Un mariage à Boston (The late George Apley, Joseph L.Mankiewicz, 1947)

En 1913, dans une famille de la haute-société bostonienne, le père rigide voit ses deux enfants vouloir convoler hors de leur petit milieu.

« Brillant », c’est évidemment le premier mot qui vient à l’esprit; comme souvent devant les réussites de Mankiewicz. Rarement satire (du conservatisme) fut orchestrée avec autant d’acuité (toutes ces connotations qu’on croirait tirées d’un roman d’Edith Wharton) mais aussi de subtilité et d’empathie pour le personnage brocardé. Interprété avec beaucoup d’humanité par un Ronald Colman grisonnant, George Apley n’est jamais caricaturé et son étroitesse d’esprit ne va pas sans bonne volonté ni secrète mélancolie, de la même façon que Nellie dans le film d’Henry King. Contrairement à ce qu’écrit Lourcelles dans son dictionnaire, il évolue même, un peu, au cours du film. La fin en demi-teinte, ni unhappy ni happy, est d’ailleurs révélatrice de l’étonnante complexité du film. Magistral au niveau de l’écriture, The late George Apley ne l’est pas moins au niveau de la réalisation. En effet, Mankiewicz fait oublier les origines théâtrales de son script en dramatisant l’espace de la maison avec une caméra dynamique et des champs à différents niveaux de profondeur.

Le train va vers l’Est/Le train d’Extrême-Orient (Youli Raizman, 1947)

Au lendemain de la victoire de 1945, une jeune agronome et un soldat qui ont raté leur train font le voyage ensemble vers Vladivostok.

Lourdement présente dans les premières séquences où la victoire est célébrée, la propagande s’estompe vite pour laisser place à un charmant road-movie à travers la Russie joliment mise en valeur par le découpage, simple mais maîtrisé, en Sovietcolor. Les rencontres des personnages sont variées, le ton est léger* et l’interprétation de Lidia Dranovskaia apporte une belle fraîcheur; quand elle marche sur des rails tandis qu’elle cause par exemple. Le fait que les deux protagonistes soient souvent en mouvement et réunis malgré eux par les circonstances de l’action insuffle une épaisseur concrète à la romance. Bref, belle découverte.

*ce qui déplut à Staline donc altéra la carrière de Youli Raizman malgré l’immense succès du film

Marchands d’illusions (The Hucksters, Jack Conway, 1947)

De retour de la guerre, un publicitaire retrouve son agence et propose, pour vendre du savon, d’employer les services de la veuve d’un général.

La satire, plus mélancolique que sardonique, du monde de la publicité sonne juste, les seconds rôles sont excellents et, surtout, le couple formé par Clark Gable et Deborah Kerr est magnifique mais il manque quelque chose pour faire de The Hucksters une grande comédie américaine. Difficile de déterminer ce qui manque à la mise en scène de Jack Conway et pourtant, c’est une évidence: son film est un cran en-dessous des chefs d’oeuvre de Howard Hawks ou Leo McCarey. C’est peut-être dû à une tiédeur générale. La satire n’est pas appuyée, c’est sa force et sa limite. Il y a une relative justesse de ton, voire une profondeur inattendue dans les échanges avec l’agent joué par Edward Arnold, mais, comme constamment bridé, jamais le film n’atteint de sommet comique. On sourit, tout au plus. Ce succédané des classiques de Capra mâtiné de comédie romantique demeure un film attachant, de par la dignité de son écriture et la classe de ses comédiens.

Deux sœurs vivaient en paix (The bachelor and the bobby-soxer, Irving Reis, 1947)

Une lycéenne tombe amoureuse d’un peintre récemment jugé devant le tribunal présidé par sa soeur.

Amusante comédie, notamment grâce à Cary Grant qui n’hésite pas à se rendre ridicule. Comme souvent, le dernier tiers avec sa résolution conventionnelle peine à convaincre, au contraire des prometteuses et piquantes prémisses.

Magic town (William Wellman, 1947)

Un sondeur s’installe dans une petite ville américaine qui reflète exactement les choix de l’ensemble du pays mais son entreprise est mise à mal par une journaliste qui veut justement faire évoluer l’opinion locale.

D’un côté, Robert Riskin, le fameux scénariste de Capra, s’empare d’un sujet très actuel (les sondages) mais d’un autre, son récit demeure trop abstrait et ses enjeux dramatiques trop flous. On a l’impression qu’il tente d’appliquer ses schémas classiques (type cynique qui devient gentil parce que frappé par la candeur du peuple, amour entre deux personnages opposés…) à une réalité nouvelle; sans beaucoup de succès, faute de clarté. Jane Wyman est bien et James Stewart superbe dans un rôle à la fois taillé pour lui et d’une noirceur relative mais inédite avant ses collaborations avec Hitchcock et Anthony Mann. William Wellman emballe ça de façon tout à fait impersonnelle. Bref, c’est moyen, malgré le prestige de l’affiche et l’originalité du sujet.

