Le bienfaiteur (Henri Decoin, 1942)

Un philanthrope qui fait le bonheur d’une petite ville de province est en réalité à la tête d’une bande de malfrats parisiens…

Le scénario de ce vague plagiat de L’étrange monsieur Victor est cousu de fil blanc mais Raimu est très bon. La scène où il supplie le flic de ne pas mettre au courant sa fiancée a beau être attendue, il la joue avec une telle implication émotionnelle qu’elle est difficilement résistible.

Peau de pêche (Jean Benoît-Lévy & Marie Epstein, 1928)

Un orphelin de Montmartre restitue un bijou à une riche dame qui l’avait perdu lors de son mariage…

Ainsi commence le récit de l’enfance et de la jeunesse de cet orphelin surnommé « Peau de pêche » en raison de son teint. Un des attraits de ce récit est qu’il bifurque dans des directions très variées, déjouant rapidement les appréhensions que pouvait provoquer un début façon conte de fées à deux balles. En effet, l’impact direct de sa rencontre avec la grande dame sera plus important dans la mémoire du gamin que dans son quotidien. Ainsi Benoît-Lévy & Epstein restituent bien les broderies d’un enfant autour d’un joli souvenir.

De nombreuses scènes n’ont qu’un rapport ténu avec le fil directeur de l’intrigue mais frappent par leur justesse. Je pense à cet instant où, ayant été placé à la campagne, Peau de pêche imite Maurice Chevalier pour évoquer Paname à ses nouveaux camarades d’école. Je pense aussi au moment merveilleux de tendresse et d’humanité qui montre l’ensemble des villageois se réunir autour de l’unique poste de T.S.F pour écouter les nouvelles du monde. Benoît-Lévy & Epstein filment les champs de Picardie avec autant d’attention et de sens plastique que les rues de Montmartre. La grandeur simple des séquences dans la ferme près du front préfigure La maison des bois.

Cette vérité de l’instant va de pair avec une poésie symboliste insufflée par un montage particulièrement inventif. Le souffle militant et lyrique de certaines séquences, telle l’émouvante succession de travellings sur les fenaisons et les tombes, est digne des grands Soviétiques. On peut considérer Peau de pêche comme un récit à la Feyder mis en images par un émule d’Eisenstein. Un mièvre retour final à la convention romanesque n’empêche pas qu’il puisse être considéré comme un des films français majeurs de la fin du muet.

Le maître de forges (Abel Gance & Fernand Rivers, 1933)

Abandonnée par son aristocratique prétendant qui espérait une grosse dot, une marquise désargentée se marie à un grand ingénieur…

Après bien des rebondissements désuets mis en boîte sans grande imagination et entrecoupées d’images de forge saisissantes mais décorrélées de l’intrigue (dues à Abel Gance?), la tragédie, finalement, se noue et, soutenue par la conviction de Gaby Morlay, émeut.

Les temps qui changent (André Téchiné, 2004)

A Tanger, un grand architecte français retrouve son premier amour…

Très beau quoiqu’imparfait. L’histoire du couple principal est traitée avec une justesse romantique que l’on avait plus vue dans le cinéma français depuis la mort de François Truffaut. A commencer par Catherine Deneuve et Gérard Depardieu, encore plus émouvant que dans La femme d’à côté,  tous les acteurs excellent. Toutefois, André Téchiné a inséré ce drame central dans un tissu romanesque qui ne convainc pas toujours tant il récupère tous les clichés d’un Maghreb sauvage et séduisant que n’auraient pas renié Jack Lang et Léon Poirier (la scène de l’abattage rituel parfaitement gratuite). Si le plan le plus beau du film est peut-être le panoramique où les deux anciens amants se retrouvent face aux clandestins qui attendent devant Gibraltar, celui du Noir arrêté devant Deneuve semble n’avoir aucun autre objet que l’étalage de la bonne conscience de gauche de son réalisateur nous disant alors quelque chose comme « je me passionne pour des histoires sentimentales entre grands bourgeois mais attention, je reste très concerné par les injustices de la société ». Au niveau du découpage, les tremblements de la caméra (à l’épaule?) fatiguent plus qu’ils n’insufflent une quelconque fièvre. C’est que les acteurs et la foi romantique de Téchiné suffisent à emporter le spectateur dans son récit.

Hôtel des Amériques (André Téchiné, 1981)

A Biarritz, le fils de la gérante d’un hôtel tombe amoureux d’une anesthésiste parisienne en exil…

Si dans ses grandes lignes, le drame d’un homme ne se croyant pas à la hauteur de la femme qu’il aime est cohérent, le récit manque d’étoffe et certains développements sont poussifs. C’est peut-être moi qui ai du mal à m’identifier à des personnages masochistes mais j’ai trouvé que les scènes à l’aéroport ne fonctionnaient pas car le cliché du désespoir alcoolisé n’y est étayé par aucune logique psychologique ou sentimentale.

