Les années faciles (Luigi Zampa, 1953)

Envoyé à Rome, un professeur sicilien intègre se corrompt face à l’inertie intéressée des bureaucrates…

Le récit est relâché, la fable se fait trop démonstrative dans son dernier acte et la fin apparaît longuette mais les diverses compromissions et veuleries dans la société italienne de l’après-guerre donnent lieu à de nombreuses scènes amusantes. Mine de rien, le dénouement est un des plus pessimistes jamais filmés. Plus que le terne Nino Taranto dans le rôle principal, c’est Gino Buzzanca, acteur de théâtre sicilien révélé au cinéma par Zampa, qui emporte le morceau grâce à sa composition de canaille sympathique et décomplexée.

Les années difficiles (Luigi Zampa, 1948)

Pendant le fascisme, un fonctionnaire sicilien est obligé de s’encarter pour conserver son poste…

Les années difficiles est une vraie petite fresque puisque les protagonistes sont suivis pendant dix ans et que la grande histoire y interfère sans cesse avec leur destin. Une large attention est accordée aux personnages secondaires, à l’entourage familial et amical du héros. Luigi Zampa parvient à garder une certaine unité thématique en se focalisant sur les attitudes des uns et des autres face à l’hydre fasciste. La plupart des scènes sont marquées par une percutante justesse de ton même si on pourra regretter l’univocité du comportement du héros: celui-ci est perpétuellement représenté comme une victime; comme si, en dix ans, il n’avait jamais profité de la situation créée par les magouilles de sa femme. L’interprétation façon « chien battu » de Umberto Spadaro n’aide pas à enrichir son caractère. Gageons que si Les années difficiles avait été tourné dix ans plus tard avec Alberto Sordi, le personnage aurait été plus nuancé. Ce défaut révèle un manque de franchise dans la satire mais n’empêche pas le film de figurer parmi les réussites de Zampa d’autant que le montage vif maintient un rythme soutenu dans la narration. Enfin, si Les années difficiles est plus dramatique que plusieurs travaux ultérieurs du cinéaste, ses passages comiques font mouche: ainsi de la représentation de la Norma caviardée par les miliciens incultes.

Comment réussir en amour sans se fatiguer (Don’t make waves, Alexander Mackendrick, 1967)

A Malibu, après que sa voiture a été accidentée par une jolie peintre entretenue par un riche constructeur de piscines, un homme exige de se faire dédommager…

Le manque d’unité et de développement dans la narration est préjudiciable à cette satire amère du « californian way of life ». De sublimes actrices en petite tenue, des accents pathétiques rares et bienvenus, une chanson des Byrds et une maîtrise du Cinémascope digne de Blake Edwards la rendent toutefois assez plaisante. Certains gags tel la fin où une maison dégringole une falaise de boue poussent l’absurde jusqu’au malaise.

Vive Henri IV…vive l’amour! (Claude Autant-Lara, 1961)

Pour mieux pouvoir la séduire, Henri IV arrange la mariage de mademoiselle de Montmorency avec le prince de Condé…

Le cabotinage des uns et des autres peine à enlever une mise en scène désolante d’académisme. Dommage, le récit, habilement inspiré d’une des anecdotes les plus piquantes du règne du Vert galant, aurait pu donner lieu à une savoureuse comédie historique.

Le contour de la nuit (Noboru Nakamura, 1966)

Une prostituée raconte à un client amoureux comment elle en est arrivée là, suite à sa rencontre avec un yakuza.

Plus que l’esthétisation outrancière (grosse utilisation des néons), c’est la complexité de la relation entre la pute et son mac qui revivifie ce schéma déjà mille fois traité, jusqu’à faire apparaître un puissant dilemme tragique. Pas mal.

Un père de 21 ans (Noboru Nakamura, 1964)

Un jeune homme de bonne famille fugue pour épouser une aveugle…

Joli mélodrame familial où l’élégance du style permet d’intégrer les rebondissements les plus lacrymaux. Les personnages ont beau déclamer de grands discours pour trouver un certain ordre dans leur vie, ils se prennent les aléas de celle-ci en pleine figure.

Le plaisir en famille (Noboru Nakamura, 1951)

Après-guerre, une famille japonaise tente de concilier les aspirations de chacun de ses enfants avec la nécessité de s’en sortir financièrement.

Pour un spectateur occidental au XXIème siècle, découvrir un shomin-genki (film sur la petite bourgeoisie japonaise) réalisé par un autre que Mikio Naruse ou Yasujiro Ozu amène inévitablement la comparaison avec les deux illustres maîtres. Le découpage de Noboru Nakamura est donc plus classique, plus directif et plus dramatisant que ceux, plus contemplatifs, de Naruse et Ozu. Il y a même des effets de suspense introduits par le montage.

