Un dimanche après-midi (Stephen Roberts, 1933)

Un dentiste doit arracher une dent à l’homme qui lui a piqué la femme qu’il convoitait.

Première version cinématographique de la pièce deux fois filmée par Raoul Walsh (le merveilleux Strawberry blonde puis One sunday afternoon). Gary Cooper y interprète le rôle principal. Sa droiture naturelle altère l’ambiguïté du personnage immortalisé huit ans plus tard par James Cagney. Après la découverte de La déchéance de miss Drake, qui était plein d’inventions visuelles, la mise en scène de Stephen Roberts déçoit: en dehors des scènes de jardin, poétisées par une lumière bien digne de la Paramount, c’est du théâtre filmé dans son acception la plus molle.

Yaé, ma petite voisine (Yasujirō Shimazu, 1934)

Les relations d’une jeune fille et de sa soeur, qui a quitté son mari, avec leur voisin.

Dans cette mignonne petite chronique façon Ozu des débuts, une béance surgit (un fait immensément triste n’est que suggéré par le découpage, ce qui entretient l’incertitude aussi bien que la mélancolie) qui fait grandement relativiser la « modernité » de L’avventura.

Le secret de Polichinelle (André Berthomieu, 1936)

Un couple de bourgeois est contrarié lorsque leur fils à marier leur apprend qu’il a déjà une maîtresse et un enfant de cinq ans mais devient bientôt gaga de leur petit-fils.

C’est du théâtre filmé, correctement par Berthomieu qui varie judicieusement les échelles de plans. Alerme, Françoise Rosay et surtout Raimu servent parfaitement les dialogues et leurs personnages. Dans les limites d’une ambition très limitée, c’est donc réussi: tendre et amusant

Le village maudit (Florian Rey, 1930)

Une femme fuit un village où les récoltes sont mauvaises mais son mari et son beau-père restent.

Le statut de classique de ce muet espagnol (plus tard sonorisé) montre que toutes les cinématographies du monde ne sont pas égales. Le village maudit n’est clairement pas L’aurore -avec qui il partage certains thèmes- ou La ligne générale (certains commentateurs disent ce film influencé par le cinéma soviétique, il faudra m’expliquer). L’intrigue est conventionnelle de bout en bout, l’argument dramatique tellement poussiéreux qu’il faut le deviner, l’environnement social inexistant une fois l’exposition passée (malgré ce qu’en écrivit Raymond Borde, ce mélo à trois personnages n’a rien de « néo-réaliste » si ce n’est certains plans en décors naturels) et la direction d’acteurs uniformément plombée et plombante. Heureusement, Florian Rey fait preuve d’un réel sens pictural pour filmer la ruralité castillane mais ce talent est malheureusement souvent gâché par un iris trop fermé, qui noircit une vaste partie de l’image.

Amour et haine (Albert Hendelstein, 1934)

En 1919, dans un village minier du Donbass occupé par l’armée blanche, des femmes résistent.

Plus je découvre le cinéma soviétique des années 30-40, plus je me rends compte que des qualités que je prenais pour des singularités d’auteurs sont en fait largement répandues. Par exemple, le lyrisme cosmique, qui pare ici la chronique de l’annexion avec des gros plans sur des plantes intercalés dans les séquences de foule, ne semble pas l’apanage de Dovjenko. De même, il n’y a pas que chez Boris Barnet que musique -ici superbe, signée Chostakovitch- et chansons pouvaient être intégrées à des films de guerre. L’horizon est aussi magnifiquement filmé que chez Donskoï. Quoique prévisible dans son déroulement, Amour et haine est donc un beau film, dopé par le sens visuel de son réalisateur, Albert Hendelstein, qui fut envisagé par Malraux pour adapter La condition humaine et dont le style a la grandeur mais aussi les limites du cinéma soviétique: dans les scènes d’action, son focus sur les images-chocs engendre des ellipses qui nuisent à la bonne restitution du temps et de l’espace donc amoindrissent l’implication du spectateur.

Place au rythme (Babes in arms, Busby Berkeley, 1939)

Des jeunes, enfants d’artistes de vaudeville mis sur la touche par le cinéma parlant, se lancent dans la création d’un spectacle musical.

