Clockers (Spike Lee, 1995)

A Brooklyn, un jeune dealer noir est soupçonné d’un meurtre dont son frère, père de famille rangé, s’est accusé.

Le noeud de l’intrigue est invraisemblable mais peu importe car il n’est qu’un prétexte à un petit film choral sur les Noirs face au trafic de crack à Brooklyn au début des années 90. La virtuosité de Spike Lee insuffle de la vie, de la tension et de l’émotion. Les rapports de Harvey Keitel avec son suspect apportent une certaine grandeur.

Crooklyn (Spike Lee, 1994)

A la fin des années 60, une mère de famille noire tente de maintenir le cap avec ses six enfants et son mari musicien aux revenus incertains.

Spike Lee réalise un film semi-autobiographique mais se focalise sur le point de vue de la seule fille de la fratrie. C’est une chronique familiale avec les défauts et les qualités que le genre suppose: foisonnement d’événements variés, coups de coude au spectateur frôlant la démagogie. Ainsi, si l’abondance de tubes Motown peut théoriquement se justifier par l’époque et la couleur des personnages, leur utilisation -toujours irrésistible- apparaît aussi facile que les morceaux de Bach chez Tarkovski. Les personnages, interprétés avec naturel, sont tous (plus ou moins) sympathiques. Pourtant, certain racisme latent n’est pas éludé tel qu’en témoignent les scènes malaisantes avec le voisin blanc. L’anamorphose des séquences à la campagne fait penser à une erreur de tirage au lieu de figurer la distance de l’héroïne avec ses cousins mais les mouvements de caméra sophistiqués insufflent fluidité et unité au récit fourmillant. Le résultat est un film riche en émotions diverses dont la morale pourrait être la même que celle du Fleuve de Jean Renoir: par-delà les douleurs les plus scandaleuses, la vie continue. Crooklyn est donc une attachante réussite.

Nola Darling n’en fait qu’à sa tête (She’s gotta have it, Spike Lee, 1986)

A Brooklyn, une femme se partage entre trois amants.

Cas typique de « premier film ». Un sujet rebattu est ancré dans une réalité chère à l’auteur et vivifié par des coquetteries de débutant découvrant tout ce qu’il peut faire avec une caméra et une table de montage. La douceur générale rend le tout assez sympathique.

Vive les femmes! (Claude Confortès, 1983)

Différents hommes et femmes profitent de l’été pour aller draguer sur la côte d’Azur.

Je n’ai pas lu la bande dessinée de Reiser mais les auteurs ne se sont visiblement pas préoccupés de la transcription d’un médium vers un autre tant le découpage s’apparente à une succession de vignettes dénuée de liant. C’est indigent, invertébré et, tel Hara-Kiri, « bête et méchant ».

L’amour propre ne le reste jamais très longtemps (Martin Veyron, 1985)

Après qu’une femme lui a fait découvrir son point G, un homme cherche à le retrouver chez d’autres femmes.

Martin Veyron, qui a adapté sa B.D, s’avère moins cinéaste que le Patrick Schulmann des Et la tendresse bordel. Sa mise en scène est plus attendue mais elle est loin d’être nulle car elle engendre parfois de la drôlerie qui n’a rien à voir avec la trame principale. Le développement de cette trame est de plus assez dialectique, ne se limitant pas à l’accumulation de vignettes marrantes. Les personnages ont une certaine consistance. Jean-Luc Bideau est excellent dans son sempiternel rôle d’obsédé.

La femme en ciment (Gordon Douglas, 1968)

Ayant découvert une femme encimentée lors d’une partie de plongée, le détective Tony Rome est à nouveau entraîné dans une sale histoire…

La désinvolture devient du laissez-aller. C’est patent dans la conduite de l’intrigue. Il reste des dialogues toujours aussi amusants et des filles sexy, en tête desquelles Raquel Welch.

Rogues of Sherwood forest (Gordon Douglas, 1950)

Richard Coeur de Lion décédé, son frère le prince Jean reprend le pouvoir mais le fils de Robin des bois compte bien défendre la population opprimée.

C’est soi-disant une suite mais l’histoire reste identique: le fils de Robin s’appelle aussi Robin, il se réfugie dans la forêt de Sherwood pour combattre le prince Jean aux côtés des joyeux compagnons Frère Tuck, Petit Jean et Will l’Ecarlate et il convoite toujours une lady Marianne. Comment faire du vieux avec du neuf. A part ça, sans arriver à la cheville du chef d’oeuvre de 1938, cette quasi-série B de la Columbia est un film vif et coloré qui romance intelligemment la naissance de la magna Carta (seule innovation narrative de cette suite). John Derek n’est pas Errol Flynn mais ses talents de bretteur sont honorables, il y a pas mal d’action et Gordon Douglas, en plus d’être très concis dans son découpage, a le sens du détail cruel qui pimente les séquences de duel.