Dans l’ensemble, j’ai eu l’impression que Téchiné filmait l’idée d’un mélodrame plus qu’il ne filmait un mélodrame, écourtant brutalement certaines séquences comme pour refréner leur émotion potentielle. Ce n’est que dans la dernière partie du film qu’il se laisse aller à employer le fondu enchaîné, atténuant enfin la raideur oxymorique de son montage. La musique, timorée et faiblarde de Philippe Sarde, n’aide pas non plus à emporter le spectateur dans la passion vécue par les protagonistes. A côté de ces nombreux signes de pusillanimité, il y a pourtant des plans d’un lyrisme hollywoodien, tel le magnifique retour à la gare d’Hélène. Mais ces plans déparent tant d’avec le reste du film qu’on a l’impression que l’auteur s’y est amusé comme à un exercice de style.

Toutefois, Deneuve et Dewaere sont parfaits (de même que les seconds rôles Josiane Balasko et Etienne Chicot), ce qui assure à Hôtel des Amériques le minimum nécessaire de vérité humaine à ce genre de film.

Les deux orphelines (Maurice Tourneur, 1933)

Sous Louis XV, les mésaventures de deux orphelines montées à Paris et abusées par divers personnages…

Le talent visuel de Maurice Tourneur ne suffit pas pour insuffler un quelconque intérêt dramatique à ce poussiéreux mélo fait de manichéisme outrancier, de personnages caricaturaux et de coïncidences grossières. L’omniprésence du studio et l’absence de plan d’ensemble des rues de Paris accentuent l’aspect essentiellement illustratif de la mise en scène. Toutefois, une scène, d’une beauté hallucinée, surprend: celle où la marâtre berce le cadavre de son fils.

L’accroche-coeur (Pierre Caron, 1938)

Pour la séduire et l’entretenir, un homme dérobe l’argent d’une aventurière…

Cette adaptation d’une pièce de Sacha Guitry dont l’auteur se désintéressa de la réalisation à cause de sa rupture avec Jacqueline Delubac fait penser à une sorte de Canada Dry guitriesque: les ingrédients sont là mais l’effet est absent. La trame -le voyage au cours duquel un homme et une femme tombent amoureux- évoque le merveilleux Bonne chance! mais, malheureusement, Henry Garat paraît très terne à côté du comédien Guitry, la lumineuse Jacqueline Delubac est comme éteinte et le besogneux Pierre Caron n’a pas un dixième de l’inventivité du cinéaste Guitry qui jouait allègrement avec le cadre, la voix-off et le quatrième mur pour mieux amuser son spectateur. D’où que L’accroche-coeur est un film laborieux plus que pétillant.

La mort du cygne (Jean Benoit-Levy & Marie Epstein, 1937)

Par passion pour la première étoile du corps de ballet, un petit rat de l’Opéra de Paris commet l’irréparable…

La mort du cygne fusionne admirablement documentaire sur l’Opéra-Garnier, mélodrame et, même, film d’horreur en ceci qu’il préfigure les films des années 70 sur les enfants diaboliques. Les décors, les accessoires et les cadrages renforcent joliment ce côté horrifique mais le film de Epstein & Levy se distingue de sa descendance dégénérée par la précision dialectique avec laquelle il restitue tous les soubresauts de la folie enfantine. L’identification à la jeune héroïne, le fait que le spectateur la suive dans son cheminement jusqu’au geste fatal rendent La mort du cygne infiniment plus pervers et donc plus passionnant qu’un truc comme L’exorciste. C’est autant un film sur la danse que sur l’enfance. Les auteurs de La maternelle dirigent les comédiennes amatrices (mais danseuses confirmées) avec une grande justesse. La jeune Janine Charrat est épatante. Finalement, si La mort du cygne n’atteint pas tout à fait à la grandeur espérée, c’est à cause d’un relatif manquement dans les finitions: des dialogues trop littéraux dans les moments les plus dramatiques et un montage parfois douteux (ainsi ce gros plan sur le visage de la jeune fille inséré dans la scène de l’escalier où le superbe plan d’ensemble suffisait amplement) nuisent à l’achèvement de ce, tout de même, bien beau film.

Zouzou (Marc Allégret, 1934)

Un marin et une métisse élevés par un homme de cirque montent à la capitale…

L’inconsistante mollesse de Marc Allégret annihile un film qui avait un bon potentiel dramatique (les relents incestueux qui auraient pu être mieux exploités) et spectaculaire (les chorégraphies, pâles ersatz de Busby Berkeley). Visiblement, Joséphine Baker n’était pas une grande actrice de cinéma.

Un soir de réveillon (Karl Anton, 1933)

Pendant les fêtes de fin d’année, un riche noceur s’entiche d’une jeune fille surveillée par son chauffeur.

Il y a quelques traits amusants, Meg Lemmonier est mignonne mais Karl Anton n’a aucun sens du rythme. D’où que sa comédie est trop longue d’au moins une demi-heure, jusqu’à se déliter dans un final aussi dispendieux que filandreux.

Le veau gras (Serge de Poligny, 1939)

Un jeune homme qui a vécu comme gigolo à Paris revient chez ses parents en province.

C’est plus sinistre que drôle: la mise en scène est platounette, le personnage d’André Lefaur est insupportable de vile caricature, la fin est prétentieusement morale et le seul bon moment du film est celui, doux-amer, où chaque membre de la famille vaque à ses occupations après le repas. C’est un des rares moments du cinéma français des années 30 où la Mère et la Famille sont filmées.