The plague dogs (Martin Rosen, 1982)

Deux chiens s’évadent d’un laboratoire d’expérimentation animale…

C’est toujours facile d’apitoyer le chaland avec des chiens anthropomorphisés. Prêter au meilleur ami de l’homme conscience et sentiments redoublera évidemment l’empathie du spectateur lorsqu’il se fera pourchasser. Mais pour ne pas se limiter à la traduction sur celluloïd des fantasmes de son auteur, fantasmes qui a priori n’ont pas plus d’intérêt que ceux de ma boulangère, un artifice aussi criant doit, dans une certaine mesure, parler des hommes (exemple: l’anthropomorphisme des fabulistes) or ici, ce n’est pas le cas. La « noirceur » tant vantée par les thuriféraires de ce dessin animé n’est sous-tendue par aucune vision du monde un tant soit peu conséquente. En cela, cette noirceur apparaît aussi nulle et non avenue que l’optimisme d’un Disney. Ce sont les deux faces d’une même pièce. Le contexte dans lequel sont décidées les expériences n’est pas assez précis pour insuffler une quelconque dimension politique au film.

En plus d’être étriqué, le récit se déroule suivant un programme inébranlable et peu surprenant. Malgré de belles idées de narration (l’utilisation de la voix-off notamment), la technique très rudimentaire -les zooms sont la principale source de mouvements de la mise en scène- accroît l’ennui. Je ne nie évidemment pas la tristesse de quelques scènes glauquissimes. Mais qu’y a-t-il derrière ces sensations, sensations de surcroît déplaisantes? D’où ont voulu en venir les auteurs? Quel est le sens de cette sinistre parabole? je ne l’ai trouvé ni dans le film ni dans aucun des papiers enthousiastes écrits à l’occasion de la ressortie du film l’année dernière que j’ai pu lire.

Promenade dans la nuit (F.W. Murnau, 1920)

Un brillant ophtalmologiste délaisse sa fiancée pour une danseuse puis redonne la vue à un mystérieux étranger…

Plus ancien des films de Murnau conservés à ce jour, Promenade dans la nuit montre une maîtrise déjà éclatante de la part du cinéaste. Par sa durée et par les déplacements des acteurs dans le cadre, un plan tel que celui où Lily remarque l’arrivée de l’aveugle montre la densité humaine qu’il sait insuffler à un passage obligé du récit. De plus, les auteurs (le film est le deuxième écrit avec le fidèle Carl Mayer) transfigurent le canevas mélodramatique avec l’attention qu’ils portent aux passions animant leurs personnages, s’éloignant alors rapidement de la convention des archétypes romantiques (la jeune fille pure, l’intellectuel innocent, la tentatrice…). Chacun des quatre protagonistes de ce « carré amoureux » a une part d’ombre et une part de lumière qui se révèleront au fur et à mesure des circonstances. La croqueuse d’hommes se révèlera une amoureuse sincère dans une séquence pleine de fraîcheur et de joie innocente où le jeu gentiment exubérant de Gudrun Bruun-Stefenssen fait merveille. Dans un même ordre d’idées, le personnage le plus apparemment pur, celui de la fiancée, est peut-être celle qui fait s’abattre la fatalité sur l’homme dont elle reste éprise.

C’est d’ailleurs un autre aspect du génie de Murnau que de suggérer -via un montage judicieux- sans expliciter la nature des forces invisibles qui agissent sur la trajectoire des personnages. Dans la plus grande tradition expressionniste, cette présence surnaturelle se manifeste aussi par une mise en parallèle des états d’âme des personnages avec les turbulences climatiques. Images magnifiques d’arbres balayés par les rafales de vent. Fascinante silhouette sombre et dégingandée que celle de Conrad Veidt titubant les bras en avant. Ainsi, Murnau donne une ampleur cosmique à ce qu’il filme et il n’y a pas une once de pathos tant il fait tendre le mélo vers la tragédie. Lorsque le médecin se rend compte qu’il est trompé par la femme qu’il aime, le spectateur n’est pas conduit à s’apitoyer mais à s’inquiéter car l’amour le rend littéralement fou. Ce poids du fatum cher aux Anciens est équilibré par la richesse d’un récit alimentée par toutes les combinaisons que peuvent offrir le jeu dialectique des sentiments. En ce sens, Promenade dans la nuit est le film le plus rohmérien de Murnau.

