Ça s’est passé en plein jour (Ladislao Vajda, 1958)

En Suisse, après le suicide du principal suspect du meurtre d’une petite fille, un inspecteur qui a quitté la police et ne croit pas à la culpabilité de ce suspect enquête personnellement sur l’affaire.

Film helvéto-germano-espagnol adapté en livre par un de ses scénaristes (Friedrich Dürrenmatt) lui-même adapté en film quarante ans plus tard par Sean Penn avec The pledge. Cette mouture primale est un polar correct, visiblement influencé par M le maudit. Certaines articulations de l’enquête manquent de crédibilité mais les acteurs -Michel Simon en colporteur, Heinz Rühmann en flic et Gert Fröbe en tueur dominé par son épouse- sont très bons et les paysages suisses, peu vus au cinéma dans les années 50, restitués avec un peu d’ampleur, beaucoup de clarté et une pointe de poésie (à la fin surtout).

Duel dans la sierra (The last of the fast guns, George Sherman, 1958)

Noté dédiée à Dédé.

Un pistolero est engagé par un homme d’affaires pour retrouver son frère disparu au Mexique.

De vraies qualités de mise en scène (sens du paysage jamais vu chez George Sherman, décors insolites, hors-champ inattendu, économie du découpage, utilisation dramatisante du Cinémascope…) et des notations inattendues (sur la mélancolie des tueurs notamment) rehaussent l’intérêt d’une fable morale qui manque trop de rigueur dans sa structure et, surtout, d’épaisseur humaine dans son interprétation (Jock Mahoney n’a pas une once de l’expressivité de James Stewart dans ses rôles analogues chez Anthony Mann et Gilbert Roland n’a pas la riche ambiguïté d’Arthur Kennedy) pour être profondément crédible. Duel dans la Sierra n’en demeure pas moins, d’assez loin, le meilleur western de George Sherman parmi ceux que j’ai vus.

Gun fever (Mark Stevens, 1958)

Un mineur recherche le meurtrier de ses parents, un bandit qui attise la haine des Sioux.

Western fauché, mal écrit (pas d’unité dramatique, personnages inconsistants, rythme inégal), médiocrement interprété (Mark Stevens déçoit) mais riche d’une inventivité certaine de la mise en scène voire d’une relative poésie. Outre l’âpreté des scènes de violence, l’utilisation du vent couplée à des décors vides préfigure Kurosawa et Leone et confère une ambiance de fin du monde à cette ville désolée parce que désertée par les pionniers.

Malinconico autunno (Raffaello Matarazzo, 1958)

Un enfant élevé par sa mère seule identifie un contrebandier comme une figure paternelle.

Attention, rien à voir avec Moonfleet. Matarazzo oblige, on est ici dans le mélodrame. C’est agencé avec une sobriété narrative et un sens de l’épure visuelle qui nous attache directement aux personnages. Ma réserve principale porte sur le manque de lyrisme, d’approfondissement, de détails de la mise en scène dans les acmés, particulièrement celui du sublime retournement final qui aurait gagné en justesse humaine et en force émotionnelle s’il avait été davantage étayé. Peut-on réaliser un chef d’oeuvre dans le genre mélodramatique en restant perpétuellement épuré donc schématique? Je ne le crois pas. Cependant, ce sens de l’épure donne aussi une dimension quasi-mythologique aux personnages et aux situations dramatiques. C’est ainsi qu’il émane de ce mélo une vérité sur la virilité et la paternité qui semble venue du fond des âges. Dernier des six films réalisés par Matarazzo avec le couple Nazzari/Sanson, Malinconico autunno est également le meilleur.

Le fier rebelle (Michael Curtiz, 1958)

Note dédiée à Frédéric

En cherchant un médecin pour son fils muet, un ancien confédéré rencontre une propriétaire terrienne aux prises avec un éleveur qui veut la chasser.

Le plaisir de retrouver Olivia de Havilland, toujours belle, chez le réalisateur qui fit d’elle une star, quelques notations touchantes (une vieille fille se regardant à nouveau dans la glace, un enfant chagriné arrachant son faux col…), la cruauté surprenante révélée par le tirage des ficelles larmoyantes (enfant+animal=cocktail explosif) et la virtuosité plastique de Michael Curtiz qui se sert de la lumière vespérale avec autant de maestria qu’il se servait du Noir&blanc dans les années 30 facilitent l’indulgence face aux ressorts éculés pas toujours bien articulés du récit. En particulier, le conflit avec les voisins apparaît comme une convention mal digérée par le reste de l’oeuvre. Ça reste mieux que Shane.

Police judiciaire (Maurice de Canonge, 1958)

Au 36 quai des orfèvres, le quotidien de la police judiciaire.

