La première légion (Douglas Sirk, 1951)

La subite guérison d’un prêtre ébranle une communauté de jésuites et le médecin, amoureux d’une handicapée, qui s’occupe de cette communauté.

Produit et réalisé par Douglas Sirk dans une ancienne mission californienne, ce mélo catho est adapté d’une pièce de théâtre. Le récit présente l’intérêt de s’organiser autour d’un prêtre qui doute du miracle face à un médecin mécréant mais qui refuse de démystifier. La communauté de prêtres est dépeinte sans charge anticléricale et avec une certaine tendresse mais les tensions, les ambitions et les changements d’organigramme ancrent cette description dans une réalité terrestre aussi bien que les belles images du jardin. Charles Boyer est très bien et le découpage est élégant. D’un sujet pas évident tant il est chargé, Douglas Sirk se tire avec les honneurs grâce à sa douceur et à sa précision. Seul le miracle final nécessite un saut de foi. Mais n’est-ce pas le propre des miracles?

Les sept tonnerres (Hugo Fregonese, 1957)

En 1943, deux évadés anglais se planquent dans le Vieux-Port de Marseille…quartier qu’Hitler a l’intention de raser.

Film anglais tourné par un Argentin en France et à Pinewood, Les sept tonnerres avait de quoi inspirer la suspicion. Mais, en dépit de quelques conventions mal digérées (la toute fin et, de façon générale, la romance), c’est un sommet de narration auquel les auteurs ont su insuffler nervosité, densité et (relative) authenticité. Le foisonnant enchevêtrement de personnages et de situations est si bien ficelé qu’on n’a jamais l’impression d’un film choral avec démultiplication artificielle et surplombante des protagonistes.

Le but de ce film trépidant n’est clairement pas de donner une leçon d’histoire et pourtant, plusieurs fois, à la faveur de l’action, Hugo Fregonese, grâce notamment à son sens de la suggestion et de la cruauté, donne à voir la vérité de l’époque avec une force que peuvent lui envier bien des auteurs plus apparemment ambitieux. C’est par exemple un soldat allemand paniqué qui engueule son collègue venant de commettre la plus affreuse des bavures. C’est aussi ce plan étonnant où le héros en fuite se mêle à la foule des réfugiés, point culminant d’une intégration de la petite histoire à la grande Histoire parmi les plus organiques jamais vues sur un écran.

Les acteurs, peu connus (le plus célèbre étant Stephen Boyd, futur Messala), sont tous très biens et insufflent une dimension humaine inattendue à des figures parfois stéréotypées (je pense par exemple à la matrone sympathiquement campée par Kathleen Harrison).

L’impasse maudite (One way street, Hugo Fregonese, 1950)

Un médecin s’enfuit au Mexique avec le magot et la maîtresse du chef d’une bande de braqueurs.

Après une première partie sur les chapeaux de roue, superbe condensé d’action sèche et nerveuse, ce film noir surprend en s’attardant dans un village mexicain où le héros trouvera l’occasion d’une rédemption. Cette rédemption est présentée avec un schématisme de série B et encombrée de scories narratives (les méchants frères) mais elle occasionne une poignée de plans frémissant de sensibilité, notamment ceux autour du départ avorté. De plus, le personnage de méchant, idéalement joué par Dan Duryea, a l’originalité d’être plus amoureux que vénal et son sentiment est montré avec finesse, sans appesantissement; la convention du genre est détournée pour gagner en épaisseur humaine. Enfin, encore une fois, Hugo Fregonese a mis en scène un récit aux allures de parabole. Mais la conclusion est un deus ex machina qui heurte le naturel de la narration. C’est dommage. En définitive, L’impasse maudite s’avère un bon film noir -original, percutant et attachant- mais quelques défauts de structure l’empêchent d’accéder au rang de chef d’oeuvre.

Mardi ça saignera (Black tuesday, Hugo Fregonese, 1954)

Le jour de leur exécution, des condamnés à mort s’évadent…

Un modèle de polar: la structure est simple mais orchestrée avec une habileté remarquable: le rythme est nerveux, il n’y a pas un plan en trop et ces plans sont beaux (noir et blanc contrasté de Stanley Cortez), denses (voir par exemple l’utilisation de la profondeur de champ dans la planque) et dynamiques: l’action est quasi-continue et l’espace parfaitement géré puisque clarifié et dramatisé.

