Méphisto (Henri Debain et Nick Winter, 1931)

Un policier parisien traque un criminel international.

D’après Paul Vecchiali, ce film en quatre épisodes est le seul ciné-roman parlant. Ecrit par Arthur Bernède (auteur de Judex et Belphégor), c’est une succession de péripéties assez molle mais pas très compréhensible pour autant. C’est la raison pour laquelle l’auteur a eu la judicieuse idée de, régulièrement, faire récapituler le récit oralement par divers personnages ou journaux. Sans être vraiment un bon film, cette rareté longtemps invisible rendue visible par Patrick Brion présente trois intérêts aujourd’hui.

D’abord, elle donne l’occasion de voir Jean Gabin à ses tout débuts, juste après Chacun sa chance, dans une interprétation à l’opposé des rôles qui l’ont rendu célèbre puisqu’il joue ici un flic. Cela n’empêche d’ailleurs pas qu’il pousse, joliment, la chansonnette à deux reprises tant il est vrai que le cinéma français des années 30 ne s’embarassait guère d’unité de ton et cherchait avant tout à mettre en valeur le talent de ses vedettes -celle-ci venant du café-concert. Le miracle est que ces changements de registre n’apparaissent jamais poussifs, toujours fluides et plaisants. C’est qu’on est toujours dans la fantaisie, que le polar ne cherche pas encore à documenter la vie des commissariats comme il le fera, bien plus tard, chez Pierre Chenal ou Hervé Bromberger.

Pour autant, cette fantaisie présente aujourd’hui une dimension documentaire, aussi fortuite que capitale: comme Les vampires de Feuillade nous montrait le Paris de 1916, Méphisto nous montre ce que c’était qu’un avion de ligne en 1930, le parvis de la gare de Lyon à la même époque, le vieux-port de Marseille, une fête foraine, un café, un train…Les personnages de ces feuilletons rocambolesques n’avaient aucune vérité humaine mais, circulant beaucoup, permettaient de voir la France de leur temps dans une plus large mesure que bien des films plus artistiquement ambitieux.

Enfin, la mise en scène n’est pas complètement nulle. Pour ses séquences d’action ou d’angoisse, assez nombreuses, Henri Debain (ou le mystérieux Nick Winter?) s’est souvenu des films muets allemands, qu’il vulgarise dans un exercice aux limites de la parodie; est-ce volontaire?

L’honorable M.Wong (The hatchet man, William Wellman, 1931)

A San Francisco, un immigré chinois tueur pour les triades est forcé de tuer son meilleur ami qui lui a promis la main de sa fille…

Exotisme à deux balles et scénario à la fois prévisible et rocambolesque. Un éclat: la fin, où Wellman invente un enchaînement de plans d’une violence terrifiante.

Sally in our alley (Maurice Elvey, 1931)

Une serveuse de pub s’inquiète de ne jamais revoir son fiancé parti à la guerre.

Une nouvelle preuve de l’infériorité du cinéma anglais dans les produits de consommation standard, malgré un ancrage assez intéressant dans un quartier populaire de Londres (reconstitué en studio): la star est laide et chante mal, le jeu des acteurs sonne parfois complètement faux à force de surjeu théâtral, la photographie est d’une absolue platitude et le rythme est poussif.

Hors du gouffre (The man who came back, Raoul Walsh, 1931)

Un fils à papa chassé par son père pour ses débauches tombe amoureux d’une chanteuse de cabaret…

Le couple borzagien par excellence Janet Gaynor/Charles Farrell est ici filmé par Raoul Walsh car l’échec de Liliom a dépossédé l’auteur de L’heure suprême du projet. Le mélo a beau être alambiqué et verbeux, les grands gestes théâtraux du toujours sympathique Charles Farrell ont beau passer moins bien que dans les films muets, la douceur sublime de Janet Gaynor et les éclairages de Arthur Edeson font de Hors du gouffre un pas si mauvais film que ne l’a dit sa star féminine (« mon plus mauvais film« ).

Chances (Allan Dwan, 1931)

Note dédiée à Stéphane

Pendant la première guerre mondiale, deux frères anglais sont amoureux de la même femme.

Avec son génie de la concision (70 minutes!) et sa délicatesse de ton qui n’exclue pas l’efficacité dramatique, Allan Dwan évite les écueils mélodramatiques d’un tel sujet pour en faire une tragédie feutrée, pleine de dignité et de sensibilité (Douglas Fairbanks Jr, Anthony Bushell et Rose Hobart sont tous trois excellents).

Pour un sou d’amour (Jean Grémillon, 1931)

Pour s’assurer les sentiments d’une jeune fille, un milliardaire se fait passer pour son domestique et vise-versa.

