Durch die Wälder, durch die Auen (G.W Pabst, 1956)

Sur la route de Prague, Carl Maria von Weber et la chanteuse de son dernier opéra tombent dans une embuscade manigancée par un comte amoureux de la femme.

Intitulé d’après un air du Freischütz (A travers les forêts, à travers les pâturages), ce dernier film de Pabst n’est pas un biopic classique. Se focaliser sur cet épisode de la vie du maître permet de montrer l’angoisse amoureuse qui suscite l’inspiration et de jouer avec la notion de simulacre, très proche de la notion de mise en scène. Chaque personnage est présenté avec dignité et le découpage, qui préfère les mouvements d’appareil au champ-contrechamp, est élégant et fluide. Il manque simplement un minimum de sensibilité, notamment dans la direction d’acteurs, et de goût, dans l’utilisation de la couleur, pour faire vibrer une matière qui eût idéalement convenu à un Max Ophuls. Nonobstant, la dernière séquence clôt joliment l’oeuvre de Pabst grâce à son mélange de pudeur et de lyrisme musical.

Un flic (Maurice de Canonge, 1947)

Après la Libération, un résistant opportuniste rentre dans des trafics louches, au grand dam de son beau-frère policier au quai des orfèvres.

L’importante présence du décor parisien et une ample séquence d’assaut final constituent les plus-values les plus significatives de ce polar plutôt banal et mou.

L’aventure d’une nuit (Remember the night, Mitchell Leisen, 1940)

Un procureur paye la caution de la voleuse qu’il a entraîné derrière les barreaux et, comme elle est seule, se retrouve à passer Noël avec elle.

L’artifice du postulat est vivifié par la finesse maintenue de l’écriture jusqu’au peu crédible dernier rebondissement et par le couple Fred MacMurray/Barbara Stanwyck, soutenu par la grande Beulah Bondi. Ce film assez peu comique de Mitchell Leisen écrit par Preston Sturges fait songer à du Leo McCarey en un peu moins bien.

 

Ihre Hoheit befiehlt/Princesse, à vos ordres (Hanns Schwarz, 1931)

Une princesse tombe amoureuse d’un de ses cavaliers.

Que Billy Wilder ait participé au scénario n’empêche pas ce dernier d’être d’une nullité exceptionnelle. Je n’avais jamais vu un film avec une répétitivité aussi laborieuse des scènes « comiques ». Les mouvements de caméra de Hanns Schwartz sont parfois impressionnants mais ne constituent ici qu’un enrobage inapte à relever la saveur d’une insipide opérette.

Le droit d’asile (The silent man, William S.Hart, 1917)

Un chercheur d’or dépossédé par un tenancier de saloon récupère son bien en se faisant bandit.

Malgré certains enchaînements de plans trop rapides à l’intérieur des séquences d’action (impression peut-être dûe à une copie incomplète?), cet énième western de Hart/Ince est une énième réussite. Le début, avec la ville corruptrice, laisse présager un recyclage manichéen de la formule puritaine chère à Hart puis, dès que l’espace s’élargit et intègre des grands chemins, des forêts et des rocailles, c’est comme si le paysage, toujours merveilleusement photographié par Joe August, auréolait d’une vérité mythique les conventions du récit et transformait les stéréotypes en archétypes. A partir du moment où la fiancée du méchant est délivrée, les images sublimes se succèdent, sans jamais entraver le rythme général ni le mouvement, souvent brutal, des scènes. La relation avec le pasteur et sa fille concourt également à enrichir le film d’une dimension pionnière et fondatrice. La résolution, facile et expéditive, fait un peu retomber la sauce, mais la saveur puissante demeure.

Le justicier (The gunfighter, William S. Hart, 1917)

Un bandit surnommé « The killer » s’entiche d’une jeune fille et est embauché par le shérif pour qu’il élimine son ennemi, un bandit encore plus méchant que lui.

