Gretchen the Greenhorn (Chester M. Franklin & Sidney A. Franklin, 1916)

Une jeune Hollandaise rejoint son père émigré à New-York…

L’exposition montre dignement divers individus formant le fameux « melting-pot » américain et la vie dans un quartier populaire au début du siècle donne lieu à des scènes émouvantes de précision (la mère qui envoie son fils mendier chez les voisins). A partir du moment où un ingrédient policier est introduit dans le récit, Gretchen the Greenhorn se fait plus conventionnel et artificiel. Néanmoins, le dynamisme des poursuites et le suspense entretenu par un complexe montage parallèle donnent une belle idée du niveau moyen de qualité du tout-venant de la Triangle (ce dont ce véhicule pour Dorothy Gish semble relever).

Y aura t-il de la neige à Noël ? (Sandrine Veysset, 1996)

Sept enfants et leur mère sont exploités par leur père, agriculteur…

Que ce soit Leos Carax qui ait encouragé son assistante à passer à la réalisation ne change rien au fait que ce premier film de Sandrine Veysset a plus à voir avec le réalisme brutal d’un Maurice Pialat qu’avec le foisonnement kitsch des Amants du Pont-neuf. Loin d’être une épigone de l’auteur de La gueule ouverte, la jeune cinéaste a trouvé une voie inédite en ceci que, à travers une mise en scène très crue, elle revitalise la tradition du conte de fées. Partant d’un postulat lourd de connotations sociales, elle évacue tout discours sociologique pour se concentrer sur l’amour porté par une femme à ses enfants face à un père monstrueux.

Une part de son génie est que jamais sa caractérisation, au fond aussi manichéenne que dans La nuit du chasseur, ne semble caricaturale ni n’altère la justesse des comportements. Un montage serré et un discret sens pictural permettent au récit de garder un rythme intense malgré une ponctuelle répétitivité des péripéties. Des interprètes miraculeux de précision, Daniel Duval et Dominique Raymond (belle sorte de Juliette Binoche campagnarde), aident l’auteur à maintenir son subtil équilibre entre vérité documentaire de l’enrobage et archaïsme mythologique des soubassements. Le singulier lyrisme de Y aura t-il de la neige à Noël ? culmine dans son avant-dernière séquence, une des plus belles fêtes familiales de l’Histoire du cinéma français.

Gibraltar (Fedor Ozep, 1938)

A Gibraltar, un officier anglais criblé de dettes est séduit par une espionne…

Pas loin d’être nul. La convention du scénario et le cosmopolitisme factice du projet ne sont même pas compensés par une quelconque allégresse du style. Ce à quoi on aurait pu légitimement s’attendre de la part du metteur en scène raffiné de La dame de pique et des Frères Karamazov.

L’homme à la Ferrari (Dino Risi, 1967)

Récemment devenu grand-père, un riche industriel italien vit une crise existentielle et s’entiche d’une camarade de son fils…

Qui mieux que Dino Risi et Vittorio Gassman pour faire un film sur le démon de midi chez le mâle italien ? De fait, ils jouent sur du velours, appréhendant avec une justesse des plus incisives les tourments de leur personnage archétypal. En particulier, l’impossibilité dans cette situation de prendre une décision donne lieu à de belles scènes tragicomiques. Toutefois, Il tigre ne se hisse pas à la hauteur des chefs d’oeuvre de Risi car le style manque de la souplesse propre aux chefs d’oeuvre du cinéaste: les seconds rôles se réduisent à des prétextes pour étayer le propos, des accents grotesques sont bizarrement intégrés (les chats qui commentent l’action) et la photo est d’une rare laideur. De plus, dans le rôle de la jeune fille, Ann-Margret est un choix de distribution des plus discutables: même si elle devient de plus en plus jolie au fur et à mesure du film (et donc au fur et à mesure que Gassman tombe amoureux), il est difficile de croire qu’un homme, qui plus est un homme marié à la somptueuse Eleanor Parker, devienne fou d’elle. Ces quelques réserves n’empêchent pas Il tigre d’être une bonne comédie dont j’ai apprécié le fait qu’elle ne résout pas artificiellement le dilemme qu’elle a exposé.

