Wine of youth (King Vidor, 1924)

Une jeune fille de la bourgeoisie américaine a bien l’intention de profiter de sa jeunesse, contre les recommandations de sa mère et les récriminations de sa grand-mère.

Comédie sociologique pleinement ancrée dans la bourgeoisie américaine des années 20, riche de vitalité et de mouvements. Par-delà le siècle qui nous en sépare, il y a une jolie justesse dans l’appréhension du couple sur le long terme.

The sky pilot (King Vidor, 1921)

Un pasteur arrive dans une ville de cow-boys peu enclins à l’écoute de sermons.

Le génie cinématographique de King Vidor transfigure un récit édifiant quoique nourri de détails (retournement de l’antagoniste, association du père de la dulcinée aux bandits…) qui dénotent la sincérité d’un auteur s’appuyant sur la fluidité des circonstances plus que sur la rigidité des conventions pour incarner son message. Filmant un écureuil courant sur le visage d’une jeune femme, un cavalier tombant d’un pont sur une rivière, l’incendie d’une église dans la neige ou de spectaculaires convoyages de bétail, le cinéaste intègre l’action dramatique à la Nature avec une aisance typiquement américaine. Loin d’être un western de série, The sky pilot est un film d’une ampleur telle qu’il ruina le cinéaste-producteur et le força à fermer son propre studio, Vidor Village.

Week-end (Bank holiday, Carol Reed, 1938)

Pendant un week-end de trois jours, plusieurs Anglais partent dans une station balnéaire.

Le début est très bon: sobriété documentaire typiquement anglaise, qualité de l’interprétation, justesse audacieuse du ton. Par la suite, Week-end, dévoile ses épaisses ficelles de film choral, peut-être inspiré par Grand hotel (sans les stars), avec suspense tout à fait artificiel pour clore le tout. Dommage.

Le complot (René Gainville, 1973)

L’OAS organise un complot pour délivrer le général Challe tandis qu’un commissaire, aidé par un barbouze, tente de les contrecarrer.

Bien moins orienté à droite qu’on ne l’a dit, ce film a pour principale qualité sa subtilité: l’empathie pour les « soldats perdus » est sensible mais ce n’en sont pas moins les « méchants » d’un film polyphonique dont le héros -s’il devait y en avoir un- serait le policier républicain et indulgent joué par Michel Bouquet. Même le barbouze qui, dans une optique antigaulliste, serait le méchant, est présenté sans caricature et avec de surprenantes qualités. Ainsi, Le complot déploie un récit aussi prenant qu’ambitieux puisqu’il s’agit quasiment d’un film-dossier sur l’OAS.

Pourtant, les quelques tirades d’ordre un peu général sur le drame des soldats et fonctionnaires déchirés n’altèrent pas la cadence d’une intrigue savamment menée. Rarement l’avancée d’une enquête au cinéma aura été rendue d’une façon aussi concrète, intelligible et captivante. Ces profondes qualités d’écriture sont soutenues par une interprétation aux petits oignons, de Michel Bouquet déjà cité à Jean Rochefort dans un rôle qui préfigure celui qu’il tiendra chez Schoendoerffer (dont les films sur « la fin de l’empire » sont nettement moins bons que celui-ci) en passant par Michel Duchaussoy, Raymond Pellegrin et Dominique Zardi.

Le bémol qui empêche Le complot de passer de la catégorie « bon film » à « vrai grand film », c’est une mise en scène sans plus-value. Le travail de Réné Gainville est honnête mais, parfois, j’aurais aimé que sa caméra se focalise sur un détail qui aurait singularisé son regard, apporté une sensibilité inattendue (par exemple, j’ai trouvé dommage que le policier victime d’un coup du lapin ne soit plus montré après l’évasion de son prisonnier). En l’état, il illustre honnêtement mais sans surprise son impeccable script (qu’il a co-signé).

Les oliviers de la justice (James Blue, 1962)

Pendant la guerre d’Algérie, le fils d’un colon parti en métropole revient au pays pour voir son père mourant.

Quelques maladresses techniques (synchronisation des voix parfois médiocre…) et dramatiques (le personnage un peu chargé de la cousine) n’entachent guère la vérité d’une oeuvre, qui, par sa justesse d’appréhension des tourments les plus intimes, transcende les clivages politiques et atteint à l’universel. Superbes plans de l’Algérie d’alors, ville et campagne, tournés littéralement « à la volée », au nez et à la barbe de l’OAS et du FLN tous deux ennemis du film.

Licorice pizza (Paul Thomas Anderson, 2021)

Dans les années 70 à Los Angeles, un acteur de 15 ans tente de séduire une femme de dix ans son aînée.

Ce qui frappe d’abord, c’est la médiocrité du scénario: quasi-nullité du récit, des dialogues, de la continuité dramaturgique, de la contextualisation, de la caractérisation des personnages. Du coup, de quoi sont constituées les deux heures et treize minutes que durent le film? Une succession de péripéties oiseuses, qui pourraient être qualifiée de « digressions » si seulement la trame principale était suffisamment nette.

L’important ne serait donc pas ce qui est raconté tout au long de l’oeuvre mais plutôt le potentiel de « fraîcheur » exprimé par chaque moment pris indépendamment des autres. Le plan-séquence introductif, merveilleux de vérité immédiate en dépit de sa virtuosité un brin ostentatoire, pourrait faire croire à la tenue d’un tel pari. Le problème est que le style du réalisateur n’a rien à voir avec celui d’un « spontanéiste », type Kechiche, mais tout à voir avec celui d’un formaliste, type David Lynch à qui m’a précisément fait songer le grotesque à retardement de la séquence au commissariat.