Les loups dans la vallée (The big land, Gordon Douglas, 1957)

Après la guerre de Sécession, un cow-boy Texan aide des fermiers du Kansas à construire une gare pour pouvoir vendre son bétail à d’autres marchands que les rapaces du Missouri.

Malgré des transparences hideuses et une musique parfois pléonastique, Les loups dans la vallée est un très bon western qui témoigne d’autant mieux des vertus du genre qu’il est dénué du génie d’un auteur. Entremêlant avec un admirable naturel relents de la guerre de Sécession, convoyage de bétail, avancée du chemin de fer et histoire d’amitié rédemptrice qui préfigure Rio Bravo, le récit est d’une grande variété dramatique. Toutefois, l’absence de mise d’accent sur l’un ou l’autre de ces aspects fait que le tout demeure un peu superficiel malgré quelques éclats de la mise en scène notables dans les séquences violentes ou tristes. La virilité un tantinet maniérée de Alan Ladd apporte aussi une touche de singularité. C’est un des rôles qui justifient le mieux sa réputation de star du genre.

A cause des filles…? (Pascal Thomas, 2019)

Le marié ayant fui avec une autre fille juste après la cérémonie, les convives d’une noce se racontent des histoires d’échec amoureux.

Depuis le début des années 2000, tournant le dos à une époque qui probablement le consterne, Pascal Thomas a perdu une de ses qualités essentielles: la justesse d’observation. Les percées de crudité mâtinée de pudeur -tel le plan large sur la salle de bains où un pensionnaire console un camarade plus jeune dans Les zozos– dont l’apport émotionnel était inestimable et qui apparentaient son cinéma à celui, contemporain, de Maurice Pialat ont disparu. Une exception peut-être : la séquence avec les deux enfants dont la belle lumière littorale rappelle Les maris, les femmes, les amants.

Cependant, le réalisateur retrouve ici un métier comique qui manquait à ses adaptations de Agatha Christie. La structure du film à sketches lui permet de broder autour de situations variées sans avoir besoin d’avoir le souffle long. C’est globalement inventif, enlevé et drôle.

Plus que jamais, Pascal Thomas se livre sur ses goûts et dégoûts littéraires, via de nombreuses citations et références. Les sketches sont d’autant plus réussis lorsque ses marottes sont bien intégrées à une trame supérieure. Le segment sur Baudelaire s’effondre sous son propre artifice tandis que celui autour de Molière touche juste car il s’avère au service d’une percutante critique de «balance ton porc». L’ironie perpétuelle empêche la cuistrerie, tel qu’en témoigne ce plan où un Christian Morin ensommeillé succède à une sérieuse diatribe de Marie-Josée Croze contre les films sinistres, diatribe que l’on imagine pourtant approuvée par l’auteur.

Le court segment avec Bernard Menez jouant le rôle d’une vieille fille est assez emblématique de l’œuvre dans son ensemble. Le plaisir ludique de voir le sympathique comédien travesti coexiste avec la circonspection devant une situation tout à fait déconnectée de la réalité : qui, aujourd’hui, s’effarouche à ce point en entendant la définition du mot « cunnilingus»? Quel jeune écrivain fait aujourd’hui taper ses manuscrits?

A cause des filles…? témoigne de la plaisante désuétude d’un auteur qui s’obstine à prendre au sérieux, c’est à dire avec science et légèreté, le genre comique.

Les héros de Télémark (Anthony Mann, 1965)

En Norvège, des résistants tentent de neutraliser une usine fournissant de l’eau lourde aux nazis.

Par rapport à La bataille de l’eau lourde, c’est l’extrême inverse. Un romanesque usé et facile au service d’une glorification de la star Kirk Douglas parasite le beau récit des faits de résistance. Heureusement, l’élégance du découpage de Anthony Mann -toujours aussi ingénieux, concis et fonctionnel- est intacte. Les poursuites à skis dans les étendues glacées norvégiennes sont aussi bien filmées que les chevauchées de naguère dans les montagnes du Colorado. La réputation calamiteuse du dernier film achevé par le grand cinéaste n’est donc pas vraiment justifiée.

La bataille de l’eau lourde (Jean Dréville, 1948)

En Norvège, des résistants tentent de neutraliser une usine fournissant de l’eau lourde aux nazis.

Faisant jouer leur propre rôle aux protagonistes de l’histoire, usant et abusant de la voix-off, insérant images d’actualité et commentaires de physiciens, Jean Dréville a réalisé un « docu-fiction » avant la lettre. D’où que le didactisme l’emporte sur le spectaculaire malgré de jolies images des montagnes norvégiennes et une séquence d’infiltration assez réussie. La plus-value par rapport à un article de journal reste minime.