120, rue de la gare (Jacques Daniel-Norman, 1946)

Après le meurtre de son ancien élève, Nestor « Dynamite » Burma enquête sur une sale affaire…

La première adaptation cinématographique de Nestor Burma fut et demeure une très plaisante réussite. Cette réussite tient essentiellement à la singularité du ton employé par le réalisateur et adaptateur, Jacques Daniel-Norman. En effet, la légèreté de touche va de pair avec la vigueur policière. Les auteurs parviennent à moquer la vanité du héros sans décrédibiliser son enquête. Le début, alors que le spectateur ne sait pas sur quel pied on veut le faire danser, est d’ailleurs assez malaisant. Toutefois, la vitalité du personnage séduit rapidement et excuse son comportement hâbleur dans l’esprit du public. René Dary est ainsi une sorte de cousin parigot du Errol Flynn de Walsh.

Une belle galerie de seconds rôles étoffe le récit, en tête desquels Jean Tielment en judoka des Batignolles, le trop rare Albert Dinan en sympathique truand montmartrois et la jeune Sophie Desmarets en secrétaire impétueuse dont les vifs échanges avec son patron dénotent une influence bien digérée de la comédie américaine. D’une façon générale, les dialogues excellent, tant dans leur écriture -un argot sans concession qui préfigure Simonin et Audiard- que dans le rythme étourdissant avec lequel ils sont débités. Merveille de pétulance, 120, rue de la gare est bien un des joyaux méconnus du polar à la Française.

Narayana (Léon Poirier, 1920)

Un étudiant désoeuvré se voit offrir une statuette orientale lui permettant de faire 5 voeux avant de mourir…

Pour adapter La peau de chagrin de Balzac, Léon Poirier a accentué l’orientalisme du roman et a incarné le Destin dans les actions de personnages « méchants ». Le problème est que la motivation de ces derniers pour faire le mal n’est jamais expliquée et que le récit s’en trouve donc embrouillé. Ce n’est pas l’affectation du jeu de Edmond Van Daële qui compense cette confusion narrative. En revanche, la fusion de séquences autonomes réalisée via un montage quasi-musical permet parfois à la dramaturgie de se déployer indépendamment de l’armature d’un scénario fumeux mais via la poésie des ressources propres au cinéma. Rien que pour ces beaux moments qui exploitent intelligemment les intuitions avant-gardistes d’un L’Herbier, Narayana, film par ailleurs mis en scène avec goût, vaut la peine d’être vu.

Toi c’est moi (René Guissart, 1936)

Un noceur envoyé par sa tante aux colonies pour travailler dans une plantation intervertit son identité avec celle de son meilleur ami…

Moins dynamique et plus attendue dans son déroulement que le merveilleux Dédé, cette nouvelle adaptation d’une opérette par René Guissart se distingue également par la grivoiserie de son esprit. Il faut voir Claude May montrer ses seins, Pauline Carton chanter l’éveil de ses sens sous les palétuviers ou Pills fuir un crocodile en plastique pour se rendre compte du degré de naturel dans la fantaisie (pour ne pas dire le n’importe quoi) que pouvaient atteindre les petits(?) maîtres de la comédie française des années 30. Si les suaves Pills et Tabet n’ont pas l’entrain d’un Albert Préjean, la bonne humeur des seconds rôles -en tête desquels le génial Saturnin Fabre- est communicative. Le découpage de Guissart sait se faire inventif, à l’exemple du long travelling découvrant l’appartement des deux amis fêtards. Tout ça pour dire que Toi c’est moi est un film très amusant.

Balaoo (Victorin Jasset, 1913)

Un gorille transformé en homme par un scientifique échappe à son « créateur »…

Adaptation de Gaston Leroux où Victorin Jasset met bien en valeur les talents d’acrobate et de cascadeur de Lucien Bataille. Le drame « psychologique » de Balaoo est superficiellement traité mais le rythme est enlevé et les extérieurs sont superbement photographiés (aussi bien en terme de cadrage que de lumière). Ce n’est pas aussi abouti que Protéa mais c’est du bon Jasset.

