Annette (Leos Carax, 2021)

Un comique épouse une soprano mais le bonheur du couple est altéré par la violence latente de l’homme.

Beaucoup de « self-indulgence » comme disent les Américains (les trop longues scènes de comédie), une musique omniprésente qui n’a pas vraiment le niveau de celle des Parapluies de Cherbourg et des effets de manche distanciateurs dont l’oeuvre aurait très bien pu se passer mais Annette n’est pas qu’un film de petit malin branchouille. L’ambition de Leos Carax, qui signe ici ce qui est selon moi son film le plus audacieux et le plus abouti, force le respect. Au-delà de la somptuosité plastique (même si son acteur principal a une face simiesque ) et de l’inventivité poétique de plusieurs séquences, sa tentative de ne travailler que sur du mythe pur, sans le moindre ancrage réaliste, emporte le morceau dans une brillante séquence finale où, enfin, l’émotion point. Après plus de deux heures de projection, c’est un peu tard mais c’est notable.

Leviathan (Léonard Keigel, 1962)

Dans une ville de province, un professeur particulier tombe passionnément amoureux d’une blanchisseuse aux moeurs légères.

Quoique tourné en 1961, ce premier film de Léonard Keigel n’a rien à voir avec la Nouvelle Vague. Adapté par Julien Green d’un de ses propres romans, Leviathan est un film au classicisme brillant et hautain. Même si les cadres larges ancrent l’action dans un village français, c’est dénuée de tout naturalisme, de toute digression pittoresque. Ce style distancié -à la façon de Lang et non à celle de Brecht- opacifie parfois les personnages féminins, qui sont mus par la passion. En revanche, même si elle ne suffit pas à crédibiliser une articulation du scénario aussi décisive que poussive, l’interprétation de Louis Jourdan est étonnamment intense. De plus, la Verklärte Nacht de Schönberg insuffle un romantisme wagnérien aux séquences froidement composées. Bref, Leviathan est une tragédie admirable et, finalement, très belle.

Benedetta (Paul Verhoeven, 2021)

Au XVIIème siècle, dans un couvent toscan, une nonne a des stigmates: miracle ou supercherie?

Passé les quelques scènes sans autre objet que l’étalage de mauvais goût (les latrines…) et la ringardise des scènes de vision et de plusieurs effets (la transformation de la voix du personnage lorsqu’elle est en transe), Benedetta s’avère un assez bon film de nonnes, sans trop de provocation gratuite et où l’ambiguïté de la mise en scène par rapport aux miracles maintient un relatif intérêt. Cependant, cette ambiguïté est aussi une limite dans la mesure où les motivations de Benedetta demeurent opaques. Il est également dommage que, dans ce rôle, Virgina Efira n’ait pas la justesse et l’envergure des précédentes actrices de Verhoeven (Sharon Stone, Carice Van Houten ou Isabelle Huppert). Bref, sans être à la hauteur des grands films de son auteur, Benedetta n’est pas un film déshonorant.

Pleine de vie (Richard Quine, 1956)

Pour des travaux dans sa maison, un jeune couple fait appel au père du mari.

Une pépite de justesse que cette comédie méconnue de Richard Quine, écrite par John Fante d’après un de ses propres romans. Si la fin résout un peu trop facilement et démagogiquement le conflit entre le personnage et les valeurs de son père, c’est avec finesse et sensibilité que ce conflit est présenté et développé, avec un regard savoureux sur une famille italo-américaine. Tous les acteurs sont bons mais Judy Holliday s’avère encore une fois une des actrices les plus géniales qui aient existé au cinéma, sachant suggérer, avec son visage et son regard, l’ouverture d’abîmes existentiels dans ses dialogues de comédie.

Espoir (André Malraux, 1938)

En Espagne, en 1937, les brigades internationales aident le peuple à combattre Franco.

