L’heure suprême (Seventh Heaven, Henry King, 1937)

A Montmartre, un égoutier cynique recueille une fille de la rue et en tombe amoureux.

Contrairement au remake d’A travers l’orage, qui présentait quelque intérêt, cette nouvelle adaptation de la pièce immortalisée par Frank Borzage dix ans plus tôt est un échec absolu. La raison en est simple: ce qui passait la rampe quand le cinéma était muet ne la passe plus en parlant. A la poésie visuelle et à la délicatesse érotique, Henry King a substitué le pittoresque prétendument réaliste (désolants accents des seconds rôles), ce qui ne fait que mettre en exergue le caractère poussiéreux puis abracadabrantesque de l’intrigue. Un exemple éloquent pourrait être la différence entre les deux montées à l’appartement* mais tout le reste est également nul et rien ne fonctionne, jamais, d’autant que James Stewart en mauvais garçon (!) et Simone Simone en fille candide (!!) ne sont, évidemment, pas crédibles pour un sou.

*grandiose travelling vertical chez Borzage qui abstrait l’environnement et concentre le regard sur l’ascension en tant que telle VS succession de rencontres avec les voisins de l’immeuble chez King qui ne fait qu’insuffler un folklore médiocre et dispensable.

La tornade (Another dawn, William Dieterle, 1937)

Dans une colonie britannique, un capitaine tombe amoureux de l’épouse de son colonel.

La mélancolie tragique de Kay Francis et la fringance aristocratique d’Errol Flynn siéent idéalement à leurs personnages et vivifient un drame des plus conventionnels. Tourné dans les même décors que La charge de la brigade légère, La tornade a la concision et la vivacité d’une série B (1h15, la plupart des scènes d’actions hors-champ, pas un plan en trop).

L’amiral mène la danse (Born to dance, Roy del Ruth, 1937)

Un marin en permission à New-York tombe amoureux d’une aspirante-danseuse.

Les excellentes chansons de Cole Porter et les talents des danseuses compensent assez les faiblesses du récit et les fléchissements du rythme dans la deuxième partie, après une première partie entraînante (les numéros ne dispensent pas l’éblouissement aristocratique de ceux de Fred Astaire mais sont gorgés d’une sorte de joie plébéïenne).

Artistes et modèles (Raoul Walsh, 1937)

La petite amie d’un publicitaire séduit le commanditaire de son fiancé pour être la vedette de sa nouvelle campagne.

La rayonnante splendeur de Ida Lupino à vingt ans et des numéros musicaux et dansants qui montrent la tranquille suprématie de Hollywood en matière de divertissement spectaculaire sont les principaux atouts de cette sympathique comédie où les femmes mènent les hommes par le bout du nez pour concrétiser leurs ambitions. Sans être génial, Artistes et modèles est un des rares bons films de Raoul Walsh tournés dans les années 30.

Le messager (Raymond Rouleau, 1937)

Un directeur quitte sa riche épouse pour sa secrétaire et s’en va en Ouganda pour refaire fortune.

Si ce Jean Gabin de la grande époque est oublié, c’est pour de bonnes raisons. L’acteur est toujours aussi génial mais, en plus d’être poussiéreux dans sa morale, le drame de Henri Bernstein sonne creux et artificiel.

La ville gronde (They won’t forget, Mervyn LeRoy, 1937)

Dans une petite ville du Sud des Etats-Unis, une lycéenne est assassinée pendant les défilés du Memorial Day. Un professeur originaire du Nord est alors accusé par un procureur ambitieux…

Je ne sais si c’est dû à la participation de Robert Rossen (engagé à gauche et futur proscrit du maccarthysme) au scénario ou au roman initial de Ward Green mais j’ai été stupéfié par le pessimisme et le caractère foncièrement adulte, car parfaitement ambigu, du dénouement. Plus encore que Fury de Fritz Lang, La ville gronde est un film exceptionnel au sein de la production hollywoodienne de la deuxième moitié des années 30. Grâce à un récit sautillant à travers les points de vue, il montre les différentes causes d’un lynchage: haine des frères de la victime, journalistes en quête de scoops, arrivisme du procureur, rancoeurs mal éteintes de la guerre de Sécession…Grâce à la finesse de l’écriture, c’est un enchaînement social qui est montré, quoiqu’un peu superficiellement, et non des personnages qui sont diabolisés. Ainsi, plusieurs de ses réactions nuancent l’ignominie du procureur. Une seule réserve importante: la haine de la foule à l’encontre de l’accusé nordiste paraît parfois artificielle, sans doute parce que l’antisémitisme -mobile du lynchage réel qui a inspiré l’oeuvre- a été escamoté du film. Si la mise en scène n’a pas la profondeur implacable des sommets de Fritz Lang (le lynchage est représenté par un plan d’un symbolisme douteux) et si certains acteurs jouent schématiquement, le découpage et le montage maintiennent un rythme vif et un dynamisme puissant. De quoi réévaluer à la hausse Mervyn LeRoy.

