire est parfois expliqué a posteriori. S’il n’a certes pas la dimension cosmique d’un chef d’oeuvre de Walsh, Fort massacre est un film simple, droit et assez beau. A voir.

Ville haute, ville basse (East Side, West Side, Mervyn LeRoy, 1949)

La stabilité d’un couple de bourgeois new-yorkais est ébranlée par le retour en ville de l’ancienne maîtresse du mari.

C’est sans doute un des meilleurs films de Mervyn LeRoy. L’académisme de son style est ici raccord avec la peinture du milieu bourgeois. Soutenu par un quatuor d’acteurs au diapason (Stanwyck/James Mason/Ava Gardner/Van Heflin) et au service d’un scénario finement gradué dans ses effets, le réalisateur arrive à une certaine justesse de la représentation. La sage théâtralité de la mise en scène, si elle échoue à se coltiner les aspects les plus sulfureux du récit (voir la rapidité avec laquelle la tentatrice sombre dans la caricature), insuffle pudeur et dignité à chacun des personnages (à l’exception, justement, de la tentatrice) et fait tendre le mélo vers l’étude de moeurs. L’arrivée du personnage de Van Heflin introduit une complexité qui permet au récit de dépasser le manichéisme de l’opposition fidélité/adultère. Honorable et regardable.

Frisco Jenny (William Wellman, 1932)

A San Francisco au début du siècle dernier, la vie d’une tenancière de maison close accointée avec les politiciens.

Encore un « petit » (de par une longueur inférieure à 75 minutes) film romanesque et percutant de la part de William Wellman. L’hypocrisie sociale est fustigée sans ambages, un gouffre béant d’incertitude morale est substitué au traditionnel manichéisme hollywoodien tandis que le jusqu’au boutisme mélodramatique de la narration aboutit à des paroxysmes franchement sublimes. Vivifiant.

Mam’zelle Mozart (Yvan Noé, 1936)

Un fils de bonne famille tombe amoureux d’une marchande d’instruments de musique dont la boutique est au bord de la faillite.

Cette comédie a des qualités (les épaules de Darrieux, les chansons, les seconds rôles Pauline Carton, Louis Baron fils et Pierrette Caillol, les gags récurrents…bref la fantaisie de l’ensemble) mais n’est guère plus que « sympathique » à cause d’une mise en scène particulièrement paresseuse. Rétrospectivement, Mademoiselle Mozart permet de se rendre compte du talent d’un Decoin.

Une vie simple (Ann Hui, 2011)

Le jour où celle-ci fait une attaque, un célibataire quadragénaire de Hong-Kong s’occupe de sa servante qui travaillait pour sa famille depuis soixante ans…

Vingt-deux ans après le magnifique Song of the exile, ça fait plaisir de retrouver un film de Ann Hui diffusé en France dans des conditions à peu près décentes. Si, avec sa surabondance d’ellipses et ses dialogues réduits à peau de chagrin, le début laisse présager une oeuvre encombrée de « tics du cinéma d’auteur international », la suite montre heureusement qu’elle n’a rien à voir avec les films en carton de Nuri Bilge Ceylan et consorts. A partir du moment où le héros se rend compte combien sa domestique lui est chère, Une vie simple, dont le récit est inspiré des souvenirs de son producteur et scénariste Roger Lee, se met à vibrer d’une sensibilité rare dans le cinéma contemporain.

Ce basculement s’opère définitivement lorsque les camarades d’enfance du jeune homme appellent l’ancienne servante dans sa maison de retraite. En axant la séquence autour de la bouffe, en utilisant discrètement et judicieusement le gros plan au sein d’un ensemble nimbé de pudeur et en s’appuyant sur de formidables interprètes (Deannie Yip en premier lieu), Ann Hui réussit ici une scène pleine de nostalgie et d’humour et, surtout, parvient à quelque chose de difficile et d’invariablement bouleversant au cinéma: la restitution d’une prise de conscience. Du même coup, elle s’inscrit dans la tradition du grand Leo McCarey plutôt que dans celle du sinistre Haneke lorsqu’elle évoque, avec une profonde justesse, les affres de la vieillesse.

Au premier coup d’oeil, on pourra reprocher à Une vie simple son aspect unanimiste, l’absence de conflit dramatique d’un récit qui décrit une relation basée sur les rapports de classes, la très rapide accommodation de la servante à sa maison de retraite (la scène d’arrivée est pourtant terriblement glauque). Après réflexion, ce serait faire un faux procès au film. D’abord, il est évident que montrer la domestique se révolter ou se plaindre aurait trahi la nature profonde d’un personnage qui, pour des raisons culturelles, sociales ou psychologiques, met un point d’honneur à ne jamais faire de vagues. Ensuite, Ann Hui regarde les choses avec une sorte de doux détachement et c’est son droit le plus strict d’autant que ce détachement va de pair avec une exceptionnelle finesse dans l’appréhension des subtilités du coeur humain (voir ainsi la grandeur inattendue avec laquelle est présentée le vieux queutard). Après tout, reproche t-on sa sérénité à Ozu?

