Ils étaient neuf célibataires (Sacha Guitry, 1939)

Un entremetteur profite d’une loi restreignant l’immigration pour organiser des mariages blancs entre riches étrangères et pauvres célibataires français.

Pourquoi est-ce que, malgré mon admiration pour Sacha Guitry, je n’aime pas ce film appartenant pourtant à la période bénie du cinéaste, 1935-1939? D’abord, Ils étaient neuf célibataires en est, avec Bonne chance, le film le moins singulier, le seul qui ne soit ni la mise en images d’un texte préexistant ni une fantaisie historique (genre créé par Guitry qui lui permettait d’exploiter son génie littéraire). En ces deux cas, son superbe dédain du métier cinématographique stimulait l’esprit d’invention du nouveau cinéaste. Ici au contraire, Guitry s’essaye à écrire spécifiquement pour l’écran mais ne retrouve pas la grâce de Bonne chance. Cette fois, les insuffisances de la technique (musiquette horrible, montage parallèle hoquetant, nullité des décors, platitude du découpage et de la photo, son à la limite de l’audible) rendent éclatante la faiblesse de la narration qui s’essouffle à jongler avec de multiples personnages.

Une fois n’est pas coutume, l’auteur s’attaque à un thème d’une brûlante actualité mais son traitement, qui consiste essentiellement en un plaquage de mots d’ailleurs pas si bons que ça, apparaît comme un bête escamotage de ce thème. Les paradoxes de salonard néantisent la vérité des personnages qui les prononcent. Il n’y a pas plus de profondeur politique dans ces inconséquentes provocations que dans les caricatures de Jean-Pierre Mocky. Il faut dire que, à l’exception de Pauline Carton, la distribution déçoit. On dirait un défilé de pantins sortis d’un placard poussiéreux. Même le grand Fabre…L’acteur Guitry est évidemment exempt de ce reproche mais on ne le voit guère; ce qui, il faut bien le dire, diminue grandement le plaisir de l’amateur de Guitry.

Scorpio nights (Peque Gallaga, 1985)

Dans un immeuble philippin, un étudiant épie une femme et son époux…

Ce brillant thriller érotique philippin a d’abord le mérite de restituer l’effet du décor sur la psyché des personnages; pure affaire de mise en scène. La promiscuité engendre des désirs capiteux. Par ailleurs, c’est parce que son mari est veilleur de nuit que la femme se fait baiser tous les soirs par un jeunot. L’amour et le social sont étroitement mêlés, l’un ne supplante pas l’autre et la hauteur tragique est préférée à toute simplification manichéenne: pour être brutal, le mari n’en est pas moins vulnérable et aimant. Aux trois quarts du film, il y a ainsi une étonnante trouée émotionnelle que n’aurait pas reniée Nicholas Ray.

Comme dans Le crime de M.Lange, le microcosme des habitants de l’immeuble est saisi dans toute sa verdeur réaliste et ses particularités poétiques: un opiumane chante du folk américain, un voyeur est froidement revolvérisé après s’être fait attrapé par les voisins, une jeune fille se fait enculer dans la douche partagée.

Enfin, tout thriller voyeuriste implique une variation dramatisée des points de vue, autrement dit un découpage plus sophistiqué que ce que je connaissais jusqu’à présent du cinéma philippin. En la matière aussi, Scorpio nights s’avère tout à fait convaincant: la franche représentation du sexe, à l’opposée de la pudibonderie hollywoodienne, n’exclut ni le jeu ni l’esthétisme; les séquences érotiques sont splendides même si l’actrice n’est pas à proprement parler un prix de Diane.

Kisapmata (Mike DeLeon, 1981)

Un ancien policier se montre particulièrement intrusif vis-à-vis de sa fille et de son gendre.

Le sens de l’épure et de la progression dramatique sont les atouts majeurs de la narration. C’est peu à peu que se révèle la folie ogresque du père, faisant basculer la chronique petite-bourgeoise dans le thriller. La mise en scène m’a semblé inégale: tantôt elle orchestre de magistraux morceaux de suspense à partir de données banales, tantôt elle étrique l’horreur tragique de la séquence.

Bona (Lino Brocka, 1980)

Dans un bidonville philippin, une jeune fille amoureuse d’un acteur de troisième ordre devient sa boniche.

L’attirance de la jeune fille pour le bellâtre n’est pas rendu suffisamment sensible, ce qui amoindrit la dialectique dramatique. Peut-être le ton, plus léger que celui de Insiang, aurait-il gagné à être franchement comique. En revanche, Lino Brocka nous gratifie, par la bande, d’un percutant documentaire sur les bidonvilles philippins. En particulier, la dérisoire aliénation de la jeunesse sous l’emprise culturelle anglo-saxonne est cocassement restituée.

