Un mariage à Boston (The late George Apley, Joseph L.Mankiewicz, 1947)

En 1913, dans une famille de la haute-société bostonienne, le père rigide voit ses deux enfants vouloir convoler hors de leur petit milieu.

« Brillant », c’est évidemment le premier mot qui vient à l’esprit; comme souvent devant les réussites de Mankiewicz. Rarement satire (du conservatisme) fut orchestrée avec autant d’acuité (toutes ces connotations qu’on croirait tirées d’un roman d’Edith Wharton) mais aussi de subtilité et d’empathie pour le personnage brocardé. Interprété avec beaucoup d’humanité par un Ronald Colman grisonnant, George Apley n’est jamais caricaturé et son étroitesse d’esprit ne va pas sans bonne volonté ni secrète mélancolie, de la même façon que Nellie dans le film d’Henry King. Contrairement à ce qu’écrit Lourcelles dans son dictionnaire, il évolue même, un peu, au cours du film. La fin en demi-teinte, ni unhappy ni happy, est d’ailleurs révélatrice de l’étonnante complexité du film. Magistral au niveau de l’écriture, The late George Apley ne l’est pas moins au niveau de la réalisation. En effet, Mankiewicz fait oublier les origines théâtrales de son script en dramatisant l’espace de la maison avec une caméra dynamique et des champs à différents niveaux de profondeur.

Quelque part dans la nuit (Joseph L. Mankiewicz, 1946)

Enquêtant sur sa propre identité, un soldat devenu amnésique se rend compte qu’il était mêlé à des affaires de truands.

L’interprétation, très moyenne, n’aide pas à intéresser à un récit complètement tiré par les cheveux. En plus, c’est excessivement long, eu égard au script de médiocre série B.

Le château du dragon (Dragonwyck, Joseph L. Mankiewicz, 1946)

Au XIXème siècle, la fille d’une famille puritaine s’installe chez un cousin qui règne en seigneur sur ses terres.

La beauté plastique, bien digne de l’âge d’or de la Fox, et une relative nuance dans la présentation du méchant n’empêchent pas ce drame, très théâtral, d’apparaitre un peu poussif.

The trail of the lonesome pine (Cecil B.DeMille, 1916)

Dans les Appalaches, la fille d’une famille de distilleurs clandestins tombe amoureuse du policier venu les arrêter.

Les extérieurs, la photographie sophistiquée et quelques trouvailles de découpage (le miroir pour vérifier le souffle vital d’un être cher, idée qui sera reprise et sublimée dans Secrets de Borzage) agrémentent une mise en scène encore théâtrale dans le jeu des acteurs et primitive dans pas mal de cadrages. Bref, c’est bien même si on peut préférer le remake d’Hathaway réalisé vingt ans plus tard, logiquement plus développé.

Ce merveilleux automne (Mauro Bolognini, 1968)

Dans une maison familiale de la bourgeoisie sicilienne, un jeune homme a une liaison avec sa tante.

Ce thème rebattu, habituellement propice à la nostalgie, est ici traité sans la moindre légèreté mais avec une surdramatisation uniformisante (via la musique étrangement stridente de Morricone, le visage perpétuellement fermé du jeune homme, les inserts qui figurent la pensée du personnage avec beaucoup de schématisme…) qui escamote -tant bien que mal- la faiblesse du récit au prix d’une grave torsion du naturel des scènes. Mais la joliesse floutée des images et Gina Lollobrigida au début de son automne ne sont pas désagréables à regarder.

Amour et haine (Albert Hendelstein, 1934)

En 1919, dans un village minier du Donbass occupé par l’armée blanche, des femmes résistent.

Plus je découvre le cinéma soviétique des années 30-40, plus je me rends compte que des qualités que je prenais pour des singularités d’auteurs sont en fait largement répandues. Par exemple, le lyrisme cosmique, qui pare ici la chronique de l’annexion avec des gros plans sur des plantes intercalés dans les séquences de foule, ne semble pas l’apanage de Dovjenko. De même, il n’y a pas que chez Boris Barnet que musique -ici superbe, signée Chostakovitch- et chansons pouvaient être intégrées à des films de guerre. L’horizon est aussi magnifiquement filmé que chez Donskoï. Quoique prévisible dans son déroulement, Amour et haine est donc un beau film, dopé par le sens visuel de son réalisateur, Albert Hendelstein, qui fut envisagé par Malraux pour adapter La condition humaine et dont le style a la grandeur mais aussi les limites du cinéma soviétique: dans les scènes d’action, son focus sur les images-chocs engendre des ellipses qui nuisent à la bonne restitution du temps et de l’espace donc amoindrissent l’implication du spectateur.

Le Dit de la terre sibérienne (Ivan Pyriev, 1948)

Mutilé par la guerre, un musicien prometteur part en Sibérie pour fuir la pianiste qu’il aime.

