Le secret de Polichinelle (André Berthomieu, 1936)

Un couple de bourgeois est contrarié lorsque leur fils à marier leur apprend qu’il a déjà une maîtresse et un enfant de cinq ans mais devient bientôt gaga de leur petit-fils.

C’est du théâtre filmé, correctement par Berthomieu qui varie judicieusement les échelles de plans. Alerme, Françoise Rosay et surtout Raimu servent parfaitement les dialogues et leurs personnages. Dans les limites d’une ambition très limitée, c’est donc réussi: tendre et amusant

Le grand Ziegfeld (Robert Z.Leonard, 1936)

L’ascension et la chute de l’entrepreneur de spectacles Florent Ziegfeld.

Biopic de trois plombes dont la désuétude (on comprend qu’une « actrice de composition » comme Luise Rainer soit tombée dans l’oubli après avoir gagné deux Oscars), la lourdeur et la platitude visuelle et dramatique sont à moitié rachetées par l’honnêteté foncière du filmage des numéros musicaux, qui met bien en valeur des vedettes ou des scénographes au talent parfois extraordinaire. C’est toute la différence entre les musicals de l’âge d’or -aussi moyens soient-ils- et ceux d’aujourd’hui, qui fragmentent abusivement le découpage pour tenter de camoufler le fait que leurs acteurs ne savent nullement danser. Le numéro qui clôt la première partie -prodigieux plan-séquence à 240 000 dolllars- est un « morceau d’anthologie » qui, en plus d’en mettre plein les yeux et les oreilles au spectateur, propose, par la bande, une juste vision de la culture américaine irriguée par le grand art européen qu’elle a vulgarisé.

Le pacte (Lloyd’s of London, Henry King, 1936)

Au début du XIXème siècle, un ami d’enfance de l’amiral Nelson fait une brillante carrière chez l’assureur londonien Lloyds.

Un film historique original et réussi: l’excellent scénario présente aussi bien l’importance et le développement des sociétés d’assurance dans les guerres de l’Angleterre contre Napoléon qu’il raconte une ascension sociale, une histoire d’amitié et un amour impossible. Le jeune et beau Tyrone Power, à ses débuts, insuffle un sombre romantisme à un film qui alterne allègrement les registres, commençant comme un film d’aventures à la Stevenson et s’achevant comme un poignant mélo. Henry King mène son film avec autant de fluidité que de science visuelle. Brillant.

Allons avec Pancho Villa! (Fernando de Fuentes, 1936)

Des paysans humiliés rejoignent Pancho Villa…

Le ton démystificateur, humaniste et quotidien avec lequel sont filmés les révolutionnaires, montrés comme de braves pères de familles dépassés par leur aventure, fait songer à La Marseillaise de Renoir. Il y aussi quelques moments musicaux qui font ressortir le collectif. Cette singularité suffit à rendre ce classique du cinéma mexicain intéressant à regarder, malgré la faiblesse technique de ses scènes d’action lorsqu’on le compare aux grands films hollywoodiens ou russes.

Show boat (James Whale, 1936)

A la fin du XIXème siècle, les pérégrinations d’une famille de comédiens sur un bateau du Mississippi…

A partir du moment où il quitte le Mississippi, le film perd de sa singularité mais la beauté de la photographie, où les scintillements du fleuve poétisent l’image, l’immense Paul Robeson et la soprano Irene Dunne chantant les standards de Jerome Kern, la qualité de la distribution où figurent notamment les très sympathiques Charles Winninger et Helen Morgan, et, d’une façon générale, la poésie sudiste qui dilue l’intrigue dans une représentation mythique, quoique non exempte de pertinente critique sociale, de Dixieland et qui donne aux figurants et personnages secondaires une importance qui évoque Renoir et Eisenstein, font de cette deuxième version de Showboat un des meilleurs films musicaux des années 30.