Tatlong Taóng Walang Diyos (Mario O’Hara, 1976)

Pendant l’occupation japonaise, une Philippine fiancée à un résistant est violée par un soldat qui tombe sincèrement amoureux d’elle et demande sa main.

Du grand cinéma philippin, où les péripéties du mélodrame font d’autant mieux ressortir la proverbiale absurdité de la guerre. L’abrupt des transitions maintient l’intensité dramatique à un haut niveau, quitte à ce que ça paraisse parfois un peu forcé. Un sens du sacré, traduit notamment par des chants populaires, hausse le ton de l’oeuvre au tragique, malgré le kitsch de certains aspects du style (goût pour le grand angle, surutilisation des quatre mêmes notes de basses dans la bande-son…).

Je rentre à la maison (Manoel de Oliveira, 2001)

Son épouse, sa fille et son gendre décédés dans un accident, un grand comédien recueille chez lui son petit-fils.

L’étisie du récit, le simplisme réac de la vision du monde (qui est bien celle d’un grand bourgeois né en 1908) et la lenteur affectée du rythme annihilent le potentiel dramatique du sujet malgré le volontarisme quelque peu risible du découpage (conversation filmée du point de vue des chaussures pour montrer le dépit matérialiste du personnage…) et un Michel Piccoli impeccable.

Les loups (Hideo Gosha, 1971)

Après une amnistie due au couronnement de Hiro-Hito, des yakuzas sortent de prison avant de s’entre-déchirer.

Des guerres de yakuzas sans intérêt, car reliées à rien de plus grand qu’elles (le singulier contexte historique est tout à fait inexploité), filmées avec un formalisme stérilisant (Gosha se prend un peu pour Resnais) mâtiné de moments d’ultra-violence. Barbant.

 

Les invités de 8 heures (George Cukor, 1933)

Dans la haute-société new-yorkaise, huit invités à un dîner sont suivis durant la semaine précédant ce dîner.

La force -limitée- du film, adapté d’une pièce de théâtre, demeure théâtrale car basée uniquement sur de bons acteurs et des dialogues ciselés. Certes, Cukor filme ces scènes de conversation avec  une fluidité rare compte tenu de l’époque du tournage (début du parlant) mais l’impression de narration artificielle demeure. Voir notamment les trop nombreux arrangements avec la temporalité, si typiques d’un récit théâtral.

The intruder (Roger Corman, 1962)

Au moment de l’abolition des lois Jim Crow, un membre du Ku Klux Klan vient faire de l’agitation dans une ville du sud des Etats-Unis.

L’efficacité de la narration sert un propos politique d’une étonnante acuité: plus qu’une dénonciation de la bêtise sudiste, c’est tout le mécanisme de la haine raciale et de son exploitation politique qui est démonté en moins d’une heure et demi. A lui seul, le montage de la séquence où les Noirs rentrent au lycée rend sensible la transformation d’affects négatifs en programme fasciste. Avec son beau costume blanc et ses manières fébriles, William Shatner incarne bien les prestiges frelatés du démagogue. A lire la biographie de Ian Kershaw, Hitler n’était que ça: un raté qui savait parler. A la façon des meilleures séries B, la rudesse de certaines articulations de scénario est compensée par la rapidité du rythme et la force dramatique du découpage. Grand film.

L’intrus (Clarence Brown, 1949)

Dans une ville du sud des Etats-Unis, un adolescent aide à prouver l’innocence d’un Noir menacé de lynchage.

Bardé de logorrhée historico-psychologico-sociologico-métaphysique, le roman de Faulkner est ici réduit à son intrigue, digne d’une fable; ce n’est pas plus mal. Aussi éloquent que celui d’un bon film muet, le découpage de Clarence Brown brille par son épure quoique certains de ses mouvements de caméra soient aussi amples que ceux de son collègue Vincente Minnelli. Ils ont toujours un sens précis. J’ai cependant regretté que le beau schématisme de l’anecdote ne soit pas plus étoffé. Pusillanimité de la MGM ou primat de la concision, la complexité politique du contexte sudiste est à peine compréhensible tant elle est fugacement évoquée; les brefs plans où les Noirs se protègent apparaissent presque incongrus. Même si en l’état, L’intrus s’avère une réussite presque irréprochable (au rayon des reproches, ajoutons qu’un acteur plus convaincant que Claude Jarman Jr aurait peut-être pu être trouvé pour jouer Chick), difficile de ne pas rêver à ce qu’un John Ford y aurait insufflé de vitalité, de chaleur humaine et de lyrisme.

