Un meurtre est un meurtre (Etienne Périer, 1972)

Un bourgeois dont l’épouse, qu’il trompait, est morte dans un accident louche se retrouve la cible d’un maître-chanteur.

Le thème du meurtre commis par un maître-chanteur est ici traité de façon beaucoup moins convaincante que dans La main à couper. La faute aux invraisemblances d’un scénario cousu de fil blanc, à la sous-intrigue hautement dispensable de la soeur frappadingue et à des comédiens qui, pour être célèbres, n’en manquent pas moins de crédibilité et d’intensité: Jean-Claude Brialy, Robert Hossein et Michel Serrault ne semblent pas à leur place.

Un homme est mort (Jacques Deray, 1972)

A Los Angeles, un Français tue un homme d’affaires puis est lui-même pourchassé par un tueur.

Cet essai de polar français dans un cadre américain est raté pour les causes suivantes:

  • des dialogues uniquement français qui altèrent aussi bien la vraisemblance que la sensation de décalage entre le tueur et son environnement
  • l’absence totale de crédibilité des premières scènes où le héros échappe aux balles de l’autre tueur
  • le caractère trop tardif de la révélation de ce qui a poussé le tueur à tuer. Le fait de savoir d’emblée que c’est un monsieur tout-le-monde aurait facilité l’identification à son personnage antipathique
  • le caractère téléphoné de l’embryon de romance

Reste un exotisme qui, aujourd’hui que le mode de vie américain est familier au public français, a fait long feu (la famille qui mange devant la télé, les bikers, les bars top-less, les grosses voitures…), quelques poursuites bien réalisées et un final étonnamment sanglant. C’est peu, au regard de la médiocrité du scénario.

La vraie nature de Bernadette (Gilles Carle, 1972)

La mère d’un enfant de deux ans part s’installer à la campagne, se donne à plusieurs paysans et rencontre un agriculteur endetté qui veut créer un syndicat.

Etonnant à plus d’un titre. Indéniablement, la narration de La vraie nature de Bernadette s’inscrit dans la tendance « moderne » du cinéma, de par ses ellipses et ses coq-à-l’âne mais elle n’en demeure pas moins profondément cohérente et articulée. Au gré de son récit, Gilles Carle alterne la farce, le pamphlet social, le pathétique, la satire et les fusillades de western. Malgré que ces changements ne paraissent pas arbitraires, il résulte quand même de la projection une sensation d’inabouti et de manque d’unité. Où l’auteur a t-il venu en venir? C’est une question à laquelle il est difficile de répondre, en tout cas après une seule vision. Pour radical qu’il soit, le propos politique n’est qu’esquissé. En revanche, il y a un vrai sens plastique: les images en Cinémascope de la campagne québécoise pendant l’été indien sont superbes et apportent un certain lyrisme.

Les aventures de Pinocchio (Luigi Comencini, 1972)

A la fin du XIXème siècle en Italie, un pauvre ébéniste crée une marionnette qui se transforme en petit garçon…

La haute réputation de cette télésuite en 6 épisodes chez certains éminents cinéphiles m’interroge. Si le début dans le village enneigé et misérable frappe par une certaine âpreté presque documentaire, la suite est longue et répétitive dans ses péripéties, de plus en plus artificielles: sans cesse, le gamin -doté d’une des pires têtes à claques vues au cinéma- dévie du bon chemin et s’en trouve puni. J’ai eu peine à croire que le budget avait été très important tant les images sont indigentes, le découpage sans invention et la musique ressassée. Les scènes entre Gepetto et Pinocchio sont assez touchantes mais finalement, sur les six heures que dure l’oeuvre, très rares. Pour autant, d’après mon souvenir, la version « courte » pour le cinéma n’est guère plus passionnante. Sur le thème de l’enfance, Luigi Comencini a fait tellement et si souvent mieux.

Les cowboys (Mark Rydell, 1972)

Abandonné par ses employés qui se sont rués vers l’or, un vieux cow-boy embauche des enfants pour convoyer son troupeau.

