La Femme du hasard (Flame of the islands, Edward Ludwig, 1956)

Une femme investit dans un bar des Bahamas pour retrouver son premier et richissime amant…

Le scénario, entre mélo et polar, est particulièrement tordu mais la mise en scène est sans éclat. Flame of the islands, film d’aventures de derrière les fagots s’il en est, garde aujourd’hui un zeste d’intérêt grâce à la beauté somptueuse de Yvonne De Carlo.

Les « amis » (Gérard Blain, 1971)

Un jeune homme a une relation avec un homme plus vieux et plus riche que lui…

Les « amis » (les guillemets font partie du titre) peut être vu comme l’histoire d’un fils de prolo mal-aimé par sa famille trouvant dans sa relation avec un riche imprimeur la fenêtre ouverte sur un monde dont il voudrait faire partie. La nature de cette fenêtre, illusoire ou pas, est tout le sujet du film. Le cinéaste débutant -très influencé par Robert Bresson- est particulièrement doué pour évoquer un milieu social et le sentiment que celui-ci suscite en un minimum de plans choisis avec la plus grande des précisions. Ce sens de la métonymie lui permet également de dépeindre la relation homosexuelle avec un tact extraordinaire qui touche, dans les dernières images, au sublime. Le regard de Gérard Blain sur ses personnages a des qualités de franchise, de droiture et de pudeur extrêmement rares au cinéma. Comme le dit si bien Michel Marmin dans le Spectacle du monde de décembre 1971, Les « amis » réussit le prodige d’être « sans ambiguïté mais riche de nuances ». Cette richesse de nuances, couplée aux légères ritournelles de François de Roubaix, situe Les amis à l’opposé de la rigidité fataliste des travaux ultérieurs du cinéaste et contribue à en faire son film le plus délié et le plus touchant.

Autre texte enthousiaste ici.

The Rose (Mark Rydell, 1979)

Le tragique destin d’une chanteuse de rock qui voudrait raccrocher.

Plutôt que de retracer d’une façon attendue la carrière « ascension et chute » de cette star inspirée par Janis Joplin, les auteurs ont eu l’intelligence de concentrer leur récit sur une courte durée. Raconter Rose à travers sa dernière histoire d’amour leur permet de broder de multiples variations autour de la dialectique qui définit leur personnage: sex, drugs & rock&roll VS tentation de la fuite romantique avec un jeune homme apparemment « pur » rencontré dans des circonstances échevelées. A la manière de beaucoup de stars -j’ai bizarrement pensé à Gérard Depardieu-, Rose vit dans une sorte d’éternel présent qui contrecarre inlassablement ses velléités affectives à long terme. Cette opposition se traduit aussi bien par de longues scènes de comédie pleines de répliques bien senties où l’énergie tourbillonnante de Bette Midler se déploie joyeusement que par de brusques surgissements d’une tristesse enfouie. L’actrice se révèle un sensationnel petit bout de femme qui combine la capacité d’abattage d’une Katharine Hepburn et la verdeur d’une Mae West. Autour d’elle, les seconds rôles sont bons, surtout Alan Bates dont le personnage de manager n’est jamais caricaturé. Enfin, les concerts, filmés fastueusement, subliment les contradictions de la chanteuse. Bref, The Rose est un film attachant, clairement un des meilleurs sur le rock&roll, qui gagne à être vue dans une salle comble; comme les concerts du personnage.

Lorna Doone (Maurice Tourneur, 1922)

Dans l’Angleterre du XVIIème siècle, un fermier délivre une princesse enlevée par des renégats…

La mise en scène de Maurice Tourneur ne se soucie guère d’insuffler une profondeur psychologique aux archétypes romanesques mais pourvoit la reconstitution historique d’un réalisme rare et dote les scènes d’action d’un dynamisme saisissant. Madge Bellamy est bien.

