Valentin Valentin (Pascal Thomas, 2015)

Dans un immeuble, chronique des jours ayant précédé l’assassinat d’un jeune et riche locataire…

Après avoir brillé dans une veine naturaliste, Pascal Thomas s’est mis à tourner le dos à son époque, à exploiter des archétypes et à soigner ses images plus que de coutume. Cette stylisation exacerbée correspond dans son oeuvre à la période 2002-2012. Période pas très heureuse où la gesticulation des acteurs, le chatoiement des couleurs et les intrigues tirées d’Agatha Christie tournaient à vide à cause d’une paresse certaine de l’écriture.

Il y a des reliquats de cet anti-réalisme dans Valentin Valentin. Je pense notamment au lieu de l’action: un immeuble quasi-utopique situé dans une ville indistincte. Les scènes de fête révèlent la conception, vaguement surannée, de la fête selon l’auteur plus qu’elles ne sont en prise avec la réalité des goûts actuels. Des goûts que Pascal Thomas conchie sans doute aussi allègrement que légitimement. Cependant, ce petit monde sous cloche parvient à s’animer d’une vie véritable. Délaissant très vite l’intrigue policière pour n’y revenir que lors d’un final doté d’un admirable sens du rythme où la narration jusqu’ici un peu brinquebalante trouve son harmonie naturelle, Pascal Thomas se focalise sur la multitude de personnages, hommes et femmes, jeunes et vieux, qui habitent l’immeuble.

Un axe commun dans ce récit choral: le plaisir. Qu’il s’agisse du portrait plein d’empathie mais sans complaisance de l’alcoolique jouée par une émouvante Geraldine Chaplin, d’une liaison adultère avec Marie Gillain se montrant peu avare de ses charmes, de la dangereuse passion pour les belles fringues d’une étudiante ou du voyeurisme pédophile d’un jardinier, ce vieux libertaire qu’est Pascal Thomas n’a de cesse de révéler les secrets derrière la façade tout en interrogeant la frontière entre hédonisme et vice avec une lointaine et universelle compassion qui l’apparente au Fritz Lang des derniers films américains.

Le cinéaste a composé cette amère fantaisie avec goût, tact et sensibilité. Un plaisir parmi d’autres: Arielle Dombasle rappelle quelle grande actrice comique elle est. La principale réserve: Vincent Rottiers dans le rôle de Valentin. Il est difficile de croire que tant de femmes soient folles de lui.

Nuits blanches sur la jetée (Paul Vecchiali, 2015)

La rencontre nocturne entre un jeune homme et une femme qui s’est promise à un homme dont elle attend un coup de fil.

La légèreté du dispositif (deux acteurs filmés avec un iphone dans un décor unique) n’induit malheureusement pas souplesse et inventivité mais au contraire rigidité et asphyxie, voire négation pure et simple du cinéma: deux protagonistes en train de parler côte à côte sont filmés en longs plans aussi immobiles qu’eux. A quelques effets volontaristes près (parfois, sans raison précise, le dialogue commence avant l’image), cela résume l’essentiel de Nuits blanches sur la jetée. Les très ponctuelles embardées dans la fantaisie, tel le numéro de danse, sont complètement artificielles et semblent n’obéir à aucune autre nécessité que l’imposition de la signature « Paul Vecchiali ». Le texte a donc une place centrale. Ce texte, inspiré par une des nouvelles les plus mièvres de Dostoïevski déjà plusieurs fois adaptée au cinéma (le meilleur film étant celui de Visconti), ne saurait suffire à maintenir l’intérêt pour les interminables tunnels de dialogues.

The Growler story (John Ford, 1957)

Pendant la guerre du Pacifique, le sacrifice du commandant Gilmore pour sauver son sous-marin, le Growler.

Court-métrage de fiction reconstituant un fait historique, The growler story fut réalisé par John Ford, photographié par les services photographiques de la Marine américaine et exploité à l’intention exclusive des personnels de celle-ci. Il est assez étonnant -mais pas tant que ça lorsqu’on sait l’importance qu’avait la Marine dans la vie du contre-amiral Ford- de voir combien cette commande de l’armée s’avère une oeuvre personnelle du cinéaste. Outre les retrouvailles avec les sempiternels Ward Bond et Ken Curtis, le ton, entre sentimentalité bonhomme et élégie, est typiquement fordien. Le dépôt de la couronne de fleurs sur le sous-marin qui commence à plonger est une belle scène.