Le côté limite de ce cow-boy qui fait travailler des gosses pour une rude mission n’est que subrepticement questionné par l’évocation de ses deux fils morts. Mark Rydell a beau être le seul réalisateur du nouvel Hollywood avec qui John Wayne ait travaillé, Les cow-boys n’est qu’une énième illustration de la légende de la star et de sa vision du monde réactionnaire. Pleine de zooms foireux, l’illustration est de plus particulièrement molle et mal ficelée telle qu’en témoigne la piètre caractérisation d’un méchant extraordinairement caricatural. C’est dommage, les jolies scènes du début entre les vieux époux pouvaient faire croire à un beau western intimiste et crépusculaire.

Le franc-tireur (Jean-Max Causse et Roger Taverne, 1972)

En juillet 1944, un jeune homme rejoint le maquis du Vercors après l’attaque de la ferme de sa grand-mère par les Allemands.

Les péripéties sont répétitives et la distribution est inégale mais l’appréhension des paysages et de l’action s’y déroulant est digne de Anthony Mann. Le fondateur des cinémas Action a bien retenu les leçons des maîtres qu’il a contribué à faire connaître. L’interdiction de sortie pendant trente ans étonne car le film, sans être glorificateur, n’est guère subversif et semble historiquement juste (par exemple, la vision d’Alger par les résistants est frappée au coin du bon sens étant donné le point de vue qui est celui du maquis).

Le soldat Laforêt (Guy Cavagnac, 1972)

Pendant l’exode de 1940, un déserteur vagabonde dans l’Aveyron…

Plaquage des idéaux soixante-huitards sur la réalité de l’Exode. C’est incongru, bourré d’anachronismes (comme la rencontre finale avec le maquis) et d’un ridicule qui confine à l’obscénité. La grande faiblesse de l’écriture -à la fois étique et confuse- empêche la prise au sérieux des situations dramatiques. Toutefois, le naturel du filmage de Guy Cavagnac -hanté par son maître Jean Renoir- tempère, au niveau du détail de plusieurs scènes, la fausseté de la conception. Le charme capiteux de la trop rare Catherine Rouvel est un atout.

Continental circus (Jérôme Laperrousaz,1972)

Pendant le championnat du monde de moto 1969, le coureur privé Jack Finlay tente de décrocher une victoire face au coureur d’usine Giacomo Agostini qui gagne tous les grands prix.

Une fois n’est pas coutume, le terme « culte » n’est pas galvaudé pour ce documentaire vénéré tant par la communauté des motards que par une certaine frange de la cinéphilie (je gage qu’une Lucile Chaufour l’a vu et aimé). Formé à l’école de André Harris et Alain de Sédouy -la même que Marcel Ophuls- le très jeune Jérôme Laperrousaz (21 ans au moment du tournage) sait faire ressortir rapports de force économiques et mythes éternels en filmant les courses de moto et ce qui se passe entre ces courses.

L’opposition entre coureurs d’usine -employés d’un constructeur- et coureurs privés -passionnés tentant de joindre les deux bouts avec les primes de départ- illustre parfaitement ce qu’il faut bien appeler une lutte des classes. Cette lutte des classes est cruelle comme le montrent, bêtement et implacablement, le déterminisme de l’argent sur les résultats de la compétition et le prix que payent les coureurs privés pour pouvoir concourir: motos de rechange, risques accrus, accidents, blessures, mort qui rôde. De l’introduction où un coureur privé est interviewé peu de temps avant son fatal accident à la scène de départ où une gerbe de fleurs remplace le concurrent décédé à la précédente course, cette présence de la mort est perpétuelle dans Continental circus mais ce sont les inquiétudes de la femme de Jack Finlay qui en sont l’incarnation la plus touchante.

Captant le serrement de ses doigts lorsque Finlay n’est pas apparu depuis deux tours ou la filmant entrain d’aider son homme brisé à enfiler ses chaussettes, le réalisateur confère à cette amoureuse résignée une dignité d’héroïne fordienne. C’est d’ailleurs au moment où il évoque pour la première fois ses angoisses que j’ai trouvé le montage de Laperrousaz le plus finement évocateur. D’une façon générale, son invention, couplée à son sens du détail conjugal, supplée son manque de métier qui est sans doute le responsable des quelques baisses de rythme du film.

