Le village maudit (Florian Rey, 1930)

Une femme fuit un village où les récoltes sont mauvaises mais son mari et son beau-père restent.

Le statut de classique de ce muet espagnol (plus tard sonorisé) montre que toutes les cinématographies du monde ne sont pas égales. Le village maudit n’est clairement pas L’aurore -avec qui il partage certains thèmes- ou La ligne générale (certains commentateurs disent ce film influencé par le cinéma soviétique, il faudra m’expliquer). L’intrigue est conventionnelle de bout en bout, l’argument dramatique tellement poussiéreux qu’il faut le deviner, l’environnement social inexistant une fois l’exposition passée (malgré ce qu’en écrivit Raymond Borde, ce mélo à trois personnages n’a rien de « néo-réaliste » si ce n’est certains plans en décors naturels) et la direction d’acteurs uniformément plombée et plombante. Heureusement, Florian Rey fait preuve d’un réel sens pictural pour filmer la ruralité castillane mais ce talent est malheureusement souvent gâché par un iris trop fermé, qui noircit une vaste partie de l’image.

Madame Satan (Cecil B.DeMille, 1930)

Pour reconquérir un mari volage, une épouse frigide se déguise en grosse allumeuse.

Cela commence comme un vaudeville, parfois chanté, des plus efficaces mais qui assume complètement sa théâtralité (quoiqu’il s’agisse d’un scénario original et non d’une adaptation de pièce). Comme le film a été produit avant le renforcement du code Hays, il y a une liberté de ton qui redouble l’invention des scénaristes et, par là même, l’amusement du spectateur.

Par la suite, le décor change, le cadre s’élargit, la figuration se déploie dans des danses aussi surprenantes que cohérentes, et la légèreté, sans être escamotée, laisse entrevoir une profondeur de sentiment qui épaissit les personnages principaux. Manié avec une virtuosité jusqu’au-boutiste par les auteurs, le jeu de la dialectique amoureuse démultiplie les renversements de rôles et de situations.

Il y a enfin une bifurcation hallucinante, mais tout à fait réaliste, qui transforme la comédie en film-catastrophe (un des premiers de l’Histoire du cinéma) et où le génie de DeMille pour le « grand spectacle » se déploie pleinement, sans toutefois perdre son esprit coquin. D’où la création d’images insolites comme ces jolies parachutistes en guêpière…

Loin de sembler arbitraire, les stupéfiantes péripéties rendent sensible le doigt de Dieu et donnent une ampleur exceptionnelle à cette nouvelle méditation de DeMille sur la nécessité de l’harmonie entre les sens et les sentiments.

C’est donc à juste titre que Madame Satan est considérée comme une des oeuvres les plus extraordinaires du cinéma américain.

Le cambrioleur (Hanns Schwarz, 1930)

La jeune épouse d’un riche fabricant de jouets est séduite par un beau cambrioleur.

On rêve à ce que Lubitsch aurait tiré d’un tel canevas, signé Louis Verneuil. En l’état, Le cambrioleur est une opérette parfois amusante, chiquement enrobée (jazz et art-déco) mais globalement poussiéreuse. Hanns Schwarz, qui fut grand, semble avoir perdu son inspiration avec l’arrivée du parlant; à moins que son talent n’eût pas été taillé pour la comédie.

Le désir de chaque femme (A lady to love, Victor Sjöström, 1930)

A cause d’un malentendu, la fiancée d’un immigré italien de la Napa Valley est troublée par son ami, plus jeune.

Le statisme de la mise en scène et la trop visible omniprésence du studio, directement corrélées à l’arrivée du parlant, ainsi que le cabotinage « ethnique » de Edward G.Robinson, aussi mauvais que Paul Muni, écrasent de fausseté cette plate adaptation d’un succès théâtral, déjà pas très intéressante à la base.

La chanson de mon coeur (Frank Borzage, 1930)

Un ténor irlandais part faire carrière aux Etats-Unis et prend en charge les enfants de la femme qu’il aimait et qui a été abandonnée par son mari.

En plus de chansons qui rappellent le plus sublime passage de ce film sublime qu’est Gens de Dublin, ce véhicule pour le ténor John McCormack contient deux passages d’une belle poésie : la mort de Mary, tout juste suggérée par un plan d’une exquise délicatesse et une séquence aux frontières du surréalisme illustrant visuellement une chanson : à ma connaissance, Frank Borzage a ici inventé le vidéoclip.

Der Herr auf Bestellung (Geza von Bolvary, 1930)

Un discoureur de mariage tombe amoureux d’une baronne.

