Les sept tonnerres (Hugo Fregonese, 1957)

En 1943, deux évadés anglais se planquent dans le Vieux-Port de Marseille…quartier qu’Hitler a l’intention de raser.

Film anglais tourné par un Argentin en France et à Pinewood, Les sept tonnerres avait de quoi inspirer la suspicion. Mais, en dépit de quelques conventions mal digérées (la toute fin et, de façon générale, la romance), c’est un sommet de narration auquel les auteurs ont su insuffler nervosité, densité et (relative) authenticité. Le foisonnant enchevêtrement de personnages et de situations est si bien ficelé qu’on n’a jamais l’impression d’un film choral avec démultiplication artificielle et surplombante des protagonistes.

Le but de ce film trépidant n’est clairement pas de donner une leçon d’histoire et pourtant, plusieurs fois, à la faveur de l’action, Hugo Fregonese, grâce notamment à son sens de la suggestion et de la cruauté, donne à voir la vérité de l’époque avec une force que peuvent lui envier bien des auteurs plus apparemment ambitieux. C’est par exemple un soldat allemand paniqué qui engueule son collègue venant de commettre la plus affreuse des bavures. C’est aussi ce plan étonnant où le héros en fuite se mêle à la foule des réfugiés, point culminant d’une intégration de la petite histoire à la grande Histoire parmi les plus organiques jamais vues sur un écran.

Les acteurs, peu connus (le plus célèbre étant Stephen Boyd, futur Messala), sont tous très biens et insufflent une dimension humaine inattendue à des figures parfois stéréotypées (je pense par exemple à la matrone sympathiquement campée par Kathleen Harrison).

Les espions s’amusent (Jet Pilot, Josef von Sternberg, 1957)

Un colonel de l’US Air Force est chargé de séduire une aviatrice russe atterrie en Alaska pour connaître ses intentions.

Comédie de guerre froide façon Ninotchka mais bien plus bien courte d’inspiration que les films de Wilder et Lubitsch. Au-delà de quelques touches vulgaires (le bruit d’avion pour figurer le désir masculin) ou bien senties (le consistant champ-contrechamp lorsque John Wayne retrouve Janet Leigh dans leur chambre), ce film faussement ultime de Sternberg est foncièrement du théâtre, assez correctement ficelé (rigoureuse structure en trois actes, saillies anticommunistes toujours plaisantes) mais sans grande invention (visuelle ou verbale: Jules Furthman est moins piquant qu’il le fut). Le vaudeville est cependant, évidemment, entrecoupé de scènes d’avion, auxquelles Howard Hughes a donné trop de place.

Gwendolina (Alberto Lattuada, 1957)

Une jeune fille de la bourgeoisie dont les parents sont sur le point de se séparer vit ses premières amours.

Ecrit par Valerio Zurlini, Gwendolina montre l’importance de la mise en scène puisque si le thème -éveil amoureux d’une adolescente- est proche des premiers films de l’auteur de Été violent, le tout est d’une banalité qui l’apparente plutôt aux téléphones blancs, malgré l’absence de la fraîche candeur qui fait le charme des meilleurs films de ce courant ainsi que la présence de quelques très vagues notations sociologiques qui montrent que, en 1957, le cinéma italien n’était plus sous une cloche aussi hermétique qu’à l’époque de Signorinette.

Prisonnier de la peur (Fear strikes out, Robert Mulligan, 1957)

Un jeune espoir du base-ball est rendu fou par la pression que lui met son père.

Après une excellente première partie, la pesanteur didactique (via le récit et les dialogues) et expressive (via l’interprétation parfois exagérée de Anthony Perkins) se fait sentir mais le tout demeure habilement mené, avec une efficacité, une précision et un sens de l’ambiguïté d’autant plus dignes d’admiration qu’il s’agissait du premier film de Mulligan (tourné pour le cinéma).

Valerie (Gerd Oswald, 1957)

Dans l’Ouest américain, un crime abominable vu à travers les trois témoins principaux: le mari, l’épouse, l’amant supposé.

