24 prunelles (Keisuke Kinoshita, 1954)

Entre 1928 et 1946, une institutrice progressiste enseigne sur l’île de Shōdoshima…

Il eût fallu la grâce d’un Shimizu pour transfigurer cette succession effilochée de scènes larmoyantes mais presque dénuée de structure dramatique. Malheureusement, Keisuke Kinoshita saute à pieds joints dans la mièvrerie, multipliant les plans sur des femmes entrain de pleurer, nous saoûlant de chants d’enfants quand il ne s’agit pas de musiquette tout à fait hors de propos, répétant ad libitum les images d’adieux sur fond de « auld sang lyne », se vautrant dans les clichés qui facilitent l’exportation façon « travellings sur frondaisons de cerisiers en fleurs ». Son style est un parangon d’académisme décoratif dénué de la sincérité la plus élémentaire; avec un personnage aussi grossièrement dessiné, Hideko Takamine ne peut exprimer la richesse de nuances qu’elle sait exprimer lorsqu’elle est dirigée par Mikio Naruse. Sur un thème analogue, puisqu’il présente également un enseignant voyant plusieurs générations d’élèves partir se faire tuer à la guerre pendant deux heures et demi, Ce n’est qu’un au revoir, chef d’oeuvre trop méconnu de John Ford tourné à la même époque est infiniment préférable car beau, délicat, concis, subtil et dialectique, toutes qualités qui font défaut à 24 prunelles.

Fearless Frank (Philip Kaufman, 1967)

Après avoir été tué par des gangsters, un jeune homme de la campagne parti à la ville est ressuscité par un savant pour combattre le Mal.

La parodie, faible en inventions et reposant essentiellement sur les outrances caricaturales du découpage et les costumes ridicules, fait très vite long feu. Le moule hollywoodien a fait du bien à Philip Kaufman dont l’iconoclasme, très influencé par les nouvelles vagues européennes, s’avère vain et stérile s’il n’est soumis à aucune contrainte.

Les îles (Iradj Azimi, 1983)

Un homme s’installe sur une île bretonne pour y former une communauté mais celle-ci se trouve économiquement menacée donc il émigre sur l’île d’à-côté…

L’abstraction du récit et la présence concrète des décors naturels appréhendés avec un beau sens du cadre insufflent une dimension mythique à ce digne successeur des films bretons de Jean Epstein.

Le monte-charge (Marcel Bluwal, 1961)

Le soir de Noël à Courbevoie, un homme rencontre une mère seule avec sa fille dans un restaurant et la raccompagne chez elle mais voit son entreprise de séduction contrariée par le cadavre du mari suicidé dans le salon.

Il est étonnant d’apprendre que le film est adapté d’un roman de Frédéric Dard tant les dialogues sont sobres et tant le noeud de l’intrigue, s’appuyant sur la mémoire visuelle et la sensation spatiale du spectateur, semble purement cinématographique. Le monte-charge est un exercice de style peut-être limité en terme de signification mais véritablement brillant et prenant. A une époque où émergeait une bande de réalisateurs qui clamaient bruyamment leur admiration pour Alfred Hitchcock, le modeste Marcel Bluwal s’avère sans doute le plus convaincant de ses héritiers français avec sa maîtrise de la mise en scène acquise à la dure école de la RTF. La sécheresse coupante de son découpage, intelligemment inventif, n’a d’égale que la présence inquiétante qu’il sait insuffler à ses décors: l’imprimerie de Courbevoie, le pont d’Asnière, les cafés de la banlieue, le monte-charge éponyme. La truculente présence de Maurice Biraud équilibre la gravité un brin pesante du couple Robert Hossein/Léa Massari.

St Elmo’s fire (Joel Schumacher, 1985)

A Georgetown, une bande d’amis diplômés entre dans l’âge adulte…

Le comportement des personnages manque trop de vraisemblance et de cohérence pour que ceux-ci soient pris au sérieux sur la longueur, malgré de bons acteurs. L’hypertrophie de la forme, à base de mouvements de caméra à la grue, de couleurs quasi-sirkiennes, de gros rock FM et de dialogues sursignifiants même si parfois bien sentis, est censée compenser l’absence d’authentique sensibilité.

The romantic age/Naughty Arlette (Edmond T.Gréville, 1949)

Dans un lycée anglais, une élève française tente de séduire le nouveau professeur, père de famille qui a aussi sa fille dans sa classe.

Le dynamisme visuel, l’équilibre des tons et une inventivité formelle qui verse parfois dans la coquetterie rendent ce film d’adolecentes tout à fait sympathique. The romantic age est une preuve que l’inégal Gréville était capable de transfigurer n’importe quel sujet grâce à sa mise en scène. Par exemple, ici, ses contre-plongées rendent sensible l’attirance érotique qui fait basculer le récit.