Huit heures de sursis (Odd man out, Carol Reed, 1947)

Le chef d’une organisation irlandaise, blessé après un casse, est poursuivi par la police…

C’est une sorte de gloubiboulga d’influences variées (réalisme poétique, Peter Ibbetson, Le mouchard…) dont le récit part dans tous les sens sans aucune unité profonde si ce n’est l’interminable et répétitive agonie du personnage de James Mason. Plus soucieux de clichés visuels (contrastes appuyés, angles inclinés, halos blancs qui traversent l’image, neige…) que de vérité dramatique, Carol Reed ne s’avère même pas « un habile faiseur » puisque sa mauvaise restitution du temps et de l’espace ruine ses séquences d’action. Un exemple parmi d’autres serait celui où le taxi passe le barrage de police, de façon totalement invraisemblable. A un autre moment, le flou de l’image matérialise le malaise du héros au sortir de la banque qu’il a braquée: la fausseté du style fait alors écho à la fausseté de la psychologie; dans la mesure où c’est cet événement qui déclenche l’intrigue, c’est regrettable. Quant aux séquences de parlotte, elles sont altérées par le jeu très conventionnel des acteurs anglais, tel le cabotin par excellence qu’était Robert Newton. Bref, Huit heures en sursis est l’archétype du classique surestimé et poussiéreux.

La Pluie qui chante (Till the clouds roll by, Richard Whorf, 1947)

La vie du compositeur à succès Jerome Kern.

Une pièce montée MGM à laquelle tous les talents de l’unité Arthur Freed semblent avoir concouru. C’est académique, souvent kitsch et parfois trop long mais le Technicolor pétaradant et certains numéros spectaculaires permettent de passer un moment pas désagréable.

L’institutrice de village (Marc Donskoï, 1947)

De 1910 à la Seconde guerre mondiale, la vie d’une institutrice partie enseigner en Sibérie.

Les savants clair-obscurs de Ouroussevski et les quelques incursions de poésie cosmique, typiques de Donskoï, ne suffisent pas à vivifier le déroulement programmatique de ce pur produit de la propagande stalinienne.

Les amants du pont Saint-Jean (Henri Decoin, 1947)

Dans un village ardéchois faisant face à la Drôme, un vieux couple de marginaux doit se marier pour que le fils puisse épouser sa fiancée, jeune bourgeoise de l’autre rive.

Le pessimisme existentiel propre à la qualité française (scénario cosigné Aurenche) est finement dilué dans un récit qui déjoue les attentes du spectateur au profit d’une dialectique perpétuellement relancée entre exaltation amoureuse et morne déception due à la réalité. Riche de nuances donc de vérité, ce pessimisme s’avère infiniment plus profond et bouleversant que la noirceur uniforme où s’agitent les pantins de tant de films réalisés à la même époque.

La mise en relation des deux couples dans un complexe réseau narratif permet un regard d’une profonde acuité sur « l’amour ». Des détails réalistes, tel les cris dans la chambre à côté de celle des tourtereaux, la pertinence narrative aussi bien que thématique de la juxtaposition de séquences au ton opposé et un certain sens de l’insolite, tel ce Michel Simon brinquebalé par des gendarmes dans une charrette où il écoute un phonographe jouant une chanson réaliste, nourrissent ce regard.

Mais ce qui permet au film d’emporter le morceau, c’est bien sûr le couple Michel Simon/Gaby Morlay. Simon joue sur du velours un type de rôle qu’il a maintes fois éprouvé tandis que les manières de Gaby Morlay se trouvent profondément justifiées par son personnage, personnage qui joue à être une Parisienne sophistiquée. Les deux sont très émouvants.

Tout au plus manque t-il un peu de lyrisme dans la réalisation solide mais sage de Henri Decoin pour achever le chef d’oeuvre. En l’état, Les amants du pont Saint-Jean n’en demeure pas moins un film remarquable et magnifique.

 

 

Un flic (Maurice de Canonge, 1947)

Après la Libération, un résistant opportuniste rentre dans des trafics louches, au grand dam de son beau-frère policier au quai des orfèvres.

L’importante présence du décor parisien et une ample séquence d’assaut final constituent les plus-values les plus significatives de ce polar plutôt banal et mou.

Miroir (Raymond Lamy, 1947)

Un notable mène une double vie: père de famille et chef d’un gang.