Agent secret (Sabotage, Alfred Hitchcock, 1936)

A Londres, le mari de la tenancière d’un cinéma effectue des sabotages…

Réduction des protagonistes du drame à des silhouettes (en premier lieu Verloc caricaturé en méchant de base), affadissemement de plusieurs rebondissements par du romanesque de convention et disparition du propos politique réduisent le brillant roman de Joseph Conrad à un film creux et vain où le « maître du supense » trouve prétexte à des « morceaux de bravoure » que moi j’appellerais plutôt « précis de découpage à destination des enfants de 12 ans », style la séquence avec multiples gros plans sur l’horloge alors qu’on sait qu’une bombe à retardement est programmée. A d’autres endroits, c’est, faute d’avoir su retranscrire un dixième de la richesse psychologique des personnages de Conrad, par des surimpressions que Hitchcock matérialise un deuil impossible. Soit une idée visuelle primaire que les plus débiles thuriféraires du gros Alfred s’imaginent sans doute être « du pur cinéma ». C’est certes mieux que rien mais, présence de Sylvia Sidney aidant, on se prend à rêver à ce que Fritz Lang aurait pu tirer d’un tel matériau.

Mir kumen on (Aleksander Ford, 1936)

La vie dans un sanatorium pour enfants construit par le Bund, organisation socialiste juive.

Les chants d’enfants faisant des farandoles dans la nature sont d’autant plus poignants qu’il est impossible de regarder ce film sans avoir à l’esprit ce qui est arrivé à la quasi-totalité de ces jeunes Juifs polonais une demi-douzaine d’années après le tournage. Mir kumen on (en yiddish: « Nous arrivons ») est un film d’un sublime particulier.

Empreintes digitales (Big brown eyes, Raoul Walsh, 1936)

Après une dispute avec son fiancé policier, une manucure est engagée dans un journal où elle enquête sur la même affaire criminelle que son ex.

Alors que ses films réalisés dans les années 30 sont majoritairement décevants, cela fait plaisir de retrouver le rythme vif, les ruptures de ton surprenantes mais logiques et le populisme de bon aloi (les clients du coiffeur qui font office de choeur tragique!) propres à Raoul Walsh dans un bon film. Cette comédie policière, non dénuée de gravité, bénéficie de dialogues vachards, de l’amoralisme du style qui détourne la convention et d’un Cary Grant plus plébéien qu’à l’accoutumée mais non moins spirituel; son couple avec Joan Bennett fonctionne bien.

 

Anne-Marie (Raymond Bernard, 1936)

Un groupe d’aviateurs accueille une jeune femme en son sein…

Le scénario a beau être signé Saint-Exupéry, il est laborieux car essentiellement basé sur les dialogues; dialogues qui servent aussi bien à faire avancer l’action qu’à dévoiler les états d’âme des personnages. La séquence de péril final apparaît alors conventionnelle et décorative, exception faite d’une belle idée. Les travellings élégants et une photo soignée font illusion pendant la première partie du film mais au fur et à mesure que le récit avance, le drame de cette femme tiraillée entre un amoureux ingénieur et des amis aviateurs s’avère trop désincarné pour que l’on s’en émeuve. Brodant à nouveau sur le thème d’une femme dans un groupe d’hommes, Raymond Bernard convaincra nettement plus avec J’étais une aventurière car Jacques Companeez était un scénariste d’une autre trempe que l’auteur du Petit prince.

L’espion Kakita Akanishi (Mansaku Itami, 1936)

Au XVIIème siècle, un samouraï s’infiltre chez un seigneur ennemi…

Le mélange d’humanisme et de ludisme avec lequel l’histoire de samouraï est racontée donne déjà un certain prix à L’espion Kakita Akanishi. Outre les qualités de bravoure et de furtivité de son héros, Mansaka Itami met l’accent sur l’amitié, la santé et les sentiments qui enrayent la trajectoire programmée d’une mission. La retenue infiniment suggestive du dénouement est d’une grande beauté qui auréole l’oeuvre d’une dimension supplémentaire.