Cette nouvelle variation de Hart sur le bandit gentil au fond est particulièrement sombre et brutale, tel qu’en témoigne la scène du pillage final. Mise en scène toujours aussi mouvementée et précise; bref, impeccable.

Pour sauver sa race (The Aryan, William S.Hart, Reginald Barker & Clifford Smith, 1916)

Un jeune chercheur d’or devient un chef de bande haineux après qu’une entraîneuse l’a tenu éloigné de sa mère lorsqu’elle mourait.

Pourquoi, au sein de l’excellente production de William S.Hart à la Triangle -toujours riche d’un réalisme dru, d’une interprétation sobre, d’une dramaturgie complexe et d’un découpage concis- Pour sauver sa race est-il le plus réputé, reconnu comme un titre capital du septième art dès sa sortie par Delluc, Mitry, Cocteau et consorts? Il y a d’abord la forme narrative que prend ici l’itinéraire moral du héros. Une utilisation géniale de l’ellipse et l’hétérogénéité des situations dramatiques et des décors insufflent une dimension romanesque tout en présentant un large panel de scènes amenées à devenir canoniques pour le genre western. Le tout en moins d’une heure. Mais ce qui fait de Pour sauver sa race une oeuvre véritablement unique est que, en plus de péréniser voire d’inventer les conventions du genre, elle se paye le luxe d’en détourner certaines, pour un maximum de vérité humaine et de grandeur tragique. Voir ainsi la façon dont Rio Jim se débarasse de son gang, ou encore le dernier plan.

Il y a aussi une mise en scène d’une maîtrise exceptionnelle, mettant aussi bien en valeur le détail significatif que le dessein d’ensemble. Parmi mille bonheurs d’expression, citons ce plan du convoi avançant sur une ligne d’horizon accidentée, superbement photographié par Joe August, analogue à ces images qui enchantèrent tous les amateurs de John Ford et que, très possiblement, le réalisateur des Cheyennes a piquées ici. Enfin et surtout, il y a Bessie Love, aussi frêle et pure que Lilian Gish, qui s’avère la plus parfaite des partenaires féminines de William Hart car son charisme irradiant rend instantanément crédible la mutation morale dont elle est la vectrice.

Bref, plus de cent ans après sa sortie, la force expressive de ce classique fondateur du western (à mon avis le premier chef d’oeuvre du genre) n’a nullement été altérée par ses nombreux et souvent glorieux successeurs. Qu’une copie, fût-elle incomplète, ait été retrouvée après que l’oeuvre a été considérée perdue pendant 80 ans devrait, dans un milieu cinéphilique doté d’un juste sens des priorités, constituer un évènement capital. On voit bien qu’il n’en est rien.

Knight of the trail (William S.Hart, 1915)

Par amour, un bandit restitue son butin…

Ces deux bobines ne constituent ni le plus ambitieux ni le plus abouti des westerns de Williams S.Hart mais il y a déjà tout ce qui fera son succès: histoire de rédemption, sens de l’action (on note une belle chevauchée filmée avec un large panoramique), concision de la mise en scène (profondeur de champ bien exploitée dans le saloon), sobriété expressive de son interprétation (qui tranche ici d’avec celle, outrancière, de sa partenaire). Le genre de film qui aurait pu être refait quasiment à l’identique cinquante ans plus tard pour la télévision, avec juste le son en plus.

Le nouveau monde (Alain Corneau, 1995)

En 1959 à Orléans près d’une base américaine, les interactions d’un couple d’adolescents fasciné par la culture américaine avec un soldat et la fille d’un autre soldat.

Qu’il s’agisse des séquences de baston de bar ou de serment enfantin, une grande fausseté émane de la mise en scène. Souvent, l’idée littéraire exsude par tous les pores de la séquence, au détriment de toute vérité de l’instant. Pour compenser ce qu’il a probablement identifié comme des artifices de romancier, Alain Corneau a parsemé son film de détails naturalistes des plus sordides (castration d’un étalon, sciage d’un veau dans le ventre de sa mère, suicide dans le bain…). A mon avis, ce n’est pas une riche idée. Seule la scène avec l’accident de voiture m’a paru forte et sans complaisance.

