La vallée de la terreur (Ignacio F. Iquino, 1955)

La fuite de quatre malfaiteurs espagnols -trois hommes et une femme- à travers les Pyrénées.

La convention de la caractérisation des personnages (le méchant méchant, le méchant gentil, le faible et la fille), cohérente sauf à la toute fin au service d’une morale catho-franquiste, n’empêche pas ce petit polar d’être bien mené car il dispose de deux qualités essentielles à son genre: la concision et le sens de l’espace. Les scènes d’action se déploient dans une topographie restituée sans joliesse mais avec clarté et intensité. Quelques trouvailles épicent la mise en scène; ainsi le moment où le douanier se retire une balle d’une plaie puis remplit son chargeur vide avec. La vallée de la terreur est donc une sympathique découverte.

Ce couple heureux (Luis García Berlanga et Juan Antonio Bardem, 1953)

Un jeune couple espagnol est tiré au sort pour profiter d’une journée de luxe offerte par une grande marque.

Comédie sentimentalo-socialo-populiste espagnole qui montre l’universalité, après-guerre, de ce courant présent également aux Etats-Unis, en Italie, au Japon et en France. Avec ses tourtereaux confrontés à l’ambition, aux difficultés matérielles et à la chance, Ce couple heureux rappelle particulièrement Antoine et Antoinette. La mise en scène est dénuée de l’étincelant génie de Becker et l’environnement social, quoiqu’évidemment présent, n’est pas restitué avec la même ampleur que chez Jean-Paul Le Chanois ou Dino Risi mais le film demeure assez sympathique, notamment grâce à la comédienne Elvira Quintillá et à des notations dont l’une est carrément vertigineuse et mérite d’être citée: au début, les protagonistes vont voir au cinéma la première version de Elle et lui. C’est l’occasion de montrer le héros frimer auprès de sa femme avec sa connaissance de la technique cinématographique ainsi que le travestissement des films américains par la censure franquiste (le public râle au moment du baiser coupé). Et à la fin, lorsque le couple s’embrasse, le cinéaste, certainement soumis à la même censure que celle qu’il met en scène, filme les pieds des amoureux…comme le fera Leo McCarey quatre ans plus tard dans son propre remake de Elle et lui.

Bienvenue Mr Marshall (Luis Garcia Berlanga, 1953)

Un village andalou se prépare pour accueillir des représentants américains du plan Marshall.

Comédie gentiment caustique, sur un sujet aussi original que pertinent car riche d’enjeux satiriques, qui présente la particularité de ne pas se focaliser sur des récits individuels mais de garder un caractère collectif dans sa narration, dynamisée par l’amusante voix-off de Fernando Rey. Le virage onirique de la dernière partie, surprenant au début, est un peu long d’autant que, au niveau du filmage, c’est l’ancrage réaliste et local qui donne sa saveur à ce pendant espagnol du néo-réalisme rose.

Le village maudit (Florian Rey, 1930)

Une femme fuit un village où les récoltes sont mauvaises mais son mari et son beau-père restent.

Le statut de classique de ce muet espagnol (plus tard sonorisé) montre que toutes les cinématographies du monde ne sont pas égales. Le village maudit n’est clairement pas L’aurore -avec qui il partage certains thèmes- ou La ligne générale (certains commentateurs disent ce film influencé par le cinéma soviétique, il faudra m’expliquer). L’intrigue est conventionnelle de bout en bout, l’argument dramatique tellement poussiéreux qu’il faut le deviner, l’environnement social inexistant une fois l’exposition passée (malgré ce qu’en écrivit Raymond Borde, ce mélo à trois personnages n’a rien de « néo-réaliste » si ce n’est certains plans en décors naturels) et la direction d’acteurs uniformément plombée et plombante. Heureusement, Florian Rey fait preuve d’un réel sens pictural pour filmer la ruralité castillane mais ce talent est malheureusement souvent gâché par un iris trop fermé, qui noircit une vaste partie de l’image.

