Le grand Ziegfeld (Robert Z.Leonard, 1936)

L’ascension et la chute de l’entrepreneur de spectacles Florent Ziegfeld.

Biopic de trois plombes dont la désuétude (on comprend qu’une « actrice de composition » comme Luise Rainer soit tombée dans l’oubli après avoir gagné deux Oscars), la lourdeur et la platitude visuelle et dramatique sont à moitié rachetées par l’honnêteté foncière du filmage des numéros musicaux, qui met bien en valeur des vedettes ou des scénographes au talent parfois extraordinaire. C’est toute la différence entre les musicals de l’âge d’or -aussi moyens soient-ils- et ceux d’aujourd’hui, qui fragmentent abusivement le découpage pour tenter de camoufler le fait que leurs acteurs ne savent nullement danser. Le numéro qui clôt la première partie -prodigieux plan-séquence à 240 000 dolllars- est un « morceau d’anthologie » qui, en plus d’en mettre plein les yeux et les oreilles au spectateur, propose, par la bande, une juste vision de la culture américaine irriguée par le grand art européen qu’elle a vulgarisé.

Tout l’or du ciel (Pennies from Heaven, Herbert Ross, 1981)

Pendant la Grande dépression, un commis voyageur marié à une frigide tombe amoureux d’une institutrice.

Tombée dans l’oubli, cette audacieuse superproduction musicale préfigure les musicaux distanciés de Coppola (on croirait une production Americain Zoetrope d’autant qu’il y a Gordon Willis à la photo), d’Alain Resnais (puisque la principale originalité formelle d’On connaît la chanson est déjà présente ici) et de Lars Von Trier (la fin, évidemment). S’il n’atteint pas l’ampleur visuelle du premier (surtout Coup de coeur) et s’il est dénué de l’ironie du deuxième, il a la bête cruauté du dernier. Le littéralisme de la mise en scène (exemple: des sous qui tombent du ciel pendant la chanson éponyme) révèle le mépris des auteurs à l’endroit du genre qu’ils investissent. Le brechtisme s’avère prétexte à l’arbitraire de créateurs inaptes à reproduire la magie des numéros d’antan (le passage « Rose pourpre du Caire » où Steve Martin imite Fred Astaire est révélateur du savoir-faire perdu par Hollywood en trente ans) ou, tout simplement, à développer le récit; particulièrement dans la dernière partie, tare qui rend caduque la « critique sociale ». L’hypertrophie n’empêche pas le manque de relief. Cependant, tout n’est pas vanité dans cette oeuvre qui suscita l’ire du vieux Fred Astaire. En effet, l’accent mis sur l’union érotique et fantasmatique dans le couple donne une consistance inédite et juste au triangle amoureux. Bref, moins connu -et certes moins réussi- que les monuments décadents de Coppola, Cimino ou Forman, Pennies from Heaven est un parangon non moins ambitieux de cette tendance monstrueuse du Hollywood du début des années 80.

Blanches colombes et vilains messieurs (Joseph L. Mankiewicz, 1955)

A Broadway, un organisateur de jeux clandestins parie avec un joueur que ce dernier ne pourra pas séduire une fille de l’Armée du Salut.

L’absence d’élan qui viendrait unifier les -bien trop longues- scènes de dialogues avec les chorégraphies baroques de Michael Kidd montre que le talent de Mankiewicz n’était pas celui d’un réalisateur de comédie musicale; de même que le talent de Marlon Brando n’était pas celui d’un chanteur. Etalant un récit très ténu sur 2h30 sans jamais conférer la moindre vérité humaine à des personnages qui restent des marionnettes de bout en bout, la narration est des plus poussives. Reste le -maigre- tour de chant de Frank Sinatra alors à son sommet.

Femmes en cage (Caged, John Cromwell, 1950)

Une jeune femme se retrouve emprisonnée à cause d’un vol à main armé tenté par son mari.

Lénifiant, caricatural et didactique jusqu’à la dernière partie, étonnante dans son pessimisme quoique toujours démonstrative. Eleanor Parker a ici deux expressions: avec des cheveux (gentille)/sans cheveux (méchante). C’est une actrice trop limitée, manquant trop de nuances, pour tenir le film sur ses épaules. Sorti la même semaine mais injustement tombé dans l’oubli à cause de la petitesse de son budget, So young so bad fut, sur le même sujet, un film nettement plus audacieux et percutant.

Ce que je sais d’elle…d’un simple regard (Rodrigo Garcia, 2000)

Cinq histoires de femmes à un moment-charnière de leur existence.