Finalement, la relation entre le GI joué par James Gandolfini et l’adolescent joué par Nicolas Chatel finit par intéresser, par raconter quelque chose d’un peu singulier, de surprenant et, à partir de la jolie scène du magasin américain, d’émouvant. Dans la dernière séquence, la critique de « l’occupation américaine » (titre du roman originel de Pascal Quignard) fait mouche, passant uniquement par le décalage entre le mouvement des figurants et le décor, bref par la mise en scène, donc gardant sa nécessaire ambiguïté. Bref, Le nouveau monde est un film raté mais pas tout à fait nul. Qu’on y entende deux chansons de Buddy Holly dont  la sublimissime Rave on accroît aussi l’indulgence.

Journey into light (Stuart Heisler, 1951)

Après le suicide de son épouse, un pasteur perd la foi, devient clochard et rencontre la fille aveugle d’un autre pasteur.

Malgré un début percutant, Sterling Hayden, piètre comédien aux capacités alors altérées par sa citation à comparaître devant la Commission des activités anti-américaines de McCarthy, ne rend pas crédible cette crise de foi au déroulement attendu.

Mosquito coast (Peter Weir, 1986)

Un inventeur qui déteste ce qu’est devenu l’Amérique s’en va avec sa famille habiter dans un village du Honduras.

Récit programmatique et artificiel d’un refus de la décadence occidentale qui vire à l’aliénation, typique des scénarios de Paul Schrader. A partir du moment où les méchants interviennent, ça perd toute crédibilité sans pour autant que les personnages ne dévient de leur trajectoire initialement tracée. Bref: un gros bof.

 

L’homme du Niger (Jacques de Baroncelli, 1939)

Au Niger, un ingénieur qui voulait entreprendre de grands travaux d’irrigation disparaît avec l’aide de son ami médécin lorsqu’il apprend qu’il a attrapé la lèpre.

Derrière le mélo colonial à l’écriture souffreteuse (théâtral et mal construit), il y a un étonnant et digne mélo homosexuel. Les séquences entre Harry Baur et Victor Francen sont d’une belle force émotionnelle.

Le bataillon dans la nuit (Hold back the night, Allan Dwan, 1956)

En Corée, un officier chargé d’une périlleuse mission se souvient de plusieurs moments avec sa femme.

La maigreur du budget dont découle notamment une abondance de mauvaises transparences altère la vérité spectaculaire des batailles tandis que la vulgaire convention des ressorts dramatiques et les mimiques exagérées de John Payne empêchent la vérité humaine d’affleurer malgré deux flash-backs intéressants (sur trois) dans lesquels Dwan retrouve un tout petit peu de la justesse intimiste de Iwo Jima.

La belle du Montana (Belle Le Grand, Allan Dwan, 1951)

En 1870, une joueuse professionnelle tente d’empêcher sa petite soeur, chanteuse d’opéra qu’elle n’a guère connu parce qu’elle était en prison, de tomber dans les griffes de l’homme qui la fit sombrer.

Belle le Grand se situe à mi-chemin exact entre le western et le mélodrame, genre auquel il s’apparente par la nature des péripéties mais pas par le ton, toujours pudique voire feutré. Lors des séquences dramatiques, un plan final sur le visage féminin suffit à évoquer son tourment, sans qu’il ne soit besoin d’épanchement lacrymal. Le découpage fluide et concis sert un récit pas si conventionnel que ça, dont les ressorts dramaturgiques sont canoniques mais où les registres varient et où la compassion des auteurs pour chacun des personnages engendre des surprises. C’est très typique de Dwan. A noter enfin l’importance de la musique, airs d’opéra et negro spirituals, qui vient poétiser la parabole romanesque. A ce titre, le sommet est le superbe travelling du retour de Belle chez ses esclaves.