Baruch (Ewald André Dupont, 1923)

Au grand dam de sa famille, le fils d’un rabbin s’en va à Vienne pour devenir acteur…

Le récit est cousu de fil blanc mais il y a de jolies images de folklore juif et Ernst Deutsch qui joue le rôle-titre est d’une beauté telle qu’on se demande pourquoi il n’est pas devenu une star de premier plan.

Appel d’urgence (Miracle mile, Steve De Jarnatt, 1988)

A Los Angeles, un trentenaire au début d’une histoire d’amour apprend par hasard que sa ville va bientôt être frappée par des missiles nucléaires…

Le postulat est d’autant plus dur à avaler que la séquence cruciale où le héros fait part de la nouvelle à ses premiers compagnons de fuite manque de crédibilité à cause de coïncidences faciles et de réactions trop rapides des protagonistes. Cependant, les développements qui s’ensuivent révèlent l’inventivité d’une série B inclassable. Steve de Jarnatt a un sens du cadrage qui met bien en valeur son décor nocturne et urbain. L’unité de temps et la retranscription concrète et saugrenue de l’hystérie évoquent une version « film-catastrophe » de After hours mais, à la fin de la projection, c’est le romantisme qui demeure, romantisme constant plus que sous-jacent qui tempère le pessimisme des brutales scènes de panique et affirme joliment une foi solide dans le couple.

The human factor (Otto Preminger, 1979)

Un bureaucrate du MI6 marié à une noire sud-africaine est soupçonné d’envoyer des renseignements à Moscou.

L’aspect visuel ingrat (très anglais) ne doit pas abuser le spectateur: après plusieurs semi-navets, le dernier film d’Otto Preminger fut digne de son auteur. Adaptant un roman de Graham Greene, le grand cinéaste viennois a retrouvé l’intelligence, l’élégance et la hauteur de vue emblématiques de ses chefs d’oeuvre. Ces qualités lui permettent ici de clarifier l’inextricable entrelacs de causes et de conséquences d’une affaire d’espionnage et de sèchement dramatiser la dialectique entre affaires d’état et affaires intimes. Retrouvant, conformément à la promesse de son titre, l’humanité au sein des rouages les plus cyniquement bureaucratiques des services secrets, The human factor montre combien l’idéologie peut ne pas importer dans le fait de servir un camp plutôt qu’un autre.

Tiefland (Leni Riefenstahl, 1954)

En Espagne, un marquis spoliant son peuple s’entiche d’une danseuse gitane…

Ce qui frappe d’emblée, c’est la vacuité de l’ensemble. Tiefland étant le plus cher des films en Noir&Blanc mis en oeuvre pendant le IIIème Reich (bien que sorti en 1954), on se demande, à l’instar de Goebbels jaloux du traitement de faveur accordé par son Führer à la belle, à quoi ont servi les 8,5 millions de RM engloutis dans la production.

Wikipedia m’apprend que le tournage se déroula notamment en Espagne, dans les Alpes et dans les Dolomites mais lorsque j’ai vu les scènes de montagne, j’ai cru qu’elles avaient été mises en boîte sur des plateaux plus minables que les plus minables des plateaux de la RKO.

Certes, le « style » de la réalisatrice de La lumière bleue, son goût pour les halos lumineux, n’est pas pour rien dans cette impression d’artifice à l’image mais les panoramas ressemblent vraiment à des toiles peintes. De plus, le vide et le peu de variété des plans de village accentuent cette impression d’un film tourné avec trois fois rien.

Ce dénuement de la mise en scène va de pair avec un récit schématique au possible et des personnages tout à fait inconsistants. Des acteurs médiocres desservis par une consternante post-synchronisation n’aident pas non plus à incarner la succession de niaiseries faisant office de narration.

Ainsi, disposant d’un crédit quasi-illimité pour ressusciter cinématographiquement le romantisme allemand, la numéro 1 du cinéma nazi n’a accouché que d’une ribambelle de pauvres clichés visuels dépourvue de sève.

Si besoin en était, Tiefland rappelle donc combien Leni Riefenstahl était une réalisatrice de troisième ordre. Dénuée d’instinct dramatique, incapable de diriger des acteurs et inapte à saisir tout geste vrai, son talent qui se limite à la confection de chromos révèle un rapport parfaitement superficiel à son matériau.

P.S: quant à la lecture subversive de l’histoire (tirée d’un opéra de Eugen d’Albert) visant à dédouaner une favorite de Hitler qui alla chercher ses figurants dans les camps de concentration, elle n’offre aucune pertinence tant est nulle la contextualisation politique et sociale dans Tiefland.

P.P.S: à la décharge de Leni Riefenstahl, quatre bobines manquaient lorsque la copie lui fut restituée après confiscation par les autorités françaises.

Sumurun (Ernst Lubitsch, 1920)

Le cheikh d’une ville arabe imaginaire s’entiche de la danseuse d’une troupe de comédiens itinérants…

Le mélange des registres ne fonctionne pas tant le décorum de pacotille, le manque d’unité dramatique et les personnages archétypés appelaient la fantaisie mais pas le mélo. Dans les passages fantaisistes, à base de courses-poursuites et de cache-cache, Lubitsch fait preuve d’une invention dynamique qui évite à Sumurun de s’affaisser sous la lourdeur de sa production.

Ragtime (Milos Forman, 1981)

Dans l’état de New-York au début du XXème siècle, une famille de bourgeois est impliquée, par le truchement de sa domestique, dans le conflit d’un pianiste de ragtime avec la société qui l’a injustement traitée parce qu’il est noir.