Film à sketches dont l’intérêt s’étiole au fur et à mesure de la projection car les ficelles apparaissent malgré la qualité de l’interprétation, la justesse de certaines observations et la finesse de plusieurs dialogues. A tous ces constats façon « Femme actuelle » (magazine estimable), il manque une vision d’auteur qui instaurerait une unité.

Je ne regrette rien de ma jeunesse (Akira Kurosawa, 1946)

Des manifestations étudiantes de 1933 à la défaite de 1945, l’histoire de la fille d’un professeur libéral amoureuse d’un agitateur radical.

Les habitués de ce blog savent que son auteur n’est pas fou d’Akira Kurosawa. La surprise a donc été agréable de découvrir une de ses premières oeuvres, moins célèbre mais également moins pesante, moins caricaturale et plus concrète que nombre de ses classiques. En effet, Je ne regrette rien de ma jeunesse est peut-être le film de Kurosawa où l’histoire et la politique sont montrés avec le plus de justesse, loin de l’abstraction de ses transpositions de Shakespeare dans un passé japonais lointain et à moitié mythifié. En dehors du discours final un peu trop explicite, la propagande libérale y est parfaitement intégrée à un itinéraire amoureux, amical et politique donc singulier, émotionnel et romanesque où les rapports entre « rouges », « libéraux » et gouvernement dictatorial évoluent au fur et à mesure du récit. Le personnage de l’ami qui travaille pour l’état apporte une salvatrice complexité dramatique.

Visuellement, le film alterne des parlottes un peu mornes mais où pointe parfois une vraie sensibilité (exemple: la scène de groupe où le seul découpage permet de se figurer les sentiments de l’héroïne avant qu’elle ne les déclare) et séquences plus lyriques dans la nature où Kurosawa, visiblement influencé par le cinéma soviétique, se la donne grave. C’est exemplairement le cas de la superbe -mais amère- dernière partie qui montre l’héroïne travailler aux côtés de sa belle-mère à la campagne. Enfin, cet admirable portrait de femme, jouée par Setsuko Hara (future égérie d’Ozu), que l’amour aura conduite à l’émancipation* et à la sagesse, nuance considérablement la réputation misogyne de l’auteur des Sept samouraï.

*Je ne regrette rien de ma jeunesse est un des très rares films de son époque, tous pays confondus, à montrer, sans jugement, un ménage non marié.

A l’assaut du Fort Clark (War arrow, George Sherman, 1953)

Un officier propose à un commandant d’une garnison aux prises avec les Kiowas de s’allier aux Séminoles.

Petit western qui traite son sujet et ses personnages avec ce qu’il faut d’honnêteté intellectuelle (même si les Séminoles ne furent jamais utilisés par la cavalerie). L’assaut final est pas mal fait mais la romance entre Maureen O’Hara et Jeff Chandler reste conventionnelle.

Casanova (Alexandre Volkoff, 1927)

De Venise à Saint-Pétersbourg, les aventures de Casanova.

Adaptation peu fidèle des mémoires du mythique aventurier, ce Casanova impressionne par sa mise en scène à grand spectacle et en décors naturels (magnifique carnaval de Venise colorié au pochoir) plus que par sa consistance dramatique (séquence de prise de pouvoir de Catherine II bien faite mais qui apparaît comme une digression décorative en plus de faire pâle figure face à L’impératrice rouge, qu’elle préfigure cependant). Le vieux et cireux Mosjoukine est peu crédible dans le rôle du grand séducteur, quoique moins irritant que dans d’autres films.

Les desperados (Charles Vidor, 1943)

Un shérif chargé d’arrêter des braqueurs de banque protège un ami qui en est injustement accusé.

J’ai rarement vu un aussi grand foisonnement de péripéties et de personnages en aussi peu de temps (moins d’une heure et demi). Le problème est que l’absence de focus du metteur en scène pour l’un ou l’autre des axes de sa dramaturgie limite l’intérêt du spectateur, malgré la qualité des comédiens (Glenn Ford, à ses débuts, se distingue). Ce spectateur sera en fait plus accroché par le Technicolor tellement saturé (il est certifié par Natalie Kalmus) qu’il déréalise parfois la représentation et par l’ampleur magnifique de certains plans avec une multitude de chevaux.

Aysel la fille du marécage (Muhsin Ertuğrul, 1935)

Une fille violée se fait embaucher dans une ferme…

Remake turc de La fille de la tourbière qui avait également été filmée par Douglas Sirk en Allemagne. C’est dire l’universalité d’une histoire qui évoque aussi Pagnol et Mizoguchi. La concision de la narration (ça dure moins d’une heure dix), l’ancrage réaliste -la présence de la campagne, de la pierre, des moutons- et la jolie sobriété des comédiens rendent le film prenant, malgré des approximations du découpage et un dénouement peu crédible qui affadit le drame.