Les années rugissantes (Luigi Zampa, 1961)

Sous Mussolini, dans un village reculé, un vendeur d’assurance romain est pris pour un agent du pouvoir central…

Une satire très drôle et très bien sentie qui, tout en ayant pour cadre l’ère fasciste, s’en prend en fait à l’arrivisme et à la veulerie des notables provinciaux. Le tableau n’est pas noirci, un ancrage réaliste qui passe par une attention aux lieux et aux différentes couches sociales est donné à l’intrigue adaptée de Gogol (seule la théâtrale avant-dernière séquence apparaît artificielle), les personnages ne sont pas tous antipathiques et certains sont même sympathiques. Plutôt que de l’altérer, ce sens de la nuance approfondit et élargit la portée de la diatribe. La surprenante conclusion de la romance et l’émouvante amertume du travelling final montrent que les auteurs de cette savoureuse comédie n’ont pas transigé avec leur pessimisme fondamental.

Des pieds et des mains (Gaston Ravel, 1915)

Un homme fait une cour désespérée à une femme du monde…

Seuls les mains et les pieds des personnages sont filmés. Ce volontarisme formel qui préfigure les travaux de l’avant-garde française aussi bien que ceux de Robert Bresson évacue la théâtralité latente de l’intrigue. Une certaine beauté plastique émane de ce ballet de mains et de pieds mais il n’y a que dans une poignée de séquences -celle de la voiture surtout- que le dispositif apparaît arbitraire. Intéressant.

Elle a pleuré dans l’étreinte d’un papillon (Im Kwon-taek, 1983)

Un chauffeur de taxi tombe amoureux de sa cliente qui veut retrouver son ancien fiancé.

La superbe Na Young-hee rehausse considérablement l’intérêt de cette bluette qui finit par toucher de la même façon que les chansons à l’eau de rose prisées par Fanny Ardant dans La femme d’à côté. Mignon.

Qui pourra bloquer un torrent? (Im Kwon-taek, 1984)

Au XVIIIème siècle, le fils d’un gouverneur est sommé d’épouser la fille du roi mais il a déjà une amoureuse.

Sorte de variation des Amants crucifiés. C’est une variation empâtée, à l’image du visage excessivement poupin de l’acteur principal. La langueur d’une narration prévisible quoique artificiellement compliquée par des flash-backs va de pair avec une certaine suresthétisation des images. Si quelques plans joliment éclairés flattent la rétine, Im Kwon-taek est loin, très loin, d’avoir le génie de Mizoguchi chez qui beauté plastique allait de pair avec condensation dramatique. Ainsi, la faiblesse de sa composition des cadres empêche t-elle la scène finale d’atteindre le lyrisme auquel elle prétend. Toutefois, Qui pourra bloquer un torrent? n’est pas à proprement parler un mauvais film; c’est simplement l’archétype du film académique.

La Tierra de los toros (Musidora, 1924)

Le rejoneador Antonio Cañero reçoit la visite d’une productrice de cinéma…

A la fin des années 1910, Musidora s’éprend du rejoneador Antonio Cañero. Pour lui, la star quitte Paris et s’en va vivre en Espagne où elle est accueillie comme une reine. Désormais entichée de la tauromachie et de l’Andalousie, elle fait tourner son amant dans plusieurs films à tonalité plus ou moins didactique. La Tierra de los toros est le dernier d’entre eux. Initialement exploité comme préambule d’un spectacle vivant de sa vedette, le film se tient très bien tout seul et apparaît aujourd’hui comme une merveille d’inventivité.

Avant Guitry, Godard et Moretti, Musidora fut peut-être la première à utiliser le cinéma pour réaliser des essais. En effet, après une longue exposition documentaire où la continuité entre le travail d’un gardien de taureaux en hacienda et l’art de toréer en arène est montrée, la cinéaste met en scène sa rencontre avec Cañero dans un savoureux mélange de fantaisie et d’auto-dérision. Le ludisme est poussé jusqu’à l’introduction d’une variabilité du film en fonction du lieu où il est montré: un carton, inséré au moment où l’héroïne annonce son départ à cause de son prochain engagement, a pour contenu le nom de la salle où la projection se déroule. Ici, Musidora se joue des frontières entre la réalité et l’écran avec la même jubilation qu’un Guitry.

En plus de filmer splendidement les paysages andalous (certains plans avec la cavalière à l’horizon évoquent Ford) et les différents animaux sur lesquels règne le maître de la hacienda, Musidora a signé une oeuvre très amusante dans sa modernité même, reflet limpide d’une personnalité pétulante et enthousiaste qui apparaît comme l’opposé de l’icône monotone et surfaite des Vampires.

 

Soleil et ombre (Musidora & Jacques Lasseyne, 1922)

En Andalousie, une servante est follement amoureuse d’un grand torero…

Les rues  andalouses blanches et écrasées par le soleil ainsi que des scènes simili-documentaires de tauromachie n’empêchent pas que ce mélodrame romançant la passion de Musidora pour Antonio Cañero apparaît comme daté et conventionnel.