Après après-demain (Gérard Frot-Coutaz, 1990)

A Belleville, un jeune homme tombe amoureux d’une couturière fantasque.

Le ton de Gérard Frot-Coutaz se retrouve dans la fantaisie discrète, la belle restitution du quartier de Belleville, la tendresse du regard et la présence de Micheline Presle et Claude Piéplu mais Anémone en tombeuse d’hommes n’est guère crédible, la mise en scène sans énergie et le scénario vraiment trop peu consistant, tant en terme de rebondissements que de caractérisation des personnages: le mixte Diagonale/comédie populaire (outre Anémone, il y a aussi Muriel Robin et Valérie Lemercier) ne convainc pas.

Le repentir (Back pay, Frank Borzage, 1922)

Par vénalité, une jeune campagnarde abandonne son fiancé et part à New-York où elle devient une cocotte. Son fiancé gravement mutilé à la guerre, elle veut revenir vers lui…

Les ellipses du montage, la convention moralisatrice du récit et l’abondance de cartons dénotent le caractère littéraire de ce film adapté de Fannie Hurst. De plus, la grave uniformité du ton est un peu pesante. Frank Borzage transfigure ça de plusieurs façons. D’abord avec de magnifiques images de campagne (arbres reflétés dans les étangs…) qui préfigurent la beauté plastique de ses derniers films muets tel La femme au corbeau et Lucky star. Cette qualité visuelle semble ici moins « intégrante » de l’action dramatique et plus décorative. Ensuite, il y a une certaine finesse de trait dans la peinture de personnages secondaires tel le vieil amant, qui a des gestes d’une belle noblesse. Enfin et surtout, le personnage féminin acquiert une réelle profondeur dans les longues scènes où elle est au chevet de son amoureux. Certes, Seena Owen n’est pas sublime comme Janet Gaynor le sera une demi-douzaine d’année plus tard mais ces scènes, mêlant amour transfigurant et résonnance cosmique par la grâce notamment d’une lumière superbement ouatée, sont d’une poésie typiquement borzagienne. Bref, avec Back Pay, Frank Borzage s’acheminait tranquillement vers les sommets de L’heure suprême, L’ange de la rue et autres Lucky star.

Barquero (Gordon Douglas, 1970)

Confronté à des bandits mexicains sanguinaire, un conducteur de bac solitaire défend la communauté de villageois.

Triste resucée du western italien (faiblesse de la contextualisation, absence de crédibilité des articulations dramatiques, cynisme vague, surenchère de violence, zooms à gogo, dilatation du temps sans objet, musique médiocrement imitée de Morricone) à l’intérêt rehaussé par le charisme de Lee Van Cleef.

Terre brûlée (No blade of grass, Cornel Wilde, 1970)

Dans un futur proche, une pandémie a provoqué la famine sur Terre et une famille londonienne tente de partir à la campagne, contre les ordres du gouvernement.

L’objectif est de montrer un retour de l’homme au chaos. L’écriture est redondante, qui enquille les « scènes-chocs » où les « héros » se retrouvent à tuer un « opposant », parfois très gratuitement. Le trait est épais mais le rapport entre les personnages et l’espace est bien dramatisé et le style riche d’inventions, guère subtiles: certaines montrent l’ambition de Cornel Wilde en matière de montage et sont destinées à illustrer une idée, d’autre sont gratuitement répugnantes (l’accouchement en gros plan, hallucinant). A la croisée des chemins entre Eisenstein, Peckinpah et le cinéma d’exploitation qui se donne bonne conscience en donnant mauvaise conscience au spectateur (type Mondo Cane), Terre brûlée est un objet pour le moins curieux, comme tous les films de Cornel Wilde que j’ai pu voir.

Camarade X (King Vidor, 1940)

A Moscou, un journaliste américain est sollicité par son valet pour qu’il fasse fuir sa fille, communiste de la première heure susceptible d’être purgée par Staline.

La comédie basée sur une tragédie politico-historique fonctionne moins bien que dans les films contemporains de Lubitsch: c’est à la fois moins harmonieux et moins percutant, malgré de bons dialogues. Assez vite, la vraisemblance, notamment psychologique, s’estompe au profit de la fantaisie la plus débridée: scènes de vaudeville, poursuite en voiture tout droit sorties de Scarface, poursuite en chars ayant certainement influencé Indiana Jones et la dernière croisade, présence perpétuellement ironique de Clark Gable, alors à son sommet. La splendeur de Hedy Lamarr n’a d’égale que l’absence de crédibilité de son personnage. A noter enfin que ce plaisant divertissement (de propagande) tourné en 1940 contient une étonnante préfiguration de l’opération Barbarossa.