Monsieur Grégoire s’évade (Jacques Daniel-Norman, 1946)

Parce qu’il a gagné un concours de mots-croisés, un comptable est poursuivi par des malfrats qui le confondent avec un des leurs…

Ecrit et réalisé par Jacques Daniel-Norman, Monsieur Grégoire s’évade est une savoureuse comédie policière où l’équilibre entre drôlerie et mystère est finement tenu. Une plaisante galerie de seconds rôles entoure la belle Yvette Lebon, la fascinante crapule Jules Berry et Bernard Blier dans le rôle éponyme. Cette incarnation parfaite de la banalité s’insère idéalement dans le réalisme quotidien du début qui anticipe les films parisiens de Becker. Dans la suite du film, il faut reconnaître que l’attrait de son personnage pour le milieu n’est guère rendu sensible, la mise en scène peinant à se coltiner les invraisemblances psychologiques de l’astucieux scénario. Daniel-Norman filme avec des mouvements d’appareil alertes qui accentuent la charmante vivacité de l’ensemble. Ce n’est certes pas Toute la ville en parle mais c’est franchement pas mal.

Chotard et Cie (Jean Renoir, 1933)

Un épicier se réconcilie avec son gendre poète lorsque celui-ci obtient le prix Goncourt…

Pour réussir l’adaptation de la pièce de Roger Ferdinand, il aurait fallu que Jean Renoir soit libre de la réécrire. L’écrivain originel s’étant chargé lui-même du scénario, le récit est à l’image des dialogues: d’une consternante platitude. Charpin reprend le rôle qu’il a créé sur scène et joue comme au théâtre: de façon extrêmement caricaturale. Les autres acteurs sont médiocres. Renoir s’occupe comme il peut: il enrobe ces âneries même pas drôles avec des mouvements d’appareil compliqués.

Au bonheur des dames (Julien Duvivier, 1930)

Dans un des premiers grands magasins parisiens, l’ascension d’une vendeuse dont le patron est amoureux…

Adaptation très superficielle du roman de Zola. La complexe critique sociale a été évacuée par les scénaristes qui ont transposé l’action dans les années folles. Le terne Pierre de Guingand ne convainc guère en Octave Mouret. Cependant, Au bonheur des dames version Duvivier éblouit par sa technique grisante où 35 ans d’art muet sont brillamment condensés. Par exemple, au début, l’effervescence urbaine est restituée aussi intensément que dans L’aurore.

Le grand jeu (Nicolas Pariser, 2015)

Les services d’un espoir déçu de la littérature sont employés par un agent du gouvernement qui veut faire tomber un ministre…

Ce premier long-métrage de Nicolas Pariser, inspiré par l’affaire de Tarnac, étonne d’abord dans la mesure où il est rarissime qu’un « jeune cinéaste français » s’attaque au genre du thriller politique. Sans beaucoup les étayer, l’auteur intègre ses rêveries paranoïaques quant au fonctionnement des institutions françaises à une fiction écrite et réalisée avec une rare méticulosité. L’écriture d’abord: outre qu’un vrai talent de conteur éclate dès les deux premières séquences, rarement des références savantes avaient été intégrées à des dialogues cinématographiques avec un tel naturel. La mise en scène ensuite: la composition des cadres explose la concurrence et, à plusieurs endroits, le découpage est d’une belle efficacité visuelle. Je pense par exemple à la concision du plan des voitures de police qui évite au jeune réalisateur de filmer une coûteuse séquence d’assaut tout en dramatisant instantanément son arc intimiste.