L’interprétation est excellente, avec à sa tête un grand Edward G.Robinson qui insuffle une épaisseur humaine à son personnage sans pour autant escamoter sa méchanceté. Le fait que les gangsters luttent pour leur vie confère d’emblée une grande intensité dramatique au film sans que les auteurs n’aient à se rendre complaisants vis-à-vis de crapules. Il y a certes le conventionnel « méchant un peu gentil » mais il est écrit et interprété -par Peter Graves- avec suffisamment de sécheresse pour ne pas que l’oeuvre bascule dans une sentimentalité de mauvais aloi.

Le film maintient jusqu’au bout sa grande dureté de ton, nonobstant de petites concessions*. Enfin, la concision du découpage n’empêche pas plusieurs trouvailles insolites, la première étant d’ouvrir le film sur un chanteur de blues dans le couloir de la mort; ouverture qui dévoile les ressorts profonds de ce polar de série: la mort et les sentiments de fatalité ou de peur qu’elle engendre chez l’homme, qu’il soit criminel ou honnête.

*malgré la violence qui me semble exceptionnelle pour l’époque, certaines conventions « de bonne moralité » demeurent, certaines compréhensibles (on ne touchera pas un cheveu du prêtre), d’autres moins: si l’assassinat de l’otage flic avait été fait de sang-froid et pas pendant qu’il fuit, le résultat narratif aurait été le même mais l’impact aurait été encore plus fort.

La vallée de la terreur (Ignacio F. Iquino, 1955)

La fuite de quatre malfaiteurs espagnols -trois hommes et une femme- à travers les Pyrénées.

La convention de la caractérisation des personnages (le méchant méchant, le méchant gentil, le faible et la fille), cohérente sauf à la toute fin au service d’une morale catho-franquiste, n’empêche pas ce petit polar d’être bien mené car il dispose de deux qualités essentielles à son genre: la concision et le sens de l’espace. Les scènes d’action se déploient dans une topographie restituée sans joliesse mais avec clarté et intensité. Quelques trouvailles épicent la mise en scène; ainsi le moment où le douanier se retire une balle d’une plaie puis remplit son chargeur vide avec. La vallée de la terreur est donc une sympathique découverte.

Ce couple heureux (Luis García Berlanga et Juan Antonio Bardem, 1953)

Un jeune couple espagnol est tiré au sort pour profiter d’une journée de luxe offerte par une grande marque.

Comédie sentimentalo-socialo-populiste espagnole qui montre l’universalité, après-guerre, de ce courant présent également aux Etats-Unis, en Italie, au Japon et en France. Avec ses tourtereaux confrontés à l’ambition, aux difficultés matérielles et à la chance, Ce couple heureux rappelle particulièrement Antoine et Antoinette. La mise en scène est dénuée de l’étincelant génie de Becker et l’environnement social, quoiqu’évidemment présent, n’est pas restitué avec la même ampleur que chez Jean-Paul Le Chanois ou Dino Risi mais le film demeure assez sympathique, notamment grâce à la comédienne Elvira Quintillá et à des notations dont l’une est carrément vertigineuse et mérite d’être citée: au début, les protagonistes vont voir au cinéma la première version de Elle et lui. C’est l’occasion de montrer le héros frimer auprès de sa femme avec sa connaissance de la technique cinématographique ainsi que le travestissement des films américains par la censure franquiste (le public râle au moment du baiser coupé). Et à la fin, lorsque le couple s’embrasse, le cinéaste, certainement soumis à la même censure que celle qu’il met en scène, filme les pieds des amoureux…comme le fera Leo McCarey quatre ans plus tard dans son propre remake de Elle et lui.

Bienvenue Mr Marshall (Luis Garcia Berlanga, 1953)

Un village andalou se prépare pour accueillir des représentants américains du plan Marshall.