Les deux aventuriers (Jump for glory, Raoul Walsh, 1937)

Un cambrioleur tombe amoureux d’une riche demoiselle qu’il cambriolait mais son ancien acolyte se met en travers de leur bonheur.

Deuxième film tourné par Walsh en Grande-Bretagne, après O.H.M.S. Ce n’est pas franchement mieux sans être complètement nul, grâce à la présence féline Douglas Fairbanks Jr. On songe parfois à La main en collet, en beaucoup moins bien à cause d’une mise en scène nettement plus terne que celle du film de Hitchcock.

Le dibbouk (Michal Waszynski, 1937)

L’esprit de son amoureux décédé prend possession du corps d’une jeune fille que son père souhaite marier à un riche, envers et contre une promesse faite à son ami qui était le père de l’amoureux.

Le film yiddish le plus célèbre et le plus ambitieux n’en souffre pas moins d’une mise en scène indigente -aspirant à Murnau mais préfigurant Ed Wood- et de gros problèmes de rythme (accentués en version longue mais existants en version courte).

Le prince et le pauvre (William Keighley, 1937)

Par la force des circonstances, le jeune héritier du trône d’Angleterre et un vagabond du même âge intervertissent leurs identités.

Les images sont jolies mais, comparé aux films réalisés à la même époque, dans le même genre et pour le même studio par Michael Curtiz, le film n’est guère trépidant et peu dynamique. Bien sûr, le fait que Errol Flynn ne soit ici qu’un second rôle n’apparaissant pas avant la moitié du métrage contribue également à cette différence mais le récit manque d’un point de vue affirmé et certaines séquences se dispersent dans le décoratif (le couronnement).

L’athlète vedette (Hiroshi Shimizu, 1937)

Deux amis dans un régiment de cadets en manoeuvre dans la campagne.

Comme souvent avec Hiroshi Shimizu, le canevas narratif est très, très, ténu. La légèreté virerait à l’inconsistance si les inventions de la mise en scène n’entretenaient l’intérêt. Les personnages sont toujours aussi bien intégrés aux paysages, certains instants sont chargés d’une relative densité en dépit qu’ils sont presque déconnectés de tout récit (signe de modernité s’il en est) grâce au sens que sait imprimer Shimizu à un choix d’emplacement de caméra ou à un mouvement d’appareil. Notamment, le jeu sur les points de vue lors de la marche du début est brillant et générateur d’émotions variées. Bref, même si sa trame est similaire, L’athlète vedette n’est pas aussi abouti que Les masseurs et la femme ou Le peigne mais les qualités de Shimizu -décidément un des plus purs metteurs en scène de cinéma qu’on puisse imaginer- sont d’autant plus éclatantes que son scénario frôle l’absolue vacuité.

Les enfants de la chance/Laissez faire les femmes! (Paul Martin, 1937)

A New-York, un reporter se marie avec une vagabonde pour lui éviter la prison…

Si, en dépit de la relative habileté de son réalisateur, cet ersatz allemand de comédie américaine ne dispense pas le même plaisir que ses modèles, c’est d’abord à cause de ses acteurs. La jolie mais éteinte Lilian Harvey est à mille lieux de l’abattage d’une Jean Arthur ou d’une Katharine Hepburn, Willy Fritsh n’est en rien comparable à un Cary Grant et les seconds rôles ne sont pas plus que « sympathiques ». Par ailleurs, le rythme, si essentiel dans les screwball comedies, pèche par endroits. L’exposition et la séquence du tribunal qui s’ensuit, très molle, semblent durer des plombes. Enfin, tandis que Leo McCarey et Tay Garnett savaient pousser leurs séquences jusqu’à des paroxysmes délirants à force d’inventions comiques, la fantaisie demeure ici timide et velléitaire. D’où que cette histoire de mariage éclair et d’héritière enlevée, malgré ses rocambolesques rebondissements, laisse une impression de tiédeur.

On a arrêté Sherlock Holmes (Karl Hartl, 1937)

Deux détectives amateurs se font passer pour Sherlock Holmes et démasquent un gang.

Divertissement assez creux mais brillamment emballé et mâtiné d’une savoureuse ironie pirandellienne. Quoique le film se passe en Angleterre, la propagande est absente et hommage est rendu à Sir Arthur Conan Doyle.

 

Arsène Lupin détective (Henri Diamant-Berger, 1937)

Sous couvert de son agence de détectives, Arsène Lupin enquête sur un suicide douteux.