Ainsi soit-il (Gérard Blain, 2000)

Un fils venge son père assassiné par des employeurs véreux.

La « rigueur », à force de refuser toute déviation et, même, tout développement narratif, du postulat dramatique présenté au départ « le fils va venger le père des salauds », frise la vacuité. Néanmoins, le lyrisme tragique se concrétise dans quelques beaux instants, tel l’étreinte du fils à la mère au tribunal ou les dernières secondes du plan de la lecture de la lettre.

La malle de Singapour (China seas, Tay Garnett, 1935)

Sur son paquebot dont la cargaison d’or attire les pirates, un capitaine est poursuivi par la dernière femme qu’il a séduite au port et retrouve par hasard son ancienne fiancée de la haute-société…

Un film d’aventures dont la dramaturgie conventionnelle est épicée par le sexy duo Clark Gable/Jean Harlow, une atmosphère truculente typique de Tay Garnett et un petit parfum de lutte des classes qui nuance le manichéisme habituel.

Return of the Texan (Delmer Daves, 1952)

Après le décès de son épouse, un homme qui était parti à la ville revient, avec ses deux fils et son grand-père, dans sa maison natale au Texas.

Quelques transparences de mauvais aloi et une bagarre finale qui résulte de la convention dramatique plus que de la logique du récit n’altèrent guère le charme de ce joli film où Delmer Daves évoque avec franchise et dignité le deuil de la mère, le retour au pays et la nostalgie du vieux pionnier inapte à comprendre que les temps ont changé mais aussi le recommencement en bas de l’échelle sociale et le désir flottant d’une femme. Le futur auteur de Jubal et La dernière caravane nous gratifie également d’une séquence typiquement westernienne mise en scène avec une surprenante intensité. Return of the Texan est de plus particulièrement bien servi par la toujours très belle Joanne Dru et le génial Walter Brennan dans un de ses rôles les plus variés et les plus émouvants.

Certaines nouvelles (Jacques Davila, 1980)

Pendant la guerre d’Algérie, une famille de colons profite de l’été…

Il ne suffit pas de montrer des bonnes femmes en maillot de bain discuter de choses futiles pendant qu’à la radio on annonce des attentats horribles pour figurer l’insouciance d’une classe sociale qui danse sur un volcan. Malgré la toujours excellente Micheline Presle, le film est assez peu intéressant, vide d’enjeux narratifs et dramatiques et dénué de saveur particulière dans son appréhension des corps et des décors.

La cravate (Mathias Théry et Etienne Chaillou, 2020)

Documentaire qui suit un militant du FN à Amiens pendant la campagne présidentielle de 2017.

Le portrait est juste, fort et à la bonne distance: les réalisateurs font ressortir la singularité du parcours de ce militant, à rebours des stéréotypes sur les gens du FN. L’idée de le faire lire et commenter le texte des auteurs accroît cette impression d’honnêteté intellectuelle. Néanmoins, à la fin, lors de la séquence du meeting de Marine Le Pen, l’oeuvre tente d’aller du particulier au général, du psychologique au politique via des raccourcis fallacieux et ne peut alors s’empêcher de pontifier avec une voix-off joliment écrite mais envahissante et des surimpressions grotesques de la bouche d’un des auteurs récitant cette voix-off. Après avoir pris soin de nous montrer un homme dans toute sa particularité, il est regrettable car hâtif d’en faire un exemplaire « soldat de l’extrême-droite en Europe ». Finalement, la condescendance pointe le bout de son nez d’autant que, des positions politiques du FN, il ne fut nullement question. Ce qui, niveau politique, est le plus intéressant dans le film est la monstration de l’appareil du parti et du subtil mais irrémédiable décalage qui peut exister entre un militant de la base et les cadres. Mais cette vérité n’est pas propre au FN même si elle est plus éclatante chez lui puisque l’antiélitisme est un de ses fonds de commerce.

Cavalcade d’amour (Raymond Bernard, 1940)

AU XVIIème siècle, au XIXème siècle et au XXème siècle, trois histoires d’amour, dont deux tragiques, ont lieu dans un château.

Pléïade d’acteurs et jolis décors mais dialogues surannés (surtout dans le premier segment), petits problèmes de rythme, angles de prise de vue stupidement penchés (péché mignon de Raymond Bernard) et manque de focus dramatique. In fine, c’est pas mal, de bonne tenue, mais les sketches (car il s’agit finalement d’un film à sketches) auraient gagné à davantage de concision, de netteté dramaturgique.