Journal d’une femme médecin (Hiroshi Shimizu, 1941)

Deux jeunes infirmières arrivent dans un village arriéré…

Le caractère édifiant du sujet est contrebalancé par:

  1. La légèreté de touche propre à Shimizu, son rythme flottant et dédramatisé, le naturel de son style qui met en valeur les rivières et les bois plus que les discours de ses personnages.
  2. Les nuances apportées par le découpage à la motivation de l’héroïne: elle reste aussi bien par dévouement à la communauté que par amour pour l’instituteur. Comme souvent avec Shimizu, ça n’est que suggéré par la mise en scène mais c’est parfaitement clair.

Bref, Journal d’une femme médecin est un joli film, tout à fait typique de la manière Shimizu, y compris dans ses limites (on ne peut nier une certaine mollesse).

Père et fille (Jersey girl, Kevin Smith, 2004)

Son épouse décédée pendant l’accouchement de leur fille, un brillant attaché de presse new-yorkais retourne chez son père, dans le New Jersey.

Pourquoi ce film, malgré ses ficelles démagogiques (cf le regrettable dénouement qui envoie valdinguer toute la subtilité qui l’a précédé), les envahissantes chansons pop qui neutralisent parfois la vérité des images et les limites de Ben Affleck dans sa grande scène lacrymale, exhale t-il souvent un parfum d’émouvante sincérité? Il y a d’abord la fraîcheur de la gamine, adorable Raquel Castro. Il y a ensuite un mélange des tons qui fonctionne tellement bien que son audace est oubliée: faire rire avec un père de famille qui loue un DVD porno parce qu’il est veuf, ce n’est pas rien. Il y a surtout la tendresse perceptible de l’auteur pour son attachante galerie de personnages interprétée par des comédiens au minimum sympathiques. Dans ses meilleurs moments, Kevin Smith fait exister à l’écran une communauté familiale quasi-utopique ou met en scène l’amour entre un père et sa fille avec une sentimentalité directe qui touche en plein coeur.

Méprise multiple (Chasing Amy, Kevin Smith, 1997)

Un dessinateur de B.D tombe amoureux d’une lesbienne.

Quelques coquetteries de montage altèrent moins la grandeur mccareyenne de cette comédie romantique que la relance du récit, à mi-chemin, qui sent sa convention puritaine quoique le film soit « indépendant »: alors qu’ils nagent en plein bonheur, le mec apprend que sa dulcinée, qui a trente ans, a eu des amants avant lui et en fait une maladie.

A part ça, il y a de beaux personnages secondaires, à la fois très typés et doués de singularité, de longs dialogues, entre verdeur bigardienne et épanchements rohmériens, qui frappent par leur justesse et un Ben Affleck convaincant. Face à lui, Joey Lauren Adams campe un personnage attachant mais dont le jeu dans les scènes d’emportement semble parfois exagéré.

A l’abordage (Guillaume Brac, 2021)

Deux amis noirs partent dans un camping de la Drôme car l’un des deux veut rejoindre une fille rencontrée à Paris qui y est en vacances dans sa maison de famille.

Héritier d’Eric Rohmer, Guillaume Brac n’en demeure pas moins un homme de gauche concerné par la question de la représentations des minorités ethniques dans le cinéma français. Déjà, Contes de juillet et L’île au trésor avaient subrepticement introduit le thème de la mixité culturelle et sociale dans son cinéma. Dans A l’abordage, son projet d’intégrer deux jeunes des cités à la comédie de vacances façon Pascal Thomas était prometteur sur le papier car riche de potentiel comique ou dramatique suscité par le traditionnel argument du « fish out of the water ». Malheureusement, l’indigence de l’écriture, ainsi que la timidité de l’inspiration, brident ce potentiel. Trop souvent, les scènes semblent escamotées après avoir été maladroitement introduites. C’est le cas de tout ce qui a trait à la rivalité amoureuse avec le maître-nageur ou des confrontations entre les deux héros et leur chauffeur blablacar, un jeune bourgeois blanc finalement assez inexistant. L’arc narratif entre le bon pote et la mère esseulée est le seul qui sonne juste. Pire, compte tenu des intentions de l’auteur: la vision sociologique est parfois à côté de la plaque. Ainsi, s’imaginer que des jeunes gens du 93 risquent de trahir leur origine s’ils portent de belles chemises parce qu’ils ont la peau noire est révélateur d’un regard de bourgeois blanc visiblement peu renseigné sur son sujet. Pour autant, s’il déçoit, ce nouveau film de Guillaume Brac n’est pas dépourvu de qualités; en premier lieu des acteurs plutôt bons et en second lieu un sens de la composition visuelle, tout en simplicité épurée, qui produit des images belles à partir d’un endroit laid (le camping). C’est dommage.

Contrat sur un terroriste (The assignment, Christian Duguay, 1997)

Un soldat de l’US Navy par ailleurs sosie de Carlos est recruté par la CIA et le Mossad pour neutraliser le célèbre terroriste.