L’enrobage est celui du western mais la structure, à base de femme fatale et de flash-backs, est celle d’un film noir fraîchement influencé par Rashomon. L’artifice de cette structure, dont le dénouement ne casse pas trois pattes à un canard, n’empêche pas de passer un bon moment grâce à la solidité de la mise en scène: concision d’un découpage aux plans riches de sens, beauté sublime de Anita Ekberg, présence à la fois minérale et ambiguë de Sterling Hayden qui justifierait presque le culte excessif dont il fait l’objet.

Donatella (Mario Monicelli, 1957)

Embauchée comme domestique d’une riche Américaine, une jeune Romaine se met à sortir avec un ami de sa patronne, sur la base d’un malentendu.

Dénuée de toute visée satirique, cette relecture de Cendrillon n’a rien à voir avec les autres comédies de Monicelli mais ressemble à un téléphone blanc mis au goût du jour (Cinémascope-couleur, décors naturels, personnages de vedettes américanisées). C’est non seulement fade et niais mais également languissant car le récit cousu de fil blanc se traîne et le format large ne dynamise pas la mise en scène.

La blonde ou la rousse (Pal Joey, George Sidney, 1957)

A San Francisco, un chanteur séducteur hésite entre une riche rousse et une jeune blonde.

Un Sinatra trop âgé pour son rôle de jeune premier entretenu par une femme mûre et une mise en scène plus esthétisante que piquante amoindrissent la force corrosive du récit, malgré des dialogues spirituels. Cependant, La bonde ou la rousse demeure plaisant pour les raisons même qui l’empêchent d’être un sommet de verdeur comique façon Billy Wilder: l’importance accordée à la (somptueuse) musique de variété, les couleurs stylisées, la décontraction du rythme.

Un seul amour (Jeanne Eagels, George Sidney, 1957)

Dans les années 10-20, la fulgurante ascension de l’actrice Jeanne Eagels et sa déchéance non moins rapide à cause de l’alcool.

Si la progression dramatique peut parfois manquer de détails concrets, c’est que George Sidney a préféré traiter son matériau sur un mode symbolique, mythique et fantastique (la séquence où Jeanne retrouve l’actrice déchue est aussi vampirique que Persona) en mettant l’accent sur le visuel, comme s’il tentait de ranimer le cinéma de l’époque qu’il représente. Les contrastes du noir et blanc ne sont pas moins somptueux que ceux des plus beaux films muets. Si elle est parfois gratuite, cette stylisation n’est jamais forcée et jamais la mise en scène ne perd son allègre fluidité. Kim Novak est une pure présence digne de Louise Brooks tandis que Jeff Chandler apporte ce qu’il faut de densité humaine pour ne pas que l’oeuvre ne s’évapore à force d’évanescence.

Le cheval qui pleure (Marc Donskoï, 1957)

En 1830, un couple illégitime de serfs ukrainiens s’enfuit en Bessarabie.

Le lyrisme cosmique du montage, qui ponctue l’histoire d’amour de chants immémoriaux et d’images de la Nature superbement cadrées, confère une splendeur mizoguchienne à cette légende proche de celle racontée dans Les amants crucifiés. Dommage que le Sovietcolor soit aussi moche.

Patrouille de choc (Claude Bernard-Aubert, 1957)

Pendant la guerre d’Indochine, un groupe de soldats français lutte contre le Viet-Minh.

Un film intéressant par son réalisme (monstration de divers aspects du colonialisme y compris l’enseignement aux enfants indigènes) et sa noirceur qui le fit censurer par le pouvoir politique mais la forme, même si certaines séquences sont loin d’être nulles, est à mille lieues de Walsh et Fuller. L’essentiel du propos passe par une voix-off d’une qualité littéraire qui étonne de la part du futur auteur de Autostoppeuse en chaleur, La grande mouille et autres Maîtresses très particulières.

Charmants garçons (Henri Decoin, 1957)

Une danseuse de cabaret est courtisée par plusieurs hommes qui s’avèrent tous décevants.

