Juliette ou la clé des songes (Marcel Carné, 1951)

Un détenu s’évade dans un rêve au cours duquel il recherche sa bien-aimée dans un village où tout le monde est amnésique.

De même que celui entre le romantisme de ses sujets et sa mise en scène désincarnée, le fossé entre les velléités oniriques de Marcel Carné et la réalité d’un talent extrêmement rigide et pesant est un des hiatus les plus ahurissants de l’histoire du cinéma. Jamais ce film, d’une terrible platitude visuelle malgré le prestige des collaborateurs techniques (Trauner, Alekan…), ne transfigure le ridicule artifice de son intrigue, de ses situations, de ses personnages.

L’année de tous les dangers (Peter Weir, 1982)

Un journaliste australien est envoyé en Indonésie couvrir les prodromes d’une révolution.

La première partie a le mérite de problématiser la situation de ce reporter occidental dans un pays pauvre en guerre mais ensuite, la romance entre lui et la femme domine et évacue tout à fait les enjeux politiques du drame qui n’avaient de toute façon guère été développés. Pour la bonne conscience du spectateur occidental, quelques images des bidonvilles, mal reliées au reste d’un récit de toutes façons artificiellement ficelé, saupoudrent le film et un personnage de nain sentencieux fait régulièrement part au héros de ses conseils ésotériques et inquiets. Finalement, le spectateur est conduit à être soulagé lorsque les deux stars parviennent à fuir un pays à feu et à sang, ce qui est parfaitement indécent.

Le cocu magnifique (Antonio Pietrangeli, 1964)

Trompant son épouse, un bourgeois italien s’imagine que celle-ci le trompe également.

Un récit qui s’enlise dans des situations répétitives, l’abus de séquences fantasmatiques et une voix-off qui peine à donner le change font de Un cocu magnifique une comédie italienne des plus ennuyeuses. Pas grand-chose à se mettre sous la dent à part un pseudo strip-tease de Claudia Cardinale.

Le cas Richard Jewell (Clint Eastwood, 2019)

Pendant les jeux olympiques d’Atlanta, le vigile qui avait découvert une bombe est soupçonné par le FBI et les médias de l’avoir posée.

Alors que le dénouement est connu d’avance et que le drame de Richard Jewell est resté, somme toute, relatif (il ne fut jamais inculpé et fut clairement innocenté en moins de trois mois), qu’est-ce qui rend le film si captivant? C’est d’abord une question de point de vue sur le sujet. Rester collé aux basques de Jewell et de sa mère, approfondir le portrait du « héros », éclairer ses motivations, ses frustrations et son caractère, tout cela permet au cinéaste libertarien de mettre en exergue le fossé entre l’idéal d’un brave Américain attaché au maintien de l’ordre depuis sa prime jeunesse et le cynisme destructeur des institutions fédérales. Outre une histoire d’amitié entre deux hommes de classes sociales différentes et l’amour entre un fils et sa mère, Le cas Richard Jewell raconte un ébranlement de certitudes d’autant plus déchirant qu’il a pour cadre l’intimité sacrée du foyer. Il n’y a que le vieux Clint Eastwod pour, en s’emparant d’un fait divers des plus anodins, traiter les vieilles questions du rapport de l’individu à la Loi, de l’idéal américain à la réalité du pouvoir, du peuple à ses héros, pour, en fait, actualiser les thèmes traités par les grands auteurs de westerns du siècle passé. Il le fait à sa façon: sans vouloir-dire apparent, toujours focalisé sur le récit individuel, avec le sens du réalisme retors et une pudeur qui l’empêche de trop s’appesantir.

De plus, Le cas Richard Jewell est peut-être le film le plus techniquement abouti parmi les récents de Eastwood. Plus que jamais fidèle à sa réputation de dernier des Mohicans, le cinéaste poursuit ses expérimentations réalistes entamées dans ses films précédents (notamment Le 15h17 pour Paris), comme lorsqu’il intercale des images de journaux télévisés d’époque sans briser le sentiment de continuité entre les plans. Le rythme est prenant, le suspense hitchcockien fonctionne mieux que dans les films de Hitchcock, le découpage est fluide mais signifiant (infinie profondeur d’évocation des brefs plans sur le portrait de Jewell en policier) et la direction d’acteurs est aux petits oignons; toute la distribution est d’une profonde justesse, à l’exception de Olivia Wilde à qui son personnage caricatural de journaliste sans scrupule ne donne guère l’occasion de briller. Une des rares fausses notes d’un film précieux. Longue vie à Clint Eastwood, encore!

