Veillée d’amour (When tomorrow comes, John M.Stahl, 1939)

Un riche pianiste tente de séduire une jeune serveuse syndiquée…

Sorti la même année et réunissant le même couple d’acteurs, When tomorrow comes évoque immanquablement le chef d’oeuvre absolu qu’est Elle et lui. On y retrouve cette noblesse dans l’expression des sentiments qui sublime le mélodrame. Les deux premiers tiers où les protagonistes sont suivis sur une période de moins de 24 heures sont touchants de par l’habileté du scénario à confronter un homme et une femme issus de milieux sociaux opposés. Il est rare de voir une héroïne de film hollywoodien évoquer la lutte des classes. C’est ce que fait le personnage d’Irene Dunne ici et c’est ce qui évite à l’intrigue de tendre vers la niaiserie façon Cendrillon.

Cependant, lorsqu’il s’agit de faire décoller le récit et d’en faire ressentir tout le lyrisme plus ou moins rentré, la froideur routinière du découpage de John M.Stahl, froideur qui pouvait jusqu’ici passer pour de la pudeur, en vient à handicaper la mise en scène et à empêcher When tomorrow comes d’être la grande oeuvre que son début laissait présager. Une fois que le contexte social est évacué, on a trop souvent l’impression d’assister à l’enregistrement d’une pièce de théâtre. Ainsi de la fin, acmé supposée se réduisant en fait à un dialogue filmé en un quasi-unique plan fixe. When tomorrow comes n’en demeure pas moins un joli film, nettement plus réussi que le vague remake de Sirk et idéalement servi par l’interprétation pleine d’élégance de Charles Boyer (en revanche, une actrice plus plébéienne qu’Irene Dunne eût mieux convenu à  la serveuse qu’elle incarne).

La belle de New-York (Charles Walters, 1952)

Un séducteur s’entiche d’une vertueuse demoiselle de l’Armée du salut…

Quelques gags gentiment satiriques surnagent dans un océan de platitudes. Les numéros de danse sont loin d’avoir le dynamisme et l’entrain de The Barkleys of Broadway. Du coup, le parti-pris de faire s’envoler les personnages s’avère plus désastreux qu’autre chose. Assommant.

La plume blanche (Robert D.Webb, 1955)

Alors que les Cheyennes sont la dernière tribu à ne pas avoir signé le traité de paix, un jeune colporteur noue une amitié avec le fils du chef…

Ce western pro-indien se distingue des autres en ceci qu’il ose représenter une histoire d’amour entre le héros blanc et une Indienne. Il se montre ainsi plus audacieux que Danse avec les loups réalisé 35 ans plus tard. Le scénario signé Delmer Daves est fin et habile mais, handicapée par la fadeur de Robert Wagner, la mise en scène manque de point de vue et de conviction. Sauf dans la très belle séquence finale, la fusion des différents arcs narratifs apparaît laborieuse et artificielle. Plus que jamais, le Cinémascope permet au réalisateur d’éviter de faire des choix dans son découpage. Les plans larges sont nombreux et riches de figurants mais cadrés sans imagination. A certains instants, la photo de Lucien Ballard supplée remarquablement cette lacune, tel les images de l’exode où les Indiens apparaissent comme sédimentés par l’Histoire. Bref, La plume blanche est un bon western qui aurait pu être grand si Robert D.Webb s’était montré plus inspiré par son matériau, intéressant à divers titres.

Etre ou ne pas être (René Leprince, 1922)

Un commandant de sous-marin droit dans ses bottes est entraîné par un ami à fumer de l’opium alors que son bâtiment est en manoeuvre…

L’étroite corrélation entre les péripéties de l’action et le drame psychologique vécu par le héros est bien restituée grâce, en premier lieu, à l’interprétation de Léon Mathot. Sans être génial, René Leprince avait du talent pour la mise en scène de cinéma. Les facilités manichéennes du dénouement montrent que si Etre ou ne pas être est un film bien fait, il n’a pas l’ambition de se distinguer de la production courante.