André Malraux rêve d’Eisenstein mais préfigure Rossellini. Si l’intérêt historique de Espoir est incontestable, l’oeuvre a vieilli, tant dans le fond (on ne peut plus considérer les prétendus républicains comme les gentils de la guerre d’Espagne) que dans la forme (la succession de vignettes est par trop désarticulée). Cependant le film reste préférable au roman car il est dénué des dissertations pseudo-philosophiques qui encombraient artificiellement ce dernier tandis que les scènes d’action apparaissent moins pesantes sur l’écran qu’à l’écrit. Certaines -comme celle où l’auto fonce sur la mitrailleuse- sont même franchement impressionnantes et manifestent un vrai sens du rythme et de l’invention visuelle. Enfin, l’aspect documentaire du tournage en décors réels demeure intéressant et le lyrisme collectif de la séquence finale a gardé sa force que je qualifierais de « progressive ».

Trois hommes à abattre (Jacques Deray, 1980)

Après avoir amené un accidenté de la route à l’hôpital, un joueur de poker se retrouve pourchassé par des tueurs à la solde d’un magnat de l’industrie de l’armement.

La superficialité de la contextualisation politique comme de la caractérisation psychologique réduit le film à une succession de courses-poursuites où Alain Delon est chassé par des méchants puis Alain Delon chasse des méchants. Même si la photo est assez laide, c’est mené adroitement et promptement et, surtout, parsemé d’éclairs de violence qui stupéfient. Bref, cette adaptation de Manchette a l’étoffe d’une bonne série B. Sans plus.

Un homme est mort (Jacques Deray, 1972)

A Los Angeles, un Français tue un homme d’affaires puis est lui-même pourchassé par un tueur.

Cet essai de polar français dans un cadre américain est raté pour les causes suivantes:

  • des dialogues uniquement français qui altèrent aussi bien la vraisemblance que la sensation de décalage entre le tueur et son environnement
  • l’absence totale de crédibilité des premières scènes où le héros échappe aux balles de l’autre tueur
  • le caractère trop tardif de la révélation de ce qui a poussé le tueur à tuer. Le fait de savoir d’emblée que c’est un monsieur tout-le-monde aurait facilité l’identification à son personnage antipathique
  • le caractère téléphoné de l’embryon de romance

Reste un exotisme qui, aujourd’hui que le mode de vie américain est familier au public français, a fait long feu (la famille qui mange devant la télé, les bikers, les bars top-less, les grosses voitures…), quelques poursuites bien réalisées et un final étonnamment sanglant. C’est peu, au regard de la médiocrité du scénario.

Le diable en boîte (The stunt man, Richard Rush, 1980)

Un jeune homme en cavale se réfugie sur un tournage où le réalisateur le fait travailler en tant que cascadeur.

Les bifurcations et changements de ton du récit ainsi que le burlesque spectaculaire de la mise en scène impressionnent au début mais fatiguent à la longue (2h11, c’est énorme pour ce qui se présente comme une comédie), faute de reposer sur une structure un tant soit peu solide; soit fades (le héros joué par Steve Railsback) soit caricaturaux (le réalisateur tyrannique joué par Peter O’Toole), les personnages semblent des marionnettes.

Des hommes (Lucas Belvaux, 2020)

Les éclats d’un homme lors de la fête d’anniversaire de sa soeur réveillent, dans sa famille, des traumatismes liés à la guerre d’Algérie.

Surabondance de voix-off qui ressassent leurs mauvaises consciences, dialogues-dissertations parfaitement invraisemblables, narration qui ménage artificiellement le mystère, gravité monotone et forcée (voir les grimaces des acteurs et actrices dans la scène d’introduction où même Depardieu est mauvais tant il joue la caricature de lui-même), dramaturgie qui repose sur un principe d’accumulation plutôt que d’évolution (inutilité de la scène de l’agonie de la fille-mère par rapport au reste du récit, facilité en même que fausseté de l’évocation des massacres de la division Das Reich…)…Au bon cinéma, Lucas Belvaux a préféré ici la mauvaise littérature.

Les centurions (Mark Robson, 1966)

En Algérie, un régiment de parachutistes lutte contre un chef du FLN qui fut, en Indochine, un des leurs.