La distribution et l’intrigue auraient pu donner lieu à une virevoltante comédie policière mais la narration filandreuse et la mise en scène sans énergie permettent encore une fois de mesurer l’abîme qualitatif qui sépare le divertissement français moyen du divertissement hollywoodien moyen. Navrant.

La mort du cygne (Jean Benoit-Levy & Marie Epstein, 1937)

Par passion pour la première étoile du corps de ballet, un petit rat de l’Opéra de Paris commet l’irréparable…

La mort du cygne fusionne admirablement documentaire sur l’Opéra-Garnier, mélodrame et, même, film d’horreur en ceci qu’il préfigure les films des années 70 sur les enfants diaboliques. Les décors, les accessoires et les cadrages renforcent joliment ce côté horrifique mais le film de Epstein & Levy se distingue de sa descendance dégénérée par la précision dialectique avec laquelle il restitue tous les soubresauts de la folie enfantine. L’identification à la jeune héroïne, le fait que le spectateur la suive dans son cheminement jusqu’au geste fatal rendent La mort du cygne infiniment plus pervers et donc plus passionnant qu’un truc comme L’exorciste. C’est autant un film sur la danse que sur l’enfance. Les auteurs de La maternelle dirigent les comédiennes amatrices (mais danseuses confirmées) avec une grande justesse. La jeune Janine Charrat est épatante. Finalement, si La mort du cygne n’atteint pas tout à fait à la grandeur espérée, c’est à cause d’un relatif manquement dans les finitions: des dialogues trop littéraux dans les moments les plus dramatiques et un montage parfois douteux (ainsi ce gros plan sur le visage de la jeune fille inséré dans la scène de l’escalier où le superbe plan d’ensemble suffisait amplement) nuisent à l’achèvement de ce, tout de même, bien beau film.

Le fauteuil 47 (Fernand Rivers, 1937)

Suite à un malentendu, un jeune dramaturge amoureux d’une grande actrice épouse la fille de cette dernière.

Le fond -des histoires de baise chez des bourgeois- est après tout analogue à celui de nombre de films d’auteurs français mais la forme, du théâtre de boulevard, a le mérite d’être moins prétentieuse et plus amusante que celle des Beaux jours. Le fauteuil 47 n’en demeure pas moins médiocre. C’est le plaisir de voir des monstres sacrés, dans leurs emplois standards, qui empêche de décrocher. J’ai en fait eu l’impression que les deux premiers tiers du métrage constituaient un prétexte, pour le moins laborieux, au montage parallèle conclusif où le rythme comique décolle enfin. Mais rien de bien transcendant.

L’homme du jour (Julien Duvivier, 1937)

Après avoir donné son sang à une grande actrice, un électricien tente de réaliser ses ambitions dans la chanson.

La rencontre entre Maurice Chevalier, de retour d’Amérique, et Julien Duvivier, alors au sommet de sa carrière, aurait pu laisser présager un grand film. Malheureusement, si le sujet -en gros, les rêves qui demeurent inaccessibles en dépit des illusions- paraissait idéalement convenir à l’auteur de La fin du jour, le produit fini déçoit à cause d’un scénario médiocre et d’une vedette sympathique mais crédible ni en électricien ni en mauvais chanteur (l’astuce finale ne fait que redoubler ce hiatus). Reste quelques piques précurseuses contre le quart d’heure de célébrité warholien ainsi que la jolie mélancolie des séquences avec la vendeuse de fleurs.

 

Sarati le terrible (André Hugon, 1937)

A Alger, un pied-noir brutal et violent voit sa vie ébranlée lorsque sa nièce s’entiche d’un locataire aux origines mystérieuses…

Inspiré par un matériau d’une toute autre teneur que celle de ses habituelles galéjades, André Hugon s’est ici surpassé. L’amour interdit que porte une brute à sa nièce nourrit une tragédie déroulée avec une implacable finesse dialectique. Entre autres, il faut voir la séquence où Sarati craque pour réaliser combien Hugon peut exceller à la mise en scène. Justesse des travellings, poésie discrète du cadre, chair dénudée de Jacqueline Laurent et, bien sûr, infinité des nuances de Harry Baur, concourent à une exceptionnelle richesse d’évocation: tendresse, douleur et horreur sont inextricablement mêlées avec un tact et une audace qui étonnent de la part de l’auteur de Romarin. Harry Baur, immense, beaucoup moins cabotin qu’il ne l’a été, trouve ici ce qui est peut-être son plus beau rôle. En somme, Sarati le terrible est un parfait équivalent français aux mélos tordus de Tod Browning avec Lon Chaney. Grand.