125, rue Montmartre (Gilles Grangier, 1959)

Après avoir sauvé un homme qui s’était jeté dans la Seine, un livreur de journaux se retrouve entraîné dans une sale histoire…

La première partie où Gilles Grangier filme la naissance de l’amitié entre un livreur de journaux et un fils de famille suicidaire brille par la chaleur de son atmosphère. Paris est représenté avec un réalisme populiste qui, sans en atteindre le génie, rappelle les merveilleux films de Jacques Becker, tel Antoine et Antoinette. Fin et rigoureux, le réalisateur fait preuve à plusieurs reprise d’une belle inventivité visuelle pour faire avancer la narration sans le secours de son illustre dialoguiste, Michel Audiard. Celui-ci se montre d’ailleurs moins envahissant qu’il n’a pu l’être par la suite. Précis et savoureux, son texte n’est pas ici flamboyant au point de décrédibiliser les situations dans lesquelles il s’inscrit. Par ailleurs, la relation entre Lino Ventura et Dora Doll est nimbée d’une tendresse à l’opposé de la misogynie souvent caractéristique d’Audiard. Les acteurs sont très bons, surtout Jean Desailly et même Robert Hirsch dont l’apparente fausseté s’explique in fine.

Environ à la moitié du métrage, un rebondissement fait dévier la chronique amicale quoique mystérieuse vers le pur polar. Fort bien amenée, cette invraisemblance rendue vraisemblable par l’écriture donne une saveur hitchockienne à 125, rue Montmartre. En revanche, le développement qui s’ensuit obéit à la convention comme quoi Ventura doit casser lui-même la gueule à son ennemi, ce qui étrique le récit et ôte à la mise en scène une part du réalisme qui faisait son prix. Il n’en reste pas moins que 125, rue Montmartre demeure un film vivant et attachant, plus à même de justifier la réputation flatteuse de Gilles Grangier chez certains cinéphiles que ses véhicules pour Gabin.

Saddle tramp (Hugo Fregonese, 1951)

Suite au décès accidentel de son frère chez qui il faisait étape, un cow-boy solitaire prend en charge ses neveux…

La tonalité de Saddle tramp est assez originale en ceci que son côté enfantin ne désamorce jamais complètement les enjeux dramatiques. Hugo Fregonese a su intégrer les facéties un peu comiques des enfants au western sans que la crédibilité de la narration n’en pâtisse. Il y a ainsi quelque chose de « dwanesque » dans l’itinéraire de ce héros chez qui les circonstances développent des qualités de bienveillance et d’altruisme sans que cela n’apparaisse jamais forcé ou appuyé. Les courtes scènes où il retrouve sa famille ont une telle densité d’expression que l’évolution du personnage apparaît naturelle. Moins violent et moins dur que Quand les tambours s’arrêteront ou Passage interdit, Saddle tramp bénéficie lui aussi d’une somptueuse photo de Charles P. Boyle. Son Technicolor, à l’opposé de la sobriété réaliste en vigueur par ailleurs à Universal (dans les chefs d’oeuvre de Mann notamment), est plein de contrastes baroques qui donnent aux images un relief saisissant. Saddle tramp est donc une nouvelle réussite à l’actif de Fregonese malgré une dernière partie un peu décevante du fait que l’artifice des conventions y reprend le dessus, ce qui étrique quelque peu le récit.

The fabulous Texan (Edward Ludwig, 1947)

De retour de la guerre de Sécession, un Texan devient peu à peu hors la loi…

Bon petit western, situé entre la série B et la série A. Wild Bill Elliott fut en son temps une star du genre mais c’est John Carroll, dont le personnage est plus complexe et plus fascinant, qui lui vole la vedette. L’histoire est intéressante et développée avec une certaine sensibilité et une franchise qui évite trop de simplisme dans la dramaturgie. Il y a plusieurs scènes d’action trépidantes et mouvementées. Enfin, la photo a un petit charme vaguement charbonneux.