Derrière la superproduction internationale pleine de stars, de paysages exotiques et de scènes à grand spectacle, d’ailleurs troussée avec habileté (sauf l’emploi abusif de la musique tonitruante de Franz Waxman), voici un film qui montre la guerre d’Algérie avec une acuité et une profondeur rares. Les coïncidences qui facilitent la réduction du drame à quelques personnages n’empêchent pas de rendre sensible l’évolution du travail de l’armée en Algérie, de plus en plus policier, avec ce que cela comporte de salissure morale. La torture et les massacres de civils sont clairement évoqués et engendrent la victoire en même temps que la discorde dans le régiment et la démission du héros, non exempt d’une certaine faiblesse quoique joué par Alain Delon.

Contact (Robert Zemeckis, 1997)

Une scientifique du programme SETI capte une fréquence provenant de Véga…

Une grande dissertation sur la foi et la science entachée par la roublardise et le manque de courage du scénario. La façon d’instrumentaliser les personnages au service d’une vaste fable truffée d’invraisemblances rappelle certains films de Capra (les plus célèbres mais pas les meilleurs). Voir l’improbable savant joué par John Hurt, qui n’est en définitive qu’un deux ex machina, servant uniquement aux auteurs à faire avancer leur récit à ses deux moments-clés. De façon plus gênante que la théologie, la science est vulgarisée: les problèmes sont réduits à des puzzles et la science devient, pour l’héroïne qui en est la promotrice acharnée, « un langage ». Tout ça pour se vautrer dans les poncifs formels lors des découvertes: caméra qui suit le chercheur qui court entre les bureaux sur fond de musique tonitruante, gros plan sur la vedette qui s’exclame un truc du genre « bon sang mais c’est bien sûr » avant une pseudo-explication débitée tellement vite que les auteurs s’assurent ainsi qu’aucun spectateur n’y pigera rien. Mais force est de reconnaître la virtuosité, parfois coquette, de Zemeckis qui rend le film regardable malgré un autre lourd défaut du scénario: son manque de concision (le départ avorté est une péripétie inutile tandis que les réactions de la foule eussent gagnées à être mieux explorées: le plan à la fin où Foster est accueillie par un peuple de mystiques est un des plus pertinents et évocateurs).

Par le sang des autres (Marc Simenon, 1973)

Un forcené se retranche avec une mère et sa fille dans une maison et exige, en échange de leur libération, qu’on lui amène la plus belle fille du village.

Le film se focalise alors sur les réactions des notables chargés de négocier. L’écriture est théâtrale, peu soucieuse de vraisemblance, mettant en exergue la veulerie des personnages, interprétés par une savoureuse brochette de comédiens (Bernard Blier, Claude Piéplu, Francis Blanche, Charles Vanel…), avec une certaine drôlerie et sans beaucoup de nuances. Le personnage du fou, lui, n’a aucune intérêt et sa relation dans la dernière partie avec la fille du maire est d’un ridicule achevé. Pour rompre la prévisibilité de cette charge jeuniste, on note des ruptures de ton à faire pâlir d’envie les scénaristes de comédie italienne. Bref, ce film du fils de Georges se laisse suivre, présente quelque intérêt, mais déçoit dans sa structure et ses finitions.

Le gang (Jacques Deray, 1977)

En 1945, le gang des Tractions avant enchaîne les braquages.

Avec ce polar rétro, Alain Delon et Jacques Deray ont visiblement voulu réitérer le succès de Borsalino. Malheureusement, malgré l’absence de Belmondo, ils se placent dans la lignée du film original et non de sa suite, infiniment supérieure. En effet, comme le faux classique de 1970, Le gang est un polar miné par la dérision et l’esprit de sympathie que les auteurs ont voulu insuffler à une chronique pourtant inspirée de crimes sinistres. Comme dans Borsalino, une rengaine de Claude Bolling fait tendre plusieurs scènes d’action vers la parodie. Comme dans Borsalino, on ne verra jamais le héros, pourtant un psychopathe calqué sur Pierrot le fou, abattre les policiers sur lesquels il tire: pas de contrechamp à ses coups de feu, ce qui rend neutralise littéralement les séquences de fusillades. Elles perdent tout leur intérêt dramatique.