Une comédie musicale enlevée, propulsée par l’abattage du prodigieux Mickey Rooney (ses pastiches de Clark Gable et Lionel Barrymore sont irrésistibles) qui forme ici un joli couple avec Judy Garland. Les chansons de Rogers & Hart sont pour plusieurs devenues d’immenses standards (Where or When, The lady is a tramp…). Pour léger qu’il soit, l’arrière-plan dramatique -les comédiens mis en chômage, le conflit avec les parents- nuance la mièvrerie attendue. Finalement, la morale est qu’il faut saisir sa chance, avec tout le côté aléatoire que le terme « chance » implique. Avec son découpage ample et mobile et son rythme sans défaut, Busby Berkeley prouve que son talent ne se limitait pas à la mise en boîte de numéros avant-gardistes; ces numéros sont d’ailleurs ici absents, le style chorégraphique étant plus spontané que dans Chercheuses d’or ou Prologues, matérialisant un torrent de vitalité juvénile qui préfigure ce que sera la comédie musicale d’après-guerre (Babes in arms est la première production d’Arthur Freed).

Le grand Ziegfeld (Robert Z.Leonard, 1936)

L’ascension et la chute de l’entrepreneur de spectacles Florent Ziegfeld.

Biopic de trois plombes dont la désuétude (on comprend qu’une « actrice de composition » comme Luise Rainer soit tombée dans l’oubli après avoir gagné deux Oscars), la lourdeur et la platitude visuelle et dramatique sont à moitié rachetées par l’honnêteté foncière du filmage des numéros musicaux, qui met bien en valeur des vedettes ou des scénographes au talent parfois extraordinaire. C’est toute la différence entre les musicals de l’âge d’or -aussi moyens soient-ils- et ceux d’aujourd’hui, qui fragmentent abusivement le découpage pour tenter de camoufler le fait que leurs acteurs ne savent nullement danser. Le numéro qui clôt la première partie -prodigieux plan-séquence à 240 000 dolllars- est un « morceau d’anthologie » qui, en plus d’en mettre plein les yeux et les oreilles au spectateur, propose, par la bande, une juste vision de la culture américaine irriguée par le grand art européen qu’elle a vulgarisé.

Aysel la fille du marécage (Muhsin Ertuğrul, 1935)

Une fille violée se fait embaucher dans une ferme…

Remake turc de La fille de la tourbière qui avait également été filmée par Douglas Sirk en Allemagne. C’est dire l’universalité d’une histoire qui évoque aussi Pagnol et Mizoguchi. La concision de la narration (ça dure moins d’une heure dix), l’ancrage réaliste -la présence de la campagne, de la pierre, des moutons- et la jolie sobriété des comédiens rendent le film prenant, malgré des approximations du découpage et un dénouement peu crédible qui affadit le drame.

Four frightened people (Cecil B.DeMille, 1934)

Après avoir fui un bateau ravagé par la peste, deux hommes et deux femmes se retrouvent dans la jungle malaise…

L’interprétation de Claudette Colbert, en vieille fille qui devient sexy, et d’amusantes confrontations entre Mary Boland et les indigènes à qui elle vante le contrôle des naissances sont les principaux atouts de ce film d’aventures trop conventionnel dans son déroulement et artificiel dans sa mise en scène pour susciter un franc enthousiasme.

La loi de Lynch (This day and age, Cecil B.DeMille, 1933)

Lorsqu’un racketteur est innocenté du meurtre d’un boutiquier qu’ils fréquentaient, des étudiants en droit se substituent à la justice.

M le maudit chez les ados (filature et procès sont très inspirés du film de Lang alors récent). Le film est intéressant (le typage juif du boutiquer est accentué jusqu’à la caricature mais il est présenté comme sympathique), vivement mené et contient quelques scènes fortes (l’extirpation des aveux au-dessus des rats) mais la censure de la MPAA -qui n’a pas attendu le renforcement du Code Hays en juin 1934 pour s’exercer- est passée par là et DeMille lui a complu en ajoutant force édulcorant artificiel au dénouement. D’où la parfaite inoffensivité de ce qui aurait pu être une réflexion sur la justice aussi percutante que d’autres polars « indignés » de l’époque (Afraid to talk, Okay America…).

Madame Satan (Cecil B.DeMille, 1930)

Pour reconquérir un mari volage, une épouse frigide se déguise en grosse allumeuse.

Cela commence comme un vaudeville, parfois chanté, des plus efficaces mais qui assume complètement sa théâtralité (quoiqu’il s’agisse d’un scénario original et non d’une adaptation de pièce). Comme le film a été produit avant le renforcement du code Hays, il y a une liberté de ton qui redouble l’invention des scénaristes et, par là même, l’amusement du spectateur.

Par la suite, le décor change, le cadre s’élargit, la figuration se déploie dans des danses aussi surprenantes que cohérentes, et la légèreté, sans être escamotée, laisse entrevoir une profondeur de sentiment qui épaissit les personnages principaux. Manié avec une virtuosité jusqu’au-boutiste par les auteurs, le jeu de la dialectique amoureuse démultiplie les renversements de rôles et de situations.