Pourquoi ce poussiéreux navet s’est-il retrouvé sur mon disque dur? Impossible de me rappeler. La signature du pourtant très médiocre Geza von Bolvary? La présence de Willy Forst dont je n’ai jamais été fan en tant que comédien (c’est un Henri Garat allemand) ? Il est temps de calmer cette cinéphilie qui parfois vire au délire.

Let’s go native (Leo McCarey, 1930)

Une modiste endettée et son amoureux fils de bonne fuient vers l’Amérique du Sud mais échouent sur une île du Pacifique sud.

Une ineptie digne des nanars français des années 30. Le scénario est nul mais, de plus, la facture est piteuse quoique le film soit produit par Paramount. Il n’y a rien à sauver, pas même les chorégraphies signées Busby Berkeley.

Madame et ses partenaires (Part time wife, Leo McCarey, 1930)

Un PDG tente de reconquérir sa femme délaissée en se mettant au golf.

Véritable ébauche de Cette sacrée vérité. On y retrouve l’intrigue mais aussi plusieurs détails tel l’importance d’un chien. On décèle aussi le talent de Leo McCarey pour le contraste émotionnel. Grâce à son attention à chacun des personnages et à son jusqu’au boutisme, il fait passer le spectateur de l’amusement à la poignante gravité à l’intérieur d’une même séquence sans que ça ne paraisse forcé. Les ruptures de ton les plus frappantes, tel le gazage du chien, ne sont pas artifices lacrymaux décorrélés du reste mais justifient l’oeuvre dans toute sa profondeur; ainsi l’improbable amitié entre un PDG et un gamin vagabond est-elle expliquée par une solidarité de coeur. Edmond Lowe n’a pas le génie comique de Cary Grant et le découpage n’est pas aussi fluide que celui du chef d’oeuvre de 1937 mais, pour un film de 1930, Madame et ses partenaires est un film aéré et dynamique. En dehors de Soupe au canard qui appartient autant aux Marx brothers qu’à son réalisateur, c’est, de loin, le meilleur long-métrage de McCarey d’avant L’extravagant Mr Ruggles.

Wild company (Leo McCarey, 1930)

Un fils à papa frise la délinquance en fréquentant la poule d’un gangster ennemi de son père.

Film à thèse que la surabondance de parlotte rend d’autant plus assommant. On note que l’attention est portée aux rapports entre le père et son fils: pour être très mineur, Wild company n’en demeure pas moins un film de Leo McCarey.

Chacun sa chance (Hans Steinhoff, 1930)

Un vendeur se faisant passer pour un baron et une marchande de chocolats déguisée en grande dame se rencontrent dans une loge de l’opéra…

Le premier film avec Jean Gabin est une ineptie qui, de par l’importance qu’il accorde à des « gags » nullissimes (l’échange du manteau), prend vraiment le spectateur pour un imbécile. Gabin lui-même imprime infiniment mieux la pellicule dans son film suivant Paris-béguin, bien qu’il n’y tienne qu’un second rôle.

Anybody’s woman (Dorothy Arzner, 1930)

Suite à une nuit d’ivresse, un avocat divorcé épouse une cliente accusée d’outrage à la pudeur.

Derrière la verdeur de cet argument, Anybody’s woman est en fait bien pusillanime. Passé le célèbre plan où Ruth Chatterton apparaît en bas affalée sur un fauteuil, son personnage se comporte comme une parfaite épouse, ce qui émousse la dramaturgie d’un film par ailleurs handicapé par le statisme et la lenteur d’une mise en scène typique des débuts du parlant. Dorothy Arzner est loin de faire preuve de la même verve que Ernst Lubitsch, Frank Capra et Harry d’Abbadie d’Arrast à la même époque. C’est peut-être pour ça qu’elle est tombée dans l’oubli.

Laughter (Harry d’Abbadie d’Arrast, 1930)

Une chercheuse d’or mariée à un millionnaire s’entiche d’un jeune pianiste…

En dépit d’un rythme pâteux typique des débuts du parlant, Laughter s’avère merveilleux. Certains historiens du cinéma en font la première des grandes comédies américaines de l’âge d’or mais le comique reste assez discret. Quant à l’émotion, elle n’est pas que sous-jacente tel qu’en témoigne le très surprenant suicide. Si Harry d’Abbadie d’Arrast préfigure ici Frank Capra et Leo McCarey, c’est grâce à l’originalité du ton avec lequel il transfigure son intrigue canonique. Chaque personnage est montré avec une empathie et une hauteur de vue qui l’arrachent à son rôle conventionnel pour le restituer dans une humanité pleine et entière. A elle seule, la délicatesse du découpage nuance et approfondit le sens de plusieurs scènes. Ainsi le gros plan sur le bracelet qui charge le happy-end d’une insondable mélancolie…

Tu m’oublieras (Henri Diamant-Berger, 1930)

Après la mort d’une chanteuse qui avait leur fortune, deux éditeurs de musique associés recueillent la jeune fille de cette dernière.