Les beaux jours (Marion Vernoux, 2013)

Une jeune retraitée déprimée par la mort de sa meilleure amie s’inscrit dans un centre d’animations pour le 3ème âge.

Certes, une « certaine justesse » due notamment à la qualité des comédiens ainsi que des thèmes très actuels dans lesquels il est probable que la majorité des spectateurs se retrouve empêchent Les beaux jours d’être absolument inintéressant. Il n’empêche: son indigence esthétique (la musique est particulièrement nulle), ses ressorts narratifs qu’on croirait tirés d’un courrier du coeur de magazine féminin et sa grisaille auto-entretenue en font un concentré presque caricatural de tout ce qui vaut au cinéma français contemporain sa réputation sinistre.

Le bal des sirènes (Bathing beauties, George Sidney, 1944)

Après que sa fiancée l’ait plaqué devant l’autel suite à une machination de son commanditaire, un auteur de chansons intègre le pensionnat pour jeunes filles où elle travaille…

En dehors de l’avant-dernière séquence dans la chambre du héros où George Sidney pousse dans ses derniers retranchements l’art du vaudeville (et préfigure en cela Kiss me Kate), l’aspect comique du récit, bien que parti d’un postulat que n’aurait pas renié Blake Edwards, n’est pas très brillamment développé. Les numéros musicaux sont parfaitement décorrélés de l’intrigue tel qu’en en témoigne le titre du film n’ayant de rapport qu’avec le célèbre ballet final. Cependant, la virtuosité avec laquelle Sidney filme musiciens et danseuses, plus talentueux les uns que les autres, impulse un dynamisme des plus entraînants. Oeuvre composite, Le bal des sirènes s’avère, par la grâce d’une mise en scène enlevée et colorée, un divertissant tout à fait acceptable.

La tête dans le sac (Gérard Lauzier, 1984)

Un riche publicitaire parisien qui vient d’avoir 50 ans s’entiche d’une jeune fille délurée…

Comédie de moeurs assez sinistre de par ses couleurs glaciales et le cynisme mou qui résulte de son récit. Quelques notations sociologiques de Lauzier sont bien senties et préfigurent parfois Houellebecq mais une paresse certaine de l’écriture résout conventionnellement les contradictions internes de l’intrigue plutôt que de les développer dans une véritable confrontation dialectique. Le mordant satirique de l’oeuvre s’en trouve émoussé. Après Les Diplômés du dernier rang et avant P.R.O.F.S, le jeune Patrick Bruel, en parfaite tête à claque, rappelle quel savoureux acteur comique il aurait pu devenir. Fanny Bastien est très jolie.

The very thought of you (Delmer Daves, 1944)

Une jeune Californienne tombe amoureuse d’un soldat en permission…

Bluette de propagande pour la fidélité des épouses de militaires. Péché mignon de Delmer Daves: l’abondance et le caractère explicitant des dialogues. Qualités de Delmer Daves: finesse de la direction d’acteurs (qui nuance une caractérisation des personnages un peu schématique), souplesse du découpage, sens du cadrage…bref: sensibilité de metteur en scène qui revitalise des situations usées jusqu’à la corde. Le regard sur la petite famille touche par sa justesse et sa générosité en donnant lieu à des séquences dignes de Henry King. The very thought of you est clairement un film mineur mais, considéré dans le cadre très limité de ses ambitions, plutôt réussi.

Martha…Martha (Sandrine Veysset, 2001)

La vie chaotique d’une femme à moitié folle, mère d’une petite fille et en couple avec un fripier.

Dépouillé de l’enveloppe de douceur qui permettait à Y aura t-il de la neige à Noël?  d’atteindre un équilibre miraculeux entre naturalisme et conte de fées, ce troisième film de Sandrine Veysset se vautre allègrement dans les déplaisants clichés propres aux héritiers dégénérés de Pialat: les personnages à l’image pissent, crachent, hurlent, se tapent la tête contre les murs.

Les quelques séquences oniriques, loin de compenser cette complaisance sordide, laissent perplexe quant au sens profond de ce qui, compte tenu de la faiblesse du récit, apparaît comme un salmigondis. Les cadrages moins précis que dans le premier film et, surtout, le montage bêtement fragmentaire dénotent un refus aussi volontariste que douteux du lyrisme (ainsi de la brutalité gratuite du raccord après le plan de la boite à musique).

Pourtant, Sandrine Veysset n’a pas perdu toutes ses qualités en cinq ans. En premier lieu, sa direction d’acteurs permet de maintenir une certaine justesse à l’intérieur des scènes. Rarement l’abnégation avait été jouée de façon aussi touchante que par Yann Goven dans le rôle du concubin. Parfois, un plan sublime vient illuminer la chronique; par exemple celui sur l’enfant endormie dans la camionnette. Dans ces instants, on regrette que la cinéaste semble se sentir obligée de brider ses propres élans de tendresse.