Comédie gentiment caustique, sur un sujet aussi original que pertinent car riche d’enjeux satiriques, qui présente la particularité de ne pas se focaliser sur des récits individuels mais de garder un caractère collectif dans sa narration, dynamisée par l’amusante voix-off de Fernando Rey. Le virage onirique de la dernière partie, surprenant au début, est un peu long d’autant que, au niveau du filmage, c’est l’ancrage réaliste et local qui donne sa saveur à ce pendant espagnol du néo-réalisme rose.

Ça s’est passé en plein jour (Ladislao Vajda, 1958)

En Suisse, après le suicide du principal suspect du meurtre d’une petite fille, un inspecteur qui a quitté la police et ne croit pas à la culpabilité de ce suspect enquête personnellement sur l’affaire.

Film helvéto-germano-espagnol adapté en livre par un de ses scénaristes (Friedrich Dürrenmatt) lui-même adapté en film quarante ans plus tard par Sean Penn avec The pledge. Cette mouture primale est un polar correct, visiblement influencé par M le maudit. Certaines articulations de l’enquête manquent de crédibilité mais les acteurs -Michel Simon en colporteur, Heinz Rühmann en flic et Gert Fröbe en tueur dominé par son épouse- sont très bons et les paysages suisses, peu vus au cinéma dans les années 50, restitués avec un peu d’ampleur, beaucoup de clarté et une pointe de poésie (à la fin surtout).

La porte s’ouvre (No way out, Joseph L. Mankiewicz, 1950)

Un malfrat raciste accuse un jeune médecin noir d’avoir tué son frère blessé par la police.

Pesant film à thèse qui finit dans le grand-guignol, à force d’artificielle outrance. Se focaliser sur un cas pathologique, comme le fait ici Mankiewicz, altère grandement la critique ambitionnée du racisme. Réalisé trois ans après par un conservateur, sans intention de dénonciation apparente, Le soleil brille pour tout le monde démonte, par la bande, les mécanismes du racisme (peur sexuelle et effet de meute) avec bien plus de profondeur et d’ampleur.

Blanches colombes et vilains messieurs (Joseph L. Mankiewicz, 1955)

A Broadway, un organisateur de jeux clandestins parie avec un joueur que ce dernier ne pourra pas séduire une fille de l’Armée du Salut.

L’absence d’élan qui viendrait unifier les -bien trop longues- scènes de dialogues avec les chorégraphies baroques de Michael Kidd montre que le talent de Mankiewicz n’était pas celui d’un réalisateur de comédie musicale; de même que le talent de Marlon Brando n’était pas celui d’un chanteur. Etalant un récit très ténu sur 2h30 sans jamais conférer la moindre vérité humaine à des personnages qui restent des marionnettes de bout en bout, la narration est des plus poussives. Reste le -maigre- tour de chant de Frank Sinatra alors à son sommet.

Femmes en cage (Caged, John Cromwell, 1950)

Une jeune femme se retrouve emprisonnée à cause d’un vol à main armé tenté par son mari.

Lénifiant, caricatural et didactique jusqu’à la dernière partie, étonnante dans son pessimisme quoique toujours démonstrative. Eleanor Parker a ici deux expressions: avec des cheveux (gentille)/sans cheveux (méchante). C’est une actrice trop limitée, manquant trop de nuances, pour tenir le film sur ses épaules. Sorti la même semaine mais injustement tombé dans l’oubli à cause de la petitesse de son budget, So young so bad fut, sur le même sujet, un film nettement plus audacieux et percutant.

A l’assaut du Fort Clark (War arrow, George Sherman, 1953)

Un officier propose à un commandant d’une garnison aux prises avec les Kiowas de s’allier aux Séminoles.

Petit western qui traite son sujet et ses personnages avec ce qu’il faut d’honnêteté intellectuelle (même si les Séminoles ne furent jamais utilisés par la cavalerie). L’assaut final est pas mal fait mais la romance entre Maureen O’Hara et Jeff Chandler reste conventionnelle.

Les fils des mousquetaires (At sword’s point, Lewis Allen, 1952)

En 1648, Anne d’Autriche fait appel aux enfants des fameux mousquetaires pour contrecarrer le duc de Lavalle qui veut s’emparer du trône de France.