Comédie qui tente de renouer avec la fantaisie de certain cinéma français d’avant-guerre voire tente de tutoyer les merveilles d’outre-Atlantique. Malheureusement, aussi méritant et sympathique soit-il, un quatuor Zizi Jeanmaire/François Périer/Daniel Gélin/Gert Froebe ne saurait rivaliser avec, disons, Danielle Darrieux, Albert Préjean, Julien Carette et Saturnin Fabre. A l’image d’une mise en scène dont l’application confine à la rigidité, ces acteurs manquent d’extravagance.

La multiplicité des enjeux et des personnages est au début source d’intérêt pour le spectateur mais finit par entraîner relâchement dans le rythme et dispersion dans le récit. L’escamotage du personnage de François Périer révèle le manque de rigueur de la construction dramatique. Un spectateur peu soucieux de la théâtralité des ficelles s’amusera quand même à plusieurs passages. Enfin, la couleur, qui aurait pu rehausser l’éclat de la fantaisie, fait littéralement pâle figure face au Techicolor américain.

Les loups dans la vallée (The big land, Gordon Douglas, 1957)

Après la guerre de Sécession, un cow-boy Texan aide des fermiers du Kansas à construire une gare pour pouvoir vendre son bétail à d’autres marchands que les rapaces du Missouri.

Malgré des transparences hideuses et une musique parfois pléonastique, Les loups dans la vallée est un très bon western qui témoigne d’autant mieux des vertus du genre qu’il est dénué du génie d’un auteur. Entremêlant avec un admirable naturel relents de la guerre de Sécession, convoyage de bétail, avancée du chemin de fer et histoire d’amitié rédemptrice qui préfigure Rio Bravo, le récit est d’une grande variété dramatique. Toutefois, l’absence de mise d’accent sur l’un ou l’autre de ces aspects fait que le tout demeure un peu superficiel malgré quelques éclats de la mise en scène notables dans les séquences violentes ou tristes. La virilité un tantinet maniérée de Alan Ladd apporte aussi une touche de singularité. C’est un des rôles qui justifient le mieux sa réputation de star du genre.

Une Parisienne (Michel Boisrond, 1957)

La fille d’un président du conseil s’entiche du directeur de cabinet de son père qui est un invétéré séducteur.

Malgré la présence de Brigitte Bardot, Une Parisienne n’est qu’un très pâle ersatz français de comédie de remariage à cause, en premier lieu, d’une écriture extrêmement paresseuse.

Ce joli monde (Carlo Rim, 1957)

A la mort de sa mère, un jeune professeur de lettres fait connaissance avec son père, chef d’une bande de truands.

Darry Cowl, génial, illumine cette farce qui préfigure grandement Les tontons flingueurs mais qui est assez inégale. Certains dialogues sont délicieux, la tendresse de Rim est préférable au caricatural virilisme de Audiard mais, à force de se disperser dans des intrigues superfétatoires, le récit s’essouffle.

Beaux mais pauvres (Dino Risi, 1957)

A Rome, deux frères fiancés à deux soeurs se voient forcés à travailler par leurs promises…

Cette suite de l’excellent Pauvres mais beaux a le défaut habituel des suites: la grâce d’une réussite est réduite à des formules. Cela se ressent aussi bien dans le découpage, carré mais moins libre, que dans le scénario qui accumule les situations vaudevillesques, assez vainement et parfois à l’encontre de toute logique profonde (les potacheries du nouvel apprenti). La ville de Rome est beaucoup moins présente à l’image. Les auteurs capitalisent essentiellement sur la sympathie, bien réelle, de leur galerie de personnages. Le sujet du film, à savoir l’argent dans le jeune couple de prolos, n’est qu’effleuré et c’est dommage car les quelques dialogues graves, notamment celui entre les deux amies d’enfance qui se rendent compte qu’elles n’attachent pas la même importance à la réussite matérielle, ne manquent pas de justesse. Bref, malgré une poignée de gags marrants et des acteurs toujours aussi amusants, Beaux mais pauvres déçoit.