La dame d’onze heures (Jean Devaivre, 1947)

Un explorateur accueilli chez des amis riches enquête sur des lettres anonymes puis des meurtres…

Polar baroque et échevelé à l’inventivité formelle et narrative assez exceptionnelle dans le cinéma français des années 40. Les trouvailles commencent dès le tout-début puisqu’en lieu et place du générique, le spectateur a droit à une version abrégée et commentée du film qu’il va voir, ce qui le propulse dans une atmosphère de mystère comme le ferait le quatrième de couverture d’un roman policier anglais. Tout ça est assez superficiel -les auteurs usent de moyens compliqués pour raconter des histoires convenues- mais plaisant d’autant que les acteurs -en tête desquels Paul Meurisse, dégingandé et alerte émule de Rouletabille- sont parfaits.

La cité des dangers (Hustle, Robert Aldrich, 1975)

Un flic amoureux d’une call-girl enquête sur les circonstances du suicide d’une jeune fille…

Enième polar dans la veine du Grand sommeil avec ses élites pourries et sa ville écrasée par le soleil. L’écriture est assez désinvolte et la mise en scène n’est pas d’une grande élégance. Mais une belle singularité est apportée par le personnage du père de la victime incarné avec une touchante humanité par Ben Johnson. L’absence de crime perpétré contre sa fille rend d’autant plus flagrante l’injustice sociale dont il est victime. Et le sursaut final du flic n’en est que plus beau.

Le secret du bonheur (Victory, Maurice Touneur, 1919)

Un ermite retiré sur une île s’attire des ennuis lorsqu’il recueille une jeune femme exploitée…

Bon film d’aventures adapté de Joseph Conrad. Le pittoresque de la distribution (en particulier Lon Chaney), l’ambiguïté de la conduite de l’héroïne et les éclairages contrastés de René Guissart installent une atmosphère trouble tandis que le découpage inventif et elliptique dramatise judicieusement les scènes d’action.

Le jouet (Francis Veber, 1976)

Après 17 mois de chômage, un journaliste est « demandé » en tant que jouet par le fils de son richissime patron…

Le premier film réalisé par Francis Veber est aussi son plus incisif. Rarement la comédie française avait représenté la lutte des classes et attaqué le pouvoir de l’argent aussi franchement. Marcel Dassault est clairement satirisé. La particularité du Jouet est d’inscrire ce discours social dans le monde de l’enfance. Un enfant gâté et délaissé s’entiche, d’abord par caprice puis par amour filial, d’un adulte en qui il a reconnu un semblable; d’où une dialectique de l’enfance et de la responsabilité qui correspond avec une dialectique de l’humiliation et de la dignité retrouvée. Même si son argument de base peut paraître artificiel, la mécanique narrative concoctée par Francis Veber est exceptionnelle de par sa richesse et la précision de ses emboîtements.

Sans pour autant se déballonner politiquement, l’auteur évite le militantisme manichéen à l’image de la séquence de la garden-party où « le jouet » ne rejoint pas les syndicalistes qui manifestent derrière la grille mais retourne le rôle humiliant que les riches lui font jouer et met le bazar chez son patron, à sa façon régressive et poétique. De même que Michel Bouquet dans le rôle de l’industriel, Pierre Richard est évidemment parfait dans le rôle du jouet. Son talent burlesque est joliment exploité par le metteur en scène débutant. Si, par la suite, Francis Veber a fait plus drôle, il a rarement fait plus équilibré que cette fable où la tendresse est érigée en rempart ultime contre le pouvoir de l’argent.

 

Les misérables (Henri Fescourt, 1925)

Jean Valjean, ancien forçat se repend en recueillant Cosette…

Illustration du roman de Hugo pas franchement nulle mais fort ennuyante de par son académisme. Sur les 6 heures 20 de projection, il y a bien deux ou trois scènes réussies (l’image saisissante de Waterloo, la fuite dans les égouts) mais les adaptateurs n’ont eu aucune intelligence de la narration cinématographique et du rythme qu’elle impose. Les quatre épisodes n’ont guère d’unité dramatique et, très souvent, les images redondent entre elles. Exemple: il se passe cinquante minutes avant que Jean Valjean ne quitte la maison de l’évêque avec les chandeliers. Ce qui, dans les autres adaptations, constitue une exposition traitée en un quart d’heure est ici d’une lourdeur atroce du fait que la situation de Jean Valjean rejeté par les aubergistes est délayée à coups de scènes parfaitement répétitives. Quant à la mise en scène, si elle dispose de moyens importants, elle n’est guère plus imaginative et variée que l’écriture.