Huit heures de sursis (Odd man out, Carol Reed, 1947)

Le chef d’une organisation irlandaise, blessé après un casse, est poursuivi par la police…

C’est une sorte de gloubiboulga d’influences variées (réalisme poétique, Peter Ibbetson, Le mouchard…) dont le récit part dans tous les sens sans aucune unité profonde si ce n’est l’interminable et répétitive agonie du personnage de James Mason. Plus soucieux de clichés visuels (contrastes appuyés, angles inclinés, halos blancs qui traversent l’image, neige…) que de vérité dramatique, Carol Reed ne s’avère même pas « un habile faiseur » puisque sa mauvaise restitution du temps et de l’espace ruine ses séquences d’action. Un exemple parmi d’autres serait celui où le taxi passe le barrage de police, de façon totalement invraisemblable. A un autre moment, le flou de l’image matérialise le malaise du héros au sortir de la banque qu’il a braquée: la fausseté du style fait alors écho à la fausseté de la psychologie; dans la mesure où c’est cet événement qui déclenche l’intrigue, c’est regrettable. Quant aux séquences de parlotte, elles sont altérées par le jeu très conventionnel des acteurs anglais, tel le cabotin par excellence qu’était Robert Newton. Bref, Huit heures en sursis est l’archétype du classique surestimé et poussiéreux.

Le mirage (Jean-Claude Guiguet, 1992)

En Suisse, une grande bourgeoise tombe amoureuse d’un jeune professeur d’Anglais qu’elle a embauchée.

A l’exception de un ou deux beaux plans, Jean-Claude Guiguet est incapable de restituer la trajectoire sentimentale de son héroïne autrement qu’en l’explicitant verbalement, par exemple avec une séquence où Louise Marleau monologue. Il est d’autant plus difficile de croire que le jeune homme bouleverse la dame en son automne qu’il est moche et habillé comme un sac, de même que son comparse. Cette absence totale de goût vestimentaire accroît la laideur du film même si, plus que jamais, avec ses références culturelles qui font office de glacis, Guiguet se comporte ici en Visconti du pauvre.

Le gros lot (Christmas in July, Preston Sturges, 1940)

A cause d’une farce de collègues, un jeune couple croit qu’il a gagné un prix de 25000 dollars à un concours de slogan…

Percutante satire du rêve américain dont l’origine théâtrale ressort parfois au détour de telle ou telle tirade, brillante mais artificielle. La principale qualité du film est aussi sa principale faiblesse: c’est concis, ça ne dévie pas de la ligne directrice, mais de ce fait, les personnages, surtout celui de la jeune épouse, manquent d’étoffe. Belle fluidité au niveau du découpage qui permet un rythme impeccable malgré l’abondance de dialogues.

Le fabuleux de destin de Madame Petlet (Camille de Casabianca, 1995)

Une scénariste de feuilletons en panne d’inspiration utilise l’histoire de sa nourrice…

Quelques bonnes idées de base gâchées par des acteurs moyens, un manque d’inventions aussi bien que de rigueur dans l’écriture, et une absence de sens du rythme comique dans le découpage. Bref, un triste ratage.

Les visiteurs (Elia Kazan, 1971)

Un vétéran du Viet-Nâm voit deux anciens camarades qu’il avait dénoncés pour un crime de guerre débarquer chez lui…

Avec ce huis-clos tourné avec très peu de moyens, Elia Kazan se renouvelait dans la continuité. L’insuffisance de la technique, le montage parallèle hoquetant et une ou deux articulations un peu expéditives du récit n’altèrent guère la puissance subversive des Visiteurs, un des très rares films américains à dissocier la force et la morale, à faire du juste un faible. La violence y découle d’une malédiction immémoriale face à laquelle l’homme a deux options: encaisser et faire mine d’adhérer à une virilité mortifère (terrible tirade sur le capitaine philippin) ou se rebeller au risque du rejet social. Et encore une fois, Elia Kazan révélait un grand acteur : James Woods.

Section spéciale (Costa-Gavras, 1975)

En août 1941, la mise en place des tribunaux spéciaux de Vichy pour réprimer les attentats contre les soldats allemands.

Le florilège de seconds rôles rend plaisant le visionnage de ce film didactique aux ficelles d’écriture et de mise en scène parfois un peu grosses même si ça aurait pu être pire. La pédagogie n’occulte pas le sens dramatique, qui repose notamment sur la réticence -vaincue ou non- des magistrats à assumer la parodie de justice.

Etes-vous fiancée à un marin grec ou à un pilote de ligne? (Jean Aurel, 1971)

Un fonctionnaire du ministère de la culture père de deux enfants quitte sa famille pour une jeune fille qu’il a embauchée.

Le texte drôle et bien senti dit par Jean Yanne en voix-off n’empêche pas une vraie tendresse d’affleurer. Cette adaptation de Henriette Jelinek, que je n’ai pas lue, m’a semblé une sorte d’équivalent cinématographique des romans de Jean-Louis Curtis tel Un jeune couple: la même platitude stylistique, qui n’exclut pas une certaine verve satirique, au service de la même justesse sociologique et psychologique dans la peinture d’un couple de la petite bourgeoisie française autour de 1970. Jolie découverte.