La volonté documentaire se traduit par le refus de la dramatisation, l’absence de caractérisation individuelle des personnages et, si celle-ci est intentionnelle, la grisaille de la photo mais cela n’empêche pas l’artifice du montage alterné, destiné à montrer que différentes affaires sont traitées en même temps, de se faire lourdement sentir. Over-chiant.

Venise, la lune et toi (Dino Risi, 1958)

A Venise, un gondolier sur le point de se marier ne peut s’empêcher de séduire deux touristes américaines…

Une comédie mineure mais rendue tout à fait plaisante par l’abattage de Sordi qui joue un héros d’une veulerie étonnante, l’utilisation habile des ficelles éprouvées de la comedia dell arte (le baiser dans le noir!) et le charme de Venise mise en valeur par un Eastmancolor à la somptuosité inattendue (la luxuriance de certains plans est digne de Minnelli).

Mimi Pinson (Robert Darène, 1958)

Une jeune fille habitant une chambre mansardée sur l’île Saint-Louis est menacée d’expulsion mais le représentant de la société propriétaire tombe amoureux d’elle.

Pas si nul qu’on aurait pu l’imaginer. D’abord, il y a le plaisir de voir les quais parisiens et les Halles dans les années 50. Robert Darène filme ça sans génie mais respectueusement des lieux et des personnes. Il évite les raccords superflus. Ensuite, en mettant en scène une jeune fille préférant habiter dans un studio peu fonctionnel mais charmant du centre de Paris plutôt qu’un confortable appartement moderne en banlieue, cette transposition auto-réflexive de la pièce de Musset effleure le sujet éternel mais assez peu traité au cinéma de la jeunesse bohème (aujourd’hui on dirait « bobo »). Le style un peu terne de Darène empêche une véritable célébration de l’anticonformisme solaire de son héroïne mais c’est mignon sans être tout à fait niais.

La révolte des gladiateurs (Vittorio Cottafavi, 1958)

Au IIème siècle, un jeune tribun romain est envoyé en Arménie pour mater une révolte de gladiateurs…

Ironique et parfois cruelle, la confrontation du freluquet à la réalité des colonies lointaines ne manque pas de sel. La première partie suggère une réalité politique dans toute sa complexité. La suite aurait pu prendre les atours d’une prise de conscience tourmentée mais se fait plus conventionnelle puisque le mal se retrouve personnifié dans un personnage de méchante; ce qui simplifie éhontément les enjeux dramatiques et ravale La révolte des gladiateurs au rang de péplum lambda. Avec le Cinémascope, la mise en scène de Cottafavi se fait plus ample -les cadres sont composés avec élégance et précision- mais aussi moins percutante que dans ses films précédents. Bref, c’est pas mal quoique décevant.

The Gypsy and the Gentleman (Joseph Losey, 1958)

En Angleterre au début du XIXème siècle, la passion d’un hobereau pour une gitane le mène à sa perte.

Le Technicolor, l’attention à la campagne anglaise (magnifique image avec la brume s’élevant au petit matin) et le soin apporté à la direction artistique assurent une certaine beauté visuelle mais cette beauté est essentiellement décorative. Le film est handicapé par une post-synchronisation médiocre et l’interprétation caricaturale de Melina Mercouri. L’absolue froideur de Losey exclut tout lyrisme et le spectateur en est réduit à contempler, de loin, une déchéance schématiquement programmée. On pourra toutefois noter quelques fulgurances de la mise en scène ayant pour objets la violence et le sexe, tel le plan où la jambe nue sort du fauteuil et la fin dont l’idée est très belle mais qui n’émeut guère faute d’avoir été bien amenée par le récit.

La journée des violents (Day of the bad man, Harry Keller, 1958)

Des bandits arrivent dans une petite ville pour faire libérer leur frère coupable de meurtre.

Variation sur le thème du Train sifflera trois fois (on retrouve John W. Cunningham au scénario). Le récit ne sort guère des rails de l’opposition manichéenne entre le gentil juge et les bandits. La méchanceté de ces derniers donne lieu à des scènes d’une étonnante violence physique et psychologique. Le reste, surtout l’intrigue sentimentale, est sans intérêt.

Le temps des oeufs durs (Norbert Carbonnaux, 1958)

Après avoir gagné à la loterie, un garagiste achète les toiles d’un peintre raté par amour pour sa fille.