En étant l’un des premiers à embarquer une caméra sur une moto de grand prix, il offre des plans, dont certains très beaux grâce aux reflets du soleil sur la bulle, qui, mieux que la kitsch bande-son de Gong, permettent de comprendre la passion aux limites de l’addiction du pilote de course. Si l’estampille « cinéma rock&roll » avait un quelconque sens, il serait plus judicieux de l’appliquer à Continental circus qu’à Snatch.

A sense of loss (Marcel Ophuls, 1972)

Marcel Ophuls interroge des personnes impliquées dans la guerre civile en Irlande du Nord.

L’entrelacs complexe d’images et de sons révèle la diversité des antagonismes (nationaux mais aussi religieux et économiques) à l’oeuvre en Irlande du Nord en même temps que l’humanité, généralement douloureuse, des protagonistes interrogés. C’est en se focalisant sur les singularités des individus que Ophuls accède à l’universalité. Ainsi lorsqu’il demande à la meilleure copine d’une adolescente accidentellement tuée par un char les préférences de la défunte en matière de garçons. Poignant.

une excellente interview de l’auteur

Peter et Tillie (Martin Ritt, 1972)

Une femme un peu collet monté se souvient de sa rencontre avec son mari, un publicitaire cynique, puis de la maladie de leur enfant…

Plus qu’un ressort lacrymal, la maladie de l’enfant est une péripétie intégrée à l’histoire du couple et permettant de confronter deux formes d’amour parental: le père privilégie le « hic et nunc » tandis que la mère se lamente face aux étoiles. Cette confrontation quasi-métaphysique est restituée avec une belle simplicité par les auteurs qui se gardent bien de juger l’un ou l’autre des personnages. A l’exception de la grotesque bagarre avec la meilleure amie, Martin Ritt filme les souvenirs de Tillie, qu’ils soient drôles ou dramatiques, avec pudeur et justesse et évite allègrement les pièges d’un sujet des plus casse-gueules grâce à sa précision directe (voir les répercussions du drame sur la vie sexuelle des parents). A commencer par Walter Matthau dans un rôle à contre-emploi, les acteurs excellent. La musique de John Williams est jolie. Bref, Pete’n’Tillie est un beau film.

Une bonne planque (Alberto Lattuada, 1972)

Une bonne soeur italienne quitte la Libye lors de l’indépendance de celle-ci et sert dans un hôpital où elle a maille à partir avec un estropié communiste.

Un film assez étrange et inégal. Il y a une certaine beauté dans l’itinéraire de cette femme dont les drames sentimentaux renforcent le dévouement religieux mais le manque de tenue de la mise en scène rend les séquences se déroulant dans l’hôpital (donc une bonne partie du film) assez désagréables quand elles ne sont pas franchement ennuyeuses. Il y a de bonnes idées de cinéma (les réminiscences sont bien orchestrées) mais plus de rigueur dans la forme et dans la conduite du récit n’aurait pas nui à l’oeuvre.

Absences répétées (Guy Gilles, 1972)

L’enfermement mental progressif et inéluctable d’un toxicomane.

Un film qui a les qualités de ses défauts. Tourné par son réalisateur pendant une sévère dépression, Absences répétées est complaisant et plein de sensiblerie. Cela, Guy Gilles s’en fout et, quelque part, il a bien raison: c’est sa caution d’intégrité morale, c’est pourquoi il expose l’enfer de la toxicomanie sans prêt-à-penser sociologique mais comme reflet d’une mélancolie absolue.

Plus qu’un récit (forcément) déterministe et superficiel, c’est une poésie morbide et désespérée reposant sur un montage fait de courts plans-séquences qui contraste judicieusement avec le lymphatisme du personnage, des allers-retours entre présent en noir et blanc et souvenirs en couleurs et une très belle chanson de Jeanne Moreau qui élargit la portée de son oeuvre bien au-delà des personnes concernés par le sujet de société qu’est « la drogue », de tendre, via son nombril, vers l’universel.

