La ferme des sept péchés (Jean Devaivre, 1949)

L’enquête sur l’assassinat du pamphlétaire Paul-Louis Courier permet de retracer sa vie selon des points de vue très différents.

La force du film est aussi sa faiblesse: la volonté forcenée d’originalité, la racontance artificiellement compliquée d’une histoire simple (ce qui préfigure Pierrot le fou). Les inventions formelles et les coquetteries narratives de Jean Devaivre sont tantôt épatantes, tantôt belles, tantôt superflues, tantôt vulgaires. La ferme aux sept péchés a le mérite d’être plus stimulant qu’une bonne partie de la production française de l’époque (la « certaine tendance » attaquée par Truffaut en janvier 1954) mais, de Paul-Louis Courier, ce déferlement baroque ne nous montre pas grand-chose d’autre qu’une dichotomie simpliste entre l’homme public et l’homme privé.

L’espion Kakita Akanishi (Mansaku Itami, 1936)

Au XVIIème siècle, un samouraï s’infiltre chez un seigneur ennemi…

Le mélange d’humanisme et de ludisme avec lequel l’histoire de samouraï est racontée donne déjà un certain prix à L’espion Kakita Akanishi. Outre les qualités de bravoure et de furtivité de son héros, Mansaka Itami met l’accent sur l’amitié, la santé et les sentiments qui enrayent la trajectoire programmée d’une mission. La retenue infiniment suggestive du dénouement est d’une grande beauté qui auréole l’oeuvre d’une dimension supplémentaire.

La caméra est fluide et précise. Pour filmer une lettre d’amour, Itami utilise la surimpression comme le fera François Truffaut trente-cinq ans plus tard dans Les deux Anglaises et le continent. Le lyrisme est presque aussi puissant (il manque quand même Delerue).

De plus, la seule séquence de combat du film est mise en scène avec un véritable génie. L’invention dans les cadres, les mouvements d’appareil et le montage confère une urgence, une gravité et un dynamisme épatants à la séquence. Le seul problème de l’oeuvre, par ailleurs parfaitement concise, est que cette séquence qui représente l’incident Date soit assez décorrélée du reste. Mais un cinéphile aurait tort de bouder son plaisir.

Eclipse (Hiroshi Shimizu, 1934)

De retour dans son village natal un homme fait l’entremetteur pour son meilleur ami mais la jeune fille est amoureuse du messager…

Le scénario est excessivement alambiqué puisqu’une même situation se répète deux fois avec quatre femmes différentes sans qu’il n’y ait de réflexion sur cette coïncidence. Outre que cela rend le film difficile à suivre (d’autant que les Japonaises se ressemblent beaucoup en noir et blanc), cela diminue l’intérêt du drame qui recèle pourtant des moments forts. Shimizu, sans rien avoir perdu de son génie pour appréhender les décors naturels, égale à certains endroits Naruse et Mizoguchi lorsqu’il s’agit de montrer la tragédie amoureuse.

Cinq éclaireurs (Tomotaka Tasaka, 1938)

En Chine, des soldats japonais basés dans un fortin effectuent des missions de reconnaissance et attendent l’ordre de l’assaut.

La concision du découpage qui va de pair avec la densité du récit, la beauté discrète des contrastes du noir et blanc, la qualité des compositions visuelles, la sobriété des acteurs et l’humanisme qui contrecarre le militarisme attendu (la vie humaine est importante et on voit un officier pleurer) sont dignes d’un bon film de guerre américain des années 40. L’avancée dans les hautes herbes, avec sa caméra très mobile et suggestive, préfigure carrément la matrice du film de fantassins moderne que fut Aventures en Birmanie six ans plus tard. Même si l’incident de Shanghaï est évoqué dans un sens bien sûr pro-nippon, la propagande reste discrète dans ce film pudique, sentimental et fataliste. A découvrir.

