1860 (Alessandro Blasetti, 1933)

En 1860, un jeune Sicilien s’en va chercher Garibaldi pour délivrer son île des Bourbons.

L’étrange parangon d’une épopée épurée. L’expédition des Mille est racontée en 1h15. Alessandro Blasetti ne fait pas de concession au récit classique: personnage principal tellement peu caractérisé qu’il est presque inexistant, absence d’emphase, notamment dans les séquences de batailles pourtant admirablement découpées. En revanche, sa mise en scène est riche de notations brèves mais évocatrices: souffle épique et grandeur pathétique mais aussi tendresse sentimentale et (légère) ironie satirique. Le sens du cadre est remarquable et à plusieurs endroits, la forme dialectise la propagande fasciste. Par exemple, le triomphalisme de la voix-off finale sur la naissance de l’Italie est considérablement nuancé par le mouvement de caméra sur deux cadavres ensanglantés qu’elle accompagne. Bref, 1860 est un des meilleurs films de Blasetti.

Le rappel de la terre (Alessandro Blasetti, 1931)

Un duc revient sur ses terres, qui périclitent à cause de l’absence de chef.

Non, le cinéma italien n’a pas attendu le néo-réalisme pour « sortir les caméras du studio ». Le rappel de la terre s’inscrit aussi évidemment dans l’idéologie fasciste que dans le courant « réaliste et paysan », celui que laboureront Marcel Pagnol et King Vidor quelques années plus tard. Le style de Alessandro Blasetti, chef de file du cinéma fasciste, est ici celui d’un formaliste vraisemblablement influencé par les grands Soviétiques. Moins porté sur le montage que sur les longs mouvements de caméra, il filme la cohésion entre un peuple et son chef contre les prédateurs déracinés. A cause de quelques faux raccords, c’est parfois raté mais on note une technique parlante particulièrement maîtrisée compte tenu de l’année de production. Les gros sabots fallacieusement démonstratifs du récit sont occasionnellement atténués par la pudeur de la mise en scène; ainsi la séquence de l’adieu du duc à la jeune paysanne, d’autant plus belle qu’elle commence par de longs plans éloignés. De belles images de troupeaux de moutons, d’incendies ou de femmes ramassant le foin nourrissent le lyrisme géorgique de l’oeuvre.

Ne le criez pas sous les toits (Jacques Daniel-Norman, 1943)

L’assistant d’un chimiste décédé est poursuivi par divers personnages qui croient qu’il possède la formule d’un super carburant.

Avec cette fernandellânerie, Jacques Daniel-Norman est loin du niveau qu’il atteindra avec ses comédies policières suivantes, tel 120 rue de la gare, Monsieur Grégoire s’évade ou même L’aventure est au coin de la rue. Mais il faut dire qu’ici, il n’est pas crédité au scénario alors qu’il a écrit ces trois bons films.

Le navire blanc (Roberto Rossellini, 1941)

L’équipage d’un croiseur italien prend part à une bataille navale puis ses blessés sont évacués sur un navire hôpital.

Le néo-réalisme était plus qu’en germe dans ce film de propagande fasciste dénué d’intrigue et d’acteurs professionnels, où prime l’attention aux gestes techniques des marins et des infirmières. Ces gestes forment une épopée à la beauté simple. L’emphase de la fin jure avec la dignité du reste. Etonnante dédicace aux marins « de toutes les armées ».

Show boat (James Whale, 1936)

A la fin du XIXème siècle, les pérégrinations d’une famille de comédiens sur un bateau du Mississippi…

A partir du moment où il quitte le Mississippi, le film perd de sa singularité mais la beauté de la photographie, où les scintillements du fleuve poétisent l’image, l’immense Paul Robeson et la soprano Irene Dunne chantant les standards de Jerome Kern, la qualité de la distribution où figurent notamment les très sympathiques Charles Winninger et Helen Morgan, et, d’une façon générale, la poésie sudiste qui dilue l’intrigue dans une représentation mythique, quoique non exempte de pertinente critique sociale, de Dixieland et qui donne aux figurants et personnages secondaires une importance qui évoque Renoir et Eisenstein, font de cette deuxième version de Showboat un des meilleurs films musicaux des années 30.

La neige était sale (Luis Saslavsky, 1953)

Le fils d’une prostituée fait fortune sous l’Occupation.

Concentré des pires tares de la « qualité française »: tout réalisme de contexte est éludé au profit d’une psychologisation de l’origine du Mal des plus conventionnelles, les nuances sont absentes et la noirceur est aussi appuyée que déconnectée de toute sorte de vérité. Tout est lourd, faux, détestable de bassesse et de stupidité.

Dora Nelson (Mario Soldati, 1939)

Les producteur d’un film remplacent une vedette capricieuse par son sosie, ouvrière.