De par sa folle ambition, Ragtime est comparable à d’autres mastodontes de son époque tel La porte du Paradis ou Il était une fois en Amérique. Il s’agit ni plus ni moins que de filmer l’entrée de l’Amérique dans le XXème siècle; sous l’effet de tensions raciales, culturelles et économiques, un ordre ancien s’effondre en même temps qu’une nouvelle bourgeoisie, juive et noire, émerge grâce au cinéma et au ragtime.

Une multitude de protagonistes et d’intrigues (ce n’est pas pour rien que l’adaptation du touffu best-seller de E.L Doctorow fut d’abord proposée à Robert Altman) évolue dans une somptueuse reconstitution de la Belle Epoque. L’ellipse a beau être parfois magistrale (voir le poignant raccord entre la promesse de mariage et l’enterrement), certains développements du récit semblent manquer à cause des coupes de Dino de Laurentiis.

Si la mise en scène de Milos Forman est dénuée de l’ampleur lyrique dont furent capables Sergio Leone et Michael Cimino, sa discrète ironie conjure le risque d’académisme inhérent à ce type de superproduction. J’ai particulièrement aimé la façon, très concrète, dont sont retranscrites les circonstances menant le joyeux héros, magnifiquement incarné par le regretté Howard E.Rollins, à une révolte raciale sans espoir de retour.

Bref, sous des dehors rutilants, l’essentiel de la beauté de Ragtime vient de l’empathie critique avec laquelle le réalisateur tchèque regarde ses différents personnages réagir à l’évolution de la société.

The lucky lady (Raoul Walsh, 1926)

L’héritière du trône d’un petit royaume dont l’économie est basée sur le jeu refuse un mariage arrangé et s’entiche d’un touriste américain.

Sympathique petite comédie à la Lubitsch agrémentée d’un dynamisme typique de Walsh (la course-poursuite entre amoureux) . Les savoureux cartons sont ce qu’il y a de plus amusant.

Marianne (Benoît Jacquot, 1997)

Au XVIIIème siècle, une enfant trouvée devient servante et un jeune aristocrate s’en entiche…

Réduction à une heure et demi d’un téléfilm en deux parties. C’est pourtant déjà très long et très ennuyeux. Le mélange de préciosité, dans les abondants dialogues apparemment repris tel quel du roman de Marivaux, et de brutalité, dans les cadrages mouvants et très rapprochés, ne convainc jamais; l’arbitraire de cette mise en scène ne se transfigure jamais en une quelconque incarnation et assèche le fort potentiel romanesque du récit dont les énormes coïncidences apparaissent alors d’autant plus ahurissantes. De plus, la diction des comédiens et la prise de son sont telles qu’on n’entend pas un mot sur deux.

Dans les remous/Le chant de la fleur écarlate (Mauritz Stiller, 1919)

Amoureux d’une fille de ferme, le fils d’un propriétaire terrien quitte le domaine familial et devient flotteur de bois…

La nature n’est pas sublimée par la prise de vue comme elle a pu l’être dans d’autres films suédois, plus lyriques, de l’époque. Forêts, collines et torrents se contentent d’être le cadre réaliste d’un récit hautement moral agrémenté de plusieurs scènes pittoresques au premier rang desquelles figure une fameuse course dans les rapides.

Valse d’amour (Dino Risi, 1990)

Libéré de l’asile suite à la loi du 13 mai 1978, un ancien directeur de banque retourne dans sa famille…

Cette dernière collaboration entre Dino Risi et Vittorio Gassman s’inscrit tout à fait dans la lignée des oeuvres les plus tardives de l’auteur du Fanfaron: c’est une comédie assez peu comique et très amère. Le plan où l’on découvre Gassman, désormais vieux, prostré sur un lit d’hôpital, à moitié dans le noir, est d’une poignante grandeur pathétique.

L’argument de départ est bien sûr l’occasion de pointer du doigt les dérèglements de la société moderne et de montrer que le fou n’est peut-être pas celui que l’on croit. Même si plusieurs piques font mouche, cette confrontation attendue entre le grand-père et sa nouvelle famille n’est pas la meilleure partie du film tant les personnages de la bru et de son fiancé sont superficiellement caractérisés. La séquence avec l’ancienne secrétaire est même embarrassante mais c’est la seule du film qui verse aussi stupidement dans la caricature.

C’est lorsqu’il sort des rails de la satire pour se focaliser sur la relation entre un grand-père et sa petite fille, tous deux en rupture avec leur famille, que Valse d’amour prend toute sa dimension: parfaitement crépusculaire, irrémédiablement triste et fondamentalement ambigu. C’est avec un tact magistral que Risi filme ce qu’il faut bien appeler l’amour entre un vieil homme et une fillette; un amour débarrassé aussi bien de la raison familiale que de la tentation charnelle. Dans la scène où la gamine coupe les cheveux de son grand-père se révèle une douceur que Risi, aussi aigri puisse t-il se montrer, n’occulte jamais complètement.

Très sobre, Gassman est immense; il réussit à rendre la folie de son personnage « naturelle » à part peut-être dans les scènes où il entend la valse du titre, scènes que l’emploi de la bande-son rend conventionnelles. Face à lui, le cabotinage d’un Elliott Gould méconnaissable apporte ce qu’il faut de vitalité comique à cette comédie terriblement mélancolique.