Les volontaires de la mort/La bataille navale à Hawaï et au large de la Malaisie (Kajirō Yamamoto, 1942)

De 1936 à 1941, du début de leur formation à l’attaque de Pearl Harbor et de Singapour,  le parcours de deux jeunes japonais dans un escadron d’aviation.

Aujourd’hui, La bataille navale à Hawaï et au large de la Malaisie (sorti à Paris en juin 1944 sous le titre Les volontaires de la mort) vaut surtout en tant que pur symptôme de la propagande belliciste japonaise. Parce que le patron de la Tohô en enterra une copie, c’est une bande rescapée de la destruction ordonnée par MacArthur en 1945. Étonnamment, les séquences d’endoctrinement et de bombardements -soit l’essentiel de l’oeuvre- pourraient avoir été tournées par l’ennemi Frank Capra dans Why we fight?. La négation totale de l’individu, caractéristique totalitaire qui faisait frémir les Occidentaux, était ouvertement glorifiée par le pouvoir nippon (ce qui provoqua l’admiration de Lucien Rebatet dans Je suis partout). La guerre contre les puissances anglo-saxonnes est brandie comme une nécessité immanente sans être vraiment justifiée. La jubilation des aviateurs attaquant Pearl Harbor est également étonnante. Même un cinéaste hollywoodien n’aurait pas osé filmer les Japonais riant aux éclats pendant leur oeuvre de destruction.

Par ailleurs, la facture technique est excellente: la netteté presque documentaire couplée à un sens du spectaculaire très développé (l’intégration des stocks-shots et autres plans truqués est plus probante que dans les films américains contemporains) permet de suivre le film sans ennui malgré que l’intrigue et les caractères ne soient nullement développés (totalitarisme oblige). Une séquence où les avions s’en vont bombarder accompagnée par un remix de la chevauchée des Walkyries préfigure très clairement Apocalypse now.  Akira Kurosawa, qui fut assistant sur ce film, a donc été à bonne école.

L’empreinte du passé (The road to yesterday, Cecil B.DeMille, 1925)

Dans le Grand Canyon, de jeunes mariés s’avèrent être des réincarnations d’amoureux anglais du XVIIIème siècle.

Le récit contient des bifurcations parmi les plus radicales de l’Histoire du cinéma. C’est sa principale force mais aussi sa principale faiblesse car la sidération se fait au détriment de la cohérence: la réincarnation telle que nous la présente DeMille est pour le moins fumeuse. Si le film fonctionne souvent en dépit de soubassements saugrenus et alambiqués, c’est parce que la mise en scène accentue la force des rebondissements: les morceaux de bravoure s’enchaînent, surtout dans la dernière partie qui est une suite ininterrompue de scènes d’action; duel, poursuite, torture, exécution, carambolage et incendie s’enchaînent avec une virtuosité tellement étourdissante que leur prétexte n’a plus aucune importance. Oeuvre dénuée de tout surmoi, L’empreinte du passé brinquebale pas mal mais, par sa stupéfiante maestria visuelle et dramatique, préfigure Godless girl, chef d’oeuvre encore plus époustouflant et, de plus, parfaitement achevé.

Madame et ses partenaires (Part time wife, Leo McCarey, 1930)

Un PDG tente de reconquérir sa femme délaissée en se mettant au golf.

Véritable ébauche de Cette sacrée vérité. On y retrouve l’intrigue mais aussi plusieurs détails tel l’importance d’un chien. On décèle aussi le talent de Leo McCarey pour le contraste émotionnel. Grâce à son attention à chacun des personnages et à son jusqu’au boutisme, il fait passer le spectateur de l’amusement à la poignante gravité à l’intérieur d’une même séquence sans que ça ne paraisse forcé. Les ruptures de ton les plus frappantes, tel le gazage du chien, ne sont pas artifices lacrymaux décorrélés du reste mais justifient l’oeuvre dans toute sa profondeur; ainsi l’improbable amitié entre un PDG et un gamin vagabond est-elle expliquée par une solidarité de coeur. Edmond Lowe n’a pas le génie comique de Cary Grant et le découpage n’est pas aussi fluide que celui du chef d’oeuvre de 1937 mais, pour un film de 1930, Madame et ses partenaires est un film aéré et dynamique. En dehors de Soupe au canard qui appartient autant aux Marx brothers qu’à son réalisateur, c’est, de loin, le meilleur long-métrage de McCarey d’avant L’extravagant Mr Ruggles.