Le monde en marche (John Ford, 1934)

De 1825 à 1934, l’histoire d’une famille de producteurs de coton installée en Europe…

Si, par défaut d’esprit de synthèse, Le monde en marche échoue dans son ambitieux et fumeux projet qui serait de faire ressentir la mise à l’épreuve de la solidité familiale par les grands événements politiques, il se regarde avec intérêt grâce au soin apporté à la mise en scène. Même si ce film lui fut imposé contre son gré par la Fox, l’attention et la sensibilité de John Ford lui permettent de réussir des séquences variées: scène galante tout en non-dits dans le vieux Sud, mariage allemand avec larges mouvements d’appareil quasi-ophulsiens, batailles violentes et chaotiques heureusement dénuées d’héroïsme guerrier… Ce talent, qui fait complètement défaut à Frank Lloyd et Noel Coward dans Cavalcade, lui permet de maintenir des personnages crédibles, vivants et attachants même lorsque ceux-ci sont soumis à des conventions d’écriture ridicules (ce qui a trait aux réminiscences des générations antérieures). En cela, le réalisateur est bien aidé par des acteurs excellents, à commencer par Franchot Tone.

Pour la sauver (Just pals, John Ford, 1920)

Dans une petite ville à la frontière du Wyoming et du Nebraska, un vagabond amoureux de l’institutrice se lie d’amitié avec un jeune fugueur…

Premier film réalisé par John Ford pour la Fox. Beaucoup de ses thèmes et motifs de prédilection sont déjà présents dans ce métrage tout juste long. L’hypocrisie sociale des villages de province, le lynchage empêché au dernier moment, la cruauté des enfants entre eux…sont évoqués dans un mélange de cocasserie, de tendresse et de dureté qui semble le reflet de la vie même et qui est si emblématique du cinéma de Ford. Les acteurs sont d’une belle justesse, à commencer par le cow-boy vedette de la Fox Buck Jones, parfait dans un rôle entre Charlot et Cheyenne Harry. Si la caractérisation des personnages est plus sommaire qu’elle ne le sera par la suite, Just pals réjouit franchement par sa sensibilité plastique et son intelligence humaniste très proche de l’esprit d’un Mark Twain.

Folie Folie (Movie Movie, Stanley Donen, 1978)

Deux films en un se passant dans les années 30: l’histoire d’un étudiant qui devient boxeur pour payer l’opération de sa soeur puis celle d’un producteur de comédies musicales qui entreprend son dernier spectacle. On aura reconnu deux schémas typiques du cinéma américain des années 30. Il est navrant de voir Stanley Donen, cinéaste parmi les plus novateurs de l’âge d’or hollywoodien, se complaire, au soir de sa carrière, dans ce stérile passéisme. Les conventions narratives de l’époque, vidées de toute substance et supposées se suffire à elles-mêmes grâce à une hypothétique connivence avec un spectateur « malin », ne fonctionnent pas malgré l’indéniable car très voyante virtuosité du réalisateur. Des ellipses faciles et le surjeu de certains seconds rôles (George C. Scott est, lui, parfait) achèvent d’anéantir les enjeux dramatiques. Movie Movie en dit bien plus sur l’idée, réductrice au possible, que le Hollywood des années 70 se faisait de son glorieux passé que sur ce glorieux passé.

Amour et journalisme (Mauritz Stiller, 1916)

Pour connaître les projets d’un explorateur, une journaliste se fait engager par lui comme bonne à tout faire.

Certains historiens du cinéma ont pu exagérer l’apparentement de la comédie américaine des années 30 à Amour et journalisme: si son canevas est similaire à celui d’un film comme L’amour en première page, ce film suédois, à mi-chemin entre primitivisme et classicisme, reste dénué de la richesse de détails réalistes ou saugrenus qui donne sa saveur aux plus fameux représentants du glorieux genre. Le milieu du journalisme n’est ici pas exploité en tant que tel. C’est des jeux de séduction entre leurs deux protagonistes que les auteurs font leur miel. Le charmant naturel des acteurs et l’aisance du découpage font alors merveille. D’où la fraîcheur et la vivacité inaltérées de cette petite comédie de Mauritz Stiller.