Dernier amour (Dino Risi, 1977)

Un comédien en maison de retraite s’y entiche d’une jeune femme de chambre et s’enfuit avec elle…

Imaginez un remake de A star is born par le Duvivier de La fin du jour. L’amertume de l’oeuvre se traduit parfois par une certaine exagération du trait, tel la caricature du directeur de la pension, dont la méchanceté est assez injustifiée. La représentation de cette pension est grotesque jusqu’au fantastique; on n’est pas très loin de Ames perdues tourné la même année. En revanche, dans la deuxième partie, l’amour paradoxal et ambigu entre le vieux comédien et la jeune fille est dépeint avec une froide lucidité qui n’exclut ni le sordide ni les moments de tendresse, aussi rares soient-ils. Ugo Tognazzi est très bon, comme à son habitude, et Ornella Muti est belle à damner un saint (on ne lui en demande pas plus). Aigre, crépusculaire et inégal, Primo amore, renommé à contre-sens par les distributeurs français, n’est clairement pas la plus séduisante des comédies italiennes mais Risi y démonte l’illusion amoureuse avec une force certaine. A cet égard, la fin est un grand moment de mise en scène.

L’oiseau bleu (Maurice Tourneur, 1918)

Deux enfants pauvres rêvent d’un pays merveilleux où un oiseau bleu leur promet le bonheur.

L’histoire tirée de Maeterlinck n’a aucune espèce d’intérêt dramatique et les trucages, lumières, accessoires et costumes, dont certains firent effet en leur temps et annoncent Le cabinet du docteur Caligari, ne font qu’accentuer la fausseté brinquebalante de l’oeuvre. L’oiseau bleu est un nouvel exemple de cette loi qui dit que les films réalistes et classiques vieillissent mieux que les bidouillages oniriques à base d’artifices divers et variés.

Law and order (Edward L.Cahn, 1932)

L’ancien shérif de Wichita est embauché pour mettre de l’ordre à Tombstone.

Petit western adapté de W. R. Burnett par John Huston qui frappe par sa dureté et sa sécheresse. Séquence étonnante et peut-être unique dans l’histoire du cinéma américain: après avoir sauvé un homme du lynchage, le shérif le conduit à la potence une fois qu’il a été légalement jugé. Cette scène de pendaison s’avère de plus particulièrement éprouvante car le condamné, idéalement joué par Andy Devine, a très peur de monter sur l’échafaud. Les auteurs montrent un héros, ersatz de Wyatt Earp, qui rechigne à rempiler et qui ne se fait aucune illusion sur le rétablissement du « law and order ». D’où une fin parmi les plus désenchantées du genre. Toutefois, en dépit des nombreux travellings, la mise en scène n’a pas le dynamisme de Afraid to talk.

Le comte de Monte Cristo (Henri Pouctal, 1917-1923)

La vengeance d’Edmond Dantès, trahi, emprisonné, évadé et devenu comte de Monte Cristo.

Feuilleton en huit épisodes ressorti en 1923 dans une version raccourcie à 3h. C’est cette version que j’ai vue. Ceci explique peut-être le rythme haché et soûlant qui empêche toute implication du spectateur dans le récit, toujours aussi rocambolesque. Le jeu des acteurs est globalement conventionnel et exagéré. Du point de vue du découpage, c’est nettement plus primitif que Travail même s’il y a des images assez fortes, telles celles au château d’If, et une utilisation audacieuse du clair-obscur (plus obscur que clair) par Léonce-Henri Burel. Tout ça pour dire que Le comte de Monte Cristo version Pouctal a plutôt mal vieilli.

Stella Dallas (King Vidor, 1937)

En province, l’ambitieuse épouse d’un homme parti travailler à New-York subit, avec sa fille, l’ostracisme progressif de la communauté.

