Le secret du cargo/L’énigme du poignard (Maurice Mariaud, 1929)

En Algérie, un détective enquête sur l’enlèvement d’une artiste de music-hall…

Entre Tintin (le héros pur et dégingandé en pantalon de golf) et Rintintin (son fidèle acolyte n’est pas un fox-terrier mais un berger allemand), ce film policier qui se transforme en film d’aventures coloniales ne manque pas d’originalité dans le contexte du cinéma français de la fin des années 20. Le rythme de la narration aurait gagné à être plus rapide mais l’oeuvre n’est pas avare en extérieurs algériens qui donnent une touche documentaire légère et bienvenue au divertissement. Dynamique et désertique, la dernière partie culmine dans un duel sur les rochers parfaitement découpé où Maurice Mariaud s’avère plus proche de Anthony Mann qu’aucun des auteurs français contemporains régulièrement distingués comme tel par la critique parisienne. Sympathique.

Mon oncle de Passy (Maurice Mariaud, 1925)

Un clochard ayant, par chance, récupéré la situation d’un milliardaire suicidaire se voit soumis chantage par son ancien compagnon de refuge.

L’interprétation sobre mais expressive de René Navarre dans le rôle principal et le soin apporté à la mise en scène (notamment dans les éclairages) réhaussent l’intérêt de cette fable démagogique vaguement influencée par Chaplin (Une vie de chien est cité).

O Fado (Maurice Mariaud, 1923)

Un forgeron délaisse son foyer pour une fille de bar sous la coupe d’un chanteur de fado.

Inspiré par un célèbre tableau naturaliste portugais, ce court-métrage s’articule autour d’une intrigue moralisatrice et prévisible mais déroulée de façon concise et avec un sens de l’atmosphère crapoteuse qui rappelle la meilleure séquence du Fièvre de Delluc.

Quand la raison s’en va (Maurice Mariaud, 1919)

Ayant abusé de l’alcool, un jeune homme fait des rêves étranges.

Deux aspects singularisent ce classique drame de l’alcoolisme qui dure environ une demi-heure: le début, réaliste, où le travail dans les docks est largement montré, et la dernière partie où, a contrario, un onirisme féerique teinte la fable moralisatrice d’un soupçon d’ironie.

L’idéaliste (The rainmaker, Francis Ford Coppola, 1997)

Un avocat fraîchement émoulu défend un jeune leucémique contre son assurance-santé.

Élégance cinémascopée du découpage, luxueuse distribution de seconds rôles qui s’étend de Roy Scheider à Teresa Wright, musique somptueuse de Elmer Bernstein (qui par endroits frise le pompiérisme), parfaite adéquation de Matt Damon au rôle-titre, humour bien dosé, montage alterné et voix-off qui dynamisent la narration… Avec toute la maîtrise dont il est capable, Francis Ford Coppola revitalise le genre bien américain du procès de David contre Goliath sans, contrairement au simpliste Tucker, sacrifier la dialectique: pour que la démocratie fonctionne, l’exercice du droit nécessite beaux sentiments mais aussi maîtrise pragmatique. Une réserve: l’arc narratif de la jeune fille battue par son mari est inabouti et conventionnel; le récit aurait gagné en concision s’il avait été escamoté.

Quatorze juillet (René Clair, 1932)

A un bal du 14 juillet, un chauffeur de taxi amoureux d’une fille de mauvaise vie rencontre une vendeuse de fleurs.

Pourquoi ce film de René Clair, pour être parfaitement « clairesque », n’en demeure t-il pas moins infiniment plus vivant et touchant que les faux classiques que le cinéaste réalisa à la même époque? D’abord, une évidence: Annabella est très charmante et insuffle de la vérité humaine à la jeune fille archétypale qu’elle incarne. De plus, si ce sont les idées qui continuent de conduire la mise en scène, toujours extrêmement concertée, de René Clair, celles-ci semblent moins déconnectées de la réalité et plus expressives qu’elles ne le furent. L’oeuvre est riche de détails fantaisistes mais non gratuits; l’emploi narratif et musical du piano mécanique est à cet égard révélateur. L’invention visuelle et sonore, plus vivace que jamais, est au service des personnages et de la dramaturgie, tel qu’en témoigne le raccord autour du nom de « Jean » prononcé par deux femmes différentes. Par ailleurs, cette fois, le laconisme des dialogues n’est pas signe d’une indigence d’écriture mais composante capitale d’un art pudique et secrètement tendre.