Il y a enfin une bifurcation hallucinante, mais tout à fait réaliste, qui transforme la comédie en film-catastrophe (un des premiers de l’Histoire du cinéma) et où le génie de DeMille pour le « grand spectacle » se déploie pleinement, sans toutefois perdre son esprit coquin. D’où la création d’images insolites comme ces jolies parachutistes en guêpière…

Loin de sembler arbitraire, les stupéfiantes péripéties rendent sensible le doigt de Dieu et donnent une ampleur exceptionnelle à cette nouvelle méditation de DeMille sur la nécessité de l’harmonie entre les sens et les sentiments.

C’est donc à juste titre que Madame Satan est considérée comme une des oeuvres les plus extraordinaires du cinéma américain.

Méphisto (Henri Debain et Nick Winter, 1931)

Un policier parisien traque un criminel international.

D’après Paul Vecchiali, ce film en quatre épisodes est le seul ciné-roman parlant. Ecrit par Arthur Bernède (auteur de Judex et Belphégor), c’est une succession de péripéties assez molle mais pas très compréhensible pour autant. C’est la raison pour laquelle l’auteur a eu la judicieuse idée de, régulièrement, faire récapituler le récit oralement par divers personnages ou journaux. Sans être vraiment un bon film, cette rareté longtemps invisible rendue visible par Patrick Brion présente trois intérêts aujourd’hui.

D’abord, elle donne l’occasion de voir Jean Gabin à ses tout débuts, juste après Chacun sa chance, dans une interprétation à l’opposé des rôles qui l’ont rendu célèbre puisqu’il joue ici un flic. Cela n’empêche d’ailleurs pas qu’il pousse, joliment, la chansonnette à deux reprises tant il est vrai que le cinéma français des années 30 ne s’embarassait guère d’unité de ton et cherchait avant tout à mettre en valeur le talent de ses vedettes -celle-ci venant du café-concert. Le miracle est que ces changements de registre n’apparaissent jamais poussifs, toujours fluides et plaisants. C’est qu’on est toujours dans la fantaisie, que le polar ne cherche pas encore à documenter la vie des commissariats comme il le fera, bien plus tard, chez Pierre Chenal ou Hervé Bromberger.

Pour autant, cette fantaisie présente aujourd’hui une dimension documentaire, aussi fortuite que capitale: comme Les vampires de Feuillade nous montrait le Paris de 1916, Méphisto nous montre ce que c’était qu’un avion de ligne en 1930, le parvis de la gare de Lyon à la même époque, le vieux-port de Marseille, une fête foraine, un café, un train…Les personnages de ces feuilletons rocambolesques n’avaient aucune vérité humaine mais, circulant beaucoup, permettaient de voir la France de leur temps dans une plus large mesure que bien des films plus artistiquement ambitieux.

Enfin, la mise en scène n’est pas complètement nulle. Pour ses séquences d’action ou d’angoisse, assez nombreuses, Henri Debain (ou le mystérieux Nick Winter?) s’est souvenu des films muets allemands, qu’il vulgarise dans un exercice aux limites de la parodie; est-ce volontaire?

Les révoltés du Bounty (Frank Lloyd, 1935)

A la fin du XVIIIème siècle, la révolte de l’équipage du Bounty contre la cruauté du capitaine Bligh.

En son temps considéré comme un classique, ce film d’aventures maritimes a rapidement été dépassé par ceux de Michael Curtiz, infiniment plus fougueux (ses collaborations avec Errol Flynn) ou puissants dramatiquement (Le vaisseau fantôme, chef d’oeuvre encore trop méconnu). Cependant, l’académisme de Frank Lloyd a au moins deux mérites. D’abord un savoir-faire qui assure une qualité minimale tant au niveau du dessein d’ensemble (rythme qui n’est pas mou malgré la longue durée) que du détail (brillante distribution, qualité des nombreuses et très cinégéniques scènes d’action sur le bateau). Ensuite, son approche purement routinière du sujet lui permet de filmer avec une égale distance les marins soumis à la tyrannie du capitaine, l’admirable sang-froid de celui-ci lors de sa traversée héroïque après avoir été abandonné et la dureté des lois sur le nouveau Bounty. Cela sort la dramaturgie du manichéisme qui la plombait durant toute la première partie où la méchanceté de Bligh était filmée sans la moindre nuance.