Si la splendeur visuelle de la reconstitution est plaisante et s’il est hautement appréciable de voir un cinéaste se soucier à ce point de son découpage et ne pas se cantonner au champ contre-champ, sachant parfois insuffler une expressivité à des séquences qui devaient être peu de choses sur le papier par le seul truchement de la forme (indéniablement, Licorice Pizza « est du cinéma » car ce ne saurait être autre chose), force est de constater que, au bout de 2h13, plusieurs procédés d’abord séduisants ont viré à la rhétorique: ainsi, les travellings latéraux sur des gamins qui courent avec en fond sonore une chansonette de l’époque peuvent au début figurer les élans du coeur mais s’avèrent finalement un peu creux à force de répétition.

Plus grave: la faiblesse du récit n’empêche pas l’arbitraire de l’auteur d’être patent. Par exemple, l’artifice de la coïncidence entre le moment où la fille se rend compte que la jauge est vide et celui où le garçon fracasse la voiture de son client montre le marionettiste à l’oeuvre. A quelles fins? Une vague impression de bizarre, ni franchement comique ni vraiment dramatique. Une coquetterie gentiment saugrenue, à peine préparée par ce qui a précédé dans le film et qui n’aura aucune incidence sur la suite; qui donc aurait pu tout aussi bien être coupée du montage. Bien trop de séquences dans Licorice Pizza fonctionnent sur ce principe, purement gratuit, du gentiment saugrenu mâtiné de clins d’oeil à la sous-culture américaine (ici, le propriétaire de la voiture est l’ancien mari de Barbra Streisand, ce qui nous fait une belle jambe). A l’image du titre, non traduit par des distributeurs toujours plus soumis à l’Oncle Sam.

Que ces fortes réserves n’induisent pas le lecteur en erreur sur mon appréciation du film. Parce que Licorice Pizza a été grandement surestimé à sa sortie il y a six mois, le retour de balancier est en quelque sorte naturel. Pourtant, à l’heure d’un cinéma hollywoodien gangréné par l’écriture feuilletonesque, la foi et le talent de Paul Thomas Anderson pour recréer un espace-temps par la seule force de sa mise en scène sont dignes d’encouragements. J’aimerais simplement que pour son prochain film, sa mégalomanie soit tempérée au point que ce grand génie s’abaisse à plancher, ou à faire plancher des gens compétents, sur l’écriture. Vu les éloges dithyrambiques qu’il a récoltés pour Licorice Pizza, ce n’est pas gagné.

Duel dans la sierra (The last of the fast guns, George Sherman, 1958)

Noté dédiée à Dédé.

Un pistolero est engagé par un homme d’affaires pour retrouver son frère disparu au Mexique.

De vraies qualités de mise en scène (sens du paysage jamais vu chez George Sherman, décors insolites, hors-champ inattendu, économie du découpage, utilisation dramatisante du Cinémascope…) et des notations inattendues (sur la mélancolie des tueurs notamment) rehaussent l’intérêt d’une fable morale qui manque trop de rigueur dans sa structure et, surtout, d’épaisseur humaine dans son interprétation (Jock Mahoney n’a pas une once de l’expressivité de James Stewart dans ses rôles analogues chez Anthony Mann et Gilbert Roland n’a pas la riche ambiguïté d’Arthur Kennedy) pour être profondément crédible. Duel dans la Sierra n’en demeure pas moins, d’assez loin, le meilleur western de George Sherman parmi ceux que j’ai vus.

Le Président Wilson (Henry King, 1944)

La carrière politique de Wilson, professeur d’université devenu président des Etats-Unis.

Tournée en pleine seconde guerre mondiale, cette biographie du président auteur des « quatorze points » peut d’abord apparaître comme un film de propagande interventionniste. De fait: excellemment interprété, riche de notations sur la vie politique U.S au début du XXème siècle, articulant l’intimisme et l’épique avec l’habileté propre aux meilleurs scénaristes hollywoodiens (Lamar Trotti), superbement décoré avec de luxueuses reconstitutions des intérieurs de la Maison-Blanche et du Capitole, chaudement photographié par le fidèle Leon Shamroy et jalonné d’hymnes patriotiques orchestrés par Alfred Newman, Wilson est d’abord une parfaite, magnifique et -en dépit de sa durée de 2h34- assez irrésistible machinerie du producteur Darryl Zanuck qui était un grand admirateur du président. Le lyrisme idéaliste d’une séquence comme le discours de Wilson à la Chambre des représentants pourra arracher des larmes. Le film est d’autant plus fort qu’il fait entendre les arguments, pertinents, des adversaires pacifistes du héros.

Enfin, l’oeuvre est parcouru d’une secrète vibration qui lui insuffle une résonnance plus profonde que le claironnement d’un message patriotico-humanitaire: c’est la récurrence des tentations d’un chef d’état -plus époux idéaliste qu’animal politique- prônant l’engagement de son pays pour la sécurité de l’univers de retourner à un foyer source de bonheur -et de malheur- égoïste. Dans ces évocations mélancoliques, la caméra, toujours pudique et à juste distance, d’Henry King fait merveille.