Version italienne du film de René Guissart tourné quatre ans auparavant d’après un scénario de Louis Verneuil. N’ayant pas vu le film français, je ne sais dans quelle mesure celui-ci en diffère. J’ai simplement noté que l’intrigue est bien agencée (à l’exception de la révélation finale destinée à sauvegarder la morale) et que le découpage, riche en mouvements d’appareils, est assez vif mais que la comédie est handicapée par une certaine pauvreté en gags et par la laideur empâtée de Carlo Ninchi. Assia Noris, elle, est mignonne dans un rôle à la Darrieux.

L’arche (Tang Shu-Shuen, 1968)

Sous les Ming, une veuve respectée par sa communauté doit accueillir un militaire dans sa maison où elle vit avec sa mère et sa fille.

Esthétiquement, le film est le cul entre deux chaises. Soutenu par le beau noir et blanc de Subrata Mitra (directeur de la photographie de Satyajit Ray), la mise en scène appuie sur les éléments qui poétisaient des films comme ceux de Mizoguchi avec un emploi abusif du gros plan (notamment sur des feuilles). Cette lourdeur de l’expression amoindrit justement la poésie. La lenteur soporofique va de pair avec quelques audaces de montage qui préfigurent ce que sera le cinéma de Hong-Kong dix ans plus tard. L’arche n’en demeure pas moins un film globalement académique.

La dangereuse aventure (No time for love, Mitchell Leisen, 1943)

Une photographe réputée tombe amoureuse d’un perceur de tunnel rencontré lors d’un reportage.

Une comédie américaine typique, avec son histoire d’amour entre un homme et une femme diamétralement opposés racontée avec une pétillante précision ainsi que ses dialogues spirituels et bien envoyés par une Claudette Colbert pleine d’entrain. C’est très plaisant, à l’exception du dernier acte qui manque de la plus élémentaire des vraisemblances et qui tire un chouïa en longueur.

Le cheval qui pleure (Marc Donskoï, 1957)

En 1830, un couple illégitime de serfs ukrainiens s’enfuit en Bessarabie.

Le lyrisme cosmique du montage, qui ponctue l’histoire d’amour de chants immémoriaux et d’images de la Nature superbement cadrées, confère une splendeur mizoguchienne à cette légende proche de celle racontée dans Les amants crucifiés. Dommage que le Sovietcolor soit aussi moche.

Les sous-doués en vacances (Claude Zidi, 1982)

Après le bac, Bébel part dans le Sud rejoindre son amoureuse enlevée par un producteur de musique.

Rares sont les comédies françaises à ne s’appuyer ni sur la satire (tendance Splendid) ni sur l’observation des moeurs (tendance Pascal Thomas) ni sur la démagogie  moralisatrice (tendance contemporaine) mais à viser la loufoquerie pure. C’est justement le cas des Sous-doués en vacances et la cible est atteinte grâce à une avalanche de gags divers et variés dont le nombre gigantesque, déroulé sur un rythme endiablé, permet à la comédie de faire souvent mouche: le spectateur rit très souvent donc le film est une réussite rare. Si tous ces gags ne se distinguent certes pas par leur élévation d’inspiration, ils témoignent d’une invention concrète et comique qui font de Claude Zidi et de son co-scénariste le mac-mahonien Michel Fabre d’authentiques burlesques français, aux antipodes du maniérisme mort-né de Tati et Etaix. La fantaisie dadaïste de la scène du requin en plastique est digne d’un Toi c’est moi. Le jeune Daniel Auteuil, acteur comique formidable car n’ayant jamais peur du ridicule, est aussi pour beaucoup dans cette réussite.

L’ange de la nuit (André Berthomieu, 1942)

Un étudiant en sculpture revient aveugle de la guerre…

La description du milieu estudiantin au début du film préfigure presque Rendez-vous de juillet (le « presque » est important) et le mélo donne lieu à une scène assez émouvante (mais inratable) mais l’ensemble est trop mou, faux, étriqué et mièvre pour susciter l’adhésion. L’ange de la nuit est un des très rares films de l’Occupation à évoquer la guerre de 1940 mais les contraintes de la censure (le mot « Allemand » n’est pas prononcé une seule fois) font d’autant plus ressortir sa pusillanimité.

Un petit coin aux cieux (Cabin in the sky, Vincente Minnelli, 1943)

Assassiné, l’époux moralement tangent d’une brave croyante est renvoyé sur Terre pour prouver qu’il a sa place au Paradis.

Il faudrait être sot pour faire la fine bouche devant le kitsch littéral de la métaphysique puisqu’il sert de support à un récit conjugal touchant et à de très bons numéros musicaux, entre jazz et gospel. Le tout formidablement emballé dans des décors de studio poétiques où se promène une caméra virtuose qui insuffle fluidité et ampleur à la représentation. Coup d’essai coup de maître pour Vincente Minnelli.