Les cadrages guindés accentuent l’impression de préciosité désuète qui émane de ce film rendu plus attachant encore par l’extrême douceur du ton qui refoule mal des fantasmes incestueux. Cela ne m’étonnerait pas que Jacques Demy ait vu Tu m’oublieras et s’en soit souvenu au moment de réaliser Trois places pour le 26.

 

 

Au bonheur des dames (Julien Duvivier, 1930)

Dans un des premiers grands magasins parisiens, l’ascension d’une vendeuse dont le patron est amoureux…

Adaptation très superficielle du roman de Zola. La complexe critique sociale a été évacuée par les scénaristes qui ont transposé l’action dans les années folles. Le terne Pierre de Guingand ne convainc guère en Octave Mouret. Cependant, Au bonheur des dames version Duvivier éblouit par sa technique grisante où 35 ans d’art muet sont brillamment condensés. Par exemple, au début, l’effervescence urbaine est restituée aussi intensément que dans L’aurore.

Hommes sans femmes (John Ford, 1930)

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Pendant une manœuvre, un sous-marin coule…

Première collaboration de John Ford avec Dudley Nichols. Le schéma dramatique annonce celui de La chevauchée fantastique et La patrouille perdue: la plus cruelle adversité révèle la nature d’un petit groupe de personnages forcé de cohabiter. En dehors du sacrifice final et de ce qu’il implique, l’artifice de la construction n’est guère apparent: le déroulement naturel et implacable des conséquences de l’accident reste privilégié au petit théâtre psychologique. De plus, le film contient une magnifique introduction où la caméra se balade dans les bouges. La longueur des plans, l’oeil de Ford et le flou narratif font de cette parenthèse joyeuse et sordide un sommet d’immersion. Vu d’aujourd’hui, l’imprécision des débuts du parlant (Men without women est un film littéralement à moitié parlant) peut apparaître comme très moderne…Enfin, on notera que le dénouement, digne, tristement ironique et éminemment fordien, questionne l’héroïsme bien avant L’homme qui tua liberty Valance. Beau film.

Le chemin du Paradis/Die drei von der Tankstelle (Wilhelm Thiele, 1930)

Mis à la porte par leur bailleur, trois amis ouvrent une station-service.

Incommensurable nullité de cette comédie musicale allemande qui non seulement est dénuée de toute consistance dramatique, déroulant laborieusement un semblant de récit archi-prévisible, mais qui est de surcroît mise en scène avec une rigidité qui coupe court à toute velléité d’entrain. Fred Astaire a définitivement ringardisé cet immense succès des débuts du parlant et ce n’est que justice.

Femme d’une nuit (Yasujiro Ozu, 1930)

Le père d’un enfant malade commet des vols à main armée…

Cela commence comme un polar nerveux avant de bifurquer, par retournement dialectique, vers le mélo. L’influence du cinéma américain, évidente aussi bien dans le découpage alerte que dans l’intrigue chaplinesque, est revendiquée par les auteurs puisque l’un des aspects les plus originaux de cet exercice de style sentimentalo-policier emballé avec brio et justesse par le jeune Ozu (qui utilise ici beaucoup de travellings, latéraux surtout, mais qui a déjà le sens du détail symbolique tel qu’en témoigne tout le jeu autour des menottes) est l’abondance des affiches d’Hollywood et de Broadway dans l’appartement du héros, décoration qui suggère, de même que son chapeau mou piqué aux films de gangsters, qu’il a commis son larcin autant par amour que par immaturité. Subtil. Tout au plus regrettera t-on une fin languissante.

La patrouille de l’aube (Howard Hawks, 1930)

Pendant la première guerre mondiale, la dure et noble vie d’une escadrille aérienne chargée des missions les plus dangereuses.

La patrouille de l’aube est la matrice des chefs d’œuvre de Howard Hawks montrant des professionnels stoïques face à l’adversité. C’est un bien beau film, sobre dans ses effets dramatiques à l’exception certes de quelques gestes de la star du muet Richard Barthelmess qui appuient l’état d’esprit de son personnage. Un manque de souplesse typique des débuts du parlant n’empêche pas l’émotion d’advenir. Même : cette raideur accentue la noblesse de ces héros forcés de ne jamais s’appesantir sur le sort de leurs camarades tombés au combat. La patrouille de l’aube touche juste avec sa représentation pudique de l’amitié virile et sa valse infinie des chefs en tant de guerre: ce n’est pas une psychologie de convention mais le rôle assigné par l’armée qui détermine le comportement d’un personnage. D’où l’universalité d’un propos antimilitariste allant de pair avec la digne célébration de chaque soldat.