Ainsi, à plusieurs endroits, la caméra accompagne les tourments émotionnels des individus, ce qui lézarde la foi dans le consensus exprimée via de nombreux plans larges harmonieusement composés (comme chez Ozu et Naruse), des mouvements d’appareil vers le ciel et un scénario qui résout ses contradictions dramatiques par un rebondissement à la limite de la mièvrerie.

Si le spectateur marche à cet artifice final, c’est grâce au mélange de candeur sentimentale et de tact japonais qui semble caractériser la mise en scène de Noboru Nakamura. Ce mélange se manifeste notamment via les chansons nostalgiques qui insufflent aux scènes où toute la famille se retrouve autour de la table une tonalité à la Henry King. La distribution aux petits oignons (Chishu Ryu, Hideko Takamine, Isuzu Yamada) achève de faire de ce Plaisir en famille une réussite dans son genre. Belle découverte.

Au petit bonheur (Marcel L’Herbier, 1946)

L’épouse d’un éditeur pourchasse son mari qu’elle soupçonne de le tromper…

Théâtre filmé poussif où l’hystérie des acteurs (épouvantable François Périer) est censée suppléer à la redondante nullité du scénario. Les préciosités visuelles de Marcel L’Herbier ne font qu’accentuer le sentiment de vacuité qui émane de ce navet.

Un Américain en vacances (Luigi Zampa, 1946)

Deux soldats américains en permission s’entichent d’une institutrice partie au Vatican demander de l’aide pour les réfugiés de son village.

Ce qui aurait pu n’être qu’une bluette inconsistante se dote, une fois le récit débarrassé du comparse de convention et du comique lourdaud qu’il amène, d’une profondeur inattendue. En effet, si le plaquage d’un vernis néo-réaliste sur le canevas à la On the town ne saurait suffire à rendre compte des catastrophes entraînées par les bombardements, l’intransigeance surprenante de l’héroïne et la pudeur de la mise en scène finissent par insuffler une poignante densité aux amours platoniques et éphémères du temps de guerre. Si vous avez l’occasion de voir Un Américain en vacances, restez jusqu’au bout, vous serez récompensés de votre persévérance.

 

Il vigile (Luigi Zampa, 1960)

Après avoir harcelé le maire pour obtenir le poste, un chômeur devient enfin motard…

Encore une fois, Alberto Sordi s’avère l’acteur idéal pour Luigi Zampa tant il incarne avec humanité la veulerie et l’opportunisme. L’auteur se fait ici le contempteur acéré d’une certaine tendance de la société italienne: passe-droits et petits arrangements font le miel de tout le monde, du chômeur au maire (excellent Vittorio de Sica) en passant par la vedette de passage en ville (cocasse apparition de Sylva Koscina dans son propre rôle). La drôlerie perpétuelle n’empêche pas l’amertume sous-jacente d’affleurer ici et là. La justesse maintenue de l’écriture et le naturel de la mise en scène évitent que les personnages de cette fable implacable ne soient réduits à des caricatures. Seule la scène du tribunal trahit quelque peu la vérité psychologique du (anti)héros. Elle n’empêche pas Il vigile de s’avérer un joyau méconnu de la comédie italienne.

La belle romaine (Luigi Zampa, 1954)

A Rome, une belle jeune fille qui gagne de l’argent en s’exposant pour des peintres est poussée par sa mère à s’éloigner de son fiancé chauffeur et à faire une carrière mondaine…

Une sorte d’équivalent italien à la qualité française. C’est un film littéraire au mauvais sens du terme où, quoiqu’insérés dans le contexte historique particulier qu’est le fascisme, personnages et récit sont le fruit d’une tambouille psychologisante dont la recette ne souffre aucune originalité. L’espèce de complaisance molle dans la peinture d’une veulerie généralisée nous rappelle qu’Alberto Moravia est derrière tout ça. Daniel Gélin n’est pas du tout crédible en étudiant anti-fasciste. C’est bien découpé et savamment éclairé mais si La belle romaine peut éventuellement se laisser regarder aujourd’hui, c’est surtout grâce à Gina Lollobrigida, actrice dont l’envergure allait au-delà de son tour de poitrine.

L’art de se débrouiller (Luigi Zampa, 1954)

De 1912 à 1953, les différents retournements de veste d’un Sicilien opportuniste et corrompu.