La salamandre (Alain Tanner, 1971)

Deux journalistes s’intéressent à une jeune fille qui fut accusée d’avoir tiré sur son oncle.

La fine entomologie marxiste de Alain Tanner est vivifiée par la grâce de Bulle Ogier dont le beau personnage s’avère irréductible aux analyses, pourtant pertinentes, des deux intellectuels. La salamandre est un film libre et varié tout en étant précis et juste.

La mule (Clint Eastwood, 2018)

Criblé de dettes, un horticulteur de 90 ans accepte de transporter de la drogue pour un cartel mexicain.

Quelle divine surprise que de retrouver Clint Eastwood dans un film de Clint Eastwood! La surprise est double car, outre que l’on ne s’attendait plus à voir le presque nonagénaire devant sa propre caméra, il étonne en atténuant la charge sacrificielle et pathétique induite par un tel sujet. Ainsi, La mule n’est pas l’énième film « crépusculaire » de Clint Eastwood. Si on retrouve la propension de la star à exposer sans fard son corps vieillissant (ses mains ridées stupéfient dès le premier plan où il manipule ses fleurs), l’oeuvre baigne dans une lumière solaire à l’opposé des contrastes lugubres de Tom Stern tandis que la légèreté cuivrée de la bande originale tranche d’avec les cinq notes et demi de piano recyclées dans les films mis en musique avec son fils.

De plus, après les grimaces caricaturales de Gran Torino, Eastwood comédien a retrouvé son sceptre de roi de l’underplaying. Jouant un vieux beau féru de fleurs, la star reste la star mais se renouvelle. Il y a bien quelques saillies réacs d’autant plus égayantes qu’elles vont de pair avec l’autodérision mais, désolé pour le divulgâchis, on ne verra jamais l’interprète de l’inspecteur Harry tenir ici le moindre flingue.

Enfin, une bonne partie du film est traitée sur le ton de la comédie, Eastwood s’amusant régulièrement du décalage entre son personnage et les jeunes délinquants mexicains qui l’entourent. Cela n’altère ni la tension dramatique des séquences avec les trafiquants de drogue ni l’impact émotionnel des scènes familiales. Dans cette facilité à mélanger les registres, à l’opposé de la plombante uniformité de certains de ses derniers films, on retrouve la maîtrise classique de l’auteur de BreezyUn monde parfait et autres Honkytonk man.  En déjouant les attentes liées à son récit, il enrichit sa dramaturgie. Par exemple, en montrant le goût de son personnage pour les plaisirs dispendieux, il l’empêche d’être assimilé à une pure victime (victime d’abord d’un système économique très dur puis des gangs qui exploitent sa crédulité). In fine, ce faux film policier raconte la coûteuse réconciliation d’un vieil homme avec sa famille. On retrouve alors le tact émouvant de l’auteur de Sur la route de Madison et Million dollar baby.

A travers cette mise en scène d’un fait divers « authentique », Eastwood se livre sur sa conception des rapports entre travail, plaisir et famille. Lorsque, dans une séquence digne de la confrontation entre Robert de Niro et Al Pacino dans Heat, le vieil homme s’épanche à l’intention de l’agent des stups qui a la moitié de son âge, on se doute bien que c’est Eastwood qui parle à travers lui. Cette confession de l’auteur est d’autant plus touchante qu’elle est parfaitement intégrée à la logique de la séquence et du personnage: elle sonne juste. Cette justesse est corrélée à l’humanisme retrouvé du cinéaste qui, loin de la mièvrerie dégoulinante de Invictus mais avec la subtilité pragmatique de Bronco Billy ou Josey Wales hors-la-loi, s’attache aux relations entre individus par-delà les grilles idéologiques et les atavismes communautaires.

Les aventures de Don Juan (Vincent Sherman, 1948)

Après des frasques à travers toute l’Europe, Don Juan tente de reconquérir la confiance de la Reine d’Espagne…

Il y a quelques baisses de rythme, Errol Flynn a pris cher en moins de 10 ans, l’absence d’un auteur derrière la caméra se fait sentir dans les moments où l’accent aurait pu être mis sur la mélancolie du personnage mais c’est un divertissement joliment coloré par le Technicolor et où de très bonnes séquences d’action montrent que l’aigle des mers avait encore de beaux restes. Plaisant.

Ladies and gentlemen, the fabulous Stains (Lou Adler, 1981)

Leur mère décédée, deux adolescentes et leur cousine embarquent dans le bus de tournée de rockers de passage dans leur ville et fondent leur propre groupe.

Diane Lane en bas-résille à 16 ans vaut le coup d’oeil mais le récit manque de réalisme donc le propos démystificateur, quoique pertinent, tombe à côté de la plaque.