Plus abouti que Courte-tête, Le temps des oeufs durs est un des plus sympathiques parangons de burlesque à la Française. Dénué du volontarisme stérilisant de Tati ou Etaix, Norbert Carbonnaux a un naturel dans la fantaisie qui rappelle le cinéma français d’avant-guerre. En cela, il est aidé par des acteurs magnifiques d’extravagance: Darry Cowl, bien sûr, mais aussi Julien Carette, glorieux rescapé des années 30 justement. Le relatif manque d’impulsion de la mise en scène empêche certes Le temps des oeufs durs de prétendre à la perfection formelle mais la gentillesse inhabituelle du ton séduit tandis que certains gags, tel celui de « Petit papa Noël », sont la preuve d’une inventivité poétique dans la droite lignée du merveilleux Monsieur Coccinelle de Bernard-Deschamps. La place de ce film parmi les dix préférés de Jean-Luc Godard en 1958 était donc méritée.

Bagarres au King Creole (Michael Curtiz, 1958)

A la Nouvelle-Orléans, un jeune et brillant chanteur est harcelé par le caïd qui tient la quasi-totalité des cabarets de la ville.

Parce que Michael Curtiz, aidé par le grand Russell Harlan qui lui a concocté un noir&blanc aussi chiadé que du temps de la Warner, a su mêler pittoresque sudiste, réalisme social et archétypes du film noir avec son élégance et sa vivacité coutumières, parce que la dureté du marché du travail américain y est évoquée avec une précision surprenante, parce que, juste avant son fatal départ pour l’armée, Elvis y livre des interprétations chaudes, sensuelles et poisseuses de plusieurs chansons devenues des standards, parce que, autour de la star, la part belle est faite à d’excellents seconds rôles en tête desquelles figure Carolyn Jones qui incarne avec une stupéfiante justesse la nostalgie amère de la fille revenue de tout, Bagarres au King Creole s’avère un très bon film.

Lust to kill (Oliver Drake, 1958)

Note dédiée à james

Un braqueur dont le frère a été tué est capturé, s’évade et veut se venger de tous ceux qui lui ont fait du mal…

Un western de série B qui étonne par sa violence et son âpre désenchantement. Le personnage principal est un desperado d’abord rendu attachant par la bonne volonté avec laquelle il s’est rendu à un shérif respectueux puis par les injustices qu’il subit de la part de villageois inhumains qui vont jusqu’à lui refuser d’enterrer son frère. Ensuite, il sombre dans une rage meurtrière, tirant ses ennemis comme des lapins pendant qu’ils prennent leur bain. La première singularité de Lust to kill est de présenter l’ensemble de ce parcours avec un égal détachement, insufflant ainsi à la petite série B une modernité béhavioriste à la Friedkin.

Si le vétéran de la série Z derrière la caméra n’est guère en mesure de retranscrire l’éveil progressif des pulsions de haine chez son personnage, la violence est parfois mise en scène avec un raffinement sadique tout à fait exceptionnel (voir le tueur finissant noyé dans une porcherie). Le manque de moyens et de talent se fait sentir au niveau de certaines scènes d’action mais la tenue globale du film demeure honorable et l’efficacité narrative doit forcer l’admiration. La dureté du visage de Don Megowan ne l’empêche pas de suggérer une certaine tristesse et Jim Davis a l’envergure suffisante pour incarner un héros de série B.

En somme, une belle petite découverte.

La chatte (Henri Decoin, 1958)

Sous l’Occupation, une résistante est retournée par un agent de l’AbWehr amoureux d’elle…

Très inégal. Deux scènes d’action sèches et percutantes encadrent un film médiocre: les conventions dramatiques préférées à la vérité documentaire sur les réseaux de résistance ainsi que l’absence de finesse dans la mise en scène nuisent gravement à la crédibilité des situations représentées. Certaines scènes, tel l’empoisonnement avorté, sont carrément risibles au lieu d’être palpitantes. Françoise Arnoul est mignonne.

Le désordre et la nuit (Gilles Grangier, 1958)

Enquêtant sur le meurtre d’un patron de boîte de nuit, un flic s’amourache d’une jeune toxicomane…

Au-delà de l’enquête policière (téléphonée), l’intérêt dramatique du récit vient de la relation qui s’établit entre le vieux flic allant jusqu’à démissionner et la jeune toxicomane. Malheureusement, le trouble et l’ambiguïté sont des notions parfaitement étrangères au cahiers des charges d’un véhicule pour Gabin et à la mise en scène d’un Grangier. D’où l’impression regrettable d’un film regardable mais velléitaire et franchement inabouti. Les gambettes de Nadja Tiller sont sublimes.

La blonde et le shérif (The sheriff of Fractured Jaw, Raoul Walsh, 1958)

Un représentant de commerce anglais devient le shérif d’une ville malfamée du Far-West.

Petite comédie au déroulement balisé mais à la mise en scène assez truculente et mouvementée pour constituer un divertissement acceptable. Raoul Walsh s’est toutefois montré bien plus impliqué par le passé, y compris dans des commandes a priori aussi peu ambitieuses (tel Cheyenne).