Le cambrioleur (Hanns Schwarz, 1930)

La jeune épouse d’un riche fabricant de jouets est séduite par un beau cambrioleur.

On rêve à ce que Lubitsch aurait tiré d’un tel canevas, signé Louis Verneuil. En l’état, Le cambrioleur est une opérette parfois amusante, chiquement enrobée (jazz et art-déco) mais globalement poussiéreuse. Hanns Schwarz, qui fut grand, semble avoir perdu son inspiration avec l’arrivée du parlant; à moins que son talent n’eût pas été taillé pour la comédie.

L’heure suprême (Seventh Heaven, Henry King, 1937)

A Montmartre, un égoutier cynique recueille une fille de la rue et en tombe amoureux.

Contrairement au remake d’A travers l’orage, qui présentait quelque intérêt, cette nouvelle adaptation de la pièce immortalisée par Frank Borzage dix ans plus tôt est un échec absolu. La raison en est simple: ce qui passait la rampe quand le cinéma était muet ne la passe plus en parlant. A la poésie visuelle et à la délicatesse érotique, Henry King a substitué le pittoresque prétendument réaliste (désolants accents des seconds rôles), ce qui ne fait que mettre en exergue le caractère poussiéreux puis abracadabrantesque de l’intrigue. Un exemple éloquent pourrait être la différence entre les deux montées à l’appartement* mais tout le reste est également nul et rien ne fonctionne, jamais, d’autant que James Stewart en mauvais garçon (!) et Simone Simone en fille candide (!!) ne sont, évidemment, pas crédibles pour un sou.

*grandiose travelling vertical chez Borzage qui abstrait l’environnement et concentre le regard sur l’ascension en tant que telle VS succession de rencontres avec les voisins de l’immeuble chez King qui ne fait qu’insuffler un folklore médiocre et dispensable.

Week-end (Bank holiday, Carol Reed, 1938)

Pendant un week-end de trois jours, plusieurs Anglais partent dans une station balnéaire.

Le début est très bon: sobriété documentaire typiquement anglaise, qualité de l’interprétation, justesse audacieuse du ton. Par la suite, Week-end, dévoile ses épaisses ficelles de film choral, peut-être inspiré par Grand hotel (sans les stars), avec suspense tout à fait artificiel pour clore le tout. Dommage.

Le pacte (Lloyd’s of London, Henry King, 1936)

Au début du XIXème siècle, un ami d’enfance de l’amiral Nelson fait une brillante carrière chez l’assureur londonien Lloyds.

Un film historique original et réussi: l’excellent scénario présente aussi bien l’importance et le développement des sociétés d’assurance dans les guerres de l’Angleterre contre Napoléon qu’il raconte une ascension sociale, une histoire d’amitié et un amour impossible. Le jeune et beau Tyrone Power, à ses débuts, insuffle un sombre romantisme à un film qui alterne allègrement les registres, commençant comme un film d’aventures à la Stevenson et s’achevant comme un poignant mélo. Henry King mène son film avec autant de fluidité que de science visuelle. Brillant.

A travers l’orage (Way down East, Henry King, 1935)

Dans la campagne américaine, le fils d’un fermier puritain tombe amoureuse de la nouvelle servante, au passé mystérieux.

Nouvelle adaptation de la pièce immortellement adaptée par D.W Griffith en 1920. Le film d’Henry King est l’exact contraire du classique muet. D’abord, il est presque deux fois moins long. Les vicissitudes de l’héroïne avant son arrivée à la ferme sont épargnées au spectateur. Le découpage, quoique mettant joliment en valeur la campagne, est un modèle de concision, sans le caractère brouillon de certains passages du film de Griffith. De plus, à l’opposé du manichéisme outrancier de l’auteur du Lys brisé, Henry King ne surappuie jamais la dramaturgie voire insuffle de belles nuances qui enrichissent l’humanité des protagonistes (confer la différence capitale dans la célèbre séquence finale). Enfin, Henry Fonda, superbe révélation de ce film, est plus convaincant que Richard Barthelmess dans le rôle du jeune amoureux.

Pourtant, en dépit de ces qualités, il n’est pas étonnant de constater que ce remake ait été, au contraire de son prédécesseur, oublié: si A travers l’orage version King est une perfection d’équilibre et de finition, il est également dénué de tout génie. Or celui de Griffith, secondé par Billy Bitzer à son sommet, fut un grand pourvoyeur d’images puissantes et sublimes donc inoubliables. Et évidemment, la gentille Rochelle Hudson ne fait pas le poids face à Lilian Gish, personnification de la mater dolorosa la plus incandescente de l’histoire du septième art.