Week-end (Bank holiday, Carol Reed, 1938)

Pendant un week-end de trois jours, plusieurs Anglais partent dans une station balnéaire.

Le début est très bon: sobriété documentaire typiquement anglaise, qualité de l’interprétation, justesse audacieuse du ton. Par la suite, Week-end, dévoile ses épaisses ficelles de film choral, peut-être inspiré par Grand hotel (sans les stars), avec suspense tout à fait artificiel pour clore le tout. Dommage.

Espoir (André Malraux, 1938)

En Espagne, en 1937, les brigades internationales aident le peuple à combattre Franco.

André Malraux rêve d’Eisenstein mais préfigure Rossellini. Si l’intérêt historique de Espoir est incontestable, l’oeuvre a vieilli, tant dans le fond (on ne peut plus considérer les prétendus républicains comme les gentils de la guerre d’Espagne) que dans la forme (la succession de vignettes est par trop désarticulée). Cependant le film reste préférable au roman car il est dénué des dissertations pseudo-philosophiques qui encombraient artificiellement ce dernier tandis que les scènes d’action apparaissent moins pesantes sur l’écran qu’à l’écrit. Certaines -comme celle où l’auto fonce sur la mitrailleuse- sont même franchement impressionnantes et manifestent un vrai sens du rythme et de l’invention visuelle. Enfin, l’aspect documentaire du tournage en décors réels demeure intéressant et le lyrisme collectif de la séquence finale a gardé sa force que je qualifierais de « progressive ».

Journal d’une famille (Hiroshi Shimizu, 1938)

Un scientifique marié par intérêt à une femme sage retrouve un ami de jeunesse, photographe tourmenté par son couple avec une ancienne serveuse.

Une fois n’est pas coutume, ce film de Hiroshi Shimizu impressionne d’abord par sa densité narrative. Ellipses fulgurantes, changements de protagoniste principal et variété des enjeux dramatiques caractérisent un récit polyphonique qui trouve cependant son unité: on désire toujours ce que l’on n’a pas, on regrette les directions que l’on n’a pas prises. A côté de séquences de parlotte parfois plan-plan, la mise en scène sait faire preuve d’une formidable poésie -l’ouverture- ou d’une prodigieuse finesse: un seul travelling évoque tout ce que le chichiteux Wong Kar-Waï s’est efforcé d’illustrer pendant 1h40 dans son pénible In the mood for love. Par ailleurs, comme dans Betty de Claude Chabrol, le mélodrame romanesque s’avère le véhicule d’une dure critique des conventions de la bourgeoisie. Bref, Journal d’une famille est une nouvelle réussite à porter à l’actif de Shimizu, un film riche, juste, subtil et touchant.

College swing (Raoul Walsh, 1938)

Pour hériter de l’université fondée par son aïeul il y a deux cents ans, une cancre doit obtenir son examen.

Comédie musicale plus consternante qu’autre chose. En plus de préfigurer Samuel Fuller, Martin Scorsese ou Clint Eastwood, Raoul Walsh a aussi préfiguré Christian Gion (les films analogues de Claude Zidi sont mieux).

Rêves de jeunesse (Four Daughters, Michael Curtiz, 1938)

L’harmonie régnant dans la maison d’un musicien et de ses quatre filles est menacée par l’irruption d’un pianiste mélancolique.

Onze ans après ma découverte émerveillée du remake de Gordon Douglas, je découvre cette première adaptation du roman de Fannie Hurst: Sister act. Comme dans le remake, la bascule progressive et étonnante de la chronique bienheureuse vers le pur mélodrame constitue l’intérêt premier de l’œuvre. Le découpage virtuose de Michael Curtiz vaut bien celui de Gordon Douglas mais la poésie de studio gagne à être présentée en Technicolor et Frank Sinatra, chantant quelques-unes de ses plus grandes « torch songs », sera encore plus adéquat pour le rôle du musicien sinistre que ne l’est ici John Garfield.

La rue sans joie (André Hugon, 1938)

Parce que la propriétaire des lieux voulait l’entremettre avec un riche malfrat, une jeune fille pauvre est mêlée à une affaire de meurtre dans un bordel.

Adapté par André Hugon, le roman de Hugo Bettauer rendu célèbre par le chef d’oeuvre muet de G.W Pabst tend nettement vers le mélodrame de l’espèce la plus simplette. Cependant, une technique ambitieuse pallie, tant bien que mal, aux faiblesses de l’écriture. Un art consommé du montage parallèle allié à la musique concourt à maintenir l’intérêt du spectateur. Si les décors sont indigents, certains plans semblent tournés à la grue, ce qui étonne dans un film français des années 30. Enfin, une distribution prestigieuse dirigée sans trop de caricature et un beau numéro de Fréhel achèvent de me rendre indulgent avec ce cher André Hugon. Encore une fois.