Bref, courrez voir Une vie simple pendant qu’il est encore à l’affiche.

L’ultimatum des trois mercenaires (Twilight’s last gleaming, Robert Aldrich, 1977)

Un général renégat s’empare d’un silo de missiles nucléaires et fait du chantage sur la maison-blanche…

Cet opus tardif de Robert Aldrich est une parabole gauchiste aux ressorts particulièrement grossiers et artificiels. Je songe notamment au contenu du fameux document top-secret qui dénote la naïveté du film. Je songe aussi à l’absurdité du fait que le président aille se présenter aux terroristes après avoir accepté leurs exigences. Je songe au fait qu’un simple truand explique à un général étoilé présenté pendant tout le film comme hyper-brillant les pièges (qui sont gros comme une maison) que celui-ci n’a pas anticipés. Ce manque de crédibilité se retrouve aussi dans une mise en scène étonnamment inégale: l’assaut du silo nucléaire ressemble à un braquage d’épicerie tant il manque d’ampleur. Pas de plan large, un montage confus, un décor quasi-ridicule et des péripéties artificielles (le coup du niveau à bulles) font que l’on ne ressent guère la tension de l’évènement. L’utilisation abusive du split-screen ajoute à la confusion générale. Les personnages sont taillés à la serpe (pauvre Richard Widmark!), le film est truffé de coups de stabylo surlignant le discours de l’auteur. Pourtant, le film se suit avec un certain plaisir grâce à la puissance de son ressort dramatique principal, à quelques moments de suspense bien orchestrés et à Burt Lancaster, toujours excellent. Chouette divertissement du samedi soir,  L’ultimatum des trois mercenaires reste un opus mineur au sein de la filmographie de son auteur.

La vallée de la vengeance (Richard Thorpe, 1951)

Le fils adoptif et le fils légitime d’un rancher amoureux de la même femme se déchirent.

Cet argument dramatique principal est enrobé de beaucoup de pistes narratives accessoires. La vallée de la vengeance est un surwestern; c’est donc un western qui met l’accent sur la psychologie plutôt que sur l’action. Le déroulement de l’intrigue n’en reste pas moins simpliste et sans surprise. Quoique traitant de thématiques similaires (on songe à L’homme de la plaine et aux Affameurs), le scénario est très loin d’avoir la finesse des scripts de Philip Yordan ou Borden Chase pour Anthony Mann. Le découpage de Richard Thorpe est quant à lui désolant de platitude. Même ses scènes de convoyage de vaches n’ont aucune ampleur. Les intentions documentaires manifestées par la direction artistique (les costumes sont ainsi anti-glamour au possible) sont ravalées au rang de simples velléités par de regrettables restes de convention hollywoodienne (tel le maquillage de Joanne Dru). Enfin, il faut préciser que le Technicolor est un des plus hideux jamais vus dans le cinéma américain (à moins que ce ne soit le DVD). Bref, La vallée de la vengeance est un mauvais film.

Chouans! (Philippe de Broca, 1987)

En 1793, un révolutionnaire et un noble, élevés par le même homme, se déchirent pour une femme.

Comparée à une superproduction hollywoodienne, la mise en scène de Philippe de Broca peut manquer de souffle mais cette lacune est compensée par la vivacité du rythme. Jamais Chouans! n’est lourd et la légèreté bienveillante du style fait que le film se suit avec un plaisir constant. La version courte est peut-être préférable à la version longue (destinée à la télévision) qui a certes le mérite de développer les personnages mais où la facilité de plusieurs ficelles romanesques a le temps d’apparaître aux yeux du spectateur. Ce d’autant plus que des acteurs aussi limités que les jeunes Lambert Wilson et Stéphane Freiss peinent à incarner les clichés qu’ils sont censés incarner.

Néanmoins, la représentation de la révolution française ne manque ni de justice ni de justesse. Exemple: la scène où, sommé par la femme qu’il aime, Kerfadec provoque le sinistre baron de Tiffauges en duel après avoir affiché son joyeux mépris pour la politique. Ici, de Broca saisit une certaine essence de l’aristocratie. On a connu Georges Delerue plus inspiré et les dialogues de Daniel Boulanger sont savoureux même s’ils versent parfois dans le mot d’auteur. Il y a aussi quelques apogées dramatiques joliment gérées (le couple de cavaliers qui se jette de la falaise!). En définitive, Chouans! est un film aimable dont la mauvaise réputation apparaît injustifiée.

La voix des ancêtres (Victor Sjöström, 1919)

Un riche fermier qui a épousé une femme qui ne l’aime pas monte au Paradis demander à ses ancêtres ce qu’ils feraient dans sa situation.