Un plaisant film d’espionnage, qui tient un assez juste équilibre entre gravité géopolitique et schématisme du gros spectacle hollywoodien, entre restitution anti-bondienne de la dureté du milieu des agents secrets et séduction des décors variés (Paris, Israël, la Virginie, la Lybie…). Les poursuites, haletantes, ont vraisemblablement influencé Paul Greengrass pour les Jason Bourne, les acteurs sont impeccables -notamment Donald Sutherland et Ben Kingsley- et le récit exploite bien son postulat jusqu’à un dénouement malin.

Etats d’âme (Jacques Fansten, 1986)

Après 1981, les désillusions de cinq copains socialistes par ailleurs amoureux de la même jeune femme.

Mes meilleurs copains sans la verve comique de Jean-Marie Poiré ni la sympathie de ses comédiens (même si on retrouve Bacri dans les deux). Le découpage de Jacques Fansten, qui exploite efficacement la largeur du Cinémascope, est plus élégant que celui de Poiré mais le film demeure tout à fait médiocre et plein d’une déplaisante complaisance.

La Force de vaincre (Tough Enough, Richard Fleischer, 1983)

Pour payer les factures, un chanteur de country se lance dans la boxe.

Le sujet est intéressant, les acteurs sont sympathiques et il y a une justesse dans le détail des scènes intimistes mais deux gros écueils empêchent ce film tardif de Richard Fleischer d’être beaucoup mieux que moyen:

  1. problème de rythme général à cause d’un appesantissement sur les scènes de boxes, trop longues, et d’un manque de focus sur l’évolution du héros. Le développement de son goût pour la violence peine à se faire sentir.
  2. une absence de courage critique et une putasserie qui entraînent un manque de cohérence profonde: d’un côté, Tough enough raconte l’histoire, assez subversive, d’un brave type qui se détruit physiquement -et détruit d’autres types- pour subvenir aux besoins de sa famille (puis par orgueil). De l’autre, lorsque ce brave type gagne par KO, sa victoire est célébrée comme si de rien n’avait été, avec tous les flonflons hollywoodiens de circonstance. Dans le même ordre d’idées, les touches d’humour qui parsèment le film sonnent faux.

Le corps céleste (Alexander Hall et Vincente Minnelli, 1944)

L’épouse frustrée d’un astronome consulte une voyante qui annonce qu’elle va bientôt rencontrer l’amour.

Vincente Minnelli est non crédité et on se demande ce qu’il a apporté à cette médiocre comédie où la bêtise caricaturale du personnage de Hedy Lamarr ôte toute crédibilité.

L’invasion secrète (Roger Corman, 1964)

En 1943, un commando formé par des criminels est chargé de délivrer un général enfermé dans une imprenable forteresse yougoslave….

Cela préfigure Les douze salopards, sorti trois ans plus tard. Moins nihiliste que le film d’Aldrich, L’invasion secrète ne s’appuie guère sur la crapulerie de ses personnages mais préfère développer un classique film de commando avec brio et efficacité: un insert mélo inattendu mais assez cohérent, une belle appréhension des décors naturels de Dubrovnik, des situations de l’action variées entre montagnes, souterrains, cimetières et prison ainsi qu’une fin dont l’ingéniosité sous-tend un vrai propos politique en sont les principales qualités.

Les démons à ma porte (Jiang Wen, 2000)

Pendant l’occupation japonaise, des paysans chinois sont chargés par la Résistance de garder un soldat nippon et son interprète…

Relativisme moral (apologie de la veulerie déguisée en humanisme), personnages perpétuellement ravalés au rang de bestiaux et style frimeur et envahissant, entre gratuité des contrastes et hystérie du cadrage censée insuffler artificiellement de l’énergie aux scènes: ce film unanimement encensé à sa sortie relève d’une esthétique que j’appellerais « forcing naturaliste » et qui fait de Jiang Wen le dépositaire des pires tendances de Clouzot. En est parfaitement symptomatique un des plans les plus cons de l’histoire du cinéma: celui du regard depuis une tête coupée (avec passage du noir et blanc à la couleur).

Deux sœurs vivaient en paix (The bachelor and the bobby-soxer, Irving Reis, 1947)

Une lycéenne tombe amoureuse d’un peintre récemment jugé devant le tribunal présidé par sa soeur.

Amusante comédie, notamment grâce à Cary Grant qui n’hésite pas à se rendre ridicule. Comme souvent, le dernier tiers avec sa résolution conventionnelle peine à convaincre, au contraire des prometteuses et piquantes prémisses.

Hors de contrôle (Edge of darkness, Martin Campbell, 2010)

Un policier bostonien cherche à savoir pourquoi et par qui sa fille a été brutalement assassinée sous ses yeux.

Quelques raccourcis et incohérences n’empêchent pas ce film de vengeance, qui assume pleinement la noire mélancolie sous-jacente à ce genre de récit, d’avoir une vraie substance émotionnelle. La touche « mélo catho », si elle ne brille pas par la subtilité de son expression, apporte une vraie singularité tandis que la rapidité de l’irruption de la violence a un puissant impact dramatique. Depuis Le masque de Zorro et Goldeneye, le découpage de Martin Campbell a gagné en sobriété et tend vers un beau classicisme; l’environnement bostonien est particulièrement bien restitué. L’interprétation de Mel Gibson, riche de mille nuances d’humanité brisée, porte le film.