Même si le dénouement ne brille pas par sa subtilité (mais est assez irrésistible dans son lyrisme propagandiste), le propos est plus fin qu’il n’y paraît: ce n’est pas uniquement en rencontrant le peuple de Sibérie que le musicien trouve l’inspiration mais c’est aussi en méditant solitairement après un chagrin intime. Pour traiter un sujet pour le moins original, les auteurs font preuve d’un minimum de dialectique, entre le collectif et la psychologie individuelle -cette dernière n’est pas niée. Le Sovietcolor est plus beau, moins kitsch, dans les extérieurs que dans les intérieurs, pour restituer les paysages que pour filmer les chairs. La virtuosité d’Ivan Pyriev est aussi saisissante dans les plans-séquences chantants qui matérialisent la communauté que dans le montage à la Dovjenko qui accompagne l’oratorio final. Bref, Le Dit de la terre sibérienne est un beau mélodrame musical.

Le train va vers l’Est/Le train d’Extrême-Orient (Youli Raizman, 1947)

Au lendemain de la victoire de 1945, une jeune agronome et un soldat qui ont raté leur train font le voyage ensemble vers Vladivostok.

Lourdement présente dans les premières séquences où la victoire est célébrée, la propagande s’estompe vite pour laisser place à un charmant road-movie à travers la Russie joliment mise en valeur par le découpage, simple mais maîtrisé, en Sovietcolor. Les rencontres des personnages sont variées, le ton est léger* et l’interprétation de Lidia Dranovskaia apporte une belle fraîcheur; quand elle marche sur des rails tandis qu’elle cause par exemple. Le fait que les deux protagonistes soient souvent en mouvement et réunis malgré eux par les circonstances de l’action insuffle une épaisseur concrète à la romance. Bref, belle découverte.

*ce qui déplut à Staline donc altéra la carrière de Youli Raizman malgré l’immense succès du film

Secrets (Frank Borzage, 1924)

L’histoire d’un couple formé par la fille d’un notaire et le clerc de son père qui a fui l’Angleterre pour s’installer au Far-West.

Le maintien rigide de la structure en trois actes accuse la théâtralité du film mais le jeu de Borzage -aidé par le grand chef opérateur Tony Gaudio- avec la lumière et l’espace enrichit la mise en scène de mille accents réalistes, comiques ou dramatiques. La partie centrale, dans la cabane assiégée, est évidemment la plus intense, mais la première partie, exceptionnellement longue, ne dépare pas avec son équilibre maintenu entre légèreté comique et gravité proto-féministe. Norma Talmadge est plus sobre, et plus convaincante en jeune fille, que Mary Pickford dans le remake. Certaines idées confinent au génie, telle la terrible litote avec laquelle est exprimée la mort du nourrisson. D’une façon générale, Secrets émeut par sa retenue et la condensation de ses effets dramatiques qui passent par la pure composition de l’image. Stupéfiant de simplicité et de profondeur d’évocation, le dernier plan est digne de Dreyer.

Débuts à Broadway (Babes on Broadway, Busby Berkeley, 1941)

Trois jeunes auteurs-compositeurs tentent de percer à Broadway.

Babes on Broadway n’est pas à proprement parler la suite de Babes in arms mais, avec son même duo de vedettes, son même réalisateur et son intrigue analogue, on peut le considérer comme une variation. Les qualités -musique, dynamisme, entrain- sont les mêmes mais il y a un -logique et léger- effet de redite. Vincente Minnelli réalisa plusieurs séquences musicales avec Judy Garland, a minima celle dans le théâtre abandonné dans laquelle Patrick Brion voit, déjà, une illustration des futurs thèmes de prédilection (flou de la frontière entre rêve et réalité…) de l’auteur de Brigadoon. C’est indéniable mais cette scène est si imperceptiblement intégrée à une structure conventionnelle qu’une hypothétique idiosyncrasie ne peut y être décelée qu’à la lumière des travaux postérieurs du cinéaste.

Place au rythme (Babes in arms, Busby Berkeley, 1939)

Des jeunes, enfants d’artistes de vaudeville mis sur la touche par le cinéma parlant, se lancent dans la création d’un spectacle musical.

Une comédie musicale enlevée, propulsée par l’abattage du prodigieux Mickey Rooney (ses pastiches de Clark Gable et Lionel Barrymore sont irrésistibles) qui forme ici un joli couple avec Judy Garland. Les chansons de Rogers & Hart sont pour plusieurs devenues d’immenses standards (Where or When, The lady is a tramp…). Pour léger qu’il soit, l’arrière-plan dramatique -les comédiens mis en chômage, le conflit avec les parents- nuance la mièvrerie attendue. Finalement, la morale est qu’il faut saisir sa chance, avec tout le côté aléatoire que le terme « chance » implique. Avec son découpage ample et mobile et son rythme sans défaut, Busby Berkeley prouve que son talent ne se limitait pas à la mise en boîte de numéros avant-gardistes; ces numéros sont d’ailleurs ici absents, le style chorégraphique étant plus spontané que dans Chercheuses d’or ou Prologues, matérialisant un torrent de vitalité juvénile qui préfigure ce que sera la comédie musicale d’après-guerre (Babes in arms est la première production d’Arthur Freed).