Les flottements de la narration introduisent une certaine dose d’incertitude dans une intrigue fondamentalement conventionnelle, prétexte aux tours de chant de André Baugé. A noter que pour le plan d’ouverture, Jean Grémillon s’est amusé avec un travelling digne de Soy Cuba, parfaitement inutile.

Le rappel de la terre (Alessandro Blasetti, 1931)

Un duc revient sur ses terres, qui périclitent à cause de l’absence de chef.

Non, le cinéma italien n’a pas attendu le néo-réalisme pour « sortir les caméras du studio ». Le rappel de la terre s’inscrit aussi évidemment dans l’idéologie fasciste que dans le courant « réaliste et paysan », celui que laboureront Marcel Pagnol et King Vidor quelques années plus tard. Le style de Alessandro Blasetti, chef de file du cinéma fasciste, est ici celui d’un formaliste vraisemblablement influencé par les grands Soviétiques. Moins porté sur le montage que sur les longs mouvements de caméra, il filme la cohésion entre un peuple et son chef contre les prédateurs déracinés. A cause de quelques faux raccords, c’est parfois raté mais on note une technique parlante particulièrement maîtrisée compte tenu de l’année de production. Les gros sabots fallacieusement démonstratifs du récit sont occasionnellement atténués par la pudeur de la mise en scène; ainsi la séquence de l’adieu du duc à la jeune paysanne, d’autant plus belle qu’elle commence par de longs plans éloignés. De belles images de troupeaux de moutons, d’incendies ou de femmes ramassant le foin nourrissent le lyrisme géorgique de l’oeuvre.

Ihre Hoheit befiehlt/Princesse, à vos ordres (Hanns Schwarz, 1931)

Une princesse tombe amoureuse d’un de ses cavaliers.

Que Billy Wilder ait participé au scénario n’empêche pas ce dernier d’être d’une nullité exceptionnelle. Je n’avais jamais vu un film avec une répétitivité aussi laborieuse des scènes « comiques ». Les mouvements de caméra de Hanns Schwartz sont parfois impressionnants mais ne constituent ici qu’un enrobage inapte à relever la saveur d’une insipide opérette.

Mon épouse et la voisine (Heinosuke Gosho, 1931)

Un dramaturge est soi-disant empêché d’écrire par le bruit que font sa femme, ses enfants et sa voisine chanteuse de jazz.

Ce premier film parlant japonais est une comédie domestique qui contient quelques gags amusants et inventifs (dans leur exploitation du son notamment) mais qui pèche par lenteur et par absence quasi-totale de récit.

La croix du sud (André Hugon, 1931)

Une jeune fille partie avec son père anthropologue dans le Sahara est enlevée par des pillards du désert…

La croix du sud est un film assez typique de André Hugon dans la mesure où l’ambition est aussi visible que mal concrétisée. C’est un mélange de film d’aventures et de documentaire. Quoique essentiellement folklorique (mais respectueux), l’aspect « documentaire » demeure le plus intéressant notamment grâce à une utilisation originale du commentaire textuel, hérité du cinéma muet, sur les images de la fiction. Un découpage pour le moins incertain nuit à l’intensité dramatique recherchée par ailleurs mais il y a quelques plans pas mal.

La terreur des Batignolles (Henri-Georges Clouzot, 1931)

Un cambrioleur est surpris par un couple qui rentre plus tôt que prévu pour se suicider.

Pour ce premier film, Clouzot a refait un court-métrage de Jacques de Baroncelli sorti en 1916 et dont l’idée de départ était astucieuse. Il en a modifié le dénouement, en accentuant l’humour noir, et a fait preuve d’une inventivité visuelle au service de l’oeuvre. Bref, c’est déjà très bien.

Du samedi au dimanche (Gustav Machatý, 1931)

Le samedi soir venu, une dactylo accompagne sa collègue dans boîte fréquentée par des hommes riches.

Aux côtés des Hommes le dimanche, de Treno populare ou de l’excellent Solitude, ce film tchèque s’inscrit dans ce courant des débuts du cinéma parlant qui, par sa légèreté et son côté documentaire, préfigurait les nouvelles vagues. Il y a un gros problème de rythme dans la narration puisqu’il ne se passe pas grand-chose pendant une heure de film avant que le drame ne se noue effectivement dans le dernier quart d’heure. Pendant les longues séquences de fête, les coquetteries du découpage (Machaty aime filmer des objets pendant que les protagonistes parlent hors-champ) ne parviennent pas à susciter l’intérêt pour des personnages parfaitement inconsistants. Dans la dernière partie, il est loisible de considérer que les incertitudes d’une technique aventureuse insufflent une fraîche poésie aux séquences tragiques mais m’est avis que les nombreux laudateurs de Du samedi au dimanche ont rapidement fait fi de ses -lourds- défauts et ont exagéré ses -attachantes-qualités.