En accord parfait avec la musique complexe mais entêtante de Maurice Jaubert, une caméra exceptionnellement mobile va et vient, dans des décors à la netteté évocatrice (rarement l’expression « poésie de studio » fut plus adaptée à un film français), entre petite cosmogonie populiste et lyrisme intime, à l’exemple du sublime travelling sur le personnage de Annabella à sa fenêtre tandis que sa mère lui parle hors-champ. Un tel plan, où concourent les génies d’une interprète, d’un décorateur et d’un musicien, parfaitement orchestrés par un réalisateur très sûr de sa vision, montre ce que le cinéma de Clair a gagné avec Quatorze juillet: une substance émotionnelle.

Enfin, le caractère parfois mécanique du récit est transfiguré par une utilisation remarquable des fondus au noir qui introduisent des béances temporelles dans la narration: René Clair n’est pas qu’un maître de l’espace dont le découpage très fluide anime une farandole de personnages, c’est aussi un maître du temps capable de nous faire croire à une unité en la matière avant d’accélérer brusquement; ce qui insuffle une dimension romanesque inattendue.

Avec Quatorze juillet, René Clair inventait son propre classicisme et réalisait, par là même, son chef d’oeuvre.

Les travailleurs de la mer (André Antoine et Léonard Antoine, 1918)

Pour la main de la fille de l’armateur, un pêcheur solitaire s’en va renflouer une épave échouée dans un écueil.

Les images, qu’elles soient de criques, de pitons rocheux, de quais, de travail menuisier, ou de maisons portuaires sont superbes. Parce que Romuald Joubé est filmé comme un personnage de péplum méditerranéen, j’ai songé à Hercule à la conquête de l’Atlantide. Héroïque, réaliste et tragique, Les travailleurs de la mer selon Antoine est un joyau du film d’aventures.

Le prince et le pauvre (William Keighley, 1937)

Par la force des circonstances, le jeune héritier du trône d’Angleterre et un vagabond du même âge intervertissent leurs identités.

Les images sont jolies mais, comparé aux films réalisés à la même époque, dans le même genre et pour le même studio par Michael Curtiz, le film n’est guère trépidant et peu dynamique. Bien sûr, le fait que Errol Flynn ne soit ici qu’un second rôle n’apparaissant pas avant la moitié du métrage contribue également à cette différence mais le récit manque d’un point de vue affirmé et certaines séquences se dispersent dans le décoratif (le couronnement).

Nymphomaniac I & II (Lars Von Trier, 2013)

Une nymphomane raconte sa vie à un vieux professeur.

Le large étalage de références culturelles, les coquetteries formelles d’un goût douteux et les très faciles séquences-chocs témoignent d’une roublardise certaine mais force est de constater que la construction épisodique est assez prenante, d’un romanesque à la Diderot. Certains segments -la visite de la mère trompée, la relation avec la jeune basketteuse, l’interrogatoire de Jean-Marc Barr- sont même brillants et concrétisent l’ambition de leur auteur de « montrer la vérité sans fard », au-delà de ses provocations de petit malin. L’ironie perpétuelle, traduite par des plans grotesques, montre que l’auteur n’est pas dupe de son salmigondis intello-porno mais cette ironie est aussi ce qui empêche l’oeuvre d’acquérir la profondeur à laquelle, traitant de thèmes majuscules pendant plus de cinq heures, elle aurait pu et du prétendre. Tout ça paraît finalement assez vain.