Aussi éloigné de la réalité historique que des romans de Dumas, Les fils des mousquetaires est une fantaisie joliment colorée et d’un dynamisme constant: poursuites et duels se succèdent à un rythme effréné. Cela reste donc assez divertissant malgré que le méritant Cornel Wilde n’ait pas le panache d’un Errol Flynn ou d’un Douglas Fairbanks et que personnages et intrigues demeurent aussi conventionnels que superficiels. Une originalité à signaler quand même: l’un des mousquetaires est une femme -Maureen O’Hara joue la fille d’Athos, avec son abattage habituel-, ce qui donne une coloration joyeusement féministe à ce petit film de cape et d’épée.

Les espions s’amusent (Jet Pilot, Josef von Sternberg, 1957)

Un colonel de l’US Air Force est chargé de séduire une aviatrice russe atterrie en Alaska pour connaître ses intentions.

Comédie de guerre froide façon Ninotchka mais bien plus bien courte d’inspiration que les films de Wilder et Lubitsch. Au-delà de quelques touches vulgaires (le bruit d’avion pour figurer le désir masculin) ou bien senties (le consistant champ-contrechamp lorsque John Wayne retrouve Janet Leigh dans leur chambre), ce film faussement ultime de Sternberg est foncièrement du théâtre, assez correctement ficelé (rigoureuse structure en trois actes, saillies anticommunistes toujours plaisantes) mais sans grande invention (visuelle ou verbale: Jules Furthman est moins piquant qu’il le fut). Le vaudeville est cependant, évidemment, entrecoupé de scènes d’avion, auxquelles Howard Hughes a donné trop de place.

Au mépris des lois (The battle at Apache Pass, George Sherman, 1952)

La fragile paix entre Cochise et la cavalerie est rompue par les affairistes de l’Est et par Geronimo.

Le parti-pris pro-indien de George Sherman ne souffre ici d’aucune timidité d’écriture: les guerres indiennes sont abordées avec une audace et une subtilité qui faisaient défaut aux pusillanimes Comanche et Comanche territory. Cochise est présenté avec dignité mais sans angélisme. Déroulé avec la concision propre à Sherman, le récit montre l’escalade de la violence dans toute son inéluctabilité tragique. Si Monument Valley n’est pas filmé avec le génie visuel de John Ford, le splendide paysage est restitué avec une relative ampleur et les scènes d’action, exploitant les trois dimensions de l’espace, sont mises en boîte avec un savoir-faire indéniable. Bref, The battle at Apache Pass est un bon western.

Miss Chic (Hasse Ekman, 1959)

Un producteur de disques près de la faillite demande à une vainqueure de jeux télévisés de se lancer dans la chanson mais celle-ci refuse.

Gentillette comédie suédoise qui n’a certes pas la verve des bons équivalents de Richard Quine, Frank Capra ou même George Cukor. Ici, le Scope-couleurs inspire des images bien composées mais engendre un certain statisme, à l’exception notable d’une fin pleine d’accélérés qui évoque le muet burlesque et qui contient, c’est remarquable, un plan de train entrant dans un tunnel au moment où un couple s’allonge sur un wagon. Le film de Hasse Ekman est sorti quelques mois avant La mort aux trousses

Deux sous de violettes (Jean Anouilh, 1951)

Une jeune Parisienne déclassée est envoyée chez une riche tante lilloise pour une convalescence.

Plus romanesque que théâtrale, cette réalisation de Jean Anouilh constitue une étude de moeurs large, variée et soigneusement construite malgré quelques traits appuyés et plusieurs péripéties attendues mais quasi-inévitables. Bonne distribution, dans laquelle Michel Bouquet s’illustre déjà.

Les évadés (Jean-Paul Le Chanois, 1955)

En 1943, deux soldats et un lieutenant français s’évadent d’Allemagne et tentent de rejoindre la Suède.

Le film a beau être inspiré des souvenirs de Michel André, qui a co-écrit et joue dans le film, sa dramaturgie poussiéreuse, ses dialogues terriblement édifiants et son interprétation maniérée (Fresnay a rarement été aussi mauvais) font que tout sonne faux et conventionnel; à l’exception de ce fugitif moment où les évadés entendent chanter des Juives dans un train: inattendue, pudique et claire évocation de la Shoah.