Les eaux troubles (Henri Calef, 1949)

Dans un village près du Mont Saint-Michel, une femme revient dans sa famille suite à la mystérieuse mort de son frère…

Les velléités d’originalité de la mise en scène (nombreuses scènes muettes) ne font pas illusion longtemps sur la nature de ce recyclage appliqué de trucs pseudo-expressionniste. Le caractère fondamentalement académique de ces Eaux troubles est également trahi par une direction d’acteurs pataude. Un Jean Grémillon aurait fait ressentir les lieux et les âmes de ce drame breton avec autrement plus de puissance. En l’état, ce drame consiste essentiellement en une énigme à deux balles artificiellement entretenue pendant une heure et demi. Notons enfin qu’une musique répétitive et envahissante propulse plusieurs séquences aux limites de l’insupportable.

L’éclair (Mikio Naruse, 1952)

Une jeune fille dégoûtée par les combinaisons sordides de ses soeurs est mal à l’aise au foyer familial.

L’austérité étouffante de la mise en scène est nuancée par les moments où la jeune soeur, excellemment interprétée par Hideo Takamine, s’évade de son quotidien grâce, notamment, à la musique jouée par sa voisine. Le côté désespérant de son environnement est retranscrit avec justesse par Naruse, cinéaste nettement plus subtil que Bergman lorsqu’il s’agit de portraiturer des femmes et leurs désirs sans la moindre complaisance. Le film est très beau grâce à la façon dont il neutralise cette dialectique étouffement familial/soif d’évasion: un final sublime où surgit l’éclair éponyme en même temps qu’explose un torrent d’amour filial.

La mère (Mikio Naruse, 1952)

Suite au décès de son père, une jeune fille voit sa mère surmonter tant bien que mal les difficultés économiques de la famille…

Mikio Naruse donne une résonance universelle à la chronique intimiste en inscrivant celle-ci dans un contexte socio-historique précis: le Japon du début des années 50 où les mères devaient se débrouiller sans homme, décimés par la guerre, pour assumer leur famille. L’incidence directe des contraintes économiques sur les sentiments familiaux rend le drame d’autant plus fort et d’autant plus déchirant. La pudeur du style de Naruse, qui va toujours de pair avec l’empathie et qui n’exclut pas le lyrisme -notamment dans l’utilisation de la voix-off-, hausse le ton jusqu’au sublime.

Porto das caïxas (Paulo Cesar Saraceni, 1962)

Une femme séduit des hommes pour qu’ils tuent son mari.

On pourrait croire à une transposition du Facteur sonne toujours deux fois au Brésil mais l’intrigue serait tirée d’un fait divers des années 50. Cette oeuvre emblématique du Cinema Novo est un tel concentré des clichés ordinairement attachés au cinéma d’auteur étranger qu’elle m’a plusieurs fois évoqué le fameux Thérésa des Inconnus. Noir et blanc esthétisant, immoralisme absurde, rythme languissant et monotone, récit étriqué et répétitif, discours politique saupoudré artificiellement, font un film aussi vide que plombant. Mieux vaut revoir Ossessione.

La diligence vers l’Ouest (Stagecoach, Gordon Douglas, 1966)

Une diligence avec à son bord une prostituée, un bandit, un docteur alcoolique, un banquier, et un joueur part vers l’Ouest à travers les territoires indiens…

Remake habile et parfaitement inintéressant du grand classique de John Ford. Les vertus de concision de l’original ont laissé place à une lourde explicitation des caractères et des enjeux dramatiques, bien dans l’air du temps.

Le pélican (Gérard Blain,1974)

Après un séjour en prison, un homme est empêché de voir son fils par sa mère et son nouveau mari, richissime.

Le pélican est un beau mélodrame viril. Derrière une carapace bressionnienne, la sensibilité de l’auteur y brûle. Combien de cinéastes se sont filmés entrain de pleurer en gros plan sans que leur dignité n’en souffre? Je vois Clint Eastwood vingt ans plus tard et c’est tout. Ceci dit, le scénario aurait pu être mieux travaillé. En effet, les scènes où le héros espionne la nouvelle famille de son fils redondent entre elles, surlignent le propos et altèrent le rythme du récit.