En adaptant Jerusalem, le roman-fleuve de Selma Lagerlöf, Victor Sjöström a tourné un très long film. Plus de trois heures dans sa version intégrale. Le kitsch des passages au Paradis n’empêche pas que La voix des ancêtres brille par son réalisme et sa sobriété. Par rapport aux oeuvres qui, après la Première guerre mondiale, avaient imposé le cinéma muet suédois comme le premier du monde, il y a ici moins de paysages et plus de scènes en intérieur.

Dans un récit romanesque qui dure plusieurs années, l’auteur retrace une vie conjugale entrecoupée de quelques évènements dramatiques. Il y a dans la peinture des rapports entre la bru et sa belle-famille, entre la femme et son mari, entre le couple et sa communauté, une franchise, un sens de la nuance et une profondeur qui font inévitablement songer à Ingmar Bergman mais qui sont en fait, de par la pudeur du style et l’humanisme du regard, plus proches de Henry King. Quoiqu’il en soit, Sjöstrom se montre incroyablement en avance par rapport aux autres cinéastes des années 10. Même si des évènements très durs sont évoqués (infanticide…), le ton n’est pas mélodramatique.

Délaissant pour une fois les grands espaces, Sjöstrom a raffiné à l’extrême la psychologie de ses personnages. Malgré sa durée et son austérité apparente, La voix des ancêtres n’est pas ennuyeux car le cinéaste a fait en sorte de raconter énormément à travers chaque geste, chaque regard, chaque enchaînement de plans. Ce génie de la mise en scène se retrouve heureusement dans quelques séquences en extérieur. Le plaisir des yeux s’ajoute alors à celui ressenti devant la justesse de l’expression des sentiments. Exemple: le panoramique en plan très très large qui suit l’arrivée d’une carriole au moment de la messe dans un village au bord d’un lac. La sérénité et la vitalité qui émanent de ce seul plan sont extraordinaires.

Bonne critique de ce film méconnu ici.

Les proscrits (Victor Sjöström, 1918)

En Islande, une propriétaire terrienne tombe amoureuse d’un vagabond au passé douteux qu’elle a embauché.

Aux yeux d’un spectateur qui le découvrirait quelques cent ans après sa sortie, seule une petite demi-douzaine de cartons qui redonde par rapport aux images peut altérer la splendeur de ce que Louis Delluc considérait comme « le plus beau film du monde ». Victor Sjöström est ici parvenu à une plénitude classique telle que son oeuvre est appelée à traverser les âges avec la même facilité que L’Odyssée d’Homère. Adaptant une pièce de Jóhann Sigurjónsson elle-même inspirée des sagas islandaises, le cinéaste est aussi à l’aise lorsqu’il filme des danses folkoriques que lorsqu’il filme des amoureux réfugiés dans la montagne, aussi virtuose dans les scènes d’action que dans l’évocation des regrets d’une vie.

Mieux qu’aucun autre réalisateur de son temps, Victor Sjöström sait composer un cadre de façon à flatter l’oeil du spectateur tout en cristallisant la quintessence d’une situation dramatique. Exemple: le plan où les hommes du bailli et le voleur courent à deux hauteurs différentes de l’image. L’inscription des personnages dans les paysages grandioses de la Laponie annonce les meilleurs westerns.

La mise en scène est truffée de savoureux détails réalistes dignes du meilleur Flaherty: le père qui se baigne dans la cascade, l’homme qui porte sa femme pour traverser une rivière, la pêche, la lessive dans les geysers, l’enfant qui fume la pipe avec sa mère…Ces trouvailles font figurer les séquences idylliques à la montagne parmi les plus belles de tout le cinéma muet. Il y a là une fraîcheur absolument intacte.

Cette incarnation réaliste d’un récit quasi-légendaire va de pair avec une extraordinaire subtilité psychologique. Loin d’être des archétypes figés, les personnages sont de chair et de sang et Sjöström restitue leurs changements et leurs doutes avec une finesse rare. J’en veux pour preuve la scène sublime où un voleur attiré par la femme de son ami hésite à couper la corde qui retient celui-ci au-dessus du vide; chaque rebondissement de l’action a une incidence sur la conduite du protagoniste. C’est de la grande mise en scène.

L’absence de jugement moral sur le couple de proscrits est également remarquable. Ni pour ni contre, l’auteur montre les conséquences du choix de ses personnages. Conséquences heureuses, conséquences malheureuses. C’est une idée géniale que d’avoir enrichi le film d’un épilogue où les amoureux coupés du monde sont devenus âgés, ressassent leur passé, leur amertume et s’engueulent. Imaginez Borzage filmer Charles Farrel et Janet Gaynor entrain de vieillir. Cela ajoute la profondeur psychologique au lyrisme. Avec évidence et simplicité.