La race des seigneurs (Pierre Granier-Deferre, 1974)

Sur le point d’accepter un ministère, un chef ambitieux de l’opposition hésite à sacrifier sa liaison avec une danseuse…

La précision du contexte familial et politique renforcée par la qualité des seconds rôles, le montage serré et l’incandescence tragique d’Alain Delon, mieux sapé que jamais, insufflent une intensité inattendue à un drame construit de façon quelque peu artificielle (flash-backs et schématique contrepoint).

La gifle (Claude Pinoteau, 1974)

Une étudiante de 19 ans se fâche avec son père divorcé…

A travers le portrait de cette famille petite-bourgeoise décomposée plus que recomposée, Jean-Loup Dabadie et Claude Pinoteau auscultent l’évolution des moeurs post-68 avec tendresse, précision et sans a priori idéologique. Le caractère tragique car insoluble des relations familiales qui se cache derrière la « libération sexuelle » n’est pas escamoté par la plaisante légèreté du ton. Riant, pleurant, s’énervant, Isabelle Adjani démontre son talent précoce mais c’est Lino Ventura qui emporte le morceau avec l’universelle justesse de son incarnation du père dépassé par sa progéniture féminine. Je l’ai rarement vu aussi émouvant. Francis Perrin apporte une touche comique très efficace. Bref, La gifle est une très jolie comédie, où l’acuité de la vision sociologique va de pair avec l’appréhension pleine et entière des personnages en tant qu’individus.

La campagne de Cicéron (Jacques Davila, 1989)

Pseudo-marivaudage entre bobos dans une maison de campagne.

Ce canevas canonique du cinéma français est vidé de toute substance par l’absence de rythme dans la narration, la nullité de la dramaturgie, le décalage sans objet de la direction d’acteurs et les dialogues gratuitement saugrenus. Reconnaissons toutefois une sensibilité de coloriste, aussi vaine qu’éclatante.

Chérie recommençons (Once more, with feeling!, Stanley Donen, 1960)

Un chef plaqué par sa femme harpiste tente d’embaucher celle-ci dans son nouvel orchestre…

Comédie de remariage adaptée d’une pièce de théâtre et tournée en Angleterre. Le déroulement est particulièrement statique, les décors luxueux mais uniformes. Les couleurs pastels sont agréables et quelques gags sont drôles mais cette timide stylisation, au service d’une dramaturgie absolument conventionnelle, tourne à vide. Les personnages demeurent à l’état de marionnettes archétypales.

La chatte (Henri Decoin, 1958)

Sous l’Occupation, une résistante est retournée par un agent de l’AbWehr amoureux d’elle…

Très inégal. Deux scènes d’action sèches et percutantes encadrent un film médiocre: les conventions dramatiques préférées à la vérité documentaire sur les réseaux de résistance ainsi que l’absence de finesse dans la mise en scène nuisent gravement à la crédibilité des situations représentées. Certaines scènes, tel l’empoisonnement avorté, sont carrément risibles au lieu d’être palpitantes. Françoise Arnoul est mignonne.

Du sang dans la prairie (Hell bent, John Ford, 1918)

Un tricheur en fuite devient videur du saloon d’une petite ville de l’Ouest…

Le film débute par une mise en abyme où un romancier reçoit une lettre de son éditeur lui demandant des personnages « ni tout noirs ni tout blancs ». Cette exergue fait office, pour les auteurs du film, de profession de foi tant il est vrai que le comportement des personnages de Hell bent n’obéit pas à une dramaturgie manichéenne mais dépend des circonstances. D’où la surprise sans cesse renouvelée du spectateur. Cette liberté se retrouve aussi dans l’aisance des changements de registre: tout à tour comique, violent et sentimental, le récit de Hell Bent aborde, sans avoir l’air d’y toucher mais avec une profonde intelligence des êtres et des situations, des thématiques chères à Ford: questionnement sur la morale, noblesse retrouvée, amitié virile. Le rythme est vif, les images mouvementées, le découpage simple mais maîtrisé. Le cinéaste exprime déjà sa proverbiale sensibilité lorsque, par exemple, il insère un gros plan sur le joli visage de Neva Gerber. Harry Carey est, comme toujours, excellent de sentimentalité rentrée. Bref, après le splendide Straight shootingHell Bent confirme combien est grave pour les cinéphiles la disparition de près de 90% des westerns réalisés par John Ford avec sa première vedette.