Cinq éclaireurs (Tomotaka Tasaka, 1938)

En Chine, des soldats japonais basés dans un fortin effectuent des missions de reconnaissance et attendent l’ordre de l’assaut.

La concision du découpage qui va de pair avec la densité du récit, la beauté discrète des contrastes du noir et blanc, la qualité des compositions visuelles, la sobriété des acteurs et l’humanisme qui contrecarre le militarisme attendu (la vie humaine est importante et on voit un officier pleurer) sont dignes d’un bon film de guerre américain des années 40. L’avancée dans les hautes herbes, avec sa caméra très mobile et suggestive, préfigure carrément la matrice du film de fantassins moderne que fut Aventures en Birmanie six ans plus tard. Même si l’incident de Shanghaï est évoqué dans un sens bien sûr pro-nippon, la propagande reste discrète dans ce film pudique, sentimental et fataliste. A découvrir.

Madame et son cowboy (The cowboy and the lady, H.C. Potter, 1938)

La fille d’un ambitieux politicien conservateur tombe amoureuse d’un cow-boy.

Le script est faiblard mais la présence écrasante de Gary Cooper et la profondeur de son interprétation à la fois sobre et inventive (quand il prend sa mère dans ses bras, quand il mime ses futurs gestes conjugaux…) donnent du poids à l’historiette de convention. Le charme asiatisant de Merle Oberon et le lustre de la facture Goldwyn (la photo est en quelque sorte banalement superbe) achèvent de rendre cette screwball comedy mineure assez agréable à regarder. Il y a même un plan très beau, presque fordien: celui où la mère rejoint son fils affligé près de l’arbre.

La goualeuse (Fernand Rivers, 1938)

Une chanteuse des rues est amenée à témoigner dans un procès opposant son amant criminel au père de ce dernier qui est accusé du crime de son fils naturel.

De ce mélo improbable concocté par Jean Guitton à l’intention de Lys Gauty, célèbre chanteuse d’alors, Fernand Rivers a réussi à tirer un film admirable et singulier. Le premier coup de génie a été d’accorder une grande importance à des personnages n’ayant qu’une incidence tardive sur l’action dramatique. Le regard sur ces mariniers marginaux est à la fois tendre, cocasse et digne. C’est sans avoir l’air d’y toucher que leurs scènes avec la police expriment la méfiance immémoriale du petit peuple envers les forces de l’ordre. Par exemple, lors de la première audition des témoins au palais de Justice, le film s’attarde beaucoup sur les déambulations de Dorville dans le bâtiment. Accentué par la largeur inhabituelle des cadres, le fossé entre le peuple et l’institution judiciaire est mis en exergue avec une drôlerie certaine. Plus tard, avec une audace folle mais assurée, le découpage insuffle de l’humour à une étonnante séquence de noyade. Par ailleurs, l’insertion des -belles- séquences de chant montre comment la commande pouvait stimuler la liberté de la narration.

Ce décalage ponctuel du traitement n’est qu’une manifestation parmi d’autres de l’élégance du metteur en scène. L’absence d’appesantissement d’une caméra dynamique, l’exceptionnelle richesse de la musique, qui fait la part belle à la trompette et à la clarinette, et la qualité de la photographie (on retrouve les contrastes vespéraux du Chemineau) en sont d’autres. Tandis que le groupe des mariniers amuse (le couple formé par Marguerite Pierry et Arthur Devère !), les acteurs du drame central jouent avec conviction mais sans caricature. In fine et par-delà les aberrations du scénario, les drames d’un père réconcilié avec sa chair  et d’une veuve éplorée émeuvent.

Ramuntcho (René Barberis, 1938)

Au pays basque, un jeune contrebandier fuit un policier qui veut lui ravir son amoureuse.

Des qualités de mise en scène particulièrement prégnantes lors des séquences de désespoir amoureux, le lyrisme de la fin, les paysages basques, la touchante interprétation de Madeleine Ozeray et une musique variée et expressive font presque oublier la médiocrité de l’écriture et la relative fausseté de Louis Jouvet et Françoise Rosay dans des rôles « typés ».

Trois valses (Ludwig Berger, 1938)

Note dédiée à Tom Peeping

Trois générations de comédiennes tombent amoureuses de trois générations de nobles.

Le concept de ce véhicule du couple Yvonne Printemps/Pierre Fresnay est pour le moins fumeux mais un charme superficiel émane des chansons et du découpage dont la saillante mobilité est, dans les deux premiers sketchs, digne de Max Ophuls. Le dernier segment, qui joue la carte du cinéma dans le cinéma, est plus laborieux.