Abattoir 5 (George Roy Hill, 1972)

Un ancien G.I de la seconde guerre mondiale a la faculté de revivre les différentes étapes de sa vie.

Un film tout à fait étonnant. Passé les premières réactions agacées devant l’éparpillement de la chronologie -coquetterie typique de l’époque-, on se rend compte qu’un tel dispositif n’a ici rien d’arbitraire, qu’il n’empêche pas la continuité dramatique (le montage s’assimile rapidement à un montage alterné quasi-griffithien) et qu’il donne toute sa dimension à une méditation sur la vie humaine certes un peu confuse mais nimbée d’un mélange de tendresse et d’ironie (voir la mise en scène de la mort de l’épouse) aussi subtil qu’attachant. Ce doux et étrange détachement fait finalement de Abattoir 5 une des plus pures expressions de la mélancolie produites par Hollywood (aux côtés par exemple de L’aventure de Mme Muir). La musique de Glenn Gould qui contient plusieurs morceaux de Bach, le kitsch assumé et charmant des passages dans l’Espace et des acteurs inconnus mais épatants (il est dommage pour le cinéma américain que Michaels Sacks ait abandonné l’art dramatique pour devenir trader à Wall Street) en sont les qualités les plus distinctes. Par ailleurs, les scènes de guerre à l’intérieur du film de science-fiction sont l’occasion pour George Roy Hill de porter un regard neuf et évocateur sur la seconde guerre mondiale (sans doute le conflit le plus vu au cinéma): voir la scène où un officier de la Wehrmacht ordonne à des prisonniers de guerre américains d’incinérer les Allemands tués dans les bombardements de Dresde.

La légende de Jesse James (The great Northfield Minnesota raid, Philip Kaufman, 1972)

Les frères James et Younger s’associent pour un ultime hold-up dans une grande banque nordiste…

Critique, cynique et anti-héroïque, cet énième film sur Jesse James est typique du cinéma américain des années 70. La sanglante épopée des frangins du Missouri est filmée comme une comédie noire dont la manière annonce les frères Coen. Comme dans L’étoffe des héros et Les seigneurs, Philip Kaufman porte un regard amusé sur les laissés-pour-compte d’un changement d’époque. Les frères James étant moins sympathiques que Chuck Yeager ou les Teddys Boys, le ton est (nettement) plus sarcastique. Avec un humour glaçant et ravageur, le film montre aussi bien le décalage entre Nordistes « civilisés » qui jouent déjà au base-ball et péquenauds qui s’imaginent prolonger la guerre de Sécession que le vieux fonds de fascination de ces mêmes Nordistes envers les démonstrations de force les plus sauvages. L’absurde popularité des hors-la-loi parmi les députés ou parmi la foule de la séquence finale montre bien tout ce que l’entreprise civilisationnelle peut avoir d’illusoire. Cette dimension critique, qui ne manque pas de subtilité, est ce que ce western contient de plus singulier donc de plus intéressant.

Avanti (Billy Wilder, 1972)

Un grand patron américain débarque à Naples pour récupérer le cadavre de son père mort en vacances.

Le film raconte comment, au contact de la fameuse dolce vita ainsi que de la fille de la maîtresse de son père, sa carapace de patron insensible et toujours pressé va se fissurer. Evidemment. Le trait de Wilder et Diamond est ici particulièrement caricatural -plus proche de Irma la douce que de La garçonnière. Plusieurs péripéties exploitant le pittoresque des Italiens du Sud selon Hollywood délayent inutilement la dramaturgie (le film dure plus de 2h15, ce qui est beaucoup pour une comédie) et Jack Lemmon grimace plus que jamais. Cependant, le sens comique des auteurs continue de faire souvent mouche (toute l’introduction est fabuleuse) tandis que, sachant aller au-delà de la satire pour rendre ses deux personnages principaux attachants, le cinéaste s’est ménagé quelques moments de grâce: ainsi la caméra s’attarde sur la jeune fille restée dans la chapelle ardente au bord de la mer après que tout le monde en soit parti; plan magnifique s’il en est.