L’Arlésienne (André Antoine, 1922)

En Camargue, un honnête jeune homme s’entiche d’une gourgandine…

L’Arlésienne est une des réussites les plus éclatantes d’André Antoine cinéaste. D’abord, l’abondance de plans larges sur les décors naturels de Camargue avec le vent qui secoue feuillages et linges, les bergers qui veillent sur les moutons à la belle étoile ou encore les gardians qui ramènent les chevaux à travers les dunes, cette abondance de plans larges, donc, donne un ancrage réaliste à la sombre tragédie d’Alphonse Daudet. Leçon du western, leçon des grands muets suédois, leçon d’André Antoine. Si la première partie paraît un peu laborieuse et confuse par manque d’unité dramatique, c’est toute une petite famille qui finit par exister à l’écran. La synthèse entre des éléments qui semblaient jusqu’ici éparpillés se réalise pleinement lors du remarquable climax qui précède le mariage. Le rythme, auquel participe un montage élaboré, devient alors palpitant et inquiétant. L’Arlésienne resta malheureusement le dernier film d’Antoine.

Riley the cop (John Ford, 1928)

Un policier débonnaire qui « n’a jamais arrêté personne » est envoyé en Europe arrêter un jeune homme de son quartier soupçonné de vol.

Comédie policière sympathique et parfois amusante mais dont la complaisance, notamment la complaisance dans le pittoresque, finit par lasser. La musique est médiocre, comme souvent dans les premiers films sonores.

Gagnant quand même (The shamrock handicap, John Ford, 1926)

Le palefrenier d’un châtelain irlandais ruiné devient jockey en Amérique…

Une pépite typiquement fordienne à base d’exil, d’Irlande et de rêve américain. Disons-le clairement: le traitement de la différence entre l’Irlande et les Etats-Unis, qui constitue le sujet du film, est ici plus franc, moins enjoliveur et moins superficiel que dans L’homme tranquille. Dès 1926, l’absence d’illusion de John Ford quant aux mythes américains est évidente: The shamrock handicap n’a rien d’un hymne à la réussite par le travail acharné. Sans oblitérer l’absence d’avenir économique dans la verte Erin, le cinéaste montre les fêlures et les échecs d’un petit Irlandais propulsé sur les champs de course par un capitaliste nullement méchant mais dénué d’état d’âme. Dans ce rôle, le jeune Leslie Fenton se révèle un excellent acteur, sobre et touchant. Le couple qu’il forme avec la pétillante Janet Gaynor est ravissant. Le relatif pessimisme de l’oeuvre n’empêche nullement la gaieté, la bonne humeur et l’humour fordiens de s’exprimer à travers notamment le truculent personnage de J. Farrell MacDonald. Les cartons sont parfois joliment poétiques. Enfin, la lumière de George Schneiderman est belle et les images sont, comme toujours, composées avec la plus naturelle des perfections.

Le désordre et la nuit (Gilles Grangier, 1958)

Enquêtant sur le meurtre d’un patron de boîte de nuit, un flic s’amourache d’une jeune toxicomane…

Au-delà de l’enquête policière (téléphonée), l’intérêt dramatique du récit vient de la relation qui s’établit entre le vieux flic allant jusqu’à démissionner et la jeune toxicomane. Malheureusement, le trouble et l’ambiguïté sont des notions parfaitement étrangères au cahiers des charges d’un véhicule pour Gabin et à la mise en scène d’un Grangier. D’où l’impression regrettable d’un film regardable mais velléitaire et franchement inabouti. Les gambettes de Nadja Tiller sont sublimes.