La caméra est fluide et précise. Pour filmer une lettre d’amour, Itami utilise la surimpression comme le fera François Truffaut trente-cinq ans plus tard dans Les deux Anglaises et le continent. Le lyrisme est presque aussi puissant (il manque quand même Delerue).

De plus, la seule séquence de combat du film est mise en scène avec un véritable génie. L’invention dans les cadres, les mouvements d’appareil et le montage confère une urgence, une gravité et un dynamisme épatants à la séquence. Le seul problème de l’oeuvre, par ailleurs parfaitement concise, est que cette séquence qui représente l’incident Date soit assez décorrélée du reste. Mais un cinéphile aurait tort de bouder son plaisir.

Les grands (Félix Gandéra, 1936)

Dans un pensionnat de province pendant les vacances de Pâques, un cancre vole de l’argent au directeur pour faire accuser le premier de la classe qui est amoureux de la femme de ce dernier.

D’excellents comédiens, au premier rang desquels Charles Vanel, et de bons dialogues permettent de passer outre l’artificialité du prétexte et la faiblesse de ses développements. Via le personnage de Larquey et via un dernier plan que je pense métaphorique, une timide satire via-à-vis des notables de province sous la IIIème République relève gentiment la sauce. Ça se regarde mieux que la version muette de Fescourt.

La terre qui meurt (Jean Vallée, 1936)

En Vendée, un agriculteur voit ses enfants partir les uns après les autres.

Un des premiers longs-métrages français en couleurs. Le procédé Francita n’a pas fait long feu à cause de la complexité hasardeuse du tirage des copies mais ses caméras avaient le mérite d’être plus légères que celles du Technicolor donc plus faciles à sortir du studio. C’est ainsi que ce film précurseur accorde une large place aux extérieurs. La Vendée -en particuliers ses canaux et ses marais salants- n’a, à ma connaissance, jamais été aussi bien filmée que dans cette adaptation du populaire roman de René Bazin. La merveilleuse introduction, une scène de mariage quasi-documentaire où une femme se met à chanter une chanson folkorique, laisse augurer un très grand film régionaliste. La suite n’est pas à la hauteur de cette espérance, il faut le dire. Le jeu surrané de la quasi-totalité de la distribution dépare cette splendeur réaliste. Pierre Larquey déçoit et c’est Jean Cyrano le plus convaincant des acteurs principaux. Le découpage parfois douteux des scènes en intérieur révèle les limites de Jean Vallée, inapte à dramatiser des dialogues puissants et à synthétiser un récit aux enjeux plus complexes qu’il n’y paraît.  Toutefois, des éclats ponctuels -tel ce long panoramique sur les champs lorsque l’homme de main quitte la ferme, l’ensemble des séquences sur le port ou l’incendie avec un orange digne des Archers- maintiennent l’attention. La belle musique de Jane Bos intensifie le lyrisme de ces séquences. Enfin, découvrir, dans sa version restaurée par le CNC, La terre qui meurt, c’est bien sûr voir le seul « film français des années 30 en couleurs » visible aujourd’hui. Contempler ces acteurs et ces stéréotypes (Line Noro joue le même type de garce que Ginette Leclerc sauf qu’on voit son rouge à ongles!) ultra-connus restitués dans toutes leurs variations chromatiques, c’est faire une expérience dont la beauté insolite enrichit la stupéfiante résurrection de la Vendée traditionnelle.

La comédie de l’argent (Max Ophuls, 1936)

A Amsterdam, un caissier injustement viré pour vol est nommé directeur d’une société de promotion immobilière parce qu’il est supposé riche.

Le film hollandais de Max Ophuls est intéressant à bien des égards mais foncièrement raté. C’est une fable sur l’argent où, comme dans La ronde et Lola Montès, un bonimenteur interrompt parfois le cours du film pour expliciter le propos. Il y a un hiatus entre cette distanciation ironique (carrément pré-godardienne dans la scène d’amour au bord de l’eau) et le déroulement du drame. Celle-là rend celui-ci artificiel. Pourtant, lorsqu’il enveloppe ses personnages de sa caméra toujours très ondoyante, on sent Ophuls intéressé par ces derniers et en  particulier par la jeune fille. Las! L’utilitarisme des rebondissements et les intempestifs commentaires du narrateur font office de ficelles les ramenant à leur condition de pantins au service de la démonstration.