C’est qu’en effet, Pariser ne s’est pas borné à trousser un « filmdegenre ». S’il joue le jeu du thriller politique jusqu’au bout avec une foi et un savoir-faire qui l’honorent, force est de constater que, en bon auteur français, il nous en apprend bien plus sur lui, sa ville, ses lectures et sa génération que sur les arcanes de la République. Aussi bien que la fumisterie des universitaires gauchistes, rarement le cynisme mou d’une certaine race de quadragénaires parisiens avait été représenté à l’écran avec une telle précision (sans être ouvertement moqué). La politique est ici un prétexte dramatique pour révéler des vérités psychologiques. En creux, est raconté le retour à la vie, via l’amour, d’un has-been mélancolique. Le travelling qui l’accompagne parmi ses nouveaux compagnons avant de se fixer sur une campagne illuminée par les brumes matinales synthétise magnifiquement cette réconciliation avec le monde. Pour incarner ce drôle de héros, Melvil Poupaud était un choix de distribution évident et il s’avère parfait. Face à lui, André Dussollier, dans un rôle très archétypal, s’éclate et nous régale.

Surclassant la majorité des films français par sa maîtrise formelle aussi bien que par l’élégance de sa conception, Le grand jeu révèle un auteur de premier plan. Espérons que ne s’ensuivent pas quinze ans de crise d’inspiration.

Vices privés, vertus publiques (Miklós Jancsó, 1975)

Interprétation mi-porno mi-subversive du suicide de Mayerling.

Les charges potentielles de ces deux aspects s’annulant par la grâce de la bêtise abyssale du scénario et de la mollesse absolue de la mise en scène (photo hamiltonienne en diable). En cela, Vices privés, vertus publiques cristallise bien l’air du temps des années 70, faussement libre mais vraiment con. Toute époque a ses idoles en carton mais on peut s’interroger sur la nature de la cinéphilie des programmateurs de la Cinémathèque française qui s’amusent à déterrer Miklós Jancsó pendant que plusieurs dizaines de films de la Triangle dorment dans leurs caves et n’ont pas été projetés depuis des décennies.

Joli rayon de soleil (Little Mary Sunshine, Henry King, 1916)

Un noceur rejeté par sa fiancée pour avoir trop bu trouve dans sa voiture une petite fille orpheline suite au meurtre de sa mère par son père…

Ce presque long-métrage est un véhicule pour l’enfant-star Baby Marie Osborne. On pourra apprécier la façon dont Henry King, qui se révèle ici un bon acteur, évacue rapidement le pathos pour se concentrer sur la relation, toute en tendresse et en charmantes facéties, entre l’amoureux malheureux et l’enfant trouvé. Les teintes dorées de l’image renforcent l’aspect mignon de ce conte puritain.

Twisted nerve (Roy Boulting, 1968)

Un jeune homme très couvé par sa mère et dont le frère est mongolien part s’installer dans une pension de famille tenue par une femme dont la fille est ravissante…

Un portrait de psychopathe dans la lignée du Voyeur de Michael Powell. Ce genre de film n’a a priori aucune espèce d’intérêt à mes yeux mais en l’occurrence, le découpage oppressant, le décalage malaisant créé par les couleurs pastel, l’interprétation sensible de Hywell Benett et, surtout, la suggestion d’un lien précis entre l’anomalie psychologique et le tabou autour de l’anomalie génétique élargissent poétiquement les dimensions de l’oeuvre, en dépit de quelques facilités dans le scénario. J’ajoute que Billie Whitelaw et Hayley Mills forment un couple mère/fille incroyablement sexy.

Section d’assaut sur le Sittang (Yesterday’s enemy, Val Guest, 1959)

Pendant une retraite dans la jungle birmane, des soldats britanniques sont bloqués dans un village…

Quelques combats de jungle joliment filmés n’empêchent pas ce film de guerre produit par la Hammer d’être plombé par les artifices théâtraux de sa dramaturgie. Sa conception surannée est à l’opposée de l’approche documentaire, factuelle et, pour tout dire, moderne des chefs d’oeuvre américains de Walsh et Fuller. Derrière sa façade de « dénonciation tous azimuts de l’horreur de la guerre », il est même assez malhonnête puisque là où la méchanceté du capitaine anglais apparaît motivée par les circonstances, celle du Japonais apparaît finalement gratuite. Les acteurs, chevronnés, sont expressifs mais ne surprennent jamais tant leur partition est écrite à l’avance.