Pièges (Robert Siodmak, 1939)

Une taxi-girl est employée par la police pour enquêter sur des disparitions de jeunes filles…

Film emblématique de la liberté du cinéma français des années 30, Pièges se fait tour à tour polar, comédie sentimentale, musical et film à sketches façon Carnet de bal. Toutefois, il ne manque jamais d’unité, cette variation des registres étant profondément justifiée par les pérégrinations de l’enquêteuse. De concert symphonique en concours culinaire de province en passant par une soirée dans un château identique à celui de La règle du jeu, c’est un plaisir que de se faire balader par le récit d’autant que les personnages secondaires ont une belle densité humaine et ne semblent jamais asservis à l’intrigue: au contraire, leur psychologie en perpétuelle évolution nourrit celle-ci. Cela peut donner lieu à des scènes magnifiques tel celle entre le majordome-maquereau joué par Jacques Varennes et son épouse. Jouant avec son image, Maurice Chevalier est excellent.

Si le découpage de Robert Siodmak est moins inspiré qu’il ne l’a été, le montage au cordeau maintient la vivacité du rythme. Petit à petit, le foisonnement narratif fait place à un pur film à suspense n’ayant rien à envier aux films américains de l’auteur. Même: les références à la psychanalyse sont mieux intégrées que dans nombres de classiques hollywoodiens de la décennie suivante. Au peu fourni rayon des regrets, signalons une fin qui évacue trop facilement la noirceur sous-tendue précédemment.

L’impudente (Indiscreet, Leo McCarey, 1931)

Une femme tente de préserver sa petite soeur des assiduités de son ancien amant, coureur patenté.

Les tares typiques des débuts du parlant que sont le statisme et la lenteur de la mise en scène sont compensées par la finesse de la dialectique entre attirance charnelle et gravité des sentiments qui préfigure les plus beaux chefs d’oeuvre de Leo McCarey (Elle et lui…). De plus, Indiscreet est l’occasion de revoir la délicieuse actrice de Solitude, Barbara Kent.

Melvin et Howard (Jonathan Demme, 1980)

Dans le Nevada, un père de famille qui a du mal à joindre les deux bouts recueille Howard Hughes après un accident de moto…

La partie consacrée aux déboires économico-sentimentaux du jeune couple est un peu répétitive et manque d’ampleur mais le testament relance joliment le récit. Les mouvements de caméra sont parfois ostentatoires. Un film assez sympathique.

Les demoiselles Harvey (George Sidney, 1946)

Un groupe de jeunes filles arrive dans une ville du Far-West pour devenir serveuses dans un nouveau restaurant.

Entre western et comédie musicale, The Harvey girls ne convainc dans aucun des deux genres dans lesquels il s’inscrit: pas assez sérieux dramatiquement parlant pour un western, pas assez virevoltant pour une comédie musicale. Après un début qui promet grâce à ses couleurs chatoyantes, il a vite fait de s’étioler malgré l’allant du découpage de George Sidney dont les cadrages originaux et les mouvements de caméra amples et précis introduisent un dynamisme qui fait défaut à l’action, assez peu dansante.

Béliers (Grímur Hákonarson, 2015)

En Islande, une épidémie de tremblante parmi leurs moutons perturbe les relations de deux frères qui ne se sont pas parlés depuis 40 ans.

Béliers est un film aussi beau que frustrant. Venu du documentaire, Grímur Hákonarson a pris le parti d’épurer au maximum son récit. La rigueur de sa mise en scène lui permet de surprendre et d’émouvoir sans avoir recours à beaucoup d’explicitations verbales. Par exemple, aucune explication déterministe n’est donné à la querelle entre les frères. La caméra saisit les gestes et la narration s’articule comme organiquement à partir de ceux-ci.

Le lyrisme avec lequel sont utilisés les grandioses paysages islandais ainsi que la fascination opérée par un mode de vie exotique (quoique filmé le plus naturellement du monde) rappelle les films de Flaherty. Béliers est moins symbolique que L’homme d’Aran ou Nanouk mais relate aussi une forme de lutte entre l’homme et la Nature.

Le metteur en scène excelle car il fait ressentir l’accord profond entre un paysage géographique, un paysage social et des paysages mentaux. Ainsi, le magnifique passage où le héros utilise son tractopelle pour emmener son frère ivre et gelé à l’hôpital n’a rien d’une fantaisie artificielle mais est motivé par les spécificités des protagonistes (la lourdeur du corps du frère) et du lieu de l’action (le climat glacial et le caractère désertique de l’Islande).

Pourquoi donc un goût d’inachevé à la fin de ce film remarquablement maîtrisé? Eh bien c’est que mine de rien, l’auteur, au fur et à mesure du déroulement de son oeuvre, a esquissé plusieurs situations dramatiques. La fin abrupte qui intervient après une sorte de climax apparaît alors à la fois comme une esquive et comme un symbole grossier.