Dans le rôle-titre, Barbara Stanwyck surjoue quelque peu. Cette exagération ôte leur crédibilité à certaines scènes telle celle où la vulgarité de l’héroïne la rend ridicule aux yeux des WASP en goguette. D’une façon générale, une personnalité aussi riche et aussi complexe que celle de Stella Dallas nécessite une interprétation sobre et nuancée. Belle Bennett, dans la première adaptation réalisée par Henry King, était plus convaincante. Ici, c’est comme si une scène correspondait à l’illustration d’un trait de caractère. Du coup, la cohérence du personnage peine à être rendue sensible. Par ailleurs, l’ambition romanesque n’est pas pleinement réalisée à cause d’une construction assez théâtrale basée sur les dialogues en intérieur qui altère l’évocation de l’arrière-plan social. Enfin, la mise en scène s’avère moins inventive que dans la version muette mais il y a tout de même plusieurs séquences, telle celle du wagon-lit, dont le lyrisme reste fort émouvant. Bref, le Stella Dallas de Vidor est un remake qui fonctionne par a-coups -et c’est alors magnifique- mais qui dans l’absolu s’avère dispensable.

Salute (John Ford, 1929)

Quoique peu attiré par la Marine, le petit fils d’un grand amiral rejoint l’école navale d’Annapolis…

Historiquement parlant, Salute est un film important dans la carrière de John Ford. C’est le film qui lui a fait découvrir -et aimer à vie- la Marine. C’est le premier film qu’il a tourné avec Stepin Fetchit et Ward Bond, ce dernier faisant ici sa première apparition au cinéma. C’est aussi le premier rôle important (même si secondaire) de John Wayne.

Esthétiquement parlant, en revanche, Salute est un film mineur de son auteur. Si les parades sont joliment filmées et les matches de football américain découpés avec un dynamisme rare en ces débuts de parlant, le récit est platement conventionnel et la morale qui s’en dégage d’un simplisme rare chez ce grand artiste dialectique qu’était John Ford. Les scènes de bal et de bizutage sont émaillées de quelques trouvailles amusantes mais ces scènes existent comme en dehors de l’intrigue, elles ne lui donnent pas corps.

Le veuf (Dino Risi, 1959)

Un homme d’affaire raté mariée à une femme très riche qui le déteste rêve très fort de devenir de veuf…

Comédie noire dans laquelle la satire sociale s’étrique rapidement mais qui frise l’onirisme de par un scénario fondé sur la variation d’un motif dramatique répété trois fois et l’abrupt de plusieurs raccords. Ainsi, Le veuf est aussi proche des comédies anglaises Ealing que des classiques de la comédie italienne mais heureusement, les auteurs ne se contentent pas de se repaître de leur cynisme et Alberto Sordi apporte une certaine humanité au personnage principal. Mineur mais plaisant et intéressant.

 

Des nouilles aux haricots noirs (Lee Hey-jun, 2009)

Après s’être jeté du haut d’un pont, un jeune homme largué par sa copine se retrouve seul sur une île au large de Séoul. Là, une hikikomori l’apercevra avec ses jumelles et nouera une sorte de relation à distance…

N’ayant aucun recul sur ses personnages de demeurés sans intérêt, le réalisateur signe un film sans intérêt. La mise en scène se réduit à une espèce de vernis publicitaire qui rend tout uniformément « cool et sympa », à la façon des pires films branchouilles américains, et aucune dialectique dramatique ne se crée. Seul effet de réel de ce film aussi autiste que ses personnages: une complaisance dans la plus basse des trivialités censée être amusante.

Jimmy le mystérieux (Alias Jimmy Valentine, Maurice Tourneur, 1915)

Après avoir sauvé la fille d’un banquier d’une agression, un perceur de coffres tente une rédemption…

Le sens de la composition picturale, la sobriété de la direction d’acteurs, la précision du rythme des images qui fait naître le suspense, les vues en plongée qui clarifient l’action ou, au contraire, la multiplicité des angles de caméra qui induit une multiplicité des points de vue sur celle-ci et enrichit le drame sont autant de qualités montrant le génie cinématographique de Maurice Tourneur et plaçant ce film de gangsters primitif au premier rang des productions américaines de l’époque.