Wild company (Leo McCarey, 1930)

Un fils à papa frise la délinquance en fréquentant la poule d’un gangster ennemi de son père.

Film à thèse que la surabondance de parlotte rend d’autant plus assommant. On note que l’attention est portée aux rapports entre le père et son fils: pour être très mineur, Wild company n’en demeure pas moins un film de Leo McCarey.

Chacun sa chance (Hans Steinhoff, 1930)

Un vendeur se faisant passer pour un baron et une marchande de chocolats déguisée en grande dame se rencontrent dans une loge de l’opéra…

Le premier film avec Jean Gabin est une ineptie qui, de par l’importance qu’il accorde à des « gags » nullissimes (l’échange du manteau), prend vraiment le spectateur pour un imbécile. Gabin lui-même imprime infiniment mieux la pellicule dans son film suivant Paris-béguin, bien qu’il n’y tienne qu’un second rôle.

Karl May, à la recherche du paradis perdu (Hans-Jürgen Syberberg, 1977)

A la fin XIXème siècle, l’auteur allemand de romans exotiques et populaires Karl May est attaqué pour fraude littéraire et pour ses moeurs passées.

La nullité de la progression narrative (les mêmes oppositions se répètent pendant plus de trois heures, avec d’infimes variations) et la lourdeur explicite de la mise en scène rendent ce film assommant bien qu’il soit plus réaliste que le précédent de Hans-Jürgen Syberberg.

Le chevalier mystérieux (Riccardo Freda, 1948)

Pour délivrer son frère des geôles vénitiennes, Casanova est chargé d’intercepter une lettre envoyée à Catherine de Russie.

Riccardo Freda prend de très grandes libertés avec les mémoires du séducteur vénitien pour trousser un film d’aventures dynamique et enlevé. C’est superficiel mais le sens du décor et de l’action font du Chevalier mystérieux un des bons films de cape et épée italiens. Pour une fois, un film de Freda ne pèche pas côté interprétation grâce à une révélation de tout premier ordre dans le rôle principal: Vittorio Gassman.

Les maudits (René Clément, 1947)

En avril 45, des nazis en fuite à bord d’un sous-marin enlèvent un médecin à Royan…

Un film sur les nazis en fuite aurait pu être intéressant si les dimensions politiques et historiques n’avaient été escamotées par un traitement pusillanime, vulgaire et ras-les-pâquerettes. La seule motivation de ces « maudits » pour continuer un combat perdu qui soit vraiment évoquée est l’amour d’un industriel italien pour une nazie: minable réduction de la tragédie historique aux dimensions d’un mauvais mélo. Face à des méchants très méchants, il y a un gentil très gentil chargé de raconter le film pour que l’on ne quitte jamais le point de vue d’un gentil dans cette histoire de méchants, dût-ce être au prix de lourdes fautes dans la gestion des flash-backs. Sa voix-off, souvent superflue et de surcroît très mal dite par Henri Vidal, n’est pas l’élément le moins plombant du film.

Ludwig, requiem pour un roi vierge (Hans-Jürgen Syberberg, 1972)

L’histoire de Louis II, roi fou de Bavière et fou des arts à l’époque de la réunification de l’Allemagne.

Toiles peintes, artifices des éclairages, frontalité de la caméra, insertions d’images simili-documentaires…la mise en scène est un brouet « distanciateur » où seule la musique de Wagner largement utilisée empêche l’ennui total. De ce brouet émerge une vision sottement royaliste de l’Histoire (le roi un peu dingo mais écolo et proche du peuple contre les affidés de la modernité militaire, industrielle et cosmopolite de Bismarck).