Le spectateur peut alors se raccrocher aux quelques trouvailles formelles induites par la mise en abyme. Plus qu’une séquence de rêve pleine des poncifs du muet, plus même que le cinéma dans le cinéma et la relecture d’une séquence sous un point de vue différent, c’est l’utilisation de la voix-off qui aurait pu faire de Komedie om geld une oeuvre novatrice. Malheureusement, ayant été peu distribuée donc peu vue, cette oeuvre est demeurée sans postérité et c’est Guitry, avec son stupéfiant Roman d’un tricheur sorti la même année, qui récolta tous les lauriers de l’invention du procédé.

Home cargo (Allan Dwan, 1936)

Un journaliste expérimenté et une novice enquêtent sur une filière d’immigration clandestine.

Une fantaisie de traitement qui n’élude pas la noirceur du thème, la souveraine harmonie entre les différentes composantes (comiques, policières, politiques) du récit et l’admirable concision du style insufflent à cette série B un parfum de modeste perfection.

Le vandale (Come and get it, Howard Hawks et William Wyler, 1936)

A la fin du XIXème siècle, l’ascension sociale d’un ambitieux bûcheron.

La première partie est virile, spectaculaire (magnifiques plans de jetées de troncs dans le fleuve dues à l’assistant de Hawks, Richard Rosson) et typiquement hawksienne. Si Frances Farmer, trop grave, ne m’a pas convaincue en entraîneuse de bar, Edward Arnold, dans un de ses rares premiers rôles, est très bien. La suite du récit, malheureusement, ressort du bête mélo. D’ailleurs, face à l’intransigeance de Samuel Goldwyn qui ne voulait rien changer du scénario, Hawks s’est fâché et le tournage fut achevé par William Wyler. Frustrant.

La guerre des gosses (Jacques Daroy, 1936)

Les gamins de deux villages voisins perpétuent une animosité ancestrale en se faisant la guerre.

C’est exagérément que le manque de visibilité de cette première adaptation du roman de Louis Pergaud par rapport à celle de Yves Robert a fait monter sa cote sur le marché des valeurs cinéphiles. En effet, le film n’est pas mauvais mais dénué de tout éclat particulier. La tendresse de Yves Robert, si elle estompait peut-être la noirceur de l’oeuvre originale, avait le mérite de rendre les personnages mémorables et attachants. Ici, seul le pessimisme allégorique du dénouement insuffle un semblant d’ampleur. L’environnement varois est joli mais nullement mis en valeur par la caméra, les dialogues sont peu inventifs, la progression dramatique à peu près nulle, les personnages d’adultes n’ont pas plus de consistance que les enfants et, bizarrement, les scènes de bataille sont escamotées. Bref, grâce à ses gamins, La guerre des gosses est un film qui se laisse plaisamment regarder mais dont la réputation apparaît surfaite.

La garçonne/Jalousie (Jean de Limur, 1936)

Après avoir fait capoter un mariage arrangé parce que son fiancé avait une maîtresse, une jeune femme s’installe à son compte et est soutenue par une décoratrice qui règne sur le monde parisien…

Typiquement le genre de film plus intéressant par ses thèmes, que l’on qualifiera d’audacieux compte tenu de l’époque (liberté sexuelle, lesbianisme, toxicomanie), que par leur traitement, que l’on qualifiera de tout à fait conventionnel. La fin fait rentrer l’héroïne dans le rang à peu de frais. La mise en scène oscille entre approximation (le découpage de la confrontation finale) et application de recettes éprouvées (les travellings sur les corps à moitié dénudés pendant l’orgie).