Elles ne pensent qu’à ça (Charlotte Dubreuil, 1994)

Une mère rejoint sa fille qui aurait fait une tentative de suicide et tente de résoudre ses problèmes conjugaux en lui faisant découvrir son hédonisme.

Compte tenu du titre et de l’auteur de la bande dessinée originale (Wolinski), je m’attendais à quelque chose de plus graveleux or le ton est en fait léger mais non exempt d’une certaine mélancolie: cette comédie assez molle et peu drôle tire son intérêt du respect du mystère du personnage central, qui résiste à toutes les réductions, y compris celle du happy-end de convention. Pas si mal.

Le maître de postes (Gustave Ucicky, 1940)

La fille d’un maître de postes est enlevée par un capitaine des hussards…

La courte nouvelle de Pouchkine a été étoffée pour en accentuer la cruauté mélodramatique. Le drame du père est doublé par celui, ophulsien, de la fille faussement perdue. Le découpage, tout en plans longs, est lui aussi ophulsien. Hilde Krahl et, surtout, Heinrich George ont un jeu un peu suranné mais très expressif tandis que Siegfried Breuer manque de la beauté nécessaire à son rôle de séducteur. Tout ça, ainsi que l’utilisation intempestive de la musique « romantique allemande », fait que le lyrisme paraît parfois forcé mais fonctionne plutôt bien surtout à partir de la deuxième partie, une fois que la fille est à Saint-Petersbourg.

La belle vie (Robert Enrico, 1963)

De retour de son service militaire en Algérie, un jeune Parisien se marie…

Existe t-il un cinéaste ayant mieux concrétisé le mantra de François Truffaut qui prétendait « faire son nouveau film contre son film précédent » que Robert Enrico lorsqu’il enchaîna son premier et son deuxième long-métrage, à savoir La belle vie et Les grandes gueules? La belle vie est en effet aux antipodes du cinéma populaire et viril auquel on associe habituellement Enrico. Avec son absence d’intrigue forte, ses acteurs jeunes et inconnus, son filmage dans les rues de Paris, son goût puéril pour les artifices visuels (particulièrement d’agaçants accélérés) et son ton confidentiel, c’est clairement un film de la Nouvelle Vague.

La principale différence avec les premiers films de Truffaut, Godard, Rivette, Rohmer et Chabrol, c’est qu’il est engagé politiquement. Ainsi, régulièrement, des images d’actualité violente, notamment de la guerre d’Algérie, viennent trouer la chronique conjugale. Procédé justifié par le sujet profond de l’oeuvre qui est le rattrapage d’un jeune couple par la marche du monde. Quelques notations amères sur le quotidien du ménage confronté à la dureté économique préfigurent les films d’un Bernard Paul. Toutefois, l’oeuvre m’aurait semblé plus forte et plus courageuse si le jeune homme, au plus fort de son désoeuvrement, s’était rengagé lui-même plutôt que de se disputer conventionnellement avec les paras-recruteurs. En l’état, La belle vie a de louables ambitions mais ne rentre pas suffisamment dans le vif de son sujet.

L’homme noir/Le manoir de la peur (Alfred Machin et Henry Wulschleger, 1924)

Dans un village, un étranger achète un manoir prétendûment hanté et des évènements mystérieux s’ensuivent.

L’expressionisme allemand est comme francisé via sa dilution dans une intrigue rationnelle et son insertion dans un village provincial. Le manoir de la peur tire sa singularité de l’équilibre entre une tonalité fantastique assumée avec des images habilement composées et un réalisme fondamental non dénué de pointes satiriques (sur les superstitions de la foule notamment). Alfred Machin et Henry Wulschleger affirment également leur maîtrise de la mise en scène dans une séquence ferroviaire des plus spectaculaires. Bref, belle découverte.

A la Française (Robert Parrish, 1964)

A Paris, une peintre américaine rencontre un étudiant…Quelques années plus tard, elle s’est faite à la vie mondaine.

La construction inhabituelle du récit en deux segments indépendants accroît la nostalgie de cette belle histoire d’une pureté perdue (et un peu facilement retrouvée). Robert Parrish, grand auteur de westerns, se montre aussi à l’aise dans le quartier latin que sur les rives du Rio Grande. On retrouve ici sa finesse psychologique, matérialisée par des détails concrets, tel l’étreinte avortée dans la chambre d’hôtel glaciale, et par des dialogues parfois surexplicatifs mais d’une telle justesse qu’il est difficile de faire la fine bouche. Tous les acteurs sont très bons mais Jean Seberg est au-delà des superlatifs. Comme Madame de… à Danielle Darrieux, A la Française lui doit énormément de sa vérité émotionnelle.