Fort-Dolorès (René Le Hénaff, 1938)

Au fin fond de la pampa, des hommes exilés tiennent un ranch tout en rêvant à la fille du voisin.

Je comprends ce qui a pu passionner Paul Vecchiali dans ce film: l’homérotisme plus que latent, le refoulement des désirs et leur confrontation en lieu clos qui font de Fort-Dolorès un lointain parent du génial Café des Jules. Il n’empêche que c’est nul. Lorsque le plus grand de nos critiques moustachus s’extasie sur la mise en scène de René Le Hénaff, il m’est impossible de le suivre. D’abord, les acteurs sont tous médiocres. Même le plus brillant de la distribution, Pierre Larquey, ne fait jamais oublier qu’il joue un rôle tant son interprétation sent le chiqué. De plus, le réalisateur n’a pas le sens du paysage qui aurait pu donner une consistance plastique aux mythes charriés par un récit laborieux. Seule la séquence finale, assez belle, concrétise le potentiel poétique de cette allégorie téléphonée.

Conflit (Léonide Moguy, 1938)

Une jeune fille mise enceinte par un séducteur « donne » son bébé à sa soeur, stérile.

Le rebondissement assez artificiel de la transformation du séducteur en maître-chanteur et l’épaisseur du trait de Léonide Moguy (patente dans la musique ou la boursouflure de la séquence pivot) n’empêchent pas le postulat dramatique, exceptionnellement fort, d’être traité avec une certaine honnêteté. En dehors d’un Dalio ignoblement caricatural, les acteurs sont d’une remarquable justesse. La distance naturelle de Corinne Luchaire allège régulièrement la charge pathétique. La structure en flash-back de la narration renforce l’efficacité des effets dramatiques sans paraître trop alambiquée. Bref, c’est loin d’avoir la classe et l’ampleur de Susan Slade mais c’est pas si mal que ça.

L’accroche-coeur (Pierre Caron, 1938)

Pour la séduire et l’entretenir, un homme dérobe l’argent d’une aventurière…

Cette adaptation d’une pièce de Sacha Guitry dont l’auteur se désintéressa de la réalisation à cause de sa rupture avec Jacqueline Delubac fait penser à une sorte de Canada Dry guitriesque: les ingrédients sont là mais l’effet est absent. La trame -le voyage au cours duquel un homme et une femme tombent amoureux- évoque le merveilleux Bonne chance! mais, malheureusement, Henry Garat paraît très terne à côté du comédien Guitry, la lumineuse Jacqueline Delubac est comme éteinte et le besogneux Pierre Caron n’a pas un dixième de l’inventivité du cinéaste Guitry qui jouait allègrement avec le cadre, la voix-off et le quatrième mur pour mieux amuser son spectateur. D’où que L’accroche-coeur est un film laborieux plus que pétillant.

La chaleur du sein (Jean Boyer, 1938)

Un jeune homme ayant tenté de se suicider, les différentes épouses de son père qui lui ont successivement servi de mère accourent à son chevet.

Comédie fort médiocre, sans invention, sans gag, qui patine pendant une heure avant de sombrer dans la mièvrerie la plus crasse. C’est un des rares films où Marguerite Moreno est mauvaise (mais on lui a demandé de jouer une Américaine).

 

L’insoumise (Jezebel, William Wyler, 1938)

A la Nouvelle-Orléans, quelques années avant la guerre de Sécession, une jeune fille est mise au ban de la société pour avoir dansé en robe rouge…

Il y a un hiatus entre la froideur du style et le romantisme de la conduite des personnages. En dehors de certaines scènes opératiques, telle la fin, l’attirance amoureuse des héros n’est guère rendue sensible. Cependant l’évocation de l’arrière-plan social et historique est d’une belle richesse. Même si le manque de variété du décor est quelque peu ennuyeux à la longue, la perfection de la direction artistique mise en valeur par une caméra très mobile et une multitude de détails dans l’écriture font que le vieux Sud est bien reconstitué. Tout ce travail serait purement décoratif si la variété des cadrages ainsi que le travail sur le profondeur de champ ne rehaussaient, tant que faire se peut, l’intensité d’une dramaturgie surannée.

Gibraltar (Fedor Ozep, 1938)

A Gibraltar, un officier anglais criblé de dettes est séduit par une espionne…

Pas loin d’être nul. La convention du scénario et le cosmopolitisme factice du projet ne sont même pas compensés par une quelconque allégresse du style. Ce à quoi on aurait pu légitimement s’attendre de la part du metteur en scène raffiné de La dame de pique et des Frères Karamazov.