Pâle ersatz de L’étrange monsieur Victor avec Jean Gabin en lieu et place de Raimu. Le problème est que le drame met très longtemps à s’instaurer et que les scènes platounettes, tout juste épicées par la gouaille de la distribution marseillaise, se succèdent pendant les trois quarts du métrage sans unité profonde. Je me suis longtemps demandé ce que ce film, ni drôle ni vraiment dramatique, racontait.

Les maudits (René Clément, 1947)

En avril 45, des nazis en fuite à bord d’un sous-marin enlèvent un médecin à Royan…

Un film sur les nazis en fuite aurait pu être intéressant si les dimensions politiques et historiques n’avaient été escamotées par un traitement pusillanime, vulgaire et ras-les-pâquerettes. La seule motivation de ces « maudits » pour continuer un combat perdu qui soit vraiment évoquée est l’amour d’un industriel italien pour une nazie: minable réduction de la tragédie historique aux dimensions d’un mauvais mélo. Face à des méchants très méchants, il y a un gentil très gentil chargé de raconter le film pour que l’on ne quitte jamais le point de vue d’un gentil dans cette histoire de méchants, dût-ce être au prix de lourdes fautes dans la gestion des flash-backs. Sa voix-off, souvent superflue et de surcroît très mal dite par Henri Vidal, n’est pas l’élément le moins plombant du film.

Paris 1900 (Nicole Védrès, 1947)

Montage de films de la Belle époque commenté par Claude Dauphin.

Essai filmique qui mélange allègrement les bandes d’actualité aux fictions du début du siècle. Le caractère ontologique du cinématographe en prend un coup mais cela n’empêche pas que l’on n’aie l’impression de voir une époque ressusciter. C’est dû à la variété des thèmes abordés, à la finesse du montage et à la sautillante qualité du commentaire. Très rive gauche dans son esprit, ce film admirable et précurseur a grandement influencé Chris Marker et Alain Resnais (qui fut l’assistant de Nicolas Védrès).

Railroaded! (Anthony Mann, 1947)

Un jeune homme est injustement accusé d’un braquage ayant mal tourné par une des témoins.

La narration n’a pas le naturel implacable de Desperate, premier et meilleur des films noirs de série B réalisés par Mann. En revanche, même si John Alton n’est pas encore chargé de la photographie, les images impressionnent déjà par leur stylisation tranchante. Les idées plastiques, tel les flammes blanches sortant des canons dans l’obscurité, renforcent la brutalité des séquences de violence qui inspirent particulièrement le cinéaste; j’ai donc regretté qu’il n’y ait pas encore plus d’action.

Pour une nuit d’amour (Edmond T.Gréville, 1947)

A la fin du XIXème siècle, une jeune marquise sur le point d’être mariée à un riche prétendant demande à un niais amoureux d’elle de l’aider à cacher un cadavre.

La transformation de la sombre nouvelle sado-maso de Zola en une « satire sociale » convenue et inoffensive amuse au début grâce à Alerme et à quelques bons mots mais finit par ennuyer franchement à force de dilution de l’action dramatique (prolongations grotesques du dénouement…). Le peu de perversité gardé par les adaptateurs est complètement gommé par l’interprétation de Odette Joyeux, tout à fait inadaptée au rôle de Thérèse. Toutefois, le filmage de Gréville est d’une plaisante vivacité.

 

Histoire de chanter (Gilles Grangier, 1947)

Pour se venger d’un ténor qui fait fondre sa femme, un chirurgien de la côte d’Azur échange les cordes vocales de ce dernier avec celles d’un épicier…

Soit Luis Mariano se retrouvant avec la voix de Carette et Carette se retrouvant avec la voix de Luis Mariano. Sujet de comédie en or malheureusement gâché par un scénario paresseux, délayant longuement l’exposition et n’exploitant guère le potentiel de son excellent argument. Roquevert et Carette assurent le service minimum et les nombreuses prises de vue en extérieur permettent de voir Nice avant que la côte d’Azur ne fût bétonnée.

Bethsabée (Léonide Moguy, 1947)

Dans un poste militaire d’Afrique du Nord, l’arrivée de la fiancée d’un officier trouble le mess en réveillant des passions enfouies.

Une intrigue aussi inextricable que celle de Bethsabée aurait nécessité un traitement plus distant de façon à tirer le film vers la tragédie mais la vulgarité totale et veule de Léonide Moguy, qui va jusqu’à ôter à Danielle Darrieux sa grâce naturelle, l’abaisse dans une mièvrerie impossible.

Mademoiselle s’amuse (Jean Boyer, 1947)

La capricieuse fille d’un millionnaire décide de se faire suivre 24h/24 par l’orchestre de Ray Ventura.

Une ineptie proche du nanar mais Giselle Pascal compose un ersatz acceptable de la jeune Darrieux, les chansons de Paul Misraki sont entraînantes et la gaieté générale incite à l’indulgence (coupable?).