Pire: parce qu’il jouait un personnage de dingue, Alain Delon a cru judicieux de s’affubler d’une ridicule perruque frisée. Il perd ainsi sa proverbiale beauté et la romance de son personnage avec une jeune fille qui quitte tout pour rejoindre le gangster voit sa crédibilité anéantie. C’était pourtant une des bonnes idées des auteurs que de faire raconter l’histoire par cette jeune fille, jouée par la jolie Nicole Calfan. Enfin, la seule séquence où Delon joue la folie justifiant le surnom de son personnage apparait invraisemblable et déplacée, tant le mélange des tons est mal géré; sauf dans Rocco et ses frères, Delon est un acteur d’autant plus grand qu’il s’extériorise peu. Reste la qualité visuelle de la reconstitution, bien mise en valeur par les cadres souvent larges de Jacques Deray: les scènes dans les auberges sur la Marne ont presque un parfum renoirien.

Objectif 500 millions (Pierre Schoendoerffer, 1966)

Avec un autre militaire qui l’a trahi, un ancien de l’OAS participe à un casse pour dérober 500 millions de francs à bord d’un avion.

J’ai rarement vu un polar aussi morne et sinistre. Non seulement le héros est très antipathique mais rien n’est fait pour dramatiser son cas de « soldat perdu ». La photo est incroyablement grisâtre et le récit, languissant, comprend bien plus de parlotte que d’action.

Valley of love (Guillaume Nicloux, 2015)

Parce que leur fils suicidé leur a demandé dans une lettre, deux stars françaises se retrouvent dans la Vallée de la Mort.

Le morceau The answered question de Charles Ives (qui a certainement beaucoup inspiré Angelo Badalamenti) et le décor de la Vallée de la Mort aident Guillaume Nicloux, qui a un vrai sens du cadre, à concrétiser son ambition lynchienne quoique le surnaturel soit ici plus directement relié à un affect particulier que chez l’auteur de Twin Peaks. Isabelle Huppert et Gérard Depardieu, quasiment dans son propre rôle, apportent ce qu’il faut de pâte humaine à un tel drame. Dommage que, comme souvent dans les films récents de Nicloux, le récit soit aussi peu développé. En résulte un film qui touche par instants mais qui s’avère finalement frustrant voire vain; sans rapport avec le reste du film, certaines scènes -tel l’apparition de la petite fille sur le court de tennis- semblent là uniquement pour intriguer le spectateur à bon compte.

Wild and woolly (John Emerson, 1917)

Le fils d’un magnat du chemin de fer, féru de littérature western, est envoyé par son père dans un patelin de l’Arizona pour y étudier l’opportunité de l’extension de son réseau. Pour séduire le rejeton de l’investisseur, la population va faire croire qu’elle vit encore au temps du Far-West.

Et évidemment, le simulacre rejoindra la réalité lorsque des méchants en profiteront pour braquer le train, ce qui donnera l’opportunité au jeune homme de montrer l’authenticité de sa bravoure. Il s’agit bien sûr d’un film de Douglas Fairbanks -un des premiers qu’il a produits lui-même- où la rêverie, la comédie et l’aventure physique, sont inextricablement mêlées. Il s’avère ici moins irrésistible que dans les films d’Allan Dwan (où Fairbanks personnifiait un véritable dieu de l’enthousiasme), la faute notamment à un script (pourtant toujours signé Anita Loos) qui manque d’action et d’éléments comiques dans sa partie centrale avec une relative mise en retrait de la star au profit de l’avancée du conventionnel récit ainsi qu’à une harmonie moins éclatante entre cette star et les paysages où elle évolue mais la dernière partie, succession effrénée de cavalcades, de fusillades, d’acrobaties et de joyeuses ironies métacinématographiques, conquiert l’adhésion pleine et entière du spectateur.