Ça s’est passé en plein jour (Ladislao Vajda, 1958)

En Suisse, après le suicide du principal suspect du meurtre d’une petite fille, un inspecteur qui a quitté la police et ne croit pas à la culpabilité de ce suspect enquête personnellement sur l’affaire.

Film helvéto-germano-espagnol adapté en livre par un de ses scénaristes (Friedrich Dürrenmatt) lui-même adapté en film quarante ans plus tard par Sean Penn avec The pledge. Cette mouture primale est un polar correct, visiblement influencé par M le maudit. Certaines articulations de l’enquête manquent de crédibilité mais les acteurs -Michel Simon en colporteur, Heinz Rühmann en flic et Gert Fröbe en tueur dominé par son épouse- sont très bons et les paysages suisses, peu vus au cinéma dans les années 50, restitués avec un peu d’ampleur, beaucoup de clarté et une pointe de poésie (à la fin surtout). Visible ici.

Guêpier pour trois abeilles (The Honey Pot, Joseph L. Mankiewicz, 1967)

Un esthète retranché dans son palais vénitien convoque trois femmes de sa vie et leur fait croire qu’il est sur le point de mourir.

Loin d’Hollywood, Mankiewicz laisse libre cours à ses penchants -théâtralité, dandysme, ironie- non sans une certaine complaisance. 2h11 pour une resucée post-moderne de Volpone, c’est long. La somptuosité du décor, la qualité de l’interprétation (Rex Harrisson, tellement moins cabotin qu’Harry Baur) et, surtout, une once de tendresse -patente dans le dernier plan- rendent Guêpier pour trois abeilles plus supportable et attachant que les films ultérieurs du maître: Le reptile et Le limier.

La porte s’ouvre (No way out, Joseph L. Mankiewicz, 1950)

Un malfrat raciste accuse un jeune médecin noir d’avoir tué son frère blessé par la police.

Pesant film à thèse qui finit dans le grand-guignol, à force d’artificielle outrance. Se focaliser sur un cas pathologique, comme le fait ici Mankiewicz, altère grandement la critique ambitionnée du racisme. Réalisé trois ans après par un conservateur, sans intention de dénonciation apparente, Le soleil brille pour tout le monde démonte, par la bande, les mécanismes du racisme (peur sexuelle et effet de meute) avec bien plus de profondeur et d’ampleur.

La maison des étrangers (Joseph L. Mankiewicz, 1949)

Dans une famille de banquiers italo-américaine, le fils, sorti de prison, retrouve ses frères et se souvient des conflits tragiques entre ces derniers et son père.

Tragédie familiale qui, de par son contexte et plusieurs détails dramaturgiques, évoque immanquablement Le parrain, sorti vingt-trois ans plus tard. Malgré un dénouement conventionnel, des tirades théâtrales et quelques longueurs surtout dues aux scènes avec Susan Hayward (qui font dévier le récit de son principal axe dramatique), la facture est de haute volée. Alors qu’on s’attend d’abord à une resucée de ses cabotinages « ethniques » du début des années 30, Edward G. Robinson s’impose rapidement en patriarche aussi dur que truculent. Pour une fois, Richard Conte a un rôle à la mesure de son talent. Non dénuée de pittoresque facile (la musique d’opéra…) mais fluide, élégante dans ses compositions visuelles et parsemée de plans véristes bienvenus, la mise en scène constitue un bel écrin aux affrontements verbaux qui constituent une bonne partie -mais pas l’intégralité- du métrage. En tout état de cause, La maison des étrangers est supérieur à son remake westernien.

L’évadé de Dartmoor (Escape, Joseph L. Mankiewicz, 1948)

Un vétéran de la RAF s’évade de la prison où il avait été condamné à passer trois ans pour avoir tué accidentellement un homme en voulant protéger une prostituée.

Le décor naturel de la campagne anglaise est le principal atout de ce petit film de traque dont la modestie est un peu altérée par certains dialogues trop philosophiques (sur le péché originel notamment) pour sonner juste.