L’histoire d’un royaliste qui devient socialiste avant de devenir fasciste puis communiste et, enfin, démocrate-chrétien. Le programme est très amusant et son déroulement tient ses promesses grâce au rythme entraînant stimulé par une bonne utilisation de la voix-off, à la verve comique intarissable des auteurs et, évidemment, au choix idéal d’Alberto Sordi pour interpréter cet anti-héros.

De par son pessimisme sans concession, L’art de se débrouiller me semble un titre précurseur de la comédie italienne tel qu’elle sera abondamment pratiquée à partir des années 60. Toutefois, si c’est un bon film, il lui manque à mon sens le supplément narratif qui lui permettrait d’aller au-delà de ce programme (drôle mais un peu mesquin), le sens de la nuance et de la complexité humaine qui donne une toute autre ampleur aux chefs d’oeuvre que sont La grande pagaille ou Une vie difficile.

Campement 13 (Jacques Constant, 1940)

Une femme fait des ravages dans un campement de mariniers.

Ce seul film français réalisé par Jacques Constant est un titre atypique de la production de son époque. En plus d’être l’occasion d’un intéressant discours documentaire dans les premières séquences, le milieu des mariniers sur berge est un terreau dramatique des plus fertiles: pour le scénariste de métier qu’était Jacques Constant, il fut sans doute facile d’appliquer les bonnes vieilles recettes du mélo naturaliste à cette population masculine coupée du monde et confrontée à l’altérité féminine. Ainsi, plus qu’une étude entomologiste à la Becker, Campement 13 est un drame de la passion qui rejoue l’éternel schéma de la fille de mauvaise vie qui rend fou d’amour les braves gars, sans grande subtilité mais avec un beau sens de la dialectique et un lyrisme naïf matérialisé dans les dialogues qui touche juste à plusieurs endroits. A voir.

Leur dernière nuit (Georges Lacombe, 1953)

Une professeur d’Anglais assiste un vieux gangster dans sa cavale qu’elle a rencontré dans sa pension de famille.

Pâle resucée du réalisme poétique. Le médiocre prétexte policier supplée la vague sublimation mythologique d’avant-guerre. Le couple formé par Jean Gabin et Madeleine Robinson est crédible de par la simplicité de leur rencontre. Il est donc regrettable que les auteurs se soient cru obligés de rajouter une tirade théâtrale au personnage de Gabin explicitant artificiellement son passé et sa psychologie. Peut-être est-ce dû au cahiers des charges « film de Gabin ». La mise en scène de Georges Lacombe est purement fonctionnelle. Bref, c’est pas indigne mais c’est pas terrible non plus.

Têtes de femmes, femmes de tête (Jacques Feyder, 1916)

Une femme du monde soupçonne son mari de la tromper avec une princesse…

Le premier film de Jacques Feyder est une comédie mondaine dont la parfaite exécution, le goût et la retenue suscitent plus d’ennui (poli) que d’estime tant il est vrai que manque le brin de fantaisie qui viendrait épicer ce canevas conventionnel et inintéressant au possible. C’est la différence entre Feyder et Lubitsch.

Vivre en paix (Luigi Zampa, 1946)

Pendant l’occupation allemande, un village de montagne est perturbé par la rencontre de deux enfants avec des prisonniers américains évadés…

Si la première partie maintient merveilleusement l’équilibre entre tension et comédie, le virage dramatique qui intervient au milieu du film n’est pas très bien négocié. A partir de ce moment, les personnages deviennent des véhicules à idées. Cela peut donner lieu à de belles scènes mais les prétextes qui les amènent sont parfois lourdauds (la beuverie). L’humanisme, exprimé par plusieurs discours lénifiants du héros, est mignon mais n’a pas du tout la profondeur de celui d’un John Ford. Vivre en paix apparaît comme une oeuvre de circonstance qui devait aider un peuple usé par les fascistes, les communistes, les Allemands et les Américains à panser ses plaies. Elle demeure attachante d’autant que la campagne italienne, les boeufs et les jeunes filles y sont joliment filmés.

Au pays des lits clos (Maurice Mariaud, 1913)

Après que son bateau a échoué, un amnésique est recueilli sur une île bretonne…

Une excellente surprise. La Bretagne -sa lande, ses intérieurs, ses rues, ses rochers, sa jetée- est aussi bien filmée qu’elle le sera chez Jean Epstein quinze ans plus tard. Le découpage où abondent les plans larges avec de nombreux figurants insère l’intrigue, digne d’un conte de fées, dans une forme documentaire tandis que la lumière sombre poétise l’action. Maurice Mariaud a un sens aigu du cadre comme en témoignent les belles images où le décor rocailleux et venteux intensifie la mélancolie de l’héroïne.