Voyage sans espoir (Christian-Jaque, 1943)

Une femme qui se préparait à fuir avec son amant criminel rencontre un beau jeune homme…

Cette resucée tardive du réalisme poétique en concentre toutes les tares. Éludant le contexte géographique et social qui -entre autres qualités « terriennes »- empêchait un Quai des brumes de sombrer dans la rêverie de pacotille, le scénariste Mac-Orlan réduit le monde aux quatre personnages principaux de son récit, usant et abusant des coïncidences pour le faire avancer. L’abstraction de l’environnement apparaît donc d’abord comme une facilité de narrateur avant de s’avérer le prétexte idéal à des enluminures visuelles certes chiadées mais recyclant de vieux poncifs (brumes, docks et jets de fumée à qui mieux mieux). Le jeu hiératique de Jean Marais et Simone Renant, les dialogues fumeux et un filmage qui souligne un peu bêtement chaque inflexion du scénario (travelling et compagnie) accentuent la creuse solennité de ce Voyage sans espoir.

La cité de l’indicible peur/La grande frousse (Jean-Pierre Mocky, 1964)

Tandis qu’il poursuit un évadé, un policier légèrement benêt s’arrête dans une petite ville terrorisée par un monstre.

Sympathique comédie policière dans laquelle la fantaisie de la mise en scène, insufflée notamment par une magnifique brochette de seconds rôles, pallie relativement bien la désinvolture de la narration; les deux étant bien sûr étroitement corrélées.

Spéciale première (The front page, Billy Wilder, 1974)

Au moment de couvrir un scoop, un patron de presse tente de retenir son meilleur journaliste qui veut se marier.

Cette nouvelle adaptation de la célèbre pièce de Hecht et MacArthur, entreprise par Billy Wilder parce qu’il était alors au creux de la vague, est un exercice de style mineur, brillant (voir l’exploitation du Cinémascope) et très plaisant où le duo Matthau/Lemmon s’en donne à coeur joie.

La femme aux deux visages (Angelo bianco, Raffaello Matarazzo, 1955)

 

Un veuf éploré tombe amoureux d’une entraîneuse qui ressemble à l’amour de sa vie.

Le potentiel de cet intéressant argument dramatique -anticipant celui de Sueurs froides– est malheureusement vite enseveli sous l’avalanche de péripéties ineptes propre aux mélos de la série Nazzari/Sanson. La fin est pas mal car le talent de Matarazzo trouve à s’y épanouir dans des scènes liturgiques et géométriques.

Un jeu brutal (Jean-Claude Brisseau, 1982)

Suite au décès de sa mère, un médecin paranoïaque prend en charge sa fille infirme et dégoûtée de la vie.

L’extrême dureté de plusieurs séquences n’est là que pour renforcer l’éclat lumineux de la réconciliation des deux personnages principaux avec la Création, sujet principal de l’oeuvre. En cela, cette première réalisation de Jean-Claude Brisseau sortie au cinéma rappelle Dostoïevski (d’ailleurs cité en exergue du film). Parfois mal dégrossi dans son écriture (certains dialogues ne sont pas piqués des hannetons), Un jeu brutal n’en est pas moins un film superbe, porté par l’incandescence de ses deux acteurs principaux (Bruno Cremer et Emmanuelle Debever) et la force archaïque de la mise en scène de Brisseau, déjà très doué pour intégrer les beautés de la nature à ses fictions urbaines (l’ouverture est de ce point de vue remarquable).

Enquête sur une passion (Bad timing, Nicolas Roeg, 1980)

A Vienne, une jeune Américaine victime d’une overdose est conduite à l’hôpital par son amant psychanalyste…

Le film retrace ensuite le passé du couple à travers une narration exagérément alambiquée. Nicolas Roeg fait partie de ces cinéastes qui, dans les années 1970, sont passés pour des expérimentateurs en recyclant les procédés les plus éculés du cinéma muet. Je pense à l’insertion de séquences figurant ce à quoi un personnage est censé penser. Cet exemple suffit à révéler la conception plate et littérale du cinéma qui anime l’auteur. Cet ancien directeur de la photographie aime aussi faire mumuse avec ses focales tel qu’en témoigne cette séquence en champ-contrechamp où, à chaque raccord, l’arrière plan devient de plus en plus flou, sans que l’on ne sache vraiment pourquoi. Chansons pop et standards de la musique classique sont très présents, comme s’ils étaient censés suppléer l’absence d’expressivité de la mise en scène. Comme ils semblent souvent plaqués sur les images, ils ne font que redoubler l’aspect artificiel de cette mise en scène; en dépit de la qualité de l’interprétation de Art Garfunkel et Theresa Russell (Keitel, lui, est ridicule).

Impuissant à rendre sensible la substance dramatique et humaine de cette liaison entre un psychanalyste qui se croit affranchi des carcans sociaux et une jeune paumée dont l’insaisissabilité avive les instincts possessifs de son amant, le réalisateur multiplie donc les effets d’esbroufe pour montrer qu’il est bien présent derrière la caméra. Nicolas Roeg pourrait n’être que prétentieux et incapable. Il se révèle vil et détestable lorsqu’il enchaîne arbitrairement et brutalement une scène d’amour avec un gros plan sordide du type trachéotomie ou avortement.

Avanti (Billy Wilder, 1972)

Un grand patron américain débarque à Naples pour récupérer le cadavre de son père mort en vacances.

Le film raconte comment, au contact de la fameuse dolce vita ainsi que de la fille de la maîtresse de son père, sa carapace de patron insensible et toujours pressé va se fissurer. Evidemment. Le trait de Wilder et Diamond est ici particulièrement caricatural -plus proche de Irma la douce que de La garçonnière. Plusieurs péripéties exploitant le pittoresque des Italiens du Sud selon Hollywood délayent inutilement la dramaturgie (le film dure plus de 2h15, ce qui est beaucoup pour une comédie) et Jack Lemmon grimace plus que jamais. Cependant, le sens comique des auteurs continue de faire souvent mouche (toute l’introduction est fabuleuse) tandis que, sachant aller au-delà de la satire pour rendre ses deux personnages principaux attachants, le cinéaste s’est ménagé quelques moments de grâce: ainsi la caméra s’attarde sur la jeune fille restée dans la chapelle ardente au bord de la mer après que tout le monde en soit parti; plan magnifique s’il en est.

Vie pour vie (Evgueni Bauer, 1916)

Une veuve peine à se remarier car sa fille reste tourmentée par la mort de son père.

Un très bon mélodrame où tout le trouble des passions qui animent les personnages (je pense à la jeune fille paumée, partagée entre inceste et nécrophilie) est évoquée à travers un récit direct et une mise en scène lumineuse de simplicité.

Sixième édition (The font page woman, Michael Curtiz, 1935)

Un talentueux reporter exige que sa fiancée, elle-même journaliste, abandonne son métier. Celle-ci refuse.

Petite comédie américaine sophistiquée typique des années 30. Le rythme est endiablé (les travellings de Curtiz font merveille!) et les dialogues bien sentis. Il n’y a pas à proprement parler de message féministe mais plutôt le récit d’une lutte professionnelle entre une débutante qui va réussir à force de travail et de talent individuel et un concurrent établi qui fait marcher ses réseaux (cf la scène dans le bureau du D.E.A). En cela, Sixième édition est d’ailleurs un film fondamentalement et magnifiquement américain.

Mariti in città (Luigi Comencini, 1957)

Pendant l’été, des maris se retrouvent seuls en ville…

Plus de rigueur dans l’écriture n’aurait pas été du luxe pour faire disparaître l’aspect un peu artificiel de ce récit choral mais Mariti in città reste une comédie plaisante avec des personnages archétypaux que Comencini parvient à rendre relativement vrais et attachants.

Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas? (Luigi Comencini, 1974)

Au début du XXème siècle, le jour de ses noces, une jeune bourgeoise sicilienne apprend que son mari est en fait son frère. Ils ne pourront donc consommer…

Fleuron le plus baroque des fleurons de la comédie italienne, Mon Dieu comment suis-je tombé si bas? impressionne par son ambition. Ambition narrative d’abord. Le récit des tourments sensuels de l’héroïne -enjeu typique des films avec Laura Antonelli- se fait ici à travers un feuilleton picaresque s’étalant sur une dizaine d’années. Le hiatus entre les progrès techniques de la société italienne et son archaïsme moral est particulièrement bien rendu. Tout comme est bien senti le portrait de certaine bourgeoisie sicilienne d’avant-guerre. Avec le personnage de ce notable obnubilé par D’Annunzio qui oublie ses frustrations conjugales dans des rêves de grandeur militaire, les auteurs ont bien croqué la vanité des petits-bourgeois s’enivrant de mythes héroïques jusqu’à en crever. Au demeurant, confronter chacun des deux époux à la poésie de D’Annunzio, source aussi bien d’émancipation que d’aliénation, relance et complexifie intelligemment la machine narrative. Si certains gags grivois sont épais, la satire se distingue donc par sa précision. Nul doute que Comencini et son scénariste Ivo Perilli se sont sérieusement documentés sur l’époque représentée.

L’ambition est également plastique: la direction artistique de Dante Ferretti est à la hauteur de son travail ultérieur avec Fellini et Scorsese. Les couleurs rougeoyantes et les décors somptueux retranscrivent bien l’atmosphère de décadence d’annunzienne dans laquelle évoluent les personnages. De plus, Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas? regorge d’idées « cinématographiques » (voix-off, passage au noir et blanc, passage au muet, accélérés, ralentis) qui, employées toujours à bon escient, permettent aussi bien de jongler avec les différentes strates temporelles du récit sans perdre le spectateur que de vivifier le